Homélie pour le Dimanche de Pâques

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« IL VIT ET IL CRUT ! »

Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 20,1-9.
Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau.
Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. »
Pierre partit donc avec l’autre disciple pour se rendre au tombeau.
Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau.
En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ; cependant il n’entre pas.
Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat,
ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place.
C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut.
Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.

COMMENTAIRE

En entendant le récit de la course passionnée de Simon-Pierre et du disciple bien-aimé, comment ne pas voir dans leur sillage les souvenirs enchevêtrés de ces trois années d’itinérance passées avec Jésus ?

Comme il était grand leur espoir ! Trois années nourries des rêves les plus fous… et puis la mort tragique, la fin brutale de celui qu’ils aimaient. Et quoi maintenant ? Quelle est cette nouvelle ? Ils n’osent y croire. À bout de souffle, le regard inquiet, les voici au tombeau, le plus jeune devançant le plus vieux. Le commentaire de l’évangéliste à son sujet est stupéfiant par sa brièveté : « Il vit et il crut ! »

La résurrection de Jésus est la réalisation d’une promesse longtemps attendue, où Dieu affirme que le Vivant n’a pas sa place dans les tombeaux de ce monde. Pourtant, l’expérience du tombeau vide n’explique en rien la foi des disciples du Christ. Ce serait là un bien faible appui sur lequel miser nos vies. Le tombeau vide n’est que le signe annonciateur préparant les disciples à une rencontre décisive avec le Ressuscité.

« Il vit et il crut ! », nous dit l’évangéliste. Nous avons là une clé d’interprétation fondamentale pour comprendre ce que veut dire la foi en Jésus Christ. Ceci peut sembler contradictoire, mais avant de croire, il faut avoir vu. Je m’explique. La foi au Dieu de Jésus Christ ne se fonde pas sur des raisonnements intellectuels irréfutables, bien que l’intelligence soit au service de la foi. Je serais un bien mauvais dominicain si j’osais affirmer le contraire. Mais je garde cette conviction fondamentale que le cœur de la foi chrétienne est avant tout la reconnaissance d’une présence intérieure, d’un appel au plus profond de nous, une présence d’amour infinie devant laquelle la foi se prosterne et adore. « Il vit et il crut ! »

En fait, c’est l’amour qui fait croire ici ! Comme si l’apôtre bien-aimé se disait en regardant le tombeau vide : « Je le savais ! » Cette brise légère au cœur de notre vie de foi, c’est la rencontre du regard aimant de Jésus posé sur nous, qui nous attire vers lui et qui nous fait entendre cet appel intérieur, au plus profond de nous-mêmes, tout comme les deux disciples devant le tombeau vide, à qui le Ressuscité semble dire : « Voyez ! Vous pensiez avoir enterré tous vos espoirs. Mais regardez ce tombeau vide, c’est plein de vie dedans. »

Tout comme pour Pierre et le disciple bien-aimé, c’est la bonne nouvelle de la résurrection du Christ qui nous fait accourir ici en ce matin de Pâques. C’est une recherche commune qui nous unit, ensemble en Église, où nous ne cessons d’approfondir le don que Dieu nous fait en Jésus Christ, et où nous ne cessons de nous en émerveiller ensemble.

C’est tout le sens de cette grande Semaine sainte qui nous a conduits jusqu’à ce matin de la résurrection, où nous nous tenons éblouis nous aussi devant ce tombeau vide. Un tombeau à la porte grande ouverte, irradiant la lumière de Pâques. « Il vit et il crut ! » C’est à ce regard de foi et d’amour que nous sommes conviés ce matin.

Par ailleurs, la joie pascale ne doit pas nous faire oublier combien est exigeante notre foi au Christ. Nous le savons, notre espérance est sans cesse mise à l’épreuve devant les convulsions que subissent nos vies et notre monde, aux prises avec le mal et la violence. Nous ne sommes ni naïfs ni aveugles. Et c’est pourquoi il importe plus que jamais de célébrer la Pâque du Seigneur, quand les forces du mal se déchaînent autour de nous et au cœur même de nos vies. Les attentats récents ne font que renforcer cette certitude.

Notre époque n’est pas unique en ce sens, toutes les générations depuis la nuit des temps ont connu la violence, Caïn s’en prenant sans cesse à Abel. Mais ce qui est caractéristique de notre époque c’est le refus de Dieu ; c’est de croire que nos vies soient sans direction et sans lendemain. C’est de croire que notre monde puisse se construire par lui-même et prétendre à la sagesse. « Insensés », leur dirait Jésus.

