Homélie pour le 5e dimanche de Pâques (B)

« DEMEUREZ EN MOI COMME MOI EN VOUS »

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 15, 1-8

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
« Moi, je suis la vraie vigne,
et mon Père est le vigneron.
Tout sarment qui est en moi,
mais qui ne porte pas de fruit,
mon Père l’enlève ;
tout sarment qui porte du fruit,
il le purifie en le taillant,
pour qu’il en porte davantage.
Mais vous, déjà vous voici purifiés
grâce à la parole que je vous ai dite.
Demeurez en moi, comme moi en vous.
De même que le sarment
ne peut pas porter de fruit par lui-même
s’il ne demeure pas sur la vigne,
de même vous non plus,
si vous ne demeurez pas en moi.

Moi, je suis la vigne,
et vous, les sarments.
Celui qui demeure en moi
et en qui je demeure,
celui-là porte beaucoup de fruit,
car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire.
Si quelqu’un ne demeure pas en moi,
il est, comme le sarment, jeté dehors,
et il se dessèche.
Les sarments secs, on les ramasse,
on les jette au feu, et ils brûlent.
Si vous demeurez en moi,
et que mes paroles demeurent en vous,
demandez tout ce que vous voulez,
et cela se réalisera pour vous.
Ce qui fait la gloire de mon Père,
c’est que vous portiez beaucoup de fruit
et que vous soyez pour moi des disciples. »

Commentaire

Une amie un jour m’a fait parvenir un petit mot de son quotidien tellement son bonheur avait besoin d’être partagé. Elle m’a écrit ce qui suit au sujet de sa fille qui avait alors six ans : « Je te partage un petit moment que je chéris depuis tout à l’heure. Avant de dormir, Heidi me dit : “Maman, je suis tellement heureuse, comme si j’ai toujours des larmes de joie aux yeux.” » 

Ça ne s’invente pas! Les enfants ont de ces mots à la fois merveilleux et d’une simplicité désarmante quand ils vous partagent leur toute jeune expérience de la vie. Ce cri d’émerveillement et de joie chez Heidi, on s’en doute bien, s’enracine dans un terreau familial bien particulier où un enfant peut grandir dans la confiance et dans l’amour.

Avec cette histoire que je vous raconte, sommes-nous vraiment si loin de la vigne dont nous parle Jésus et où il nous invite à demeurer en lui? L’image de l’enfant qui se blottit contre sa mère dans une confiance totale a déjà été évoquée dans la Bible pour décrire ce que doit être notre relation au Seigneur. Il s’agit du psaume 130 où il est dit : 

« Seigneur, je n’ai pas le coeur fier, ni le regard ambitieux; je ne poursuis ni grands desseins ni merveilles qui me dépassent. Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse; mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère.»

Il n’y a qu’un pas à franchir, il me semble, entre ce psaume et la réalité de la vigne dont nous parle Jésus, et où il nous invite à demeurer en lui, vigne qui représente l’expérience fondatrice de nos vies de baptisés. Dans le court passage de l’Évangile entendu, Jésus va employer à sept reprises le verbe «demeurer». Ce «demeurez en moi» se précisera encore plus, quelques versets plus loin, quand Jésus dira à ses disciples : «demeurez dans mon amour.» Cet amour qui est à l’origine du monde, des étoiles et des galaxies! Cet amour qui nous a appelés à la vie! 

Pour nous aider dans la compréhension de ce grand mystère, Jésus se présente à nous aujourd’hui comme la vraie vigne à laquelle nous sommes rattachés tels des sarments appelés à porter du fruit. Il n’est pas question ici d’une voie parmi d’autres que nous proposerait un sage quelconque. C’est le Seigneur lui-même qui nous décrit de manière imagée, mais combien évocatrice, le chemin du véritable bonheur et ce qu’il nous faut faire de nos vies pour qu’elles aient du sens et qu’elles se déploient pleinement. Il nous faut être greffés sur lui!

Nous le savons bien, cet enjeu du sens de la vie nous habite très tôt dans l’existence. C’est une question fondamentale qui peut nous hanter parfois pendant des années, toute une vie même, quand on ne parvient pas à y répondre de façon satisfaisante. 

J’écoutais récemment une jeune chanteuse canadienne de 29 ans connue mondialement qui s’appelle Charlotte Cardin. Elle compose ses propres textes, et elle affirme avec force dans l’une de ses chansons en anglais : « I don’t want to live a meaningless life. » « Je ne veux pas vivre une vie qui n’a pas de sens. »

Bien sûr, pour une jeune en recherche, une vie qui a du sens passe nécessairement par la reconnaissance, les amitiés, un plan de carrière, le succès, l’amour, surtout l’amour, qui fait se lever chaque matin. Mais il faut bien admettre que nos vies ne se réduisent pas si facilement à cette équation idéale du bonheur. Car parler de la vie, c’est aussi parler de sa fragilité, des épreuves qui l’accompagnent, des déceptions, des rêves brisés, des départs, des pertes, des souffrances, des épreuves de toutes sortes. C’est à travers cet océan que nos vies naviguent, et nos journées et nos années ne sont pas toujours comme un long fleuve tranquille.

Ce que Jésus nous propose aujourd’hui, c’est de marcher avec nous. Il nous propose de nous former, de nous laisser émonder sur ce chemin qui nous conduit vers la maison du Père. Car cette vigne que nous formons avec le Christ plonge ses racines dans le terreau de l’éternité de Dieu et de sa bienveillance. Et puisque nous avons été greffés sur le Christ (cf. Rm 6, 6), comme l’affirme l’apôtre Paul, nous sommes donc appelés à porter du fruit avec lui, quels que soient notre âge ou les difficultés de la vie que nous pouvons rencontrer. Mais qu’est-ce que porter du fruit?

Porter du fruit, frères et sœurs, ce sera garder les yeux ouverts sur la grandeur et les exigences de notre condition humaine, et assumer pleinement ce que la vie attend de nous à la lumière de l’Évangile. Voyez quels sont les fruits que Paul évoque dans sa lettre aux Galates (5, 22-23), et remarquez combien ils sont faits pour notre quotidien, pour la vie de chaque jour que le Seigneur nous donne. Ces fruits ce sont : le don de soi, la paix, la joie, la patience, la douceur, la bonté, la bienveillance, l’empathie, la fidélité, l’humilité, et la maîtrise de soi. Voilà une vigne bien garnie et qui ne peut faire que la joie de son Maître! Mais comment y parvenir?

Pour l’ami du Christ, pour le disciple bien-aimé que nous sommes, une promesse nous est faite aujourd’hui dans l’Évangile quand le Seigneur dit à ses disciples : « Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous. » 

Frères et sœurs, que ce soit là notre joie ! Cette joie profonde que Dieu donne déjà à ses enfants et que la jeune Heidi, se sachant aimée, exprimait de manière tellement touchante de vérité, quand elle disait à sa mère : «Maman, je suis tellement heureuse, comme si j’ai toujours des larmes de joie aux yeux.»

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Dimanche de Pâques : Il vit et il crut!

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 20, 1-9

Le premier jour de la semaine,
Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ;
c’était encore les ténèbres.
Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau.
Elle court donc trouver Simon-Pierre
et l’autre disciple,
celui que Jésus aimait,
et elle leur dit :
« On a enlevé le Seigneur de son tombeau,
et nous ne savons pas où on l’a déposé. »
Pierre partit donc avec l’autre disciple
pour se rendre au tombeau.
Ils couraient tous les deux ensemble,
mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre
et arriva le premier au tombeau.
En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ;
cependant il n’entre pas.
Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour.
Il entre dans le tombeau ;
il aperçoit les linges, posés à plat,
ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus,
non pas posé avec les linges,
mais roulé à part à sa place.
C’est alors qu’entra l’autre disciple,
lui qui était arrivé le premier au tombeau.
Il vit, et il crut.
Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris
que, selon l’Écriture,
il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.

MÉDITATION

Frères et soeurs, en ce matin de la résurrection, nous nous tenons éblouis devant un tombeau vide. Un tombeau à la porte grande ouverte, irradiant la lumière de Pâques. L’évangéliste Jean a cette phrase laconique au sujet du disciple bien-aimé qui se tient là avec nous : « Il vit et il crut ! ». Comme si ce tombeau vide était le dénouement logique de ce long compagnonnage avec Jésus ; un tombeau vide confirmant en quelque sorte la profondeur du mystère qui animait Jésus. C’est à ce regard de foi que nous sommes conviés ce matin.

« Il vit et il crut ! » Cet acte de foi du disciple bien-aimé est d’autant plus étonnant compte tenu de la fin tragique de Jésus. C’est le grand spirituel d’ici, Fernand Ouellette, qui écrivait : 

« Les évangélistes, faut-il le redire, rapportaient une mort infamante de Jésus sur la croix qui ne pouvait qu’accabler, humilier tout disciple par sa forme d’échec impitoyable. Ce que tout écrivain fabulateur, mythologisant n’aurait jamais voulu imaginer. On n’invente pas Jésus Christ, il a trop d’exigence, et une croix trop lourde et râpeuse pour nos épaules. En somme, nos témoins rapportaient ce qui aurait dû empêcher la naissance et l’expansion du christianisme, s’ils n’avaient pas voulu témoigner particulièrement des faits et de la foi ardente qu’ils avaient en Jésus ressuscité, Messie et Seigneur, seule voie vers le Père. »

Aujourd’hui, deux mille ans plus tard et quelques poussières, c’est cette même foi qui nous nous rassemble et nous fait vivre. Un philosophe grec (Héraclite) disait un jour : « Si tu ne sais pas espérer, tu ne pourras jamais accueillir l’inespéré. » 

En cette fête de Pâques, qui est la mère de toutes les fêtes, de toutes les attentes au cœur de la vie des hommes et des femmes de ce monde, nous proclamons que l’inespéré s’est fait chair, que le Fils du Père a habité parmi nous, et qu’il est lui le grand vainqueur de la mort. Tant qu’à nous qui sommes ses disciples, nous affirmons que nous avons reconnu sa présence au cœur de nos vies. Nous avons vus nous aussi et nous avons crus. La pierre qui retenait la vie a été roulée sur le côté. La vie qui était captive de la mort a été libérée de ses entraves, et Jésus est devenu notre éternel printemps. 

Réjouissons-nous frères et sœurs ! Rendons grâce à Dieu en ce jour de Pâques ! Car Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! Alleluia ! Amen !

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Samedi saint : Le lion qui dort

Il y a quelques années les studios Walt Disney on produit un film intitulé : Les Chroniques de Narnia: L’Armoire Magique, tiré du roman de C.S. Lewis, célèbre auteur anglican du XXe siècle.

Voici une brève description de ce conte fantastique. Le commentaire qui suit dévoile un aspect important du film (avis aux cinéphiles):

Il s’agit « des exploits de quatre enfants de la famille Pevensie -Lucy, Edmund, Susan et Peter – qui, à l’époque de la Seconde guerre mondiale en Angleterre, entrent dans le royaume de Narnia par une armoire magique en jouant à cache-cache dans une maison de campagne appartenant à un vieux professeur. Là, ils découvrent un royaume enchanteur et paisible habité par des bêtes parlantes, des nains, des faunes, des centaures et des géants condamnés à vivre dans ce monde où règne l’hiver depuis longtemps depuis que Jadis, la Sorcière Blanche, a pris le pouvoir. Sous les conseils du lion Aslan, un dirigeant noble et mystique, les enfants s’engageront dans une lutte spectaculaire pour tenter de libérer Narnia de l’emprise de la Sorcière Blanche. »

Un tournant du film est celui où le lion Aslan donne librement sa vie afin de sauver le jeune Edmund qui avait trahi les siens. La Sorcière Blanche avait le droit de réclamer la vie d’Edmund, mais Aslan s’offre à sa place. Aslan sera donc immolé par la Sorcière Blanche, mais comme l’offrande du lion Aslan est un acte d’amour parfait, il va ressusciter et mener son royaume à la victoire.

C.S. Lewis a voulu présenter une allégorie de la foi chrétienne dans ses contes de Narnia, rédigés surtout à l’intention des enfants. À n’en pas douter, le lion Aslan est sûrement inspiré de ce très vieux texte d’Éphrem le Syrien, diacre, qui écrivait dans son deuxième nocturne du Vendredi Saint :

« Dans une grande douceur, Jésus est conduit à sa Passion, bénissant ses douleurs à toute heure. Il est conduit au jugement de Pilate qui siège au prétoire, à la sixième heure on le raille, jusqu’à la neuvième heure Il supporte la douleur des clous, puis sa mort met fin à sa passion, à la douzième heure. Il est déposé de la croix : on dirait un lion qui dort. »

On dirait un lion qui dort! Comme cette image est puissante et évocatrice dans cette représentation du Seigneur Jésus face à sa mort. Elle nous aide à entrer dans le secret du silence qui enveloppe le cœur de l’Église en ce samedi saint.

Cette image du « lion qui dort » ne se retrouve pas dans les évangiles, bien sûr, et pourtant n’est-ce pas cette tranquille assurance, cette imperturbable confiance qu’évoque la scène de la tempête apaisée où l’on nous présente Jésus qui dort au milieu d’une mer déchaînée (Marc 4, 35 et ss.).

