Homélie pour le 18e dimanche T.O. Année C

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VANITÉ. Adriaen van Utrecht. La nature morte avec le bouquet et le crâne, 1642.

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (12, 13-21)

En ce temps-là,
du milieu de la foule, quelqu’un demanda à Jésus :
« Maître, dis à mon frère
de partager avec moi notre héritage. »
Jésus lui répondit :
« Homme, qui donc m’a établi
pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ? »
Puis, s’adressant à tous :
« Gardez-vous bien de toute avidité,
car la vie de quelqu’un,
même dans l’abondance,
ne dépend pas de ce qu’il possède. »
Et il leur dit cette parabole :
« Il y avait un homme riche,
dont le domaine avait bien rapporté.
Il se demandait :
‘Que vais-je faire ?
Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.’
Puis il se dit :
‘Voici ce que je vais faire :
je vais démolir mes greniers,
j’en construirai de plus grands
et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens.
Alors je me dirai à moi-même :
Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition,
pour de nombreuses années.
Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.’
Mais Dieu lui dit :
‘Tu es fou :
cette nuit même, on va te redemander ta vie.
Et ce que tu auras accumulé,
qui l’aura ?’
Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même,
au lieu d’être riche en vue de Dieu. »

Introduction à la célébration

L’attentat récent contre une communauté chrétienne de France, où le P. Jacques Hamel a été assassiné, revêt un caractère bien particulier pour nous chrétiens et chrétiennes, car ce ne sont plus seulement des visages anonymes et lointains qui défraient les manchettes de l’horreur. Cet attentat concerne tout particulièrement l’Église, et nous rappelle douloureusement le drame que vivent de nombreuses communautés chrétiennes à travers le monde, alors que des centaines de milliers de chrétiens sont massacrés à chaque année au nom de leur foi. Difficile de ne pas y penser en passant les portes de cette église ce matin.

Paradoxalement, l’irruption de cette violence dans le modeste quotidien d’une petite église de France, met plus que jamais en évidence le caractère subversif de l’évangile et son message de paix. Car si justice et sécurité sont impératives dans nos sociétés, la haine et le désir de vengeance eux, sont sans issue, et ne peuvent qu’empoisonner notre vie spirituelle.

C’est donc avec cette conviction que je nous invite à entrer en célébration ce matin, portant dans nos cœur toutes les victimes de la violence, et aussi tous les auteurs aveugles de ces violences, car comment nous dissocier de Jésus sur la croix quand il dit à ses bourreaux : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ! »

COMMENTAIRE

L’homme, j’en suis convaincu, ne naît ni meilleur ni pire qu’à l’aube de l’humanité. Il est toujours cet être fragile et mortel, en manque de salut. Bien sûr, s’il naît dans un milieu porteur, dans une société « éclairée », ce cadre pourra lui être utile afin de grandir en humanité. Mais le mal étant toujours présent dans notre monde, ces structures sociales, aussi avancées soient-elles, pourront toujours se retourner contre ses citoyens et les entraîner dans les horreurs les plus abjectes au nom de cette même humanité que ces sociétés sont censées protéger. L’Allemagne nazie en est un parfait exemple.

L’être humain aura toujours besoin d’être sauvé de lui-même, et aucune société ne parviendra à l’arracher à sa fascination pour le mal. Le monde sera toujours menacé par le péché, par les égoïsmes individuels et collectifs. Qu’il s’agisse d’idéologies totalitaires, de guerres de religion ou de notre échec écologique lamentable. Nous avons besoin d’être sauvés de nous-mêmes et nous n’y parviendrons jamais sans Dieu, sans cette action rédemptrice du Christ ressuscité au cœur de nos vies et de nos sociétés. C’est l’écrivain Umberto Ecco qui écrivait : « Lorsque l’homme cesse de croire en Dieu, ce n’est pas qu’il ne croit plus en rien, il croit alors en n’importe quoi ».

« Vanité des vanités », nous dit le sage au livre de l’Ecclésiaste, si nous mettons notre salut en ce monde qui passe, alors que le psalmiste fait entendre sa supplication qui garde toute sa valeur au fil des âges : « Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos cœurs pénètrent la sagesse. »

Cette sagesse, c’est le Christ, lui qui nous invite à devenir riche en vue de Dieu, au lieu de marcher tête baissée, les yeux rivés sur les biens passagers de cette terre, biens que nous ne pourrons jamais emporter avec nous au paradis : possessions, terres et maisons, gloire, talents, richesses, réputation. Tous ces biens ne peuvent constituer le dernier mot d’une vie humaine, même s’il est vrai que nous ne pouvons vivre en ce monde de manière désincarnée.

