Homélie pour la fête de la Pentecôte

Les gens qui vous voient entrer à l’église, s’ils s’interrogent, se disent sans doute que vous croyez en Dieu. Et vous avez sûrement la foi puisque vous êtes ici pour célébrer l’eucharistie. Mais pourquoi vous, et pourquoi pas les autres? Cette question je me la suis souvent posée, et je l’ai retrouvée tout récemment avec bonheur sous la plume d’un théologien canadien, Gregory Baum, qui dans son dernier livre, qui vient de paraître, raconte l’histoire de son parcours théologique. Gregory Baum est un juif allemand converti au catholicisme, et qui, à l’âge de 92 ans, se demande d’entrée de jeu dans son livre : «Pourquoi moi, et pas les autres?»

Étrange question à se poser en cette fête de la Pentecôte, me direz-vous? Mais je sais que cette question ne vous est sans doute pas étrangère et qu’elle a sûrement habité une foule de témoins au fil des siècles parce qu’ils se sentaient tributaires d’un héritage qui leur est tombé dans le cœur sans qu’ils aient rien fait pour le mériter, souvent même, sans l’avoir demandé. Mais le don est là, immensément présent, et dont ils ne pourraient se défaire même s’ils le voulaient. Et voilà qu’ils contemplent ce cadeau incroyable de croire en Dieu, et même d’aimer Dieu, et qui les amène à se demander : «pourquoi moi et pas les autres?» 

Alors je vous la pose cette question en cette fête de la Pentecôte : «Pourquoi vous et pas votre frère, ou votre sœur, votre conjoint, ou vos enfants?» Car quand on a la foi, on aimerait tellement la partager avec d’autres, afin qu’ils aient la chance eux aussi de vivre un tel don, d’avoir ce regard différent sur la vie et qui change profondément notre manière d’assumer nos vies. Car c’est là, je crois, le sens premier du don de l’Esprit Saint. Une présence mystérieuse qui part du plus profond de nous-mêmes et qui nous ouvre à plus grand que nous-mêmes.

Un don par lequel Dieu nous appelle à le connaître, à l’aimer et à le faire connaître, et ce, sans aucun mérite de notre part. On l’a bien vu avec Jésus dans le choix qu’il a fait de ses apôtres. Ce dernier n’était pas très regardant quand on considère ceux qu’il a choisis. Il n’y a donc pas de quoi se glorifier que d’avoir la foi. Comme le dit saint Paul, notre seule fierté c’est la croix du Christ, c’est le don qu’il nous fait de lui-même. Quant à nous, nous ne sommes que des vases d’argile, mes combien précieux, en qui Dieu veut mettre sa confiance et tout son amour. Quel don extraordinaire! C’est la fête de la Pentecôte!

C’est pourquoi il importe de nous redire la chance que nous avons en ces temps difficiles pour l’Église et pour notre monde, d’être appelés à vivre une fidélité à Dieu souvent humble et cachée, sans grands éclats, sans grande renommée, goûtant tout simplement les fruits de l’Esprit Saint, tâchant de vivre en paix les uns avec les autres, soucieux de la justice et du bon droit, de la défense des plus pauvres, cherchant sans cesse à être bons, à être meilleurs.

Oui, c’est la fête de la Pentecôte où Dieu se fait tout à tous, même à nous, et pourtant la question demeure entière : «Pourquoi nous et pas les autres?» Sans prétendre sonder le coeur de Dieu, la réponse qui me paraît la plus juste est peut-être parce que nous en avons davantage besoin de cette foi ! Où en serions-nous si Dieu ne nous avait pas appelé à lui ? De toute évidence, il y a là une miséricorde de Dieu qui s’exerce à notre endroit en nous donnant la foi, en nous appelant à son service, et cette miséricorde nous ne pourrons en mesurer le pourquoi et toute la profondeur qu’une fois au ciel.

En attendant, bonne fête de la Pentecôte frères et soeurs dans le Christ ! En ce jour, nous avons mille et une raisons de nous réjouir et de dire merci !

Yves Bériault, o.p. Dominicain. Ordre des prêcheurs