« Le lion qui dort » c’est à la fois le Fils de Dieu dans sa toute-puissance invincible, et c’est aussi le Fils de l’Homme, Jésus, qui s’en remet complètement au Père et qui nous invite à cette même confiance.

Comment ne pas entendre ici le psaume 131 où la figure du psalmiste évoque celle de Jésus dans sa parfaite obéissance au Père:

« Seigneur je n’ai pas le cœur fier… Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse; mon âme est en moi comme un enfant, l’enfant sevré contre sa mère. »

« Pourquoi avez-vous si peur? Vous n’avez pas encore de foi? », dit Jésus à ses disciples apeurés dans la barque. Encore aujourd’hui, en cette veille de Pâques, la question nous est posée à nous aussi. Trop souvent nous avons peur en tant que chrétiens. Nous sommes inquiets, incapables de vivre notre foi dans cette assurance tranquille qui était celle du Christ. En ce Samedi Saint laissons donc monter cette prière vers lui:

«Seigneur, viens au secours de notre manque de foi. En cette veille de la fête de ta glorieuse résurrection, regarde non pas notre foi, mais la foi de ton Église, et accorde-nous cette grâce pascale d’en vivre toujours, avec l’assurance du lion qui dort!

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Une croix se profile à l’horizon

Le dimanche des Rameaux, avec sa lecture de la Passion, invitait déjà les disciples du Christ à se tourner vers sa croix, vers ce rendez-vous que l’évangéliste Jean appelle « l’Heure de Jésus ». Nous sommes au coeur de ce mystère en ce Vendredi saint.

C’est Catherine de Sienne qui propose cette intuition merveilleuse : « Ce ne sont pas les clous qui retiennent le Christ sur la croix, mais l’amour. » 

Au moment d’entrer dans la contemplation de ce chemin de croix que nous allons revivre cette semaine avec Jésus en Église, il est bon de se rappeler que la croix, malgré sa laideur et la cruauté qu’elle évoque, est le lieu ultime que Dieu a choisi afin de nous dire combien il nous aime. C’est pourquoi, avec saint Paul, nous pouvons nous écrier : Oui, notre fierté c’est la croix du Christ! 

Jésus a dit oui à la croix, il l’a acceptée courageusement, mais peut-on dire qu’il l’a recherchée? « Père, si tu veux éloigner cette coupe de moi… » disait-il à Gethsémani. Et pourtant, ailleurs en saint Jean : « Comme il me tarde de boire à cette coupe… » 

Mais il n’y a pas de contradiction ici. Le oui de Jésus est un oui à l’épreuve de l’Amour, amour pour nous et amour pour le Père, où Jésus ne saurait s’esquiver. Il sait que ce don ne peut que nous apporter la vie, il est venu pour cette Heure, et c’est sur la croix qu’il va affronter le Mal dans ses derniers retranchements. C’est le grand mystère de la foi chrétienne, « scandale pour les Juifs, folie pour les païens », comme dira saint Paul. 

Jésus a dit oui à la croix, cette croix qui évoque la méchanceté des hommes, symbole de notre péché, et pourtant, Dieu dans son amour de Père, en a fait le lieu de notre réconciliation. C’est sur ce bois que l’amour du Fils de l’Homme s’est livré jusqu’au bout, au point de saisir dans son offrande toute l’humanité, toutes les générations à venir qui mettraient leur foi en lui, lui le grand vainqueur de la Mort. 

Oui, nous aussi nous proclamons un Messie crucifié. C’est là notre honte, parce que cette croix est l’expression de notre péché, et c’est là aussi notre fierté, parce qu’elle est le lieu de notre relèvement. 

Yves Bériault, o.p. Dominicain

Impensable lavement des pieds

HOMÉLIE POUR LE JEUDI SAINT

À quelques heures du rappel de la mort de Jésus, alors que nous célébrons son dernier repas avec ses Apôtres, le mystère de sa mort bouleverse tout chrétien, toute chrétienne qui prend au sérieux sa foi. Pourquoi Jésus devait-il mourir ainsi?

Bien sûr, nous savons qu’il devait mourir parce qu’il l’avait affirmé lui-même : « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne ». Nous sommes familiers avec ce passage de l’évangile, et nous savons que la mort de Jésus annonçait non seulement sa résurrection, mais aussi notre rédemption, notre salut. Mais le pourquoi fondamental de tout cela demeure caché dans le cœur du Père et nous sera révélé que lors du grand face à face dans l’éternité de Dieu. Pourquoi Jésus devait-il mourir ainsi?

Ce que nous savons, c’est qu’il y a là un mystère d’amour et c’est ce mystère que nous sommes invités à contempler ce soir en cette célébration de la Cène du Seigneur. Contempler sans tout comprendre, accueillant dans la foi, et nous faisant le plus proche possible du cœur de Jésus, comme le disciple bien-aimé reposant sur sa poitrine.

La liturgie du Jeudi Saint nous invite à contempler le geste que Jésus a posé à l’endroit de ses disciples la veille de sa passion. Car comment évoquer ce qui est au cœur de la vie de Jésus, sinon en rappelant cette image gravée à jamais dans la mémoire de l’Église : Jésus à genoux aux pieds de ses disciples.

L’enseignement de Jésus est fort simple. Il se résume dans l’accueil de Dieu, et dans l’accueil du prochain. Jamais l’un sans l’autre. Ce prochain, cet autre : l’ennemi, le mal-aimé, le pauvre, l’étranger, Jésus nous invite à le regarder avec ses yeux à lui, à poser sur l’autre un regard digne de la compassion de Dieu, vraiment porteur de son amour. Jésus nous dit ce soir, à genoux à nos pieds : « Viens à moi avec ton cœur, et tu verras avec mes yeux ».

C’est le théologien Jean Galot qui disait : « Le Christ est venu sur la terre pour provoquer un attachement à sa personne, pour attirer à lui l’humanité et l’univers. Mais avant de réclamer cette adhésion et pour l’obtenir, il s’attache lui-même aux hommes ». 

Et les hommes et les femmes qui s’attachent à lui deviennent solidaires du mystère qui l’habite et qui, à leur tour, s’attachent à leurs frères et à leurs sœurs en humanité, tout comme le Christ le fait. Voilà l’appel que nous fait entendre le Christ ce soir.

Le royaume de Dieu, nous dit Jésus, passe par une charité effective, celle de la tenue de service qui nous invite à nous laver les pieds les uns aux autres; à laver les offenses, les indifférences, les pauvretés et les blessures dont l’autre est porteur, afin de découvrir en elle, en lui, une sœur, un frère aimé de Dieu, digne de son amour et donc digne de notre attention et de notre affection.

C’est le génie de l’évangéliste Jean de nous présenter le dernier repas de Jésus avec les siens, non pas en mettant l’accent sur le pain et le vin, mais en mettant l’accent sur la portée de ce pain et de ce vin offerts par Jésus. Le pain et le vin sont signe par excellence de son offrande, de sa vie donnée, lui qui se fait nourriture pour nous. Mais ils nous révèlent aussi le sens de la mission de Jésus : le pain et le vin, c’est Jésus à nos pieds, corps et sang livrés pour nous, « parce qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime », nous dit Jésus. Et Jésus a suivi cette logique jusqu’au bout de lui-même, nous laissant en quelque sorte son testament dans ses dernières paroles : « Vous ferez cela en mémoire de moi. »

Pourquoi le Fils de Dieu devait-il mourir ainsi? Il y a là quelque chose de la folie de Dieu qui nous dépasse. Mais il y a dans la mort de Jésus un acte d’amour tellement absolu qu’il questionnera notre humanité jusqu’à la fin des temps. Et désormais, à cause de lui, mystérieusement, les hommes et les femmes qui le suivent se surprennent à vouloir aimer et servir comme lui, en dépit de leurs faiblesses, ou de leur histoire personnelle.

C’est à ce don de nous-mêmes qu’il nous invite lorsqu’il nous dit, en offrant le pain et le vin à la dernière Cène : « Vous ferez cela en mémoire de moi ». Nous sommes invités, nous aussi, à revêtir le tablier du serviteur, à devenir son corps et son sang pour le salut du monde, à devenir une éternelle offrande à la gloire du Père avec lui.

« Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, nous dit Jésus,
et vous avez raison, car vraiment je le suis.
Si donc moi, le Seigneur et le Maître,
je vous ai lavé les pieds,
vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.
C’est un exemple que je vous ai donné
afin que vous fassiez, vous aussi,
comme j’ai fait pour vous. »  Amen.

fr. Yves Bériault, o.p.

Semaine Sainte 2024

Après avoir entendu le récit tragique de la Passion et de la mort de notre Seigneur, faut-il risquer une parole supplémentaire ? Il semble que le silence et le recueillement soient le seul langage qui s’impose à nous devant le mystère de cet abaissement volontaire de Jésus, « lui qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (Ph 2,8).

Une question pourtant nous habite et parcourt 2000 ans de christianisme : Pourquoi le Fils de Dieu devait-il mourir ainsi ? Il y a là quelque chose de la folie de Dieu qui nous dépasse. Il y a dans la mort de Jésus un acte d’amour tellement absolu qu’il questionnera notre humanité jusqu’à la fin des temps. Mais ce dont nous pouvons témoigner, nous ses amis, c’est qu’à cause de lui, mystérieusement, les hommes et les femmes qui le suivent se surprennent à vouloir aimer et servir comme lui, en dépit de leurs manques, de leurs faiblesses, ou de leur histoire personnelle.

Si nous entreprenons cette marche avec Jésus en cette Semaine Sainte, c’est parce que lui le premier nous a saisis. N’a-t-il pas marqué profondément nos vies, nous laissant le témoignage d’un amour capable d’ouvrir toutes les portes, celles de nos peurs, de nos souffrances, et même de toutes nos morts !

C’est pourquoi, année après année, de Semaine Sainte en Semaine Sainte, nous montons à Jérusalem avec Jésus. Nous l’acclamons, nous marchons à ses côtés, portant sa croix avec lui, afin qu’il ne soit plus jamais seul dans son combat, dans cette vie donnée pour nous.

Frères et sœurs, c’est la Semaine Sainte qui commence. Encore une fois, sachons ouvrir nos cœurs au mystère du plus grand amour qui soit et ainsi faire nôtre la passion de Jésus Christ pour notre monde. Amen.

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 5e dimanche du carême (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 12, 20-33

En ce temps-là,
il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem
pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque.
Ils abordèrent Philippe,
qui était de Bethsaïde en Galilée,
et lui firent cette demande :
« Nous voudrions voir Jésus. »
Philippe va le dire à André,
et tous deux vont le dire à Jésus.
Alors Jésus leur déclare :
« L’heure est venue où le Fils de l’homme
doit être glorifié.
Amen, amen, je vous le dis :
si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas,
il reste seul ;
mais s’il meurt,
il porte beaucoup de fruit.
Qui aime sa vie
la perd ;
qui s’en détache en ce monde
la gardera pour la vie éternelle.
Si quelqu’un veut me servir,
qu’il me suive ;
et là où moi je suis,
là aussi sera mon serviteur.
Si quelqu’un me sert,
mon Père l’honorera.

Maintenant mon âme est bouleversée.
Que vais-je dire ?
“Père, sauve-moi
de cette heure” ?
– Mais non ! C’est pour cela
que je suis parvenu à cette heure-ci !
Père, glorifie ton nom ! »
Alors, du ciel vint une voix qui disait :
« Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
En l’entendant, la foule qui se tenait là
disait que c’était un coup de tonnerre.
D’autres disaient :
« C’est un ange qui lui a parlé. »
Mais Jésus leur répondit :
« Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix,
mais pour vous.
Maintenant a lieu le jugement de ce monde ;
maintenant le prince de ce monde
va être jeté dehors ;
et moi, quand j’aurai été élevé de terre,
j’attirerai à moi tous les hommes. »
Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.

MÉDITATION

Contrairement aux trois autres évangélistes, on ne voit pas Jésus en prière à Gethsémani dans l’évangile de Jean, mais c’est bien l’angoisse de Gethsémani que Jean évoque en nous donnant un aperçu du combat intérieur de Jésus :

« Maintenant, mon âme est bouleversée, dit-il.

Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ?

— Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! »

Jésus consent à mourir. Il sait que de sa mort surgira la vie et il se prépare à tomber en terre comme le grain de blé : «Ma vie, dira-t-il, nul ne la prend, c’est moi qui la donne.» Montant à Jérusalem pour la fête de Pâque, Jésus va s’arrêter tout d’abord chez ses amis de Béthanie, et prendre un dernier repas avec eux. Marie, la sœur de Lazare, va oindre ses pieds avec un parfum précieux, comme on le fait pour les morts au moment de leur sépulture. Jésus ne se méprend pas sur la portée de ce geste : «Laissez-la faire, dit-il, c’est pour le jour de ma sépulture qu’elle devait garder ce parfum.» 