En ce matin de Pâques, nous tenant debout avec le Christ ressuscité, nous affirmons que ce monde est voulu et aimé par Dieu. Nous affirmons que Dieu s’est révélé à travers notre histoire, à la fois par sa création et par ses prophètes, et qu’en ces temps qui sont les derniers, Dieu a confié au monde sa dernière parole, la plus belle et la plus profonde en son Fils fait chair, qui nous dit en ce matin de sa résurrection :

« Je t’aime ô monde, homme et femme. Je suis là. Je pleure vos larmes. Je suis votre joie. N’ayez pas peur. Quand vous ne savez pas comment allez plus loin, je suis avec vous. Je suis dans vos angoisses, parce que je les aie souffertes moi aussi. Je suis dans vos besoins et dans votre mort, parce qu’aujourd’hui j’ai commencé à vivre et à mourir avec vous. Je suis votre vie. Et je vous le promets : la vie vous attend vous aussi. Pour vous aussi, les portes vont s’ouvrir. » (Karl Rahner).

En cette fête de Pâques, debout devant la croix glorieuse du Christ, nous affirmons qu’elle porte toutes nos douleurs, toutes nos peines, toutes nos morts, et toutes nos violences. Nous affirmons que seul le Ressuscité est capable de transfigurer nos blessures, capable de nous prendre avec lui et de nous rendre vainqueurs, malgré nos défaites apparentes, malgré la mort elle-même.

Un philosophe de l’Antiquité a dit un jour : « Si tu ne sais pas espérer, tu ne pourras jamais accueillir l’inespéré » (Héraclite). En cette fête de Pâques, qui est la mère de toutes les fêtes, de toutes les attentes au cœur de la vie des hommes et des femmes de ce monde, nous proclamons que l’inespéré s’est fait chair, que le Fils du Père a habité parmi nous, et qu’il est le grand vainqueur de la mort.

La pierre qui retenait la vie a été roulée sur le côté. La vie qui était captive de la mort a été libérée de ses entraves, et Jésus est devenu notre éternel printemps.

Voilà, frères et sœurs, ce qui fait notre joie ce matin ! Réjouissons-nous ! Célébrons ! Rendons grâce à Dieu en ce jour de Pâques ! Car Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité !

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le Vendredi Saint

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C’est en communion avec toute l’Église universelle que nous proclamons avec l’apôtre Paul, en ce Vendredi Saint, que « notre fierté c’est la croix du Christ ! » Cette croix, malgré sa laideur et la cruauté qu’elle évoque, est le lieu ultime que Dieu a choisi pour nous dire combien il nous aime.

Jésus a dit oui à la croix, il l’a acceptée courageusement. Mais peut-on dire qu’il l’a recherchée ? « Père, si tu veux éloigner cette coupe de moi… » disait-il au jardin de Gethsémani. Et pourtant, ailleurs en saint Jean, il dira à ses disciples : « Comme il me tarde de boire à cette coupe… »

Il n’y a pas de contradiction ici. Le oui de Jésus est un oui à l’épreuve de l’Amour, son amour pour nous, et son amour pour le Père. Et Jésus ne saurait s’esquiver, car il sait que ce don de lui-même ne peut que nous apporter la vie. C’est pour cela qu’il est venu, lui le grand vainqueur de la mort, et c’est sur la croix qu’il va affronter le Mal dans ses derniers retranchements, cette croix qui évoque la méchanceté des hommes, symbole de notre péché.

Jésus a dit oui à la croix, et son amour pour nous s’est livré jusqu’au bout, au point de saisir dans son offrande toute l’humanité, toutes les générations à venir qui mettraient leur foi en lui. Comme le disait avec justesse le dominicain Yves Congar : « Ce n’est pas la souffrance de Jésus qui nous sauve; c’est l’amour avec lequel il a vécu cette souffrance; c’est tout autre chose.» Alors que la dominicaine Catherine de Sienne, au XIIIe siècle affirmait : « Ce ne sont pas les clous qui retiennent le Christ sur la croix, mais l’amour. »

C’est pourquoi nous sommes fiers de proclamer un Messie crucifié, parce que sa passion nous parle du plus grand amour qui soit, alors que c’est la vie même qui est clouée au coeur de la mort.

Frères et soeurs, c’est ce grand mystère que nous contemplons en cette heure solennelle où Jésus « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. »

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le Jeudi Saint (B)

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Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 13,1-15.
Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer,
Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu,
se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ;
puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture.
Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit : « C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? »
Jésus lui répondit : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. »
Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. »
Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! »
Jésus lui dit : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, mais non pas tous. »
Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait : « Vous n’êtes pas tous purs. »
Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ?
Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis.
Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.
C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »


Cette messe du Jeudi Saint, qui est la commémoration de la Cène du Seigneur, accueillait 63 enfants et leurs familles à l’occasion de leur première communion.