Pour nous chrétiens et chrétiennes, nos vies d’hommes et de femmes prennent leur enracinement dans notre foi en Dieu, et dans l’évangile qui nous conduit au Christ. À son école nous apprenons à nous tenir debout dans le monde, tout en n’étant pas du monde, refusant de nous soumettre aux valeurs qui sont en contradiction avec l’évangile.

Bien des témoins se tiennent ainsi parmi nous dans des vies humbles et cachées. Ce matin, j’aimerais vous parler d’un tel homme. Il se nomme Clovis, et il a été pour moi un père spirituel, alors que jeune adulte, je découvrais le Christ. Je me souviens de ces longues heures passées en sa compagnie, soit dans la cuisine familiale, ou dans son beau jardin qu’il entretenait avec tant de soin et où, tous les étés, une place d’honneur était réservée à une statue de la Vierge Marie. Nous discutions de théologie ensemble, de l’histoire de l’Église, de la vie des saints et des saintes sans jamais me lasser de ces heures bénies passées ensemble.

Clovis était un homme de foi, et lorsque je suis allé lui rendre visite à l’hôpital, alors qu’il ne lui restait que quelques jours à vivre, il est vite allé à l’essentiel. Il m’a parlé de Dieu, de sa foi en ce moment d’épreuve, il m’a parlé de la mort, de sa mort prochaine, me disant que sans vouloir être prétentieux, cette mort ne lui faisait pas vraiment peur, que l’idée de rencontrer Dieu n’éveillait pas vraiment de crainte en lui. « Je n’ai pas peur de Dieu », me disait-il. « Peut-être devrai-je avoir une certaine crainte », a-t-il poursuivi, « mais Dieu est avant tout un ami pour moi, je me sens en confiance, il va m’accueillir tel que je suis ».

Toute sa vie mon ami Clovis a été conscient de sa fragilité, de sa condition de pécheur, et c’est pourquoi il s’en est toujours remis à la miséricorde de Dieu, et ce, jusque sur son lit de mort, dans une joyeuse espérance, dans une vie de foi épanouie et généreuse, dans une fidélité patiente qui attend tout de Dieu. Clovis n’était pas surhumain. Il était tout simplement un chrétien qui prenait au sérieux sa vie de foi et qui chaque jour la remettait sur le métier à travers l’eucharistie quotidienne, la prière, la lecture, le bénévolat, l’accueil du prochain.

Pour comprendre l’action de Dieu en nous, j’aime bien la comparer à ces merveilles de la technologie biomédicale où des personnes, afin de sauver un membre de leur famille ou un ami, vont donner de leur sang ou de la moelle osseuse ou un rein à la personne aimée. Ces personnes aiment tellement l’autre qu’elles sont prêtes à donner une partie d’elle-même afin de sauver l’autre. Dieu lui, il a tellement aimé le monde qu’il nous a donné son Fils, son Unique. Il a voulu transplanter sa vie en nous. C’est cela le don de la grâce. Dieu nous aime tellement qu’il veut mettre en nous un cœur neuf pour aimer comme lui, pour voir l’autre avec lui dans toute sa réalité d’enfant de Dieu.

Le croyant qui se reçoit ainsi de Dieu est appelé à être un témoin de l’amour de Dieu et de sa miséricorde. Il sait qu’en dépit de ses faiblesses, Dieu est avec lui et l’accompagnera tous les jours de sa vie. C’est pourquoi, tout en reconnaissant ses fragilités et ses limites, il n’a pas peur de se tenir en présence de Dieu. Et c’est ainsi que l’on fait de Dieu son TOUT, son bien le plus précieux, alors que tout le reste pâlit en comparaison et trouve en même temps sa juste place dans nos vies.

C’est cela revêtir l’homme nouveau dont parle saint Paul : c’est se revêtir de la charité même de Dieu qui s’est révélée en Jésus Christ, lui qui de riche qu’il était s’est fait pauvre pour nous, afin que nous devenions riches en vue de Dieu. Car Jésus nous enseigne que nous avons une destinée ouverte sur l’infini, et que nous enfermer dans un égoïsme défensif qui nous rendrait sourds aux besoins du monde, ce serait refuser d’assumer le sérieux de l’évangile.

Christian de Chergé disait à ses frères moines de Tibhirine : « … je sais n’avoir que ce petit jour d’aujourd’hui à donner à Celui qui m’appelle pour TOUT JOUR, mais comment lui dire oui pour toujours si je ne lui donne pas ce petit jour-ci… Dieu a mille ans pour faire un jour ; je n’ai qu’un seul jour pour faire de l’éternel, c’est aujourd’hui ! » (Christian de Chergé. Chapitre du 30 janvier 1990)

Yves Bériault, o.p.