Le lendemain, nous assistons à l’entrée triomphale à Jérusalem. Les hosannas fusent de toute part ! Les foules acclament Jésus, selon l’évangéliste Jean, parce qu’elles ont entendu parler du miracle où il a ramené Lazare à la vie. Mais Jésus le sait déjà, ces acclamations seront de courte durée, et une fois sur la croix on se moquera de lui, en lui criant : « Sauve-toi toi-même ! »

À l’occasion de sa venue à Jérusalem, des Grecs de passage pour la fête de Pâque demandent aux disciples à voir Jésus. Ce dernier va alors livrer ce qu’il faut bien appeler son testament spirituel. À la lumière de sa vie donnée, de sa vie d’homme vécue jusqu’au bout, Jésus nous dévoile en quelques mots ce que cela signifie être pleinement humain. Il nous livre en quelque sorte sa dernière béatitude. Sa formulation peut nous paraître énigmatique à première vue : « si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit.» 

L’image est des plus simple pourtant, et facile à comprendre lorsque l’on vit dans une société agricole. Ainsi, si vous laissez les semences pour le jardin sur le comptoir de la cuisine tout l’été, au terme de cette saison, vous le savez bien, vous n’aurez rien récolté. Mais si le grain est jeté dans la bonne terre, il se passe alors ce mystérieux échange, telle une promesse de vie, qui porte des fruits et rassasie la faim du monde. Ainsi, nous dit Jésus, en est-il de nos vies : « Bienheureux êtes-vous si vous donnez vos vies comme le grain de blé jeté en terre. »

Si Jésus nous en parle aussi résolument la veille de sa passion, c’est que lui le premier s’est engagé dans ce don de lui-même en prenant sur lui notre humanité. Il va maintenant livrer son combat ultime avec les forces du mal, jusqu’à affronter la mort, et l’offrande de sa vie va provoquer un revirement incroyable dans l’histoire de l’humanité. La mort sera vaincue sur le bois de la croix, et ainsi vont s’ouvrir pour nous les portes du paradis! Mais le chemin pour y parvenir est tellement paradoxal, qu’il nous rebute à première vue : « Qui aime sa vie la perd, nous dit Jésus, et qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle. » Cette affirmation de Jésus a toujours fait couler beaucoup d’encre, car la traduction plus littérale de ce que dit Jésus, telle qu’on la trouve dans la Bible de Jérusalem, c’est : «qui hait sa vie en ce monde la conservera en vie éternelle.»

Mais de quoi s’agit-il au juste ? Comment réaliser ce don de soi qui semble défier toute logique? Car la vie n’est-elle pas extraordinaire et ne sommes-nous pas créés pour aimer la vie, toutcomme nous devons nous aimer nous-mêmes? C’est Jésus lui-même qui l’affirme. Mais la réprobation de ce que Jésus appelle l’amour de sa vie évoque une tout autre réalité que le mépris de soi. Le mot haïr ici veut tout simplement dire aimer moins, préférer moins sa sécurité et son confort personnel, à la nécessité de se donner, de tout donner s’il le faut.

Le danger contre lequel Jésus veut mettre en garde ses auditeurs, c’est l’amour de soi aux horizons fermés, replié égoïstement sur une vie peu encline à sacrifier quoi que ce soi pour les autres, seulement préoccupée d’elle-même, insensible aux souffrances du prochain. Vivre ainsi sa vie, nous dit Jésus, c’est la perdre, c’est la gaspiller, alors qu’il nous invite à la faire fructifier et ainsi lui donner sa véritable direction.

L’évangéliste nous dit que c’est en prenant la main du Christ qu’on y parvient. « Si quelqu’un veut me servir, dit Jésus, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. » Comment ne pas vouloir le suivre quand nous croyons qu’il a les paroles de la vie éternelle? Remarquez qu’à chaque eucharistie nous lui disons au moment de communier à sa vie : «Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri.» 

En fait, nous demandons au Christ d’inscrire sa loi d’amour au plus profond de nos cœurs. Car en lui, c’est Dieu qui nous prend par la main, qui guérit nos cœurs blessés, fermés sur eux-mêmes, et qui nous guide dans notre vie de tous les jours qui est souvent faite de renoncements, de don de soi, et de pardons. Puisque l’amour est à ce prix! C’est cette vie-là qu’il nous faut préférer, nous dit Jésus.

À marcher jour après jour avec le Christ, il peut nous arriver de perdre de vue combien notre foi en Dieu a transformé nos vies au fil des années. Nous ne pouvons plus être les mêmes après avoir mis nos pas dans les siens et écouté sa voix. Dans un passage semblable à l’évangile de ce jour, Jésus dira à ses disciples : « Qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ! » C’est là, la grande béatitude que Jésus nous lègue, alors qu’il approche de sa passion : «Votre vie, nous dit-il, elle est faite pour être donnée aux autres, librement et généreusement, pour être semée avec passion aux quatre vents. Voilà la vie qu’il vous faut aimer, nous dit-il!» 

Que ce soit là notre joie et notre destinée avec le Christ!

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 4e dimanche du carême (B)

FAUT-IL AIMER L’ÉGLISE

PSAUME

(136 (137), 1-2, 3, 4-5, 6)

R/ Que ma langue s’attache à mon palais
si je perds ton souvenir !
 (cf. 136, 6a)

Au bord des fleuves de Babylone
    nous étions assis et nous pleurions,
nous souvenant de Sion ;
aux saules des alentours
nous avions pendu nos harpes.

C’est là que nos vainqueurs
    nous demandèrent des chansons,
et nos bourreaux, des airs joyeux :
« Chantez-nous, disaient-ils,
quelque chant de Sion. »

Comment chanterions-nous un chant du Seigneur
sur une terre étrangère ?
Si je t’oublie, Jérusalem,
que ma main droite m’oublie !

Je veux que ma langue s’attache à mon palais
si je perds ton souvenir,
si je n’élève Jérusalem
au sommet de ma joie.

MÉDITATION

Permettez-moi, en ce dimanche de la joie, de faire digression de l’évangile, et de m’inspirer seulement de quelques mots du psaume qui sont tellement évocateur pour moi. Il s’agit du refrain que nous venons d’entendre :  

Que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir !

Ce cri du psalmiste fait référence au drame d’Israël lors de son exil, près de six siècles avant Jésus-Christ, qui se lamente d’être séparé de son Temple et de son Dieu. Le Temple a été détruit par le roi Nabuchodonosor et son armée, et la population est déportée à Babylone. Ce n’est que 80 ans plus tard, qu’un nouveau roi permettra aux descendants de ces exilés de retourner à Jérusalem et de reconstruire leur Temple. Voilà pour le contexte historique. 

Que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir !

En réentendant ces paroles du psaume, paroles qui affirment l’attachement radical du peuple d’Israël à la ville sainte et à son Temple, je les fais miennes en ce qui concerne mon attachement à l’Église et au mystère qu’elle porte, oui, vous avez bien entendu, à l’Église. Je les fais miennes afin de réagir à tout ce qui la défigure et qui en fait un objet de moquerie. N’est-ce pas le pape Paul VI qui disait que l’on ne peut vraiment aimer le Christ sans aimer l’Église.

Frères et sœurs, mon homélie se veut en quelque sorte un acte de résistance et d’encouragement, en même temps qu’un acte de foi. C’est pourquoi je voudrais faire entendre en ce dimanche de la joie, un appel pressant à redécouvrir la grande richesse de notre héritage chrétien et, plus encore, l’immense bonheur de suivre le Christ tous ensemble en Église. 

Dans la vingtaine, jeune converti, je me souviens que l’une de mes grandes découvertes, alors que je commençais à connaître des chrétiens et des chrétiennes de tous horizons, de plusieurs pays, je constatais que la même foi que la mienne les faisait vivre, qu’ils éprouvaient le même amour pour le Seigneur. Je découvrais une réalité mystérieuse à l’œuvre partout dans le monde, où des hommes et des femmes, sans se connaître, vivaient d’une même communion de foi en Église. C’était là pour moi une découverte incroyable, et qui ne faisait que me confirmer dans ma foi en Jésus Christ, foi que je pouvais partager avec d’autres, d’où qu’ils soient.

Devant la crise que traverse notre Église avec sa baisse des vocations, sa baisse des fidèles, les assauts violents contre elle dans les médias, mais aussi les abus de la part de certains de ses membres, et c’est ce qui fait le plus mal, il nous faut nous poser la question suivante, que certains d’entre nous se sont déjà posée sans doute :  vais-je rester ou partir ?

J’ai beaucoup porté cette question en me demandant ce que je pourrais apporter comme raisons de rester à ceux et celles qui sont dans le doute, qui hésitent, ou qui sont blessés. Voici ce que j’aimerais leur dire.

Tout d’abord, depuis que je suis croyant, j’ai toujours aimé l’Église, mais il faut voir plus large que l’institution. Je veux parler de la force de résurrection qui s’est emparée des premiers témoins, de cette Église Mère, née au pied de la croix, avec la Vierge Marie et l’apôtre Jean, et qui s’est vue propulsée aux quatre coins du monde avec l’avènement de la Pentecôte. 

C’est cette Église, avec ses premiers fidèles rassemblés à Jérusalem, qui nous a annoncé la résurrection du Christ au matin de Pâques, qui nous a rappelé les paroles et les actions de Jésus à travers des lettres et des récits évangéliques, avec ses figures inoubliables que sont les Marie-Madeleine, les apôtres Pierre et Paul, Tite et Timothée, et combien d’autres dans les générations suivantes.

Ce sont ces premières générations de témoins qui nous ont transmis le baptême et l’eucharistie, qui nous ont légué les mystères de la foi et qui nous ont révélé que Dieu est amour. Sans ces témoins au fil des âges, rien de tout cela ne nous serait parvenu. Ni les Évangiles, ni les grands textes d’un saint Paul, d’un Jean de la Croix ou d’une Thérèse d’Avila, ni les témoignages d’un François d’Assise, d’une Thérèse de Lisieux, ou encore l’engagement parmi les pauvres avec l’abbé Pierre, sœur Emmanuel, Mgr Romero, Mère Teresa de Calcutta. La liste est sans fin. Et que dire du rôle de l’Église dans la création des hôpitaux, des écoles et des œuvres de toutes sortes au service des plus nécessiteux.

Sans l’Église, la bonne nouvelle de Jésus Christ ne nous serait jamais parvenue si des hommes et des femmes ne s’étaient mis à sillonner la Palestine et les côtes de la Méditerranée avec l’incroyable nouvelle du matin de Pâques. Il n’y aurait jamais eu personne pour nous dire combien nous sommes aimés de Dieu et que nous sommes faits pour la vie et non pas pour la mort. 

Sans l’Église, pas d’école de la prière, ni Pater Noster, ni Ave Maria. Nous serions tous orphelins de la Parole de Dieu. Nous n’aurions ni cathédrales, ni monastères, ni églises où nous recueillir et célébrer la vie.

Le mystère de l’Église à travers les siècles et les millénaires, s’exprime tout autant dans la vie des grands saints que dans la vie de tous ces hommes et ces femmes anonymes qui n’ont cessé de vivre leur foi en donnant tout d’eux-mêmes. 

Et que dire de l’héritage de la beauté que le christianisme nous a légué à travers la peinture, la sculpture, l’architecture, la musique, le chant choral, l’art de l’icône et du vitrail, l’apport des mystiques et des saints. L’héritage est immense, frères et sœurs, mais il est avant tout et surtout spirituel : c’est le don du fils de Dieu lui-même à notre monde que l’Église est appelée à annoncer et nous donner d’en vivre! Et cet héritage il est pour nous aujourd’hui, et pour chacun des jours de nos vies. 

C’est pourquoi, le psalmiste m’interpelle quand je l’entends dire :

Que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir !

Car nous aussi nous vivons une forme d’exil, et l’Église nous paraît parfois bien fragile, trop humaine même, et pourtant elle porte en elle-même un mystère capable de sauver le monde, une vie à la fois. Voici un bref témoignage en ce sens. Il s’agit du prêtre orthodoxe Alexandre Men, figure prophétique en Union soviétique, qui a fait l’expérience d’une Église persécutée, réduite à sa plus simple expression. Il fut assassiné en 1990, alors qu’il se rendait célébrer la liturgie dominicale.

La veille de sa mort, le 8 septembre 1990, il affirmait dans une conférence : « Le christianisme n’en est qu’à ses débuts. Son “programme”, appelons-le ainsi, est prévu pour des millénaires… Le christianisme est ouvert sur tous les siècles, sur le futur, sur le développement de toute l’humanité. C’est pourquoi il est capable de renaître constamment. Au fil de son histoire, il peut traverser les crises les plus pénibles, se trouver au bord de l’extermination, de la disparition physique ou spirituelle, mais à chaque fois il renaît. Non pas parce qu’il est dirigé par des personnes exceptionnelles – ce sont des pécheurs comme tout le monde —, mais parce que le Christ lui-même nous l’assure : “Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde” (Mt 28, 20). Le Seigneur n’a pas dit : “Je vous laisse tel ou tel texte, que vous pouvez suivre aveuglément.” […] Non, le Christ a dit : “Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde.” Il n’a pas parlé de quelques écrits, de Tables de la Loi, de certains signes et symboles particuliers. Il n’a rien laissé de tel, mais il s’est laissé lui-même, lui seul. »

Frères et sœurs, voilà la grâce que l’Église nous annonce et nous donne en partage. Que ce soit là notre joie ! Amen.