COMMENTAIRE

Je sais que vous aimez les histoires les enfants, et ce que je vais vous raconter est une histoire vraie. Et les adultes peuvent aussi écouter s’ils le désirent. Si je vous demandais, les enfants, ce que font vos parents dans la vie, vous auriez sûrement beaucoup de choses à nous raconter. Mais imaginez-vous qu’un jour une enseignante à l’école a demandé à ses élèves de raconter ce que Dieu faisait dans la vie! Le petit Danny âgé de huit ans a répondu ceci :

« Le travail principal de Dieu, dit-il, c’est de faire des personnes afin de remplacer celles qui nous quittent, pour qu’il y ait toujours du monde sur la terre pour faire rouler les autobus scolaires, faire des bonbons et des biscuits. Dieu, dit Danny, ne fait pas de grandes personnes, seulement des bébés. Je pense, dit-il, que c’est parce que les bébés sont plus petits et plus faciles à faire. Le temps de Dieu est précieux vous savez, dit Danny, il n’a pas le temps de leur apprendre à marcher et à parler. Il laisse ce travail aux papas et aux mamans! »

Ainsi donc, chers parents, vous comprenez maintenant d’où vous viennent toutes ces responsabilités à l’égard de vos enfants! Vous voilà informés! Et je ne vous apprendrai rien si je vous dit que vos enfants sont votre bien le plus précieux, arrivés dans vos vies comme ces petits crocus au printemps qui lèvent la tête pour la première fois. Nous, les prêtres et les agents de pastorale, nous sommes des témoins privilégiés de l’amour que vous leur portez. Nous le voyons bien quand vous les présentez au baptême, quand vous les accompagnez à leur première communion, à leur confirmation, à leur mariage. Mais on n’est pas rendu là ce soir, soyez rassurés!

Pour beaucoup d’entre vous vos enfants sont encore très jeunes, et c’est une histoire extraordinaire qui commence à s’écrire dans vos familles, comme un film qui n’en est qu’à ses premières séquences, et qui va vous conduire de découverte en découverte, où tout n’est pas toujours rose ou facile bien sûr. Mais quand l’amour est là, il peut nous faire franchir tous les obstacles. Et bien des fois, j’en ai été témoin.

Ce soir, alors que nous célébrons le dernier repas de Jésus avec ses amis, il est justement question d’amour, où Jésus nous livre son secret afin de bien vivre cette aventure humaine et d’y trouver le bonheur. Et ce qu’il fait est vraiment étonnant : Jésus s’agenouille devant ses amis et se met à laver les pieds! « Vraiment, me direz-vous. C’est ça sa recette du bonheur! »

Mais regardez bien. Qu’est-ce que ce geste de Jésus nous dit au sujet de nos vies? Dès la naissance de vos enfants, et ce, pendant plusieurs années, n’êtes-vous pas à genoux devant eux à leur laver les pieds et tout le reste ? À veiller sur eux quand ils sont malades ou tristes. À les encourager, à les valoriser, à les consoler, à les aimer beaucoup!

Et remarquez le renversement qui se produit quand on vieillit. L’enfant plus tard devient lui-même le gardien de ses parents, va souvent s’occuper d’eux jusque dans leur vieil âge, les chouchouter, les caresser, les encourager, les laver même. Je me souviens lorsque ma mère était à l’hôpital, dans les dernières années de sa vie, c’est moi qui lui lavait les cheveux, comme elle l’avait fait pour moi quand j’étais petit.

On voit aussi cette dynamique entre conjoints où parfois c’est l’un des deux qui porte l’autre quand l’un ne va pas, quand l’épreuve ou la maladie frappe à la porte. Dans toutes ces situations, vous prenez la tenue de service, vous vous mettez au pied les uns des autres, comme Jésus nous invite à le faire. Et mystérieusement, dans ce don de vous-mêmes, vos vies gagnent en profondeur dans cette fidélité quotidienne à l’autre, dans la patience généreuse et le don de soi.

C’est cette porte que nous ouvre Jésus dans le récit de la dernière Cène ce soir. L’on n’y voit pas Jésus bénir du pain et du vin, contrairement aux autres évangélistes. L’évangéliste Jean met plutôt l’accent sur un geste bien particulier de Jésus pendant le repas, geste qui a pour but de nous dévoiler ce que la communion à sa vie de ressuscité peut accomplir dans nos vies.

Car elles sont parfois compliquées nos vies, ce n’est pas toujours facile d’être bons. Et c’est ici que Dieu vient à notre aide en nous donnant son Fils. Jean, dans le récit du lavement des pieds, nous montre comment Dieu lui-même se met à nos pieds, et il le fait parce que nous sommes son bien le plus précieux, parce que nous sommes ses enfants ! Et si nous aimons nos enfants, que dire de l’amour de Dieu pour nous. Voilà ce que Jésus est venu nous dire ce soir.