Dominicain. Ordre des prêcheurs

 

Homélie pour le 17e dimanche T.O. Année C

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POURQUOI PRIER ?

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 11,1-13.
Il arriva que Jésus, en un certain lieu, était en prière. Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : « Seigneur, apprends-nous à prier, commeJean le Baptiste, lui aussi, l’a appris à ses disciples. »
Il leur répondit : « Quand vous priez, dites : Père, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne.
Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour.
Pardonne-nous nos péchés, car nous-mêmes, nous pardonnons aussi à tous ceux qui nous ont des torts envers nous. Et ne nous laisse pas entrer en tentation.»
Jésus leur dit encore : « Imaginez que l’un de vous ait un ami et aille le trouver au milieu de la nuit pour lui demander : “Mon ami, prête-moi trois pains,
car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi, et je n’ai rien à lui offrir.”
Et si, de l’intérieur, l’autre lui répond : “Ne viens pas m’importuner ! La porte est déjà fermée ; mes enfants et moi, nous sommes couchés. Je ne puis pasme lever pour te donner quelque chose.”
Eh bien ! je vous le dis : même s’il ne se lève pas pour donner par amitié, il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami, et il lui donnera tout ce qu’il lui faut.
Moi, je vous dis : Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira.
En effet, quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira.
Quel père parmi vous, quand son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu du poisson ?
ou lui donnera un scorpion quand il demande un œuf ?
Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »

COMMENTAIRE

Depuis la nuit des temps sans doute, l’être humain se pose cette question du pourquoi de la prière. À quoi bon prier ? Est-ce que la prière peut vraiment changer le cours des événements ?

Des prières non exaucées, nous en aurions tous à raconter. Nous faisons tous l’expérience de demandes faites à Dieu qui ne semblent pas trouver réponse. Pourquoi prier si nos prières ne sont pas exaucées ? C’est un peu le premier réflexe que certaines personnes ont face à la prière.

Charles de Foucault, en quelques mots seulement, a défini le caractère de la prière chrétienne d’une manière admirable. Il a écrit : « Prier c’est penser à Dieu en l’aimant ».

Dans sa forme la plus simple et la plus dépouillée, la prière est toujours une demande et, en ce sens, elle est universelle. Elle échappe au cadre des religions, elle traverse tous les temps, tous les continents et toutes les cultures. Elle habite le cœur de tout homme, de toute femme, dès sa conception, au point où quand se présente un danger éminent, quand la mort se fait toute proche, même des non-croyants endurcis ont le réflexe d’invoquer Dieu, d’implorer une force supérieure afin de les secourir.

« La prière est souvent le cri de l’homme menacé (Vergote) », un appel au secours au cœur de l’épreuve et de la peine. Et ce sont souvent là les premiers balbutiements de la personne qui prend contact avec la prière et qui, éventuellement, y fera la rencontre de Dieu. Car la prière est beaucoup plus qu’un refuge en cas de détresse, elle est le lieu où Dieu nous attend, elle est notre demeure, notre maison, et ce n’est que par la prière que l’être humain peut vraiment devenir un être spirituel. Saint Augustin nous dirait ici : « Deviens ce que tu es ! » C’est-à-dire, réalise la vocation qui est la tienne en devenant un homme, une femme de prière.

Oui, la prière est toujours une demande et à l’école de Jésus-Christ nous apprenons à marcher sur ses pas, à faire nôtre sa prière à Gethsémani : « Père, non pas ma volonté, mais la tienne ! ». Nous prions afin d’entrer dans cette volonté de Dieu sur nous. La demande d’éloigner la coupe amère de l’Épreuve s’inscrit tout à fait dans la prière chrétienne. Jésus lui-même l’a fait. Mais le but de cette prière n’est pas l’exaucement à tout prix, mais uniquement l’exaucement qui fait appel au désir de Dieu sur nous. Qu’est-ce que Dieu attend de moi ? Nous prions afin d’entrer plus avant dans une relation de confiance avec le Seigneur, une confiance absolue et totale. « Non pas ma volonté, mais la tienne ».

Pourquoi prier ? Parce que c’est dans la prière que grandit et s’épanouit notre connaissance du Seigneur. La prière est le lieu où Dieu nous appelle par notre nom et où il se révèle à nous. C’est le lieu de l’intimité, de l’amitié avec Dieu. Et c’est sur cette base seulement que notre vie spirituelle peut s’enraciner et se développer. Peu à peu, la prière fait de nous des familiers de Dieu.

Pourquoi prier ? Parce que la prière est ce lieu privilégié où nous apprenons à nous connaître sous le regard compatissant de Dieu. Nous nous faisons connaître de lui, nous nous présentons à lui dans la prière, avec tout ce que nous sommes, et nous sommes accueillis sans condition, tels que nous sommes. C’est Gandhi qui disait : « la prière est l’admission quotidienne de notre faiblesse ».