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 3e dimanche du Carême (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 2, 13-25

Comme la Pâque juive était proche,
Jésus monta à Jérusalem.
Dans le Temple, il trouva installés
les marchands de bœufs, de brebis et de colombes,
et les changeurs.
Il fit un fouet avec des cordes,
et les chassa tous du Temple,
ainsi que les brebis et les bœufs ;
il jeta par terre la monnaie des changeurs,
renversa leurs comptoirs,
et dit aux marchands de colombes :
« Enlevez cela d’ici.
Cessez de faire de la maison de mon Père
une maison de commerce. »
Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit :
L’amour de ta maison fera mon tourment.
Des Juifs l’interpellèrent :
« Quel signe peux-tu
nous donner
pour agir ainsi ? »
Jésus leur répondit :
« Détruisez ce sanctuaire,
et en trois jours je le relèverai. »
Les Juifs lui répliquèrent :
« Il a fallu quarante-six
ans pour bâtir ce sanctuaire,
et toi, en trois jours tu le relèverais ! »
Mais lui parlait du sanctuaire de son corps.

Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts,
ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ;
ils crurent à l’Écriture
et à la parole que Jésus avait dite.
Pendant qu’il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque,
beaucoup crurent en son nom,
à la vue des signes qu’il accomplissait.
Jésus, lui, ne se fiait pas à eux,
parce qu’il les connaissait tous
et n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ;
lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme.

MÉDITATION

Le récit des vendeurs chassés du temple chez l’évangéliste Jean fait suite au miracle de Cana où Jésus, après avoir changé l’eau en vin, annonce un événement encore plus prodigieux lorsqu’il se rend à Jérusalem pour la fête de Pâque. Il y annonce un Temple nouveau! Alors que chez les évangélistes Marc, Mathieu et Luc, l’épisode des vendeurs du Temple précède de peu la condamnation de Jésus, Jean lui le place au tout début de son évangile, affirmant ainsi d’entrée de jeu que Jésus est le Temple nouveau où sera rendu à Dieu le culte véritable. Cette affirmation va marquer tout son évangile.

Relisons ensemble le récit. Nous y voyons que l’état lamentable du Temple indigne Jésus au plus haut point. Il le compare à une maison de commerce et, confectionnant un fouet, il en chasse les marchands et leurs animaux, tout en renversant les tables des changeurs de monnaies. « Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce», s’écrit-il. Quand certains lui demandent de quelle autorité, il agit ainsi, il répond : «Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai». Ses auditeurs comprennent qu’il prétend pouvoir reconstruire le Temple en trois jours, Temple que l’on a quand même mis 46 ans à construire! Mais Jésus veut parler du sanctuaire de son corps. Entende qui a des oreilles pour entendre!

Et voilà que dans ce récit, le Messie se tient debout sur l’esplanade du Temple et, par son geste prophétique, semble prendre possession de la maison qu’il appelle la maison de son Père, annonçant par le fait même un nouvel Exode pour le peuple d’Israël, ainsi que pour l’humanité tout entière. Jésus promet un Temple nouveau qui ne sera plus fait de main d’homme, mais qui sera l’œuvre même du Fils de Dieu. C’est Dieu lui-même qui nous construira un temple, car l’ancien culte est désormais révolu. Finis les animaux, les sacrifices et les tables des changeurs! Ce que Jésus évoque par ses paroles, c’est l’avènement du mystère de l’Église, Corps du Christ, d’où couleront les eaux vives du baptême ainsi que le vin nouveau de l’Eucharistie. Ce nouveau Temple que Jésus vient inaugurer permettra désormais d’offrir au Père un culte en esprit et en vérité, comme Jésus en fera l’annonce à la Samaritaine.

Ce culte nouveau qui est annoncé par Jésus ne doit toutefois pas nous faire illusion. Il exigera beaucoup des disciples puisque Jésus lui-même devra donner sa vie pour l’inaugurer. D’ailleurs, saint Paul l’affirme de manière provocante et sans détour dans sa première lettre aux Corinthiens : « Alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié. » Et c’est ainsi que les disciples du Crucifié seront appelés à faire leur, sa vie offerte. Voilà le culte qui sera désormais célébré dans le Temple nouveau : c’est-à-dire la remise totale de nos vies entre les mains du Père! 

Oui, cela peut sembler paradoxal selon les valeurs de notre monde, mais nous prêchons bel et bien un Messie crucifié puisque le combat du Christ nous entraîne dans le sien! C’est le seul culte qui importe pour nous. Alors que les religions du monde se représentent toujours la divinité comme une toute-puissance invincible, la révélation chrétienne ouvre une brèche dans notre représentation de Dieu. Sans nier sa toute-puissance, voilà qu’en Jésus-Christ se tient devant nous un Dieu portant dans sa chair tout ce qui peut peser à notre fragilité humaine, se faisant solidaire de chacun et chacune de nous.

Et c’est ainsi que le Fils de Dieu va naître dans une étable, comme un pauvre. Il va connaître la faim et la soif comme nous, la souffrance et l’abandon, le rejet et le mépris. Il va même mourir assassiné, exclu de la cité, crucifié comme un malfaiteur. D’ailleurs, c’est avec la dure réalité de notre fragilité humaine, portant toujours la marque des plaies vives de sa passion, que le Seigneur Jésus-Christ se tiendra debout et victorieux au matin de Pâques et apparaîtra à ses disciples, pour nous rappeler jusqu’où il est venu habiter nos souffrances, jusque dans la mort même.

Comment comprendre ce que Paul appelle la « folie de la croix » si ce n’est qu’en Jésus nous contemplons le visage d’un Dieu fou d’amour, qui se joue de nos représentations les plus enfantines de la divinité, pour nous dévoiler un Dieu qui est Amour, et qui n’est que cela! En Jésus-Christ nous faisons l’expérience que l’amour se réalise véritablement que lorsqu’il va jusqu’au bout de lui-même. C’est cet amour qui s’est manifesté à nos yeux d’hommes et de femmes voilà deux mille ans, assumant pleinement une vie humaine sans détour, ouvrant en nous des sources secrètes que seul Dieu pouvait libérer, nous donnant ainsi accès à notre pleine stature d’hommes et de femmes créés à l’image de Dieu. Voilà le temple que Jésus vient inaugurer!

C’est pourquoi nous prêchons un Messie crucifié ! Un Messie qui étend les bras vers tous ceux et celles qui ont soif de bonheur et qui vient quémander notre amour, sans jamais s’imposer. Il se fait pauvre avec les pauvres que nous sommes, afin que nous devenions riches de sa richesse à lui. Mais pour cela, il nous faut nous tenir tout près de sa croix, pierre de fondation du Temple nouveau qu’il vient inaugurer. 

Je pense ici à notre frère dominicain Pierre Claverie, qui était évêque du diocèse d’Oran, en Algérie, mort martyr en 1996. Ce dernier expliquait, deux mois avant son assassinat, le pourquoi de son refus obstiné de quitter une Algérie où sa vie était sans cesse menacée, dans un contexte de guerre qui a fait plus de deux-cent-mille morts. Comme les moines de Tibhirine, Mgr Claverie ne voulait pas abandonner ses amis algériens en cette terre d’Islam.

« Nous sommes là-bas, disait-il, à cause de ce Messie crucifié. […] Comme Marie, sa mère et saint Jean, nous sommes là au pied de la Croix où Jésus meurt abandonné des siens et raillé par la foule. N’est-il pas essentiel pour le chrétien d’être présent dans les lieux de souffrance, dans les lieux de déréliction, d’abandon ? […] Où serait l’Église de Jésus-Christ, elle-même Corps du Christ, si elle n’était pas là d’abord? Je crois qu’elle meurt de n’être pas assez proche de la Croix de son Seigneur. »

Frères et sœurs, la leçon qui se dégage pour nous de la Parole de Dieu en ce dimanche pourrait s’exprimer ainsi: À Temple nouveau, pierres nouvelles, pierres vivantes cuites au feu de l’Esprit Saint, faisant leur, la passion de leur Maître et Seigneur, puisque nous prêchons un Messie crucifié!

Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 2e dimanche du carême (B)

La Transfiguration ou voir Dieu

(Homélie pour la communauté chrétienne universitaire de l’Université de Montréal)

En 1996, plusieurs d’entre vous n’étant encore qu’une pensée dans le cœur de Dieu, les frères dominicains du Canada ont mis sur pied un site internet afin de présenter leur mission. Une des originalités de ce site était d’offrir une forme d’accompagnement spirituel en ligne, une sorte de courrier de l’âme, où quatre à cinq frères répondaient à plus de trois cents demandes d’aide par année. Ce travail s’est poursuivi pendant plusieurs années. Un jour, j’ai reçu un courriel d’une maman désemparée : « J’ai un fils de 4 ans, écrit-elle, à qui j’ai raconté l’histoire de Jésus avec l’aide d’un livre pour enfant. Sa réaction fulgurante m’a prise au dépourvu. Il s’est mis à pleurer de ne pouvoir voir Dieu. Il est alors venu se réfugier dans mes bras et il est demeuré ainsi plusieurs minutes, à pleurer silencieusement. Même si nous lui disions, son père et moi, que nous ne pouvons pas plus voir Dieu que lui, mais que nous le ressentions, que la création était une preuve de sa présence, rien n’y faisait. Nous lui avons donc raconté qu’à Noël, nous ne pouvons voir le Père Noël puisqu’il doit s’occuper de tous en même temps, tout comme Dieu à tous les jours, mais que nous savions qu’il est passé par les cadeaux trouvés au matin, tout comme nous savons que Dieu existe par l’amour et la création. Je me demande ce que je peux faire de plus. Signé: Une maman bien dépourvue ».

Voilà une touchante histoire où la demande de l’enfant peut sembler déraisonnable, mais n’est-ce pas le psalmiste qui s’écrie : «C’est ta face Seigneur que je cherche, ne me cache pas ta face» (ps. 26). Et voilà que plusieurs siècles plus tard, la gloire de Jésus est dévoilée à Pierre, Jacques et Jean sur la montagne, alors que se fait entendre la voix de Dieu, en présence de Moïse et du prophète Élie. 

Frères et sœurs, voir Dieu, de mille et une manières, est en quelque sorte au cœur même de l’expérience de foi. Et le récit de la Transfiguration est comme un récit initiatique qui résume en lui-même ce que c’est que de croire en Jésus Christ et de le suivre comme si on voyait l’invisible.

Ce soir j’aimerais vous inviter à entreprendre l’ascension de cette « montagne sainte » qui se dresse devant nous, là où Jésus entraîne trois de ses apôtres. Mais situons tout d’abord notre récit. Ce récit de la Transfiguration est d’une importance capitale dans les évangiles. Trois évangélistes sur quatre en font mention et l’Apôtre Pierre en parle lui aussi dans sa deuxième lettre (1:16-18) disant avoir été avoir été, avec Jacques et Jean, témoin oculaire de la majesté de Jésus : «Cette voix, dit-il, nous, nous l’avons entendue; elle venait du Ciel, nous étions avec lui sur la montagne sainte».

L’événement de la Transfiguration survient après la première de trois annonces que fait Jésus de sa passion à venir. Les disciples en sont bouleversés. Ils ont peur. Leur confiance en Jésus est mise à l’épreuve, et c’est dans ce contexte que Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les amène sur la montagne, les préparant ainsi à vivre la passion/résurrection à venir. À la manière d’une icône qu’il faut contempler longuement, la transfiguration de Jésus nous dévoile toute la grandeur du mystère dans lequel nous engage notre baptême. 

Alors, vous êtes prêts? Entreprenons donc notre montée qui se fera en trois étapes. Le versant nord, le sommet et le versant sud de la montagne. Le versant nord est celui de l’ascension. C’est le côté abrupt et aride, jouissant très peu de la lumière du soleil. C’est une montée qui se fait en quelque sorte dans l’obscurité. L’obscurité de la fragilité humaine, de nos vies aux prises avec le mal de vivre, la quête de sens et du bonheur qui nous échappent. Le versant nord c’est le lieu du doute et du combat pour nous, tout comme pour les trois apôtres qui ont entrepris cette montée. Mais ils ne sont pas seuls. Jésus monte avec eux. Il en est ainsi pour nous. Cette montée du versant nord se compare à un temps de conversion, un temps de retour vers Dieu afin de retrouver l’intimité perdue. L’enjeu, c’est le rapprochement avec le Christ, et il n’y a pas de rapprochement possible si l’on ne prend pas la pleine mesure de nos pauvretés et de notre profond besoin de Dieu. Voilà pourquoi Jésus s’engage avec nous dans cette ascension. C’est le temps de la conversion, du retournement du cœur.

C’est seulement après un tel parcours que l’on parvient au sommet, où l’horizon est sans fin et le mystère se déploie devant nos yeux. Les disciples entrent dans la pleine lumière où ils sont témoins de la prière de Jésus. Une prière qui a ses racines dans la Loi et les Prophètes, et dont Moïse et Élie sont les représentants. Alors que la gloire de Jésus se manifeste aux disciples, l’icône devient trinitaire. Le Père s’entretient avec le Fils alors que les disciples, eux, entrent dans la nuée, symbole de l’Esprit Saint, lui qui nous fait participants de ce dialogue intime entre le Père et le Fils, et où la véritable nature de Jésus nous est dévoilée : «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le!»