Tout comme l’amour des parents pour leurs enfants façonne ces derniers, les aide à grandir, prépare les hommes et les femmes de demain, l’amour de Dieu pour nous vient donner toute sa profondeur et sa direction à nos vies. Et c’est là le sens de l’eucharistie que Jean veut nous faire découvrir en retenant cette image du lavement des pieds. Il tient à nous dire combien Jésus Christ est une présence vivante auprès de nous, et combien l’eucharistie, ce que nous appelons la messe, est un lieu privilégié où il s’offre à nous, un lieu où il refait nos forces, où il lave nos blessures, où il nous enracine dans la vie et nous rend capables d’aimer comme lui.

Célébrer l’eucharistie, c’est le cœur de la vie de toute l’Église, vous savez, car c’est non seulement y célébrer le don que Jésus fait de lui-même par amour pour nous, mais c’est aussi le lieu de notre transformation où nous devenons peu à peu comme lui en partageant le pain et le vin qu’il nous donne. L’eucharistie nous aide à grandir afin que nous devenions des femmes et des hommes selon le cœur de Dieu, ouvrant nos cœurs aux besoins de tous ceux qui nous entourent et dont Dieu nous confie la responsabilité. Et comme nous sommes faits pour aimer, l’eucharistie vient élargir nos cœurs aux dimensions du monde, nous donnant de le regarder avec les yeux mêmes de Jésus.

Chers parents, c’est à ce grand mystère d’amour que vont communier vos enfants ce soir, ainsi que nous tous. Et vous, chers enfants, préparez vos cœurs, car Jésus vous attend. C’est votre fête ce soir et c’est aussi la nôtre!

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

 

Homélie pour le Dimanche des Rameaux et de la Passion

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Après avoir entendu le récit tragique de la Passion et de la mort de notre Seigneur, faut-il risquer une parole supplémentaire ? Il semble que le silence et le recueillement soient le seul langage qui s’impose à nous devant le mystère de cet abaissement volontaire de Jésus, « lui qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (Ph 2,8).

Une question, pourtant, nous habite et parcourt 2000 ans de christianisme : Pourquoi le Fils de Dieu devait-il mourir ainsi? Il y a là quelque chose de la folie de Dieu qui nous dépasse. Il y a dans la mort de Jésus un acte d’amour tellement absolu qu’il questionnera notre humanité jusqu’à la fin des temps. Mais ce dont nous pouvons témoigner, nous ses amis, c’est qu’à cause de lui, mystérieusement, les hommes et les femmes qui le suivent se surprennent à vouloir aimer et servir comme lui, en dépit de leurs manques, de leurs faiblesses, ou de leur histoire personnelle.

Si nous entreprenons cette marche avec Jésus en cette Semaine Sainte, c’est parce que lui le premier nous a saisis. N’a-t-il pas marqué profondément nos vies, nous laissant le témoignage d’un amour capable d’ouvrir toutes les portes, celles de nos peurs, de nos souffrances et même de toutes nos morts!

C’est pourquoi, année après année, de Semaine Sainte en Semaine Sainte, nous montons à Jérusalem avec Jésus. Nous l’acclamons, nous marchons à ses côtés, portant sa croix avec lui, afin qu’il ne soit plus jamais seul dans son combat, dans cette vie donnée pour nous.

Comme l’écrivait avec justesse sainte Catherine de Sienne : « Ce ne sont pas les clous qui retiennent Jésus sur la croix, mais l’amour. » Et c’est sur ce bois que la vie va refleurir, c’est sur ce bois de la croix que l’amour du Fils de l’Homme va être livré jusqu’au bout, au point de saisir dans son offrande toute l’humanité, chacun et chacune de nous, toutes les générations présentes et à venir.

Frères et sœurs, c’est la Semaine Sainte qui commence. Encore une fois, sachons ouvrir nos cœurs au mystère du plus grand amour qui soit et ainsi faire nôtre la passion de Jésus Christ pour notre monde. Amen.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 5e Dimanche du Carême (B)

Si le grain de blé ne meurt

Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 12,20-33.
En ce temps-là, il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque.
Ils abordèrent Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. »
Philippe va le dire à André, et tous deux vont le dire à Jésus.
Alors Jésus leur déclare : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié.
Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit.
Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle.
Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. »
Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci !
Père, glorifie ton nom ! » Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
En l’entendant, la foule qui se tenait là disait que c’était un coup de tonnerre. D’autres disaient : « C’est un ange qui lui a parlé. »
Mais Jésus leur répondit : « Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous.
Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ;
et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. »
Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.