Pour grandir dans la foi et en humanité, il faut tout d’abord savoir reconnaître nos pauvretés, nos faiblesses, notre besoin d’être sauvé. C’est tout cela que nous présentons à Dieu. La prière vient nous aider à grandir dans l’amour. Peu à peu elle nous dépouille de notre orgueil, et ainsi elle nous aide à identifier ce qui nous retient dans notre vie spirituelle, ce qui nous éloigne de Dieu et du prochain.

La prière c’est Dieu qui agit en nous. C’est pourquoi elle est le lieu de tous les pardons, de toutes les guérisons, de tous les espoirs, mais il faut vouloir s’abandonner entre les mains de Dieu comme Jésus nous y invite : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit ».

Pourquoi prier ? Parce que Jésus lui-même a prié et qu’il nous invite à prier en ne doutant pas que notre prière est entendue par le Père. C’est là notre assurance. Prier, c’est entrer dans ce long compagnonnage avec le Christ tout au long de notre vie, c’est aller à son école, c’est apprendre à prier avec lui, à veiller avec lui quand nous sommes confrontés nos propres Gethsémani, à marcher joyeusement avec lui jusqu’à la maison où le Père nous attend.

Et pourtant… Toutes ces prières qui restent sans réponse, comme d’innombrables bouteilles jetées à la mer, qui ne changent pas le cours des événements. Du fond de sa prison, le pasteur protestant Dietrich Bonhoeffer écrivait : « Dieu réalise en nous non pas tous nos désirs, mais toutes ses promesses… », soit de donner l’Esprit Saint à ceux et celles qui le lui demandent.

À travers toutes ces situations de détresse que nous traversons et que nous présentons à Dieu dans la prière, Dieu se fait encore plus proche de nous. Il nous guide et nous soutien à travers ces épreuves afin que l’obscurité ne l’emporte pas sur la lumière. Et quand nous marchons avec Dieu dans la confiante, Dieu alors peut vraiment être Dieu dans nos vies et réaliser peu à peu en nous ses promesses. La lumière du matin de Pâques peut alors illuminer nos ténèbres, guider nos pas, guérir nos blessures et nous faire grandir dans l’amour et la connaissance de Dieu.

fr. Yves Bériault, o.p.

Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 16e dimanche. T.O. Année C

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 10,38-42.
En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut.
Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.
Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. »
Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses.
Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »

COMMENTAIRE

On pourrait intituler cet évangile : « Quand Dieu nous visite ». La Bible regorge d’histoires où Dieu se manifeste et se fait connaître. Parfois, c’est de manière éclatante, comme lorsqu’il se révèle à Moïse sur le Mont Sinaï, mais habituellement Dieu se fait voir à la manière d’un peintre impressionniste, avec des touches légères, tel le souffle d’une brise par un beau soir d’été.

Tout au long de la Bible Dieu se laisse deviner, pressentir, sans jamais s’imposer, et c’est ainsi qu’il se manifeste encore à nous aujourd’hui. Bien sûr, nous sommes ici dans l’ordre du subjectif et de l’invisible, mais quand une personne fait cette expérience du divin, d’une proximité avec l’Absolu, cela provoque une expérience semblable à celle des deux pèlerins d’Emmaüs qui s’exclamèrent après la disparition de Jésus ressuscité sous leurs yeux : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant alors qu’il nous expliquait les Écritures. » Cette expérience de Dieu est de l’ordre d’une paix, d’un amour, d’un ravissement, d’une joie profonde.

Vous qui êtes ici dans cette église, vous savez ce dont je veux parler. Peut-être ne pouvez-vous pas nommer un moment précis de votre vie de foi où une telle rencontre s’est vécue, mais Dieu vous a sûrement rejoint un jour sur la route, vous avez entendu sa voix, et vous avez dit oui. Et c’est ce oui qui nous amène ici de dimanche en dimanche, alors que nous célébrons la résurrection du Christ et notre foi en lui ! 

L’évangile aujourd’hui nous invite à nous interroger quant à la manière dont nous accueillons Jésus dans nos vies. L’évangéliste Luc nous raconte que Jésus s’est arrêté dans la maison de Marthe, alors que sa sœur Marie y est présente. Cette dernière se tient assise au pied de Jésus. C’est la position traditionnelle du disciple devant son maître. Et alors que Jésus fait la louange de Marie, il reproche à Marthe de s’inquiéter et de s’agiter pour bien des choses.