Enfin, voici le troisième versant de la montagne. Nous nous engageons dans la descente du mont de la Transfiguration. C’est le versant sud, celui qui est le plus ensoleillé et qui conduit à la plaine de nos engagements, de nos projets et de nos luttes. Les ténèbres ont disparu et les disciples baignent déjà dans la lumière de la résurrection, témoins éblouis de la gloire du Christ, annonçant au monde qui il est, le Fils bien-aimé du Père, Dieu lui-même.

Voilà frères et sœurs, ma description bien personnelle de cette icône de la Transfiguration. À travers cette image, je souhaite simplement vous donner le goût de Dieu et de l’aventure spirituelle qui nous est proposée dans le Christ, car il n’y a pas de plus grand bonheur. Bon carême!

fr. Yves Bériault, o.p.

Méditation pour le 1er Dimanche du Carême

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 1, 12-15

Jésus venait d’être baptisé.
Aussitôt l’Esprit le pousse au désert
et, dans le désert,
il resta quarante jours,
tenté par Satan.
Il vivait parmi les bêtes sauvages,
et les anges le servaient.

Après l’arrestation de Jean,
Jésus partit pour la Galilée
proclamer l’Évangile de Dieu ;
il disait :
« Les temps sont accomplis :
le règne de Dieu est tout proche.
Convertissez-vous
et croyez à l’Évangile. »

L’appel à la conversion en ce temps de carême nous concerne tous puisque le monde en dépend. La conversion nous entraîne sur des chemins non balisés et exigeants, loin des chemins battus de la tentation. Il s’agit véritablement d’un revirement sur nous-mêmes, où la quête de notre véritable identité est en jeu dans cet espace que la Bible appelle le désert.

            Ce désert qu’évoque la Bible, dans une lecture de premier niveau, est une terre de malédiction où vivent les démons et les bêtes sauvages. Mais le désert qui nous préoccupe, celui où est mené Jésus par l’Esprit Saint, est celui-là même où est conduit le Peuple de Dieu à sa sortie d’Égypte. Ce désert va devenir le lieu de l’épreuve et de la tentation, mais avant tout le lieu de la présence de Dieu. Un temps de passage et de reconnaissance où Dieu accompagne, nourrit, désaltère et conduit. Le désert est un lieu où l’on vit l’expérience de se situer devant Dieu comme seul guide. C’est le temps de la confiance et de la fidélité, c’est un retour à l’essentiel. Et c’est là que Jésus nous entraîne en ce temps de carême.

            Entrer au désert, c’est se rappeler à chaque année que l’essence même de la vie de foi se vit dans un abandon entre les mains de Dieu, dans cette attitude même du Fils, qu’est Jésus, et qui se laisse conduire par l’Esprit. Ce désert évoque aussi la tentation, la présence de forces adverses en nous qui veulent nous faire renoncer à notre vie d’enfant de Dieu. Et souvent nous tombons, nous cédons… C’est pourquoi le désert est aussi une expérience de conversion, un appel à renoncer à nos façons de faire lorsqu’elles sont un refus de l’amour de Dieu qui se traduit nécessairement par un refus de l’autre.

            Le carême est un appel à la conversion. Mais nous convertir de quoi. Tant que nous n’aurons pas saisi l’enjeu de cette conversion, nos prières, nos célébrations demeureront stériles. Si la grâce de Dieu nous est donnée, il faut coopérer à la grâce afin d’être des signes lumineux dans le monde. L’abbé Pierre, cet apôtre des pauvres, avait cette formule lumineuse : « Il y a la contagion du mal, comme il y a la contagion de l’amour. » C’est dans cette dynamique que nous entraîne l’expérience du désert, le face-à-face avec Dieu comme seul guide pour nous apprendre à aimer.

            Il est vrai que l’on se sent démuni devant ce monde qui constamment nous glisse entre les mains, comme un enfant turbulent que l’on voudrait retenir, un monde qui nous échappe constamment et qui est capable du meilleur comme du pire. Non pas que l’homme soit mauvais, mais il y a la contagion du mal, d’où la nécessité de nous tourner vers la source de tout amour, car nos actions à petite échelle ont un effet déterminant sur la réalité qui nous entoure pour le meilleur comme pour le pire.

            S’il nous est difficile de nous situer dans notre vie comme ayant besoin de conversion, c’est que l’on oublie trop souvent le lien qui existe entre les drames humains internationaux, à l’échelle de la planète, et notre petit quotidien et nos façons de faire. Non pas que nous soyons méchants, mais il nous arrive trop souvent de laisser dominer le mal sur nos vies. À petite échelle, ça semble avoir bien peu de conséquences. Petites paroles désobligeantes, envie et jalousie, un malin plaisir à s’en prendre à des personnes qui nous déplaisent, un petit geste malhonnête par-ci, un refus de pardonner par-là, ou encore, encourager par nos paroles l’intolérance à l’endroit des étrangers, des réfugiés, des pas-comme-nous… Une foule de petits drames humains en puissance que l’on sème par nos paroles et nos actions et que les enfants apprennent de leurs parents. Et l’on n’a pas besoin de conversion ? 

Un incroyant disait à l’abbé Pierre : « Monsieur le curé, je ne sais pas si le bon Dieu existe, mais je suis sûr que s’il existe il est ce que vous faites. » À nous de faire de même, comme Jésus nous en donne l’exemple.

Fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 6e Dimanche T.O. (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là,
un lépreux vint auprès de Jésus ;
il le supplia et, tombant à ses genoux, lui dit :
« Si tu le veux, tu peux me purifier. »
Saisi de compassion, Jésus étendit la main,
le toucha et lui dit :
« Je le veux, sois purifié. »
À l’instant même, la lèpre le quitta
et il fut purifié.
Avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt
en lui disant :
« Attention, ne dis rien à personne,
mais va te montrer au prêtre,
et donne pour ta purification
ce que Moïse a prescrit dans la Loi :
cela sera pour les gens un témoignage. »
Une fois parti,
cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle,
de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville,
mais restait à l’écart, dans des endroits déserts.
De partout cependant on venait à lui.

COMMENTAIRE

Comme le souligne le pape François, il y a tant de larmes en ce monde et personne pour les essuyer. Ce constat du pape m’a entrainé sur des chemins inattendus en méditant cet évangile, méditation qui peut surprendre. Vous voilà donc avertis ce matin.

J’ai eu l’occasion de rencontrer bien des lépreux à travers mon ministère dans différentes paroisses. Non pas des lépreux comme celui de l’évangile, mais des personnes portant une grande douleur sans être accueillies, ou se voyant comme des lépreux aux yeux du monde, ou encore lépreux aux yeux de personnes convaincues de posséder la vérité. Et c’est ainsi que des lépreux se tiennent parmi nous, avec leurs souffrances et leur expérience de rejet. Que ferait Jésus à notre place? C’est toujours ce qui doit nous animer en tant que chrétiens et chrétiennes, d’où le but de cette réflexion que je vous propose ce matin.

Ainsi, je pense à ce couple homosexuel se voyant imposer de célébrer des funérailles catholiques par la mère défunte de l’un des deux. Ils voulaient respecter ses dernières volontés, mais ne voyaient pas comment une église pourrait les accueillir. Leur souffrance et leur sentiment de rejet étaient bien réels et ils se présentaient à l’église comme en territoire ennemi, ne sachant trop s’ils seraient accueillis. Les funérailles ont quand même pu être célébrées avec beaucoup de respect et d’émotion, mais grâce à la qualité de l’accueil du personnel de la paroisse.

Je pense à une paroissienne transgenre que j’ai bien connue. Elle se venait tous les jours à la messe, une heure avant la messe! Une férue de Catherine de Sienne, et de Thérèse d’Ávila. Elle s’offrait spontanément pour servir à la messe ou pour faire les lectures. L’église était devenue une oasis de paix pour elle, elle qui vivait tellement de rejet dans son quartier et dans sa famille. Mais elle était chez elle à l’église avec ses blessures, se sachant accueillie inconditionnellement par de nombreux paroissiens. Je crois que Jésus n’aurait pas fait mieux.

Et que dire de cet homme, divorcé remarié, qui m’avait avoué qu’il tenait tellement à venir à la messe, qu’il s’assoyait derrière une colonne, afin que personne ne le voie, car, disait-il, il ne voulait pas être cause de scandale pour la communauté. Quelle souffrance et quelle détresse chez lui que de vivre cette exclusion de l’eucharistie, exclusion qu’il acceptait par fidélité aux exigences de son Église ! Question que nous avons pu aborder ensemble, et où il a retrouvé une certaine paix. Maintenant, il est auprès du Père, auprès de celui qu’il a tant aimé, lui à qui l’on avait laissé entendre qu’il n’était peut-être pas un chrétien à part entière. 

Il faut bien se rendre compte de l’impact de nos règles et de nos lois quand la miséricorde n’est pas au rendez-vous. C’est ce que le pape François essaie de faire comprendre depuis le début de son pontificat.

Une des rencontres les plus bouleversantes pour moi je pense, est cette infirmière se déclarant athée et que j’ai retrouvée un jour en pleurs à l’arrière de l’église me demandant si elle avait le droit de venir à la messe, même si elle n’avait pas la foi. Non pas qu’elle ne voulait pas croire, mais elle s’en disait incapable. Mais cela lui faisait tellement de bien, disait-elle, de se tenir sous la voûte de l’église, écoutant les chants, goûtant le silence… Elle avait œuvré auprès des prostitués et des drogués d’un quartier mal famé pendant des années; elle avait ensuite été en mission au Nicaragua pendant la révolution sandiniste, et au Rwanda pendant le génocide. Pourtant elle doutait qu’elle ait le droit de se tenir dans une église! Comme le souligne le pape François, il y a tant de larmes en ce monde et personne pour les essuyer. 

Je garde aussi un souvenir douloureux de mon enfance, alors que je n’avais que huit ou neuf ans. C’était un dimanche et la rumeur avait vite circulé dans mon petit quartier tout neuf de banlieue que des témoins de Jéhovah faisaient du porte-à-porte. C’était du jamais vu à cette époque des années cinquante. De bons pères de famille, quatre ou cinq, sans doute encouragés par le curé, s’étaient rapidement mobilisés afin de chasser ces intrus à coups de pied. J’ignorais tout des témoins de Jéhovah et j’avais peur. Pourtant, en les voyant entourés par ces hommes en colère et hostiles, je me souviens aussi avoir éprouvé un sentiment indéfinissable de honte. Sentiment que je n’ai jamais oublié en lien avec cette scène de violence pour le jeune enfant que j’étais. 

Vous comprendrez, sans doute, que nous devons nous méfier quand la foi se définit essentiellement en fonction d’un système de croyances absolues et rigides. Ne disait-on pas de Jésus qu’il faisait bon accueil aux pécheurs, qu’il frayait avec les publicains et les prostituées! Notre appel à nous, frères et sœurs, c’est d’être tout simplement les témoins d’une compassion et d’un amour qui nous dépassent.

Voyez l’évangile de Marc en ce dimanche qui nous rappelle le geste audacieux de Jésus à l’endroit d’un lépreux, lépreux qu’il osa toucher en le guérissant, ce qui allait à l’encontre de tout ce que prescrivait la loi juive. Remarquez que Jésus ne demande pas un certificat de bonne conduite au lépreux, il le guérit tout simplement. À nous de faire de même. Comme l’exprimait un théologien dominicain,  la doctrine ne saurait verrouiller la miséricorde.  (fr. Garrigues). Non pas que nous soyons d’accord avec toutes les valeurs que met de l’avant notre société, mais l’intolérance et l’exclusion ne font pas parties de notre ADN évangélique.

Je crois que le pape François nous en donne un bel exemple à travers son ministère de pasteur et de frère dans la foi. Comme lui, nous avons pour mission non seulement d’annoncer Jésus-Christ à notre monde, mais nous sommes appelés aussi à élargir sans cesse notre compréhension de l’évangile du Christ, car c’est une Parole vivante qu’on ne peut ni enfermer ni aseptiser, car l’Esprit Saint nous précède toujours dans notre rencontre de l’autre. 

Dès l’annonce officielle de son programme au début de son pontificat, le pape François faisait cet acte de foi : « Je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort qui consiste à s’accrocher à ses propres sécurités. ». 

Voilà un pape qui, en ses propres mots, nous invite à « l’intranquillité ». Ce n’est qu’à ce prix, frères et sœurs, que l’évangile pourra véritablement prendre racine en nos vies. Que ce soit là notre joie!

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Samedi de la 4e semaine. Méditation

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 6, 30-34

En ce temps-là,
    les Apôtres se réunirent auprès de Jésus,
et lui annoncèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné.
    Il leur dit :
« Venez à l’écart dans un endroit désert,
et reposez-vous un peu. »
De fait, ceux qui arrivaient et ceux qui partaient étaient nombreux,
et l’on n’avait même pas le temps de manger.
    Alors, ils partirent en barque
pour un endroit désert, à l’écart.
    Les gens les virent s’éloigner,
et beaucoup comprirent leur intention.
Alors, à pied, de toutes les villes,
ils coururent là-bas
et arrivèrent avant eux.
    En débarquant, Jésus vit une grande foule.
Il fut saisi de compassion envers eux,
parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger.
Alors, il se mit à les enseigner longuement.