COMMENTAIRE

Dans l’évangile aujourd’hui, Jésus entre à Jérusalem pour une dernière fois. Il contemple déjà sa passion à venir, et l’évangéliste Jean nous donne d’entendre un rappel de la prière de Jésus à Gethsémani :

« Maintenant mon âme est bouleversée, dit Jésus.
Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ?
– Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! »

Jésus nous livre alors ce qu’il faut bien appeler son testament spirituel. À la lumière de sa vie donnée, Jésus nous dévoile ce que cela signifie que d’être pleinement humain. Il nous livre en quelque sorte sa dernière béatitude, celle dont lui-même va témoigner jusqu’à la fin. Sa formulation peut nous paraître énigmatique à première vue : « si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. »

Comme on le voit, l’image est des plus simple, et facile à comprendre. Si les semences ne sont pas mises en terre au printemps, et bien au terme de l’été, vous n’aurez rien à récolter. Mais si le grain est enfoui dans la terre, et s’il meurt, il se passe alors ce mystérieux échange, telle une promesse de vie, qui porte des fruits et rassasie la faim du monde. Ainsi, en est-il de nos vies affirme Jésus : « Bienheureux êtes-vous si vous donnez vos vies comme le grain de blé jeté en terre. »

Jésus nous lègue ici la grande béatitude de l’amour, cet amour qui ne peut grandir qu’en se donnant totalement. Ainsi, qui aime sa vie, nous dit Jésus, la donne librement, il la sème aux quatre vents, et cette vie fructifie parce que c’est le propre de l’amour que de vouloir se donner. Et Jésus va réaliser parfaitement cette victoire de l’amour, au point où la mort même sera vaincue.

Oui, l’amour est plus fort que la mort, c’est là la grande victoire de Jésus sur la croix. Jésus consent à mourir. Il sait que de sa mort surgira la vie. C’est pour cette Heure qu’il est venu parmi nous. Jésus se prépare donc à tomber en terre comme le grain de blé, et à travers ce don ultime de lui-même, Jésus nous entraîne avec lui avec ces paroles inoubliables : « Et là où je suis, là sera mon serviteur. »

Voilà longtemps que la plupart d’entre nous marchons avec le Christ, que nous avons mis notre foi en lui, et il peut nous arriver d’oublier à quel point cette foi a transformé nos vies au fil des années. Ce serait là un bel exercice à faire à l’approche de la grande fête de Pâques, que de nous poser la question suivante : « À quel point ma foi au Christ a-t-elle transformé ma vie ? »  Les réponses pourraient nous étonner, j’en suis certain. Car nous ne pouvons plus être les mêmes quand nous mettons nos pas dans ceux de Jésus, quand ses paroles marquent profondément notre existence, et nous donnent de pousser encore plus loin ce que l’amour peut parfois exiger de nous. N’en doutons pas, notre foi au Christ a transformé profondément nos vies, et peu à peu, elle nous rend semblables à lui dans notre désir d’aimer et de nous donner.

Pensons à toutes ces situations où nous avons trouvé la force de marcher et de recommencer quand tout semblait s’écrouler. Chacun et chacune de nous porte une histoire marquée par des rêves et des amours, mais aussi par des échecs et des épreuves, qui ont parfois exigé de nous beaucoup plus d’amour et de courage que nous ne l’aurions jamais imaginé. Mais parce que nous avons mis notre foi en Jésus-Christ, sa lumière a brillé même dans les nuits les plus obscures de nos vies, et je sais que beaucoup parmi nous pourraient en témoigner. C’est à Jésus-Christ aussi que nous devons cette force d’aimer et de pardonner qui parfois nous surprend nous-mêmes, mais où d’instinct nous savons que le vrai bonheur ne peut être ailleurs et que cette force intérieur nous vient de lui.

C’est dans ce don de nous-mêmes que Jésus nous entraîne quand nous mettons notre foi en lui. Nos vies sont alors marquées par le rayonnement de sa présence et, peu à peu, nous nous surprenons à vouloir aimer comme lui, comme s’il n’y avait pas d’autre direction possible à nos vies! « Qui aime sa vie la perd, dit Jésus ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. »

Frères et soeurs, Jésus nous invite aujourd’hui à le suivre en mourant à nous-mêmes, c’est-à-dire en renonçant à tout ce qui s’oppose à l’amour en nous, afin que le meilleur de nous-mêmes puisse fructifier et se donner. C’est là l’œuvre que Jésus accomplit en nous par sa passion et sa résurrection, et c’est cette victoire que nous faisons nôtre chaque fois que nous nous rassemblons pour célébrer l’eucharistie. Que ce soit là notre joie dans le Christ!

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 4e Dimanche du Carême (B)

OUVRIR NOS YEUX À SA LUMIÈRE !

Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 3,14-21.
En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé,
afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle.
Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle.
Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »
Celui qui croit en lui échappe au Jugement ; celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises.
Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ;
mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. »

COMMENTAIRE

La première lecture nous présente le drame d’Israël, près de six siècles avant Jésus-Christ, alors que le roi Nabuchodonosor envahit la Judée et la ville de Jérusalem. La ville et son temple sont détruits, sa population est déportée à Babylone. Près de 80 ans plus tard, un nouveau roi, le roi Cyrus, permettra aux descendants de ces exilés de retourner dans leur pays et de reconstruire leur Temple. Voilà pour le contexte historique.