Pourtant on ne peut accuser Marthe d’indifférence à la présence de Jésus chez elle, bien au contraire. Toutefois, sa fébrilité à bien l’accueillir et à s’assurer que tout soit prêt pour le repas, semble lui faire oublier l’essentiel, soit celui qui lui rend visite, Jésus lui-même. « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe, dit le Seigneur. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. » (Ap. 3, 20) À noter ici que c’est Jésus qui offre la nourriture et non l’inverse.

Mais pour bien comprendre la portée de l’évangile d’aujourd’hui, il nous faut revenir à celui de dimanche dernier qui forme un tout avec celui d’aujourd’hui.

Rappelez-vous : Un docteur de la Loi demande à Jésus ce qu’il faut faire pour avoir en héritage la vie éternelle. Jésus lui demande ce qui est écrit dans la Loi. L’autre répond : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. »

Après avoir entendu Jésus approuver le légiste qui fait l’éloge des deux grands commandements, l’amour de Dieu et l’amour du prochain, l’évangéliste Luc nous présente deux récits afin d’appuyer l’enseignement de Jésus. Tout d’abord la parabole du bon Samaritain, qui souligne l’importance de l’amour du prochain, et l’épisode de la venue de Jésus chez Marthe, afin de souligner la primauté de l’amour de Dieu qui se manifeste par l’écoute de Jésus, lui le Verbe de vie.

Deux commandements égaux, mais un des deux a préséance sur l’autre, et ce que l’évangéliste Luc veut faire comprendre à ses lecteurs, c’est que se tenir au pied de Jésus, c’est se mettre à l’écoute de Dieu, c’est accueillir le Verbe de vie.

La remarque de Jésus qui semble valoriser l’attitude de Marie quand il dit d’elle qu’elle a choisi la meilleure part, n’a pour but que de mettre en évidence ce premier commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence. »

Et lorsque Jésus dit à Marthe qu’elle s’inquiète pour bien peu de chose, sa remarque est tout empreinte d’affection à son endroit, puisqu’il répète à deux reprises son prénom, ce qui est une grande marque d’affection dans la tradition juive. L’on pourrait reformuler ce qu’il lui dit de la manière suivante : « Marthe, Marthe, j’aurais tant de choses à te dire. Viens t’asseoir près de moi et cesse de te préoccuper, car je t’ai réservé la meilleure part. » Comment ne pas évoquer ici les paroles de Jésus lors de la tentation au désert : « L’homme ne vit pas seulement que de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »

L’enjeu qui est proposé par l’évangile de ce dimanche, c’est l’accueil de Dieu dans nos vies. Le service est quelque chose de fondamental pour nous chrétiens et de chrétiennes, mais ce service ne peut prendre tout son sens que s’il est porté par une certaine intimité avec Dieu, où nous nous mettons sans cesse à son écoute, n’hésitant pas à lui soumettre tout ce qui nous habite, n’hésitant pas à lui dire : « Et maintenant Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » C’est sans doute l’attitude qu’adopte Marie dans l’évangile, et c’est pourquoi Jésus n’hésite pas à dire d’elle qu’elle a choisi la meilleure part.

Alors comment nous mettrons-nous à l’écoute de Dieu aujourd’hui ? Comment nous ferons-nous plus proches de lui ?

Tout ce qui nous met en présence de Dieu, que ce soit la lecture de la Bible, la prière, l’oraison, l’adoration, le chapelet, la liturgie, la contemplation des merveilles de Dieu dans sa création, ce sont tous là des moyens afin de nous mettre à l’écoute de Dieu et ainsi l’accueillir quand il nous visite. Dans les psaumes, on proclame que les merveilles de la création révèlent la gloire de Dieu , elles éveillent en nous comme un chant de l’âme, un grand merci pour tant de beauté. Et il en est de même avec les arts, la musique, les voix humaines. Les créatures elles-mêmes sont missionnaires et elles nous aident à voir la présence de Dieu au cœur de sa création et nous font l’aimer et l’adorer.

Frères et sœurs, au cours de cet été, si nous prenons le temps nous arrêter pour prier et rendre grâce à Dieu, nous entendrons peut-être le souffle d’une voix nous dire à l’oreille : « Marthe, Marthe, viens t’asseoir près de moi, j’ai bien des choses à te dire. » Il nous suffira alors de répondre : « Parle Seigneur, ton serviteur écoute. » Et nous aurons alors choisi la meilleure part !

C’est la grâce que je nous souhaite en cette belle saison de l’été.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs.