MÉDITATION

Bien que l’évangéliste Marc souligne à grands traits la figure imposante de Jésus au tout début de son évangile,, alors que les cieux se déchirent lors de son baptême, et que lui-même commence son ministère en chassant les démons, en prêchant avec autorité, l’évangile ce matin nous dévoile un des fils conducteur qui soutient tout le ministère de Jésus, et j’ai nommé sa compassion. 

D’ailleurs, cette réalité au cœur de sa mission s’affirme progressivement dans l’évangile de Marc, dès les tout premiers chapitres. Il suffit de faire la lecture des six premiers chapitres, qui nous conduisent à l’évangile de ce matin, pour être à même de le constater. 

Chronologiquement, nous voyons Jésus prendre un repas avec les publicains et les pécheurs, et ainsi se faire proche des exclus. Après les premières scènes de l’évangile, où il chasse les démons, c’est lui qui peu à peu va au-devant de ceux qui sont malades, tel l’homme à la main desséchée et la belle-mère de l’apôtre Pierre.

Ses interactions avec ceux et celles qu’il guérit se font de plus en plus personnelles, plus intimes je dirais, telle cette femme qui a des pertes de sang depuis plus de douze ans, et avec qui Jésus engage un dialogue tout empreint de tendresse et de compréhension; de même avec Jaïre, le chef de synagogue, et sa fille qu’il guérit, et pour qui il est plein d’attention après sa guérison en demandant qu’on la fasse manger; ou encore à la multiplication des pains, où Jésus ne peut demeurer insensible à cette foule qui a faim. 

Jésus affirmera même devant sa famille que ceux et celles qui écoutent sa parole sont véritablement pour lui des frères, des sœurs et des mères. On est loin d’un personnage qui serait indifférent à ceux qui l’approchent. Jésus établit ici un nouveau mode de relations qui dépasse de loin les convenances habituelles. Il s’agit véritablement d’une communion d’amour que seule l’analogie avec les liens familiaux peut évoquer.

Ce Jésus, Marc nous le dévoile peu à peu comme un tendre en quelque sorte, un homme attentif et sensible, éminemment proche de tous ceux et celles qu’il côtoie. Et cette réalité est plus qu’évidente ce matin dans l’évangile, alors que Marc nous fait entrer dans la vie intérieure de Jésus, lui qui devant les foules qui accourent vers lui, est « saisi de compassion envers elles, nous dit l’évangéliste, parce qu’elles étaient comme des brebis sans berger. Alors, nous dit Marc, malgré la fatigue et le repos bien mérité, il se mit à les enseigner longuement. »

La décision de Jésus est sans équivoque ici devant cette foule qui se presse autour de lui et des apôtres. Le sort en est jeté. De ces foules, il sera le bon pasteur, celui qui conduit les brebis vers les frais pâturages, leur annonçant combien elles sont aimées de Dieu. À travers son style en apparence anecdotique, l’évangéliste Marc, nous place ici au cœur même de la mission de Jésus. Il est prêt à tout donner de lui-même.

Et voici que deux mille ans plus tard, frères et soeurs, nous sommes rassemblés dans cette église, comme cette foule autour de Jésus dans l’évangile, ou plus exactement comme ces soixante-douze disciples revenant de mission. Car nous revenons de mission chaque matin lorsque nous nous rassemblons pour l’eucharistie. Nous venons déposer ici nos fardeaux à ses pieds, lui confiant tout ce qui nous importe, tout ce qui nous tient à cœur, prêts à repartir après avoir été rassasiés. 

Car la mission de Jésus, c’est aussi la nôtre désormais, puisque cet amour dont il a témoigné vient de Dieu, et nous a été confié. Jésus nous a laissé en héritage la garde et la responsabilité du prochain, appelés nous aussi à nous laisser saisir de compassion, de cette compassion sans borne qui vient de Dieu, et qui est capable de tout pardonner, de tout guérir, comme en témoigne l’évangile.

C’est la philosophe Simone Weil, dans son livre Attente de Dieu, qui écrivait à ce sujet :

« L’amour du prochain est l’amour qui descend de Dieu vers l’homme. Il est antérieur à celui qui monte de l’homme vers Dieu. Dieu a hâte de descendre vers les malheureux. Dès qu’une âme est disposée au consentement, fût-elle la dernière, la plus misérable, la plus difforme, Dieu se précipite en elle pour pouvoir, à travers elle, regarder, écouter les malheureux. Avec le temps seulement, elle prend connaissance de cette présence. Mais ne trouverait-elle pas de nom pour la nommer, partout où les malheureux sont aimés pour eux-mêmes, Dieu est présent. » (Simone Weil. Attente de Dieu. La Colombe, 1950, pp. 110-111) 

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 5e Dimanche T.O. (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 1, 29-39

En ce temps-là,
aussitôt sortis de la synagogue de Capharnaüm,
Jésus et ses disciples allèrent, avec Jacques et Jean,
dans la maison de Simon et d’André.
Or, la belle-mère de Simon était au lit,
elle avait de la fièvre.
Aussitôt, on parla à Jésus de la malade.
Jésus s’approcha,
la saisit par la main
et la fit lever.
La fièvre la quitta,
et elle les servait.

Le soir venu, après le coucher du soleil,
on lui amenait tous ceux qui étaient atteints d’un mal
ou possédés par des démons.
La ville entière se pressait à la porte.
Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies,
et il expulsa beaucoup de démons ;
il empêchait les démons de parler,
parce qu’ils savaient, eux, qui il était.

Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube.
Il sortit et se rendit dans un endroit désert,
et là il priait.
Simon et ceux qui étaient avec lui partirent à sa recherche.
Ils le trouvent et lui disent :
« Tout le monde te cherche. »
Jésus leur dit :
« Allons ailleurs, dans les villages voisins,
afin que là aussi je proclame l’Évangile ;
car c’est pour cela que je suis sorti. »

Et il parcourut toute la Galilée,
proclamant l’Évangile dans leurs synagogues,
et expulsant les démons.

MÉDITATION

L’évangéliste Marc nous présente une journée type dans la vie publique de Jésus. On le voit guérir les malades et chasser les démons; il se retire bien avant l’aube pour aller prier à l’écart; dès le matin, il reprend la route afin d’annoncer la bonne nouvelle du Royaume : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, dit-il à ses disciples, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. » Jésus est un homme POUR les autres. Sa mission est d’inaugurer la venue du Royaume. Il en est la pierre angulaire. Il nous dévoile le vrai visage de Dieu et il vient non seulement pour nous le faire connaître, mais aussi pour nous donner le goût de Dieu. 

Un de mes professeurs de théologie avait cette expression pour parler du Royaume de Dieu : « le déjà-là et le pas-encore ! » Le « pas-encore », c’est cette réalité du ciel qui nous sera dévoilée un jour, quand de nos yeux nous verrons Dieu. C’est là une promesse inouïe, vous en conviendrez. Mais est-ce suffisant pour soutenir notre espérance, pour justifier notre foi et nous dire chrétiens ? Même si cette réalité du ciel je l’anticipe plus que jamais depuis le décès de mes parents ou de personnes qui me sont très chères, je dois avouer que je ne crois pas avant tout parce que je veux aller au ciel. 

Bien sûr que je veux y aller, mais je crois surtout parce qu’il y a ce « déjà là » que Jésus est venu instaurer, ce Royaume qui est au milieu de nous et qui est cette présence et cette action de l’Esprit du ressuscité en nous. Ce « déjà-là », c’est cette vie intérieure de l’Esprit qui nous anime, c’est la joie de croire qui nous fait vivre dès maintenant! Parce que la foi ouvre sur Quelqu’un qui nous aime, une présence à nos vies qui nous donne de voir le monde avec des yeux neufs, avec ce regard que Jésus portait sur notre réalité humaine.

C’est ainsi que je comprends ce feu qui anime le cœur de l’apôtre Paul quand il affirme qu’annoncer l’Évangile, c’est une nécessité qui s’impose à lui.  Comme le disait le saint Pape Jean-Paul II : « Comment taire la joie qui nous habite ! » Saint Paul, lui qui persécutait les chrétiens, est maintenant habité par un amour qui non seulement le dépasse, mais qui l’entraîne sur les routes du monde afin de poursuivre la mission du Christ.

« Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » dit-il. Cette exclamation est à entendre non pas comme une menace qui pèserait sur Paul, mais plutôt que ce serait la plus grande des tragédies si Paul, après avoir été saisi par le Christ, n’en témoignait pas à la face du monde. Il serait vraiment comme le plus malheureux des hommes s’il ne se montrait pas à la hauteur d’un tel amour. Ce serait en quelque sorte renier le Christ à nouveau. D’où le constat qui s’impose pour Paul : « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! »

Quant à nous, nous ne pouvons entendre cette phrase de Paul comme de simples spectateurs, comme si nous étions au théâtre et que c’était là la tirade d’un personnage vite oublié après la messe. Il nous faut faire nôtre aussi cette affirmation de Paul et voir comment. À notre tour, nous pouvons annoncer l’évangile. Car nous ne sommes pas dans la situation de Paul qui sillonnait les routes du bassin de la Méditerranée. Après tout, nous ne sommes pas des apôtres. Mais nous sommes quand même des disciples, des amis de Jésus, et, quand on aime, on trouve les mots et les gestes pour exprimer cet amour. 

Une épouse reprochait un jour à son époux de ne pas lui dire assez souvent qu’il l’aimait. Elle lui répétait souvent : « Dis-moi-le que tu m’aimes. Dis-moi-le ! Dis-moi-le! » Ce dernier avait compris le message, et parfois, en partant le matin pour le travail, il lui laissait un billet sur la table de cuisine sur lequel était écrit en majuscule : LE. Nous n’avons peut-être pas toujours les mots justes pour dire je t’aime, mais nous ne sommes pas à court de moyens pour exprimer cet amour que Dieu a déposé en nous et qu’il nous appelle à partager. Annoncer l’évangile, c’est cela tout d’abord. C’est faire comme Paul qui se fait faible avec les plus faibles, qui pleure avec ceux qui pleurent, qui se réjouit avec ceux qui sont dans la joie. Voilà notre mission à nous aussi.

Je suis toujours émerveillé par ce qui se vit dans nos communautés chrétiennes où tous les jours l’Évangile est annoncé. À chaque fois que vous venez à cette eucharistie, l’Évangile est annoncé. Quand je vous vois braver la pluie, la neige et le verglas pour venir à la messe ou à une rencontre, je n’en doute pas, l’Évangile est annoncé. Quand je vous vois pleurer parce que vous vous souciez de vos enfants et de vos petits enfants, l’Évangile est annoncé. Quand nous avons voulu accueillir une famille syrienne et que votre générosité a tellement dépassé les attentes, que nous avons pu en accueillir deux, l’Évangile a été annoncé. Quand vous accompagnez des personnes qui ne pourraient venir seule à la messe, quand vous visitez les malades, quand vous leur apportez la communion, l’Évangile est annoncé. Quand vous vous engagez auprès de personnes dans le besoin, des personnes seules, l’Évangile est annoncé. Quand vous portez le souci quotidien de vos enfants, au point de faire vôtres leurs joies et leurs peines, l’Évangile est annoncé.

Nous le savons, les charismes, les talents sont divers dans une communauté. Et chacun de nous, sans exception, a une mission unique et toute particulière qui lui est confiée, qui est appelée à se vivre au jour le jour, comme nous voyons Jésus le faire dans l’évangile. Il visite les malades, il a le souci de chacun; il prend le temps de manger avec ses amis, il prend aussi le temps pour se reposer, pour prier, mais toujours sous le soleil de Dieu, dans cette grande intimité avec son Père, et notre Père. Chaque jour suffit sa peine, chaque journée apporte son lot de défis, et c’est ainsi que l’Évangile est annoncé aujourd’hui, tant par notre rassemblement pour l’eucharistie que par notre attention à ceux et celles qui ont besoin de notre présence, ou encore parce que nous aurons eu l’occasion ou l’audace de parler de ce qui nous fait vivre, et peut-être même parler de notre foi. Comme le disait saint François à ses frères : « Prêchez toujours l’évangile et, si c’est nécessaire, aussi par les paroles. »

Frères et sœurs, puissions-nous toujours trouver les mots et les gestes qui sauront parler de notre foi, surtout de l’amour que nous sommes appelés à avoir pour tous, tout comme Jésus en donne l’exemple aujourd’hui dans l’évangile.

Yves Bériault, o.p. Dominicain

Jésus et les foules. Méditation

Samedi. 4e semaine T.O. (Année B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 6, 30-34

En ce temps-là,
    les Apôtres se réunirent auprès de Jésus,
et lui annoncèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné.
    Il leur dit :
« Venez à l’écart dans un endroit désert,
et reposez-vous un peu. »
De fait, ceux qui arrivaient et ceux qui partaient étaient nombreux,
et l’on n’avait même pas le temps de manger.
    Alors, ils partirent en barque
pour un endroit désert, à l’écart.
    Les gens les virent s’éloigner,
et beaucoup comprirent leur intention.
Alors, à pied, de toutes les villes,
ils coururent là-bas
et arrivèrent avant eux.
    En débarquant, Jésus vit une grande foule.
Il fut saisi de compassion envers eux,
parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger.
Alors, il se mit à les enseigner longuement.