Mais cette histoire tragique nous parle aussi d’un peuple pécheur, captif de ses fautes et de sa méchanceté, qui lui font perdre la terre promise. Le psaume nous décrit sa peine pendant son exil. Il est à perte d’espérance, il pleure et soupire au souvenir de Jérusalem. La joie s’est éteinte dans ses maisons, le peuple est devenu muet, incapable de répondre à l’invitation de ses vainqueurs, qui lui demandent des chansons : « Chantez-nous disaient-ils un cantique de Sion. »

Mais Dieu est fidèle, et il va agir en faisant du roi Cyrus le libérateur de son peuple. Cette première lecture pourrait s’intituler « de l’exil à la joie du retour », alors qu’Israël retrouve la terre promise. Et nous avons là une belle clef de lecture pour notre évangile.

Car c’est un nouvel exode que le Christ nous propose quand il affirme dans l’évangile : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. »

Cette évocation du serpent de bronze rappelle le séjour d’Israël au désert, alors que le peuple était aux prises avec une invasion de serpents venimeux. Plusieurs souffraient des morsures brûlantes infligées par ces serpents, et devant la plainte de son peuple, Dieu va proposer à Moïse d’utiliser une pratique païenne, soit un serpent de bronze monté sur une perche, comme signe de salut. Tous ceux qui regardaient vers lui étaient guéris. Toutefois, ce n’était plus le serpent qui guérissait, mais la foi de celui qui levait les yeux vers le Père céleste.

Cette pratique visait une guérison physique, et ce, uniquement pour le peuple hébreu, alors que Jésus, qui nous invite à regarder vers lui, annonce une guérison spirituelle pour toute l’humanité : « afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle ». Si Jésus évoque cet épisode du serpent de bronze, c’est afin de faire comprendre à ses disciples que tous pourront trouver la guérison dans son élévation, à la fois son élévation sur la croix, et son élévation auprès du Père.

Par ailleurs, Jésus affirme qu’il n’est pas venu dans le monde pour le juger, mais pour le sauver. Il déclare que la personne qui se perd à cause de son péché se condamne elle-même, et devient ainsi son propre juge. Jésus compare cette personne à quelqu’un qui refuserait la lumière, refermant ainsi un à un les volets de sa maison intérieure, pour se plonger dans la nuit. C’est de cette nuit que Jésus vient nous tirer. Il se présente à nous comme la lumière véritable. Il veut nous ramener de l’exil où nous tient le péché, afin de nous faire entrer dans la pleine lumière de l’amour de Dieu.

Par analogie, il me revient le souvenir de ma rencontre avec une jeune étudiante de 21 ans. Elle m’avait raconté qu’elle était aveugle de naissance et que suite à une intervention chirurgicale, subie à l’âge de 14 ans, elle avait recouvré la vue. Elle m’a décrit sa joie devant ce monde qu’elle découvrait pour la première fois. Et je lui ai dit : « Mais ce devait être merveilleux! » Et elle de me répondre : « Mais ce l’est toujours! » En écoutant son récit, je sentais monter en elle cette joie de la découverte de notre monde, les yeux grands ouverts, dans la pleine lumière. Je voyais qu’il y avait en elle un bonheur indescriptible que rien ne pouvait lui ravir, puisqu’elle voyait maintenant.

Si cette découverte de notre monde peut susciter une telle joie, que dire du Christ révélé par son Père! Il est le sommet de la révélation que Dieu fait de lui-même. C’est pourquoi ce dimanche de la joie nous invite à le contempler dans son élévation et dans son offrande. Il prend sur lui nos péchés, nos détresses, et il s’associe pour toujours à notre pauvre humanité blessée, nous entraînant avec lui vers la Terre promise.

C’est saint Augustin qui écrit au sujet de Dieu : « Tu nous as fait pour toi Seigneur et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en toi ». Nous sommes faits pour trouver Dieu, et le refus de Dieu dans une vie est un drame. C’est l’exil à Babylone qu’évoquait notre première lecture. Mais Dieu a tellement aimé le monde, qu’il nous a donné son Fils unique. En Jésus Christ, Dieu est venu élargir à l’infini l’horizon de nos attentes et de nos joies, car il aime chacun et chacune de nous, comme s’il n’y avait que nous seul au monde, et sans cesse il nous appelle à lui, aussi loin que nous soyons de lui.