Homélie pour le 15e dimanche T.O. Année C

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LE BON SAMARITAIN

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 10,25-37.
En ce temps-là, voici qu’un docteur de la Loi se leva et mit Jésus à l’épreuve en disant : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? »
Jésus lui demanda : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? »
L’autre répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. »
Jésus lui dit : « Tu as répondu correctement. Fais ainsi et tu vivras. »
Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? »
Jésus reprit la parole : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort.
Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin ; il le vit et passa de l’autre côté.
De même un lévite arriva à cet endroit ; il le vit et passa de l’autre côté.
Mais un Samaritain, qui était en route, arriva près de lui ; il le vit et fut saisi de compassion.
Il s’approcha, et pansa ses blessures en y versant de l’huile et du vin ; puis il le chargea sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui.
Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, et les donna à l’aubergiste, en lui disant : “Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai.”
Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? »
Le docteur de la Loi répondit : « Celui qui a fait preuve de pitié envers lui. » Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais de même. »

COMMENTAIRE

Si jésus revenait marcher sur nos chemins, non plus limité à la géographie de la Palestine, mais marcheur sur les grandes routes du monde, quel regard porterait-il sur cette multitude que nous sommes, plus que jamais en quête de bonheur ? Suivrait-il un horaire fixé au quart de tour et géré par des apôtres imprésarios, se promenant d’un aéroport à l’autre, telle une grande vedette internationale ?

Ce serait mal connaître Jésus que d’envisager un tel scénario. D’ailleurs, à son époque Jésus n’est jamais allé à Rome, à Athènes ou à Constantinople, même si un tel un voyage aurait été possible. À lire les évangiles, on voit bien que dans les quelques centaines de kilomètres carrés où il a exercé son ministère, Jésus a pu prendre toute la mesure de notre nature humaine, des défis qui sont les nôtres, se désolant de nos misères intérieures et extérieures, s’émerveillant tout à la fois lorsque la grandeur d’âme et la générosité pouvaient l’emporter sur le chacun pour soi. Jésus est le témoin de cet amour qui est capable de transfigurer une vie et c’est ce témoignage qu’il nous livre sans cesse à travers ses enseignements et ses actions. La parabole du bon Samaritain est très évocatrice en ce sens et nous fait voir comment Jésus portait déjà sur notre monde un regard universel dépassant les cadres étroits du judaïsme de l’époque.

Dans cette parabole, qui est l’une des plus belles de tous les évangiles, il y a tout d’abord la question du docteur de la Loi qui demande à Jésus qui est son prochain. Par sa question cet homme tend un piège à Jésus puisqu’il lui demande jusqu’où il faut aimer. Car ne reproche-t-on pas à Jésus de trop aimer, de se faire proche même des pécheurs, des publicains et des prostituées ? Faut-il vraiment aimer jusque là, lui demande cet homme ? Agir ainsi n’est-ce pas contrevenir à la Loi ? C’est ainsi qu’il lui demande si tous les hommes sont nécessairement son prochain.

Par la parabole qu’il donne en réponse à cet homme, Jésus renverse complètement la problématique soulevée par son interlocuteur en donnant comme exemple de charité fraternelle le comportement hors de l’ordinaire d’un Samaritain. Il faut savoir que les Samaritains étaient des hérétiques pour les Juifs, des maudits, qui ne méritaient que le mépris et l’exclusion.

Pourtant Jésus choisit un Samaritain comme personnage central de sa parabole qui va manifester une charité qui va au-delà du simple souci pour l’autre.

Non seulement il soigne l’homme blessé, abandonné sur la route par des brigands, mais il le met sur sa monture, l’amène à l’auberge, il lui offre une chambre, il passe la nuit à veiller sur lui et, le lendemain, au moment de payer et de reprendre la route, il confie l’homme blessé à l’aubergiste, lui assurant qu’il va tout payer à son retour pour les frais supplémentaires encourus.

Alors que le prêtre et le lévite, des hommes religieux d’Israël, sont passés tout droit, abandonnant l’homme blessé à son sort, Jésus demande au docteur de la Loi, qui dans cette histoire s’est fait le prochain de l’autre ? Ce dernier ne peut que répondre que c’est le Samaritain. La pédagogie de Jésus est implacable et le docteur de la Loi doit bien reconnaître que l’amour ne connaît pas de frontières.

Par sa parabole, Jésus prend la peine non seulement d’illustrer comment il faut se comporter quand nous sommes confrontés à des situations de malheur ou d’injustice, mais il en profite aussi pour faire de ce Samaritain le héros de son histoire. Il amène l’homme de la Loi à concevoir qu’un païen puisse faire preuve d’une plus grande charité que des Juifs pieux et il l’amène ainsi à porter un regard neuf sur cet étranger que tout dans sa culture religieuse l’encourageait à mépriser.

