Comme promis, me voici avec ce compte-rendu de voyage que j’aurais bien aimé publier comme un carnet de voyage, au jour le jour, photo à l’appui. Mais cela n’était pas possible.
Je vous présente plutôt mes réflexions, suite à ce périple européen, où j’ai voulu retracer l’itinéraire d’Etty Hillesum, en visitant les lieux où elle a vécue et où elle est morte, victime de la Shoah.
Ce voyage a commencé par une retraite que j’ai prêchée aux moniales dominicaines de Beaufort, une communauté jeune et dynamique établie depuis près de 50 ans dans un cadre champêtre de Bretagne.
On y trouve aussi une liturgie originale et d’une grande beauté. Les sœurs ont déjà quatre albums à leur actif. Un monastère à découvrir!
Pendant ce voyage, j’ai aussi revu plusieurs couples connus à l’université alors que j’étais aumônier. Des rencontres extraordinaires dans l’ordinaire de leur vie, avec leurs enfants, leurs préoccupations, et cette amitié qui s’approfondie d’année en année. Un grand ressourcement!
La deuxième partie du voyage, soit neuf jours en tout, a été consacrée à la recherche d’Etty Hillesum, recherche dans laquelle m’accompagnait une journaliste japonaise, une amie, fascinée elle aussi par le message et la vie d’Etty Hillesum, qui sont consignés dans son journal et ses lettres (Hillesum, Etty. Une vie bouleversée suivi de Lettres de Westerbork. Seuil, 1995), elle qui voulait être le témoin des valeurs ultimes, au milieu de l’angoisse et de l’horreur où, à partir de 1941, la nombreuse communauté juive des Pays-Bas se trouva plongée par la mise en œuvre systématique de ce que les nazis appelaient la « solution finale ».
4 juillet 1941 : « Il y a de l’agitation en moi, une agitation bizarre et diabolique, qui serait productive si je savais qu’en faire. Une agitation « créatrice ». Ce n’est pas celle du corps, une douzaine de nuits d’amour torrides ne suffiraient pas à l’apaiser. C’est une agitation presque « sacrée ». Ô Dieu, prends-moi dans ta grande main et fais de moi ton instrument, fais-moi écrire. » (p. 41)
À SUIVRE…
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Je viens de commencer, très émue déjà, la lecture du livre d’Etty Hillesum. Merci d’avoir éveillé en moi ce plus de curiosité.
Merci aussi pour votre partage sur les dominicaines de Beaufort. La prochaine fois que mes pas me mènent par là, j’y ferai certainement une halte.
Résumé de ma lecture de fin septembre 2014 une vie bouleversée de Etty Hillesum
Un livre bouleversant et attachant d’une jeune femme de 28 ans qui découvre la psychologie des profondeurs et une vie spirituelle de plus en plus riche, alors qu’elle connaît les pires moments de la vie humaine, un univers concentrationnaire où se commettent les pires exactions.
Née à Zélande le 15 janvier 1914, trois mois avant ma maman, Esther dite Etty est la fille de Louis Hillesum, docteur es lettres classiques et de Rebecca Bernstein, ayant fui les progroms de sa russie natale.
Le livre débute par sa rencontre avec Julius Spier, originaire de Francfort, et se consacrait à ses deux passions le chant et la chirologie.
Il remet de l’ordre dans le chaos intérieur d’ Etty. Elle a tout à coup une vie plus libre, plus fluide, la sensation de blocage disparaît, un peu de paix et d’ordre s’installaient en moi.
Etty se consacre à l’étude et essaye de bannir de son cerveau tous les fantasmes inutiles.
J’ai accueilli dans la joie l’intuition de la beauté de la création divine, en dépit de tout.
Désormais, je vis et respire, pour ainsi dire, par l’âme. Au fond, toutes ces aventures et liaisons m’ont rendue très malheureuse et m’ont déchirée.Je dois apprendre à vaincre ce vague sentiment d’angoisse. Etrange liaison refoulée avec S ( Julius Spier). Je risque fort de gâcher notre amitié par l’érotisme.
Tous les matins, avant de me mettre au travail, me tourner vers l’intérieur, rester une demi heure à l’écoute de moi même, méditer. Je ne dois pas me soucier de mon allure,mais intérioriser encore ma vie, ce qui importe en définitive c’est l’âme ou l’être qui rayonne à travers la personne.