Comme l’écrit le théologien Karl Rahner, Dieu confie « au monde sa dernière parole, la plus belle et la plus profonde en son Fils fait chair. Cette parole nous dit : je t’aime ô monde, homme et femme. Je suis là. Je pleure vos larmes. Je suis votre joie. N’ayez pas peur. Quand vous ne savez pas comment allez plus loin, je suis avec vous. Je suis dans vos angoisses, parce que je les aie souffertes moi aussi. Je suis dans vos besoins et dans votre mort, parce qu’aujourd’hui j’ai commencé à vivre et à mourir avec vous. Je suis votre vie. Et je vous le promets : la vie vous attend vous aussi. Pour vous aussi, les portes vont s’ouvrir. »

Frères soeurs préparons nous maintenant à accueillir celui qui se fait notre joie dans le don de l’Eucharistie.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

 

 

Nouvelle parution aux éditions Médiaspaul

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Etty Hillesum est une jeune Juive disparue dans la nuit de la Shoah, Christian de Chergé un moine cistercien exécuté avec six confrères en Algérie en 1996. Ils ont laissé des écrits qui comptent aujourd’hui parmi les plus grands textes spirituels du XXe siècle.

Par-delà la similitude de leurs destins, une véritable parenté intérieure les rapproche. Tous deux sont morts par solidarité et par amour, s’étant refusés à échapper seuls au danger qui menaçait tout un peuple. Tous deux ont persisté à croire en l’être humain malgré ses plus terribles méfaits. Tous deux, enfin, ont franchi les frontières religieuses et politiques pour jeter les bases d’une fraternité universelle.

La fresque de leurs vies pose des enjeux très actuels et offre une profonde inspiration au cœur des situations apparemment inextricables dont regorge notre monde. Ce livre, courtepointe de deux vies passionnées, a tôt fait de nous rendre chers ces témoins des fondements de notre humanité.

– Un essai d’une grande actualité à l’heure du terrorisme qui sévit dans le monde
– Une approche nouvelle et profondément apaisante de la différence religieuse et politique
– Des maîtres spirituels à la vision large et rassembleuse

Yves Bériault est dominicain. Il est engagé dans le ministère paroissial ainsi que dans l’accueil des réfugiés. Il a été aumônier universitaire au Centre étudiant Benoît-Lacroix  et professeur à l’Institut de pastorale des dominicains de Montréal.

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Homélie pour le 3e Dimanche du Carême (B)

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Le Temple nouveau du crucifié

Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 2,13-25.
Comme la Pâque juive était proche, Jésus monta à Jérusalem.
Dans le Temple, il trouva installés les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs.
Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs,
et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. »
Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : ‘L’amour de ta maison fera mon tourment.’
Des Juifs l’interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? »
Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. »
Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ! »
Mais lui parlait du sanctuaire de son corps.
Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite.
Pendant qu’il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque, beaucoup crurent en son nom, à la vue des signes qu’il accomplissait.
Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous
et n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ; lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme.

COMMENTAIRE

Alors que chez les évangélistes Marc, Mathieu et Luc l’épisode des vendeurs du Temple précède de peu la condamnation de Jésus, Jean lui le place au tout début de son évangile, affirmant ainsi d’entrée de jeu que Jésus est le Temple nouveau où sera rendu à Dieu le culte véritable. Cette affirmation va marquer tout son évangile.

Ce récit chez Jean fait suite au miracle de Cana où Jésus, après avoir transformé l’eau en vin, annonce un miracle encore plus prodigieux lorsqu’il va à Jérusalem pour la fête de Pâque. Il annonce un Temple nouveau. L’état lamentable du Temple indigne Jésus au plus haut point et c’est ainsi qu’il en chasse les marchands et leurs animaux, et renverse les tables des changeurs. « Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce, s’écrit-il. » Quand on lui demande pourquoi il agit ainsi, ses auditeurs comprennent qu’il affirme pouvoir reconstruire le Temple en trois jours, alors que Jésus veut parler du sanctuaire de son corps.

L’attitude de Jésus est certes surprenante, mais elle n’est pas en contradiction avec son Évangile. Il s’agit bien sûr d’un geste de colère, mais une sainte colère, colère qui parfois nous habite devant les injustices et les iniquités, situations qui devraient toujours soulever notre indignation. L’indignation de Jésus elle vise surtout les autorités religieuses d’Israël qui ont laissé le Temple se transformer en caverne de voleurs.

Et voilà que le Messie se tient sur l’esplanade du Temple, et par son geste prophétique il prend possession de la maison de son Père, annonçant en quelque sorte un nouvel Exode pour le peuple d’Israël et toute l’humanité tout entière. Jésus promet un Temple nouveau qui ne sera plus fait de main d’homme, mais qui sera l’œuvre du Fils de Dieu. Ces paroles de Jésus évoquent déjà le Corps du Christ d’où couleront l’eau vive du baptême et le vin nouveau de l’Eucharistie et qui donneront aux disciples du Christ d’offrir au Père un culte en esprit et en vérité, comme l’annoncera Jésus à la Samaritaine.