Jésus par cette parabole nous enseigne tout d’abord que le prochain c’est toute personne qui a besoin de mon aide, au-delà des prescriptions juridiques, des clivages ethniques ou religieux. Ensuite, et c’est l’aspect le plus surprenant de la parabole, c’est que toute personne, même un Samaritain, même un hindou, un musulman ou un athée, toute personne peut être porteuse de cette charité qui a sa source en Dieu et dont Jésus témoigne sans cesse dans son ministère. Et c’est là le plus surprenant dans cette parabole ! On ne soupçonne pas à première vue son côté subversif qui nous oblige à un regard totalement nouveau sur le prochain qui n’est pas des nôtres.

Dieu met son amour entre nos mains. C’est à ce dépassement inouï que nous appelle le Christ, et le secret de la parabole du bon Samaritain est de considérer tous les hommes comme nos frères et nos sœurs, tant celui qui aide et qui fait preuve d’humanité, que celui qui est abandonné au bord de la route et qui appelle au secours. Il s’agit de considérer tous les humains comme s’ils étaient du même sang que nous, puisque c’est le même sang qui nous a rachetés sur la croix.

 « Qui est mon prochain ? », ou encore « Jusqu’où faut-il aimer ? » À qui puis-je véritablement donner le nom de frère ou de sœur ? Jésus nous répond : « A toi de décider jusqu’où tu acceptes de te faire proche. Mais sache que si tu fermes ton cœur à tes frères et tes sœurs de ce monde, tu ne connaîtras jamais la joie véritable. »

C’est Maurice Zundel qui affirme : « L’autre finalement, l’autre c’est Dieu. Dans les autres, il y a l’Autre et c’est parce que dans les autres le destin de Dieu est engagé, c’est parce qu’il est mis en question par chaque décision de la volonté, c’est à cause de cela que le prochain nous est confié, c’est à cause de cela que nous avons la charge des autres, parce qu’en eux nous avons la charge de l’Autre ».

Avec Jésus, j’apprends que tout être humain m’est un proche que je dois aimer comme moi-même, que je dois aimer tout comme Dieu m’aime, car moi aussi je suis appelé à donner la vie. Dieu nous confie les uns aux autres, il est au cœur de ce mystère de pauvreté et de communion qui habite au plus profond de nous-mêmes, et avec la parabole du bon Samaritain Jésus vient nous rappeler que notre monde sera toujours en manque d’avenir si nous persistons à passer tout droit notre chemin lorsque le prochain nous appelle à son secours. Amen.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 14e dimanche T.O. Année C

brebis

 Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (10, 1-9)

En ce temps-là,
parmi les disciples,
le Seigneur en désigna encore 72,
et il les envoya deux par deux, en avant de lui,
en toute ville et localité
où lui-même allait se rendre.
Il leur dit :
« La moisson est abondante,
mais les ouvriers sont peu nombreux.
Priez donc le maître de la moisson
d’envoyer des ouvriers pour sa moisson.
Allez ! Voici que je vous envoie
comme des agneaux au milieu des loups.
Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales,
et ne saluez personne en chemin.
Mais dans toute maison où vous entrerez,
dites d’abord :
‘Paix à cette maison.’
S’il y a là un ami de la paix,
votre paix ira reposer sur lui ;
sinon, elle reviendra sur vous.
Restez dans cette maison,
mangeant et buvant ce que l’on vous sert ;
car l’ouvrier mérite son salaire.
Ne passez pas de maison en maison.
Dans toute ville où vous entrerez
et où vous serez accueillis,
mangez ce qui vous est présenté.
Guérissez les malades qui s’y trouvent
et dites-leur :
‘Le règne de Dieu s’est approché de vous.’ »

COMMENTAIRE

L’évangile de ce dimanche nous fait entrer de plein pied dans l’annonce de la bonne nouvelle, alors que Jésus envoie ses disciples annoncer aux villes et aux villages que le règne de Dieu est tout proche. Cet envoi de soixante-douze disciples est certainement de nature à nous interroger quant à notre propre mission de disciples puisse que ces soixante-douze nous représentent. Alors, comment évangéliser aujourd’hui ?

Le point central de notre évangile est que Jésus envoie ses disciples comme des brebis parmi les loups. Cette image vaut mille mots. Si l’annonce de la foi au Christ demeure toujours périlleuse, et elle le sera jusqu’à la fin des temps, cette image des brebis qu’emploie Jésus pour désigner l’attitude qui doit être la nôtre, cette image vient nous rappeler que l’évangélisation n’est pas une entreprise de conquête ou de domination. Elle est une proposition de vie qui doit être offerte avec le plus de douceur et d’amitié possible. Car les disciples sont appelés à imiter leur maître Jésus, lui qui est doux et humble de cœur.