Jamais encore je n’ai rencontré quelqu’un qui dispose d’autant d’amour, de force et de tranquille confiance en soi que Spier. Quand je le revois assis sur cette chaise, imposant et doux, rayonnant d’une sorte de sensualité triomphante, et en même temps d’une telle humanité, d’une telle bonté, il me fait songer à un empereur romain en sa vie privée. Je ne crois pas pouvoir être la compagne d’un seul homme. On n’ a pas le droit de se contaminer mutuellement par son abattement. Il n’ y a jamais rien d’absolu ou d’objectivement vrai, la vie et les rapports humains sont nuancés à l’infini.
Hier soir, juste avant de me coucher, je me suis retrouvée tout à coup agenouiller au milieu de cette grande pièce, j’avais encore trop honte de ce geste aussi intime que ceux de l’amour.
Oui, tu vois, c’est cela l’extraordinaire avec S, il est toujours prêt, il a toujours une réponse à t’apporter, cela vient de sa grande sérénité et de sa grande disponibilité qui ne se démentent jamais.C’ est pourquoi les heures passées avec lui ont un sens profond et ne sont jamais perdues.
C’était la veille de mes règles et ces jurs là je ne suis qu’à demi responsable.La vraie spoliation, c’est nous même qui nous l’infligeons, je trouve la vie belle et me sens libre.En moi des cieux se déploient aussi vastes que le firmament. Je crois en Dieu et je crois en l’homme, j’ose le dire sans fausse honte. Si la paix s’installe un jour, elle ne pourra être authentique que si chaque individu fait d’abord la paix en soi même, extirpe tout sentiment de haine ou bien domine cette haine et la change, peut être à la longue en amour. C’est pourtant la seule solution. Je suis une femme heureuse et je chante les louanges de cette vie, oui vous avez bien lu en l’an de grâce 1942, la énième année de guerre. Je traque ma sensualité jusqu’en ses recoins les mieux cachés, les moins apparents et que je l’extirpe. Nous devons nous affranchir suffisamment des choses matérielles et extérieures pour permettre à l’esprit de poursuivre sa voie et de faire son œuvre en toutes circonstances.
Tout mon être est en train de se métamorphoser en une grande prière pour lui. Quand je prie, je ne prie jamais pour moi, toujours pour les autres, qu’ils aient la force de supporter leurs épreuves.
Aujourd’hui, j’ai une certitude, quand on commence à renoncer à ses exigences et à ses désirs, on peut renoncer à tout. Chaque jour, je dis adieu.Je sais maintennat que vie et mort sont unies l’une à l’autre d’un lien profondément significatif.Ce sera un simple glissement même si la fin, dans sa forme extérieure, doit être lugubre ou atroce. Quand on projette d’avance son inquiétude sur toutes choses à venir, on empêche celles ci de se développer organiquement, j’ai en moi une immense confiance, non pas la certitude de voir la vie extérieure tourner bien pour moi, mais celle de continuer à accepter la vie, à la trouver bonne, même dans les pires moments.
Je crois que la nuit ernière, je n’ai pas encore asez bien prié. On m’ a rapporté des lettres de Rilke, j’espère avoir le temps de les lire.
Toi qui prétends croire en Dieu, sois un peu logique, abandonne toi à sa volonté et aie confiance.
Tu n’as donc plus le droit de t’inquiéter du lendemain.
Au début de septembre 1942 meurt Spier. Tu as cherché Dieu partout dans les cœurs qui s’ouvraient à toi et ils furent légion et partout tu as trouvé une parcelle de Dieu.
Je voudrais pouvoir venir à bout de tout par le langage, pouvoir décrire ces deux mois passés derrière les barbelés, les plus inteses et les plus riches de ma vie, et qui m’ont apporté la confirmation la plus éclatante des valeurs les plus graves, les plus élevées de ma vie.J’ai appris à aimer Westerbrock et j’en ai la nostalgie.
Je commence à souffrir d’insomnies. Je veux bien me reposer encore quelques jours, à condition de n’être qu’une grande prière ininterrompue. Et une grande paix. Je dois recommencer à porter ma paix en moi.Je suis malade, je n’y peux rien. Guérie, j’irai là bas recueillir toutes les larmes et les terreurs.Je veux me planter au milieu de ce que les gens appellent des atrocités et dire la vie est belle et je crois en Dieu.
On voudrait être un baume versé sur tant de plaies.
Etty est décédée le 30 novembre 1943 dans un camp de concentration polonais. Louis et Rebecca Hillesum, ses parents moururent durant le transport ou furent gazés.