MÉDITATIONS

Bien que l’évangéliste Marc souligne à grands traits la figure imposante de Jésus au tout début de son évangile,, alors que les cieux se déchirent lors de son baptême, et que lui-même commence son ministère en chassant les démons, en prêchant avec autorité, l’évangile ce matin nous dévoile un des fils conducteur qui soutient tout le ministère de Jésus, et j’ai nommé sa compassion. 

D’ailleurs, cette réalité au cœur de sa mission s’affirme progressivement dans l’évangile de Marc, dès les tout premiers chapitres. Il suffit de faire la lecture des six premiers chapitres, qui nous conduisent à l’évangile de ce matin, pour être à même de le constater. 

Chronologiquement, nous voyons Jésus prendre un repas avec les publicains et les pécheurs, et ainsi se faire proche des exclus. Après les premières scènes de l’évangile, où il chasse les démons, c’est lui qui peu à peu va au-devant de ceux qui sont malades, tel l’homme à la main desséchée et la belle-mère de l’apôtre Pierre.

Ses interactions avec ceux et celles qu’il guérit se font de plus en plus personnelles, plus intimes je dirais, telle cette femme qui a des pertes de sang depuis plus de douze ans, et avec qui Jésus engage un dialogue tout empreint de tendresse et de compréhension; de même avec Jaïre, le chef de synagogue, et sa fille qu’il guérit, et pour qui il est plein d’attention après sa guérison en demandant qu’on la fasse manger; ou encore à la multiplication des pains, où Jésus ne peut demeurer insensible à cette foule qui a faim. 

Jésus affirmera même devant sa famille que ceux et celles qui écoutent sa parole sont véritablement pour lui des frères, des sœurs et des mères. On est loin d’un personnage qui serait indifférent à ceux qui l’approchent. Jésus établit ici un nouveau mode de relations qui dépasse de loin les convenances habituelles. Il s’agit véritablement d’une communion d’amour que seule l’analogie avec les liens familiaux peut évoquer.

Ce Jésus, Marc nous le dévoile peu à peu comme un tendre en quelque sorte, un homme attentif et sensible, éminemment proche de tous ceux et celles qu’il côtoie. Et cette réalité est plus qu’évidente ce matin dans l’évangile, alors que Marc nous fait entrer dans la vie intérieure de Jésus, lui qui devant les foules qui accourent vers lui, est « saisi de compassion envers elles, nous dit l’évangéliste, parce qu’elles étaient comme des brebis sans berger. Alors, nous dit Marc, malgré la fatigue et le repos bien mérité, il se mit à les enseigner longuement. »

La décision de Jésus est sans équivoque ici devant cette foule qui se presse autour de lui et des apôtres. Le sort en est jeté. De ces foules, il sera le bon pasteur, celui qui conduit les brebis vers les frais pâturages, leur annonçant combien elles sont aimées de Dieu. À travers son style en apparence anecdotique, l’évangéliste Marc, nous place ici au cœur même de la mission de Jésus. Il est prêt à tout donner de lui-même.

Et voici que deux mille ans plus tard, frères et soeurs, nous sommes rassemblés dans cette église, comme cette foule autour de Jésus dans l’évangile, ou plus exactement comme ces soixante-douze disciples revenant de mission. Car nous revenons de mission chaque matin lorsque nous nous rassemblons pour l’eucharistie. Nous venons déposer ici nos fardeaux à ses pieds, lui confiant tout ce qui nous importe, tout ce qui nous tient à cœur, prêts à repartir après avoir été rassasiés. 

Car la mission de Jésus, c’est aussi la nôtre désormais, puisque cet amour dont il a témoigné vient de Dieu, et nous a été confié. Jésus nous a laissé en héritage la garde et la responsabilité du prochain, appelés nous aussi à nous laisser saisir de compassion, de cette compassion sans borne qui vient de Dieu, et qui est capable de tout pardonner, de tout guérir, comme en témoigne l’évangile.

C’est la philosophe Simone Weil, dans son livre Attente de Dieu, qui écrivait à ce sujet :

« L’amour du prochain est l’amour qui descend de Dieu vers l’homme. Il est antérieur à celui qui monte de l’homme vers Dieu. Dieu a hâte de descendre vers les malheureux. Dès qu’une âme est disposée au consentement, fût-elle la dernière, la plus misérable, la plus difforme, Dieu se précipite en elle pour pouvoir, à travers elle, regarder, écouter les malheureux. Avec le temps seulement, elle prend connaissance de cette présence. Mais ne trouverait-elle pas de nom pour la nommer, partout où les malheureux sont aimés pour eux-mêmes, Dieu est présent. » (Simone Weil. Attente de Dieu. La Colombe, 1950, pp. 110-111) 

fr. Yves Bériault, o.p.

La tempête apaisée. Méditation.

Samedi 3e semaine T.O. 2024

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 4, 35-41

Ce jour-là, le soir venu, Jésus dit à ses disciples :
« Passons sur l’autre rive. »
    Quittant la foule, ils emmenèrent Jésus, comme il était,
dans la barque,
et d’autres barques l’accompagnaient.
    Survient une violente tempête.
Les vagues se jetaient sur la barque,
si bien que déjà elle se remplissait.
    Lui dormait sur le coussin à l’arrière.
Les disciples le réveillent et lui disent :
« Maître, nous sommes perdus ;
cela ne te fait rien ? »
    Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer :
« Silence, tais-toi ! »
Le vent tomba,
et il se fit un grand calme.
    Jésus leur dit :
« Pourquoi êtes-vous si craintifs ?
N’avez-vous pas encore la foi ? »
    Saisis d’une grande crainte,
ils se disaient entre eux :
« Qui est-il donc, celui-ci,
pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »

MÉDITATION

Ce miracle de Jésus est spectaculaire, car « même le vent et la mer lui obéissent », nous dit l’évangéliste. Mais ce qui est particulier dans ce récit, c’est la mention du sommeil de Jésus alors que la tempête menace. Ses compagnons sont terrifiés au point de lui en faire le reproche : « Maître, nous sommes perdus; cela ne te fait rien? » On ne peut écarter du revers de la main ce sommeil de Jésus comme si ce n’était là qu’un détail sans importance. Nous touchons ici à un aspect fondamental de cet évangile.

Le récit de la tempête apaisée est comme une allégorie des drames qui marquent nos vies, où souvent notre foi est mise à l’épreuve, alors que nous nous sentons abandonnés par Dieu. C’est un thème qui revient fréquemment dans la Bible. Pensons ici à Job dans sa misère, lui qui a tout perdu, et qui demande des comptes à Dieu. Ou encore à la prière du psalmiste qui crie sa douleur vers Dieu, en lui disant : « Cela ne te fait rien de nous voir mourir? »

Qui de nous, un jour, n’a pas eu cette réaction devant la violence qui s’abat sur des innocents, devant la mort d’enfants, devant la maladie cruelle et sans issue, devant la souffrance, le deuil, le vieillissement, la perte d’un emploi, ou simplement la difficulté à assumer les défis de sa vie au jour le jour… Toutes ces épreuves nous font mesurer combien nos vies sont fragiles, et elles soulèvent inévitablement la question suivante : mais où donc est Dieu dans ma vie? Combien de fois nos prières, nos supplications, semblent rester sans réponse, comme d’innombrables bouteilles à la mer et qui ne changent pas le cours des événements.

L’évangile d’aujourd’hui nous offre une clé de lecture intéressante afin d’affronter l’épreuve dans la fragilité de nos existences, car nous le savons bien, ce monde est marqué par des tempêtes violentes et des vents contraires, qui menacent à tout moment la quiétude de nos vies.

Comme ce serait chouette un Dieu magicien qui interviendrait à notre endroit comme Jésus le fait devant la tempête menaçante. Mais ce n’est pas là notre expérience de Dieu. Le plus souvent nous pâtissons devant l’épreuve, et nous sommes alors tenté de reprendre le cri moqueur des sceptiques dans la bible : « Mais où est-il donc votre Dieu? »

Je crois que le l’image de Jésus dormant dans la barque nous parle à la fois du Christ et de son intime communion avec le Père, elle nous parle aussi de notre condition de disciples, de l’attitude fondamentale qu’il nous faut tenir en ce monde.

Le diacre Éphrem le Syrien, qui a vécu au quatrième siècle, disait de Jésus déposé au tombeau le Vendredi Saint : « On dirait un lion qui dort. » Comme cette comparaison est puissante et évocatrice. N’est-ce pas là cette tranquille assurance, cette imperturbable confiance qu’évoque la scène de la tempête apaisée, où l’on nous présente Jésus dormant au milieu des siens sur une mer déchaînée. Tout comme sur la croix, Jésus s’abandonne complètement entre les mains du Père. Il repose en paix.

Par ailleurs, dans la barque, il y a les disciples. Il est question de nous ici. Jésus est avec nous dans la barque de nos vies, nous invitant à avancer avec lui, nous aidant à vivre dans la confiance, sûrs de l’amour de Dieu pour nous, de cet amour plus fort que la mort, et qui est capable de nous guider à travers toutes les épreuves de cette vie, au-delà de la mort même.

Je laisse la parole à une correspondante qui m’a partagé un jour son expérience de Dieu. Elle m’écrivit ce qui suit :

Dieu me vient en aide par la foi : Jésus toujours à mes côtés pour me soutenir et me redonner courage quand j’ai envie de baisser les bras.

Dieu me vient en aide par la charité : c’est elle qui me permet de servir et accompagner la fin de vie de mon époux (86 ans) atteint de la maladie d’Alzheimer, avec amour après plus de 56 ans de vie commune.

Dieu me vient en aide par l’espérance : elle me fait espérer l’accueil miséricordieux de ce Dieu plein d’amour auquel je crois, où nous serons définitivement réunis dans la paix.

Frères et soeurs, comme on le disait de saint Dominique, nous avons planté l’ancre de notre espérance au ciel avec le Christ, qui seul peut nous mener à bon port, malgré toutes les tempêtes de la vie, car lui seul est le Seigneur, et il tient précieusement nos vies entre ses mains. Telle est notre foi, et c’est cette foi qui nous rassemble en cette eucharistie, alors que nous célébrons la victoire de Jésus sur la mort.

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 4e Dimanche T.O. (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 1, 21-28

Jésus et ses disciples entrèrent à Capharnaüm.
Aussitôt, le jour du sabbat,
il se rendit à la synagogue, et là, il enseignait.
On était frappé par son enseignement,
car il enseignait en homme qui a autorité,
et non pas comme les scribes.
Or, il y avait dans leur synagogue
un homme tourmenté par un esprit impur,
qui se mit à crier :
« Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ?
Es-tu venu pour nous perdre ?
Je sais qui tu es :
tu es le Saint de Dieu. »
Jésus l’interpella vivement :
« Tais-toi ! Sors de cet homme. »
L’esprit impur le fit entrer en convulsions,
puis, poussant un grand cri, sortit de lui.
Ils furent tous frappés de stupeur
et se demandaient entre eux :
« Qu’est-ce que cela veut dire ?
Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité !
Il commande même aux esprits impurs,
et ils lui obéissent. »
Sa renommée se répandit aussitôt partout,
dans toute la région de la Galilée.

MÉDITATION

Dans l’évangile d’aujourd’hui, alors que Jésus vient d’appeler ses premiers disciples, saint Marc nous présente le premier acte public de Jésus alors qu’il enseigne dans la synagogue de Capharnaüm. 

L’évangéliste ne nous dit pas en quoi consiste cet enseignement. Ce qui lui importe, ce sont les conséquences. Jésus ne fait pas que répéter les préceptes de la loi juive, mais il en élargit l’application au point où sa parole a le pouvoir de libérer ceux et celles qui l’écoutent. La prédication de Jésus est une parole agissante qui change les cœurs, et c’est ainsi qu’un homme qui se trouve dans l’assemblée est rejoint au plus profond de son être. 

Cet homme est un possédé. C’est-à-dire un homme divisé, partagé, et qui est membre de la synagogue. Il s’agit d’un homme habité par une grande détresse, par des conflits intérieurs que personne dans la synagogue n’avait encore perçus, mais que la présence de Jésus fait éclater au grand jour.

La parole de Jésus va ouvrir une brèche dans le cœur de cet homme possédé, et c’est alors que surgissent les sentiments contradictoires qui l’habitent, où il reconnaît à la fois que Jésus vient de Dieu, tout en refusant de se laisser toucher par lui. Mais Jésus va mettre à nue cette division, et il libère l’homme par la toute-puissance de sa parole, cette parole qui a le pouvoir de transformer le monde, un cœur à la fois, et que Jésus confie à son Église.