Comme lui, les disciples sont appelés à s’en remettre entièrement à Dieu. Et c’est ainsi qu’ils n’apportent ni argent, ni provisions, ni sandales. Ils acceptent l’hospitalité qu’on veut bien leur donner. Ils n’imposent rien, n’entrent en conflit avec personne, parce qu’ils sont porteurs de la paix du Christ. Et quand on ne veut pas d’eux, ils reprennent tout simplement leur chemin, secouant la poussière de leurs pieds afin de bien signifier que leur « démarche était totalement désintéressée, et que les bénéficiaires du message restent toujours libres de le refuser. »L’évangile de ce dimanche veut nous interpeller quant à la manière dont nous partageons notre foi avec les autres.

C’est Marc Donzé, le biographe de Maurice Zundel, l’un des grands spirituels du XXe siècle, qui écrivait à son sujet : « il voudrait pouvoir parler de Dieu, à pas de silence et de respect, au cœur de ce qui importe le plus à l’homme. Il voudrait pouvoir dire sans violence, mais en prenant chaque homme par la main que Dieu est l’accomplissement de l’homme. »

« À pas de silence et de respect », parce que la foi ne s’impose pas. Elle échappe aux raisonnements logiques qui en donneraient une preuve implacable. On ne peut ni la donner, ni la prêter, ni la transmettre comme un bien qui nous appartiendrait. Les parents en font souvent la douloureuse expérience avec leurs enfants qui parfois balancent tout à l’adolescence afin d’affirmer leur liberté nouvellement acquise. Et quand on aime, il faut apprendre à accueillir l’autre dans sa différence, dans ses oppositions même.

La foi, on le sait bien, il n’est pas toujours facile d’en parler, mais nous portons toujours en nous cette exigence d’en vivre et c’est ainsi que nous en témoignons avant tout. Témoigner c’est vivre notre foi au plus intime de nos journées, de nos faits et gestes, c’est y puiser sans cesse force et courage, c’est goûter à cette joie secrète de celui ou de celle qui accueille en sa vie la présence de Dieu, et qui ne peut qu’en éprouver une immense gratitude. Pour nous chrétiens et chrétiennes, c’est cela vivre notre foi en Jésus Christ, et c’est pourquoi nous tenons tellement à partager avec d’autres ce bonheur de connaître le Christ et de croire en Dieu.

Mais évangéliser c’est avant tout apprendre à s’asseoir à la table commune de l’hospitalité et de la fraternité avec tous les humains, comme Jésus en donne l’exemple dans les évangiles. Et son attitude nous donne de mieux comprendre la place de l’Église dans le monde. C’est le frère Christian de Chergé, assassiné avec six de ses frères en Algérie, qui écrivait au sujet de l’Église :

« L’Église est la gardienne de son frère, du musulman, de l’hindou et des autres, désireuse que les uns et les autres soient fidèles à leur vocation d’hommes et de croyants. […] L’Église n’est pas en concurrence (avec les autres religions). Elle n’est pas une religion comme les autres religions. Elle a une mission différente dans le monde qui est de signifier cette fraternité des hommes, car elle est tournée vers le Père et parce que le “Christ est l’aîné d’une multitude de frères”. Elle n’est pas à elle-même sa propre fin, elle est l’humble servante d’un dessein de Dieu qui la dépasse. »

Comme le dit Maurice Zundel : « Dieu est l’accomplissement de l’homme », et pour témoigner de cette foi qui est la nôtre, Jésus envoie ses disciples dans le monde non pas comme des loups, mais comme des brebis. La foi en Dieu n’est pas tellement de l’ordre d’une vérité dont il faudrait convaincre l’autre à tout prix, mais elle est plutôt de l’ordre d’une présence fraternelle capable de s’ouvrir au mystère de l’autre, de la vie et des espoirs qui l’habitent, dans une rencontre désintéressée et toute fraternelle. Ils sont là les véritables chemins du dialogue et de l’amitié.

Si nous savons ouvrir les yeux et nos cœurs, nous serons alors capables avec les hommes et les femmes de notre temps d’un langage commun, intelligible pour tous, nous unissant les uns aux autres, en dépit de nos différences, nous donnant de reconnaître ces semences d’évangiles partout où elles poussent, sans que l’on sache comment, animés de cette conviction que l’autre, qui qu’il soit, et d’où qu’il soit, est un frère, une sœur à découvrir et à aimer. Ce n’est que sur cette base que nous pourrons prétendre travailler à l’avènement du Royaume, nous tenant parmi les hommes comme des veilleurs et des priants, au nom même de notre foi au Christ.

Frères et sœurs, demandons à Dieu de nous aider à parler de lui, « à pas de silence et de respect », attentifs à ce qui est au cœur de chaque personne que nous rencontrerons au cours de ces beaux mois d’été.

Yves Bériault, o.p.

Dominicain. Ordre des prêcheurs