Cette grâce qui est annoncée ne doit toutefois pas nous faire illusion. Elle exige beaucoup des disciples puisque Jésus a donné sa vie pour nous. Saint Paul l’affirme de manière provocante et sans détour dans sa première lettre aux Corinthiens : « Alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié. » Et c’est ainsi que les disciples du crucifié seront appelés à faire leur, son destin, sa vie offerte. Voilà le culte qui sera désormais célébré dans le Temple nouveau.

« Nous prêchons un Messie crucifié! » nous dit saint Paul. Pourquoi est-ce si important de l’affirmer, sinon que le combat de Jésus-Christ nous entraîne dans le sien. Alors que les religions du monde, se représentent toujours la divinité comme une toute-puissance invincible, la révélation chrétienne ouvre une brèche dans notre conception de Dieu. Sans nier sa toute-puissance, voilà qu’en Jésus-Christ Dieu se tient devant nous dans tout ce que peut comporter notre fragilité humaine.

Jésus va naître dans une étable comme un pauvre, il va connaître la faim et la soif, la souffrance et l’abandon, le rejet et le mépris. Il mourra assassiner, exclu de la cité, crucifié avec des bandits. C’est avec toute cette réalité humaine, portant toujours les plaies vives de sa passion, que le Seigneur Jésus-Christ se tiendra debout et victorieux au matin de Pâques.

Comment comprendre ce que Paul appelle aussi la « folie de la croix », si ce n’est qu’en Jésus nous contemplons le visage d’un Dieu fou d’amour, qui déjoue toutes nos représentations les plus enfantines de la divinité pour nous dévoiler un Dieu qui est Amour, et qui n’est que cela. En Jésus-Christ nous faisons l’expérience que l’amour est véritablement accompli que lorsqu’il va jusqu’au bout de lui-même. C’est cet amour qui s’est manifesté à nos yeux d’hommes afin d’assumer une vie humaine sans compter, et ainsi ouvrir en nous des sources secrètes que seul Jésus pouvait libérer et ainsi nous donner accès à notre pleine stature d’hommes et de femmes créés à l’image de Dieu.

« Nous prêchons un Messie crucifié ! » Un Messie qui est Dieu et qui se fait homme pour nous sauver, pour nous redonner notre dignité perdue. Qui étend les bras vers tous ceux et celles qui ont soif de bonheur, et qui vient à nous revêtant les habits du mendiant quémandant notre amour. Il se fait pauvre avec les pauvres que nous sommes, afin que nous devenions riches avec lui. Mais pour cela, il nous faut nous tenir tout près de sa croix.

En voici un exemple des plus actuel. Le mois dernier le pape François a déclaré martyrs de la charité dix-neuf religieux et religieuses d’Algérie, dont les sept moines de Tibhirine, ainsi que le dominicain Pierre Claverie, qui était devenu évêque du diocèse d’Oran. Ce dernier expliquait, deux mois avant son assassinat, le pourquoi de son refus obstiné de quitter une Algérie où sa vie était sans cesse menacée dans un contexte de guerre qui a fait plus de deux-cent-mille morts. Comme les moines de Tibhirine, Mgr Claverie ne voulait pas abandonner ses amis algériens en cette terre d’Islam.

« Nous sommes là-bas, disait-il, à cause de ce Messie crucifié. À cause de rien d’autre et de personne d’autre ! Nous n’avons aucun intérêt à sauver, aucune influence à maintenir. Nous ne sommes pas poussés par quelque perversion masochiste. Nous n’avons aucun pouvoir, mais nous sommes là comme au chevet d’un ami, d’un frère malade en silence, en lui serrant la main, en lui tenant le front. À cause de Jésus, parce que c’est lui qui souffre là, dans cette violence qui n’épargne personne, crucifié à nouveau dans la chair de milliers d’innocents.

Comme Marie, sa mère et saint Jean, nous sommes là au pied de la Croix où Jésus meurt abandonné des siens et raillé par la foule. N’est-il pas essentiel pour le chrétien d’être présent dans les lieux de souffrance, dans les lieux de déréliction, d’abandon ? » […] « Où serait l’Église de Jésus-Christ, elle-même Corps du Christ, si elle n’était pas là d’abord? Je crois qu’elle meurt, conclut Pierre Claverie, de n’être pas assez proche de la Croix de son Seigneur. »

Frères et sœurs, la leçon qui se dégage pour nous de la Parole de Dieu en ce dimanche pourrait s’exprimer ainsi : À Temple nouveau, pierres vivantes, cuites au feu de l’Esprit Saint, faisant leur la passion de leur Maître et Seigneur, puisque nous prêchons un Messie crucifié.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs