L’amour toujours

La perte d’un être cher, même lorsqu’il est très âgé, même à la suite d’une longue maladie, implique toujours un deuil, une peine, à cause de tout ce qu’a été cette personne pour nous et qui, soudainement, disparaît de notre horizon. Comme s’il ne restait plus rien.

Que reste-t-il de tout cet amour donné? Des mots d’encouragements, de la tendresse, des consolations et des joies prodigués si généreusement au cours des années?

Il faut bien se le dire, la mort est trompeuse. Elle oriente nos regards vers l’absence, vers la perte, cherchant à nous faire croire que tout est fini, qu’il ne reste plus de l’être aimé qu’un vague souvenir s’effilochant peu à peu au fil du temps.

C’est lorsque l’on perd un être cher que l’on se sent questionné par cette réalité au-delà de la mort, que l’on appelle la vie éternelle. Nous prenons alors conscience à quel point l’amour donné par une personne est sans doute le plus beau fruit que puisse porter une vie humaine. Après tout, c’est là notre raison d’être sur la terre : aimer…

C’est l’amour qui nous fait vivre, et l’amour ne saurait mourir. L’amour n’est pas une passion inutile. Il porte en lui un germe d’éternité. Il rime avec toujours comme le chante les poètes.

Le temps que l’on prend pour prier

« Le temps que l’on prend pour dire je t’aime
C’est le seul qui reste au bout de nos jour
que l’on fait, les fleurs que l’on sème
Chacun les récolte en soi-même
Aux beaux jardins du temps qui court »

(Extrait de gens
du pays. Gilles Vigneault)

J’ai intitulé ce billet « Le temps que l’on prend pour prier ».  Il aurait pu tout aussi bien s’intituler : « Le temps que l’on prend pour dire je t’aime ». N’est-ce pas là le sens profond de toute prière chrétienne. C’est sans doute une grâce que de faire l’expérience de la prière sous ce mode de l’amour, de se savoir aimé de Dieu et d’entrer mystérieusement dans cet amour par la prière. Quand j’ai passé mon comité d’admission dans l’Ordre des Prêcheurs un frère m’a demandé pourquoi je voulais devenir religieux et je n’ai pu que répondre : « Parce que j’aime Dieu. » Originale mon affirmation ? Écoutons un passage du Shema Israël, la profession de foi de tout israélite :

Écoute Israël, l’Éternel est notre Dieu. L’Éternel est Un. Béni soit à jamais le nom de son règne glorieux! Tu aimeras l’Éternel ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes facultés.

Que ces paroles que je te prescris aujourd’hui restent gravées dans ton cœur. Tu les inculqueras à tes fils. Tu parleras d’elles en habitant ta maison, en allant sur les routes, en te couchantet en te levant… Tu les lieras en signe sur ta main, et elles te serviront de fronton entre tes eux. Tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes.

Je ne voudrais pas que vous vous imaginiez que je vis sur les hauts sommets de la prière. J’aime la prière, j’aime Dieu, mais je sais d’expérience que le but de la prière ce ne sont pas les consolations. La prière est plus souvent de l’ordre de la nuit, de l’absence de sentiments ou de consolations. Et pourtant Dieu n’y est pas moins présent. Il faut accueillir ces « nuits » avec une fidélité têtue et quotidienne, car c’est alors que nous touchons le sommet de la prière. Dieu, qui n’est pas chiche, donne à son heure, avec surabondance, selon nos besoins.

Mais quel que soit la manière dont nous vivons notre vie de prière, il y a une réalité sous-jacente qui est pour tous : nous sommes tous appelés à aimer Dieu et à nous laisser aimer de lui. Ce n’est pas là une grâce pour quelques mystiques avertis. L’amour de Dieu est le cœur de la prière et toute action liturgique, toute prière personnelle, nous fait entrer dans cet amour, dans une proximité avec Dieu, qui est de l’ordre d’une relation personnelle, d’une relation bien vivante et qui engage toutes les fibres de notre être, de notre intimité la plus secrète. C’est un amour infini qui nous appelle et « c’est parce que Dieu est infini, dira Augustin, que l’on doit continuer à le chercher après l’avoir trouvé. »

La prière est le défi de toute une vie. C’est Paul VI qui disait « l’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres. Ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins. » Le témoin ne peut être qu’un homme ou une femme de prière.

Le temps que l’on prend pour dire je t’aime est le seul qui reste au bout de nos jours, dit Gilles Vigneault. Quand tout aura été dit de nos vies, quand nous serons parvenus au terme de la mission que le Seigneur nous a confiée, il ne restera que cette petite flamme d’amour et de fidélité qui brillera dans nos cœurs et que Dieu reconnaîtra. La prière est l’huile précieuse de cette flamme qui doit briller dans la nuit, cette flamme qui est notre foi en Dieu et en son Fils unique. Tout au long de notre vie, la prière est notre guide, notre pain pour la route, la lampe sur nos pas, notre consolation dans l’épreuve et notre joie quotidienne.

Sainte Thérèse d’Avila disait: « Prier veut dire frayer avec Dieu en ami. » Apprenons donc à prendre le temps de frayer avec cet ami cette année et ainsi nous entrerons à l’école de la prière.