L’Évangile de Marc est un Évangile de l’action. On y voit un Jésus agissant. Et au cœur de son action, il y a sa prédication. Mais cette prédication est rarement développée dans les évangiles. De quoi était-elle faite au juste ? De quoi parlait-il? Les évangélistes nous racontent que Jésus parlait surtout en paraboles et que sa prédication s’enracinait dans la vie quotidienne de ses auditeurs à travers des images familières évoquant la pêche, la vigne, l’agriculture, la fête, et le prochain. 

Jésus s’adressait à ses auditeurs à partir de leur réalité, de ce qui meublait leurs journées, et leurs rapports les uns aux autres, les tirant en quelque sorte vers le haut, afin qu’ils découvrent combien ils sont aimés de Dieu. Le message de l’évangile aujourd’hui, comme tous les évangiles, est assez limpide : Jésus, par ses récits et ses actions, nous dévoile le mystère de nos vies et, après l’avoir écouté, on n’est plus le même!

Ce ministère de la parole et de la guérison, Jésus le confie à son Église. Et ce ministère va bien au-delà d’une prédication stéréotypée, bien au-delà de l’annonce de préceptes ou de lois, du permis et de l’interdit, car ce serait alors tomber dans les mêmes pièges, la même stérilité que Jésus reprochait aux scribes et aux pharisiens. 

Comme Jésus, nous sommes appelés à être présents à tous ceux et celles que nous rencontrons, appelés à marcher avec eux, en n’ayant pas peur de ce que ces personnes peuvent porter en elles-mêmes de blessures ou de divisions, de douleurs, de révoltes ou de peines.

Je crois que le pape François nous en donne un bel exemple à travers son ministère de pasteur et de frère dans la foi. Comme lui, nous avons pour mission non seulement d’annoncer Jésus-Christ à notre monde, mais nous sommes appelés aussi à élargir sans cesse notre compréhension de l’évangile du Christ, car c’est une Parole vivante qu’on ne peut ni enfermer ni aseptiser, car l’Esprit Saint nous précède toujours dans notre rencontre de l’autre. 

Nous ne sommes pas au bout de nos surprises en Église, car la Parole de Dieu fait toujours du neuf. C’est ce que l’on voit dans l’évangile de ce jour, et c’est ce dont l’Église doit témoigner sans cesse dans son ouverture au monde. Le pape François, il me semble, en donne un témoignage des plus interpellant.

Alors que l’Église a connu bien des conflits avec l’islam, n’a-t-on pas vu le pape François revenir, lors d’un voyage dans les camps de réfugiés en Grèce, accompagné de quelques familles musulmanes, afin de leur offrir un refuge au Vatican? N’a-t-il pas tendu la main à nos frères et sœurs protestants à l’occasion du 500e anniversaire de la Réforme de Luther, leur rendant même visite en Suède à l’occasion de cette commémoration ? N’a-t-il pas porté un regard neuf sur le drame des divorcés remariés, les personnes LGBTQ, choisissant la miséricorde avant la loi ? N’est-il pas celui qui a dit : « Qui suis-je pour juger ? » nous rappelant, comme l’exprimait un théologien dominicain, que « la doctrine ne verrouille pas la miséricorde. » (fr. Garrigues).

Dès l’annonce officielle de son programme, au début de son ministère, le pape François faisait cet acte de foi : « Je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort qui consiste à s’accrocher à ses propres sécurités… L’Église, écrivait-il, est comme un hôpital de campagne qui a pour caractéristique de naître là où l’on se bat ». 

Voilà un pape qui, en ses propres mots, nous invite à « l’intranquillité ». Les contemporains de Jésus diraient certainement en l’écoutant : « Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité ! »

Quant à nous, frères et sœurs, ce qui nous est demandé, c’est d’être là où le Christ nous appelle, afin que par nos actions, nos paroles et nos prières, il nous soutienne et nous inspire dans notre présence les uns aux autres.

Ce langage nouveau de Jésus dans la synagogue de Capharnaüm, c’est la nouveauté de l’évangile qui fera toujours du neuf, qui nous surprendra toujours, et qui nous est maintenant confiée. À nous de voir maintenant jusqu’où elle nous entraînera avec la grâce de Dieu.

Yves Bériault, o.p. Dominicain

«Il a perdu la tête». Samedi matin. Méditation évangélique.

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 3, 20-21

En ce temps-là,
    Jésus revint à la maison,
où de nouveau la foule se rassembla,
si bien qu’il n’était même pas possible de manger.
    Les gens de chez lui, l’apprenant,
vinrent pour se saisir de lui,
car ils affirmaient :
« Il a perdu la tête. »

MÉDITATION

« Il a perdu la tête. » Voilà un sujet d’homélie qu’on n’entend pas souvent. D’ailleurs, l’évangile du jour ne consiste qu’en quelques mots pour nous faire part d’un certain ras-le-bol de la famille de Jésus. Et je dirais que la question que soulève cet évangile ce matin, c’est de savoir si nous participons nous aussi à cette folie. C’est en examinant la vie terrestre de Jésus tout d’abord que nous trouvons réponse à cette question pour nous-mêmes.

Car Jésus n’est pas un être désincarné, lui-même a vécu notre réalité humaine à l’école de Joseph et de Marie. On l’appelait le fils du charpentier. On voit à travers ses paraboles et ses enseignements, combien il avait appris à fouler la terre, à se salir les mains. Il savait qu’une maison ne pouvait se construire que sur une base solide, qu’une vigne avait besoin d’être émondée, et avait besoin de fumier pour porter du fruit ; qu’une semence devait être jetée sur une bonne terre, que le bon vin était fait pour la fête, que le pain rassasiait la faim des hommes, que l’on pouvait prévoir le temps qu’il ferait demain en regardant l’horizon. Jésus savait où jeter le filet pour la pêche, il savait aussi jeter son regard dans les cœurs, il savait combien la peine pouvait nous peser, combien le pardon et l’amitié pouvaient être bienfaisants dans nos vies, il savait surtout combien nous avions besoin de nous ouvrir à l’amour de Dieu et au prochain. Il en a fait sa passion.

C’est de cette bonne nouvelle dont Jésus est venu nous parler en marchant avec nous. Ce Jésus, vous et moi, nous l’aimons depuis longtemps sans doute, du moins pour plusieurs d’entre nous. Anciens de l’évangile ou néophytes, nous nous sommes attachés à ses pas, à ses paroles; nous avons voulu prendre au sérieux le sérieux de son évangile, qui trop souvent est folie aux yeux du monde, comme le démontre si bien le récit de ce jour.

Nous le savons trop bien, et nous en faisons souvent l’expérience, pour beaucoup la foi en Dieu est folie, illusion. Mais comment blâmer ces personnes alors qu’elles parlent d’une réalité qu’elles ne connaissent pas ou si peu. 

Dans l’évangile, Jésus va poursuivre sa mission malgré l’incompréhension qu’il suscite dans sa famille et autour de lui. Et il nous invite à faire de même, là où nous sommes. 

Appelés à lancer le filet avec le Christ, je garde cette conviction que l’Évangile doit tout d’abord se transmettre par le filet de la contagion, plutôt que celui de la persuasion ; par le filet de l’accueil et de la bienveillance, avant même celui de l’annonce du Credo qui charpente notre foi. La mission qui s’impose à nous sera toujours celle d’un amour appelé à tout donner, un amour qui ne garde rien pour lui-même, comme Jésus en a témoigné. C’est à cette folie que nous sommes appelés.

C’est pourquoi notre mission à nous, frères et sœurs, se vivra dans la cité, là où nous levons les voiles chaque matin. Où chaque parole bienveillante, chaque mot d’encouragement, chaque marque de tendresse et de réconfort, tout geste de réconciliation, le moindre petit service, le travail quotidien fait consciencieusement, le temps donné gratuitement, l’écoute généreuse et attentive de celui ou de celle qui souffre, ce seront là mille et une manières de signifier ce trop-plein d’amour que l’esprit du Christ déverse en nos cœurs, lui qui nous aimes à la folie. Et si notre manière de vivre nous fait passer pour des fous, ainsi soit-il!

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 3e Dimanche (T.O. Année B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 3, 13-19

En ce temps-là,
    Jésus gravit la montagne,
et il appela ceux qu’il voulait.
Ils vinrent auprès de lui,
    et il en institua douze
pour qu’ils soient avec lui
et pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle
    avec le pouvoir d’expulser les démons.
    Donc, il établit les Douze :
Pierre – c’est le nom qu’il donna à Simon –,
     Jacques, fils de Zébédée, et Jean, le frère de Jacques
– il leur donna le nom de « Boanerguès »,
c’est-à-dire : « Fils du tonnerre » –,
    André, Philippe, Barthélemy, Matthieu,
Thomas, Jacques, fils d’Alphée,
Thaddée, Simon le Zélote,
    et Judas Iscariote, celui-là même qui le livra.

MÉDITATION

Un jour, non sans une certaine gêne, un de mes amis me confia l’anecdote suivante. Le fils de son voisin, qui avait alors une douzaine d’années, était allé faire une course pour lui. À son retour, il avait aperçu sur l’un des murs de la cuisine un objet qu’il n’avait décidément jamais vu, un crucifix. Il demanda à mon ami Pierre qui était cet homme accroché sur son mur. Ce dernier, n’étant pas disposé à s’engager dans une longue catéchèse, balbutia tout simplement : « Ah! C’est un homme qui a été exécuté parce qu’il faisait de la politique. » Et le garçon de lui demander : « Et toi, est-ce que tu en fais de la politique? »

Ce jeune garçon avait compris qu’on ne peut impunément se revendiquer d’une grande figure de l’Histoire sans que cela ait des conséquences sur notre manière de vivre et de penser. Je me permets donc de nous relayer sa question : « Et toi, est-ce que tu en fais de la politique? » Si nous nous signons régulièrement de cette croix, croix que nous affichons dans nos églises, dans nos maisons et même autour de nos cous, cela veut sans doute dire que notre adhésion au Christ et à sa croix compte beaucoup pour nous, et a donc des conséquences sur nos vies. 

Comment alors interpréter pour nous-mêmes dans l’Évangile, l’invitation que fait Jésus à ses disciples de tout laisser et devenir des pêcheurs d’homme ? Il est bien sûr question ici d’annonce de la bonne nouvelle, une mission qui concerne toute l’Église. Mais parfois, les moyens pour l’accomplir nous échappent, nous ne savons plus trop par où commencer pour faire connaître le Christ et son Évangile autour de nous. Mais peut-être n’avons-nous pas bien compris quelle est la nature première de l’invitation que nous fait Jésus à devenir pêcheur d’hommes avec lui.

Je dois avouer que cette question de l’évangélisation me taraude depuis bien des années alors que régulièrement les responsables de Église nous invitent à être missionnaires, à devenir des disciples engagés dans l’annonce de l’Évangile, à porter le souci du renouvellement de nos communautés chrétiennes, et surtout de faire connaître la bonne nouvelle du Christ ressuscité. Le pape François lui-même insiste pour que nous devenions une Église en sortie. Il emploie même l’image de Jésus qui se tient à la porte et qui frappe, non pas pour entrer dans l’Église, dit-il, mais pour en sortir !

Mais s’il nous faut devenir des disciples-missionnaires, lancer le filet avec le Christ, je garde en moi cette conviction que l’Évangile doit tout d’abord se transmettre par le filet de la contagion, avant même celui de la persuasion ; par le filet de la bienveillance et de la compassion du Christ, avant même l’annonce du mystère qui nous habite et nous fait vivre. C’est pourquoi la mission qui s’impose à nous, en tout premier lieu, sera toujours celle de l’amour qui va jusqu’au bout, l’amour qui ne garde rien pour lui-même, qui donne tout, comme Jésus en a témoigné. Les programmes missionnaires et catéchétiques viendront bien ensuite avec la grâce de Dieu et notre créativité.

Mais ces programmes resteront lettre morte si nous ne prenons pas au sérieux l’imitation de celui que nous contemplons sur la croix et en qui nous avons mis notre foi. Non seulement le monde doit pouvoir reconnaître entre nous chrétiens, le « voyez comme ils s’aiment », comme l’observaient les païens au sujet des premiers chrétiens, mais le monde a aussi besoin d’expérimenter à notre contact le «voyez comme ils nous aiment.» Si on a pu le dire du Christ tout au long de sa mission, il faudrait bien qu’on puisse le dire aussi de ses amis, n’est-ce pas.

C’est le frère dominicain Pierre Claverie, évêque d’Oran en Algérie et martyr, qui disait dans une homélie donnée aux moniales dominicaines de Prouilhe en France, quelques mois avant sa mort tragique : «Je crois que l’Église meurt de ne pas être assez proche de la Croix de son Seigneur. Si paradoxal que cela puisse paraître, […] sa vitalité, son espérance et sa fécondité, lui viennent de là. Pas d’ailleurs, ni autrement. Tout, tout le reste, disait-il, n’est que poudre aux yeux, illusion mondaine. Elle se trompe elle-même et elle trompe le monde lorsqu’elle se situe comme une puissance parmi d’autres, comme une organisation humanitaire ou même comme un mouvement évangélique à grand spectacle. Elle peut briller, elle ne brille pas du feu de l’amour “fort comme la mort”, comme le dit le Cantique des Cantiques. Car il s’agit bien ici d’amour, d’amour d’abord et d’amour seul. Une passion dont Jésus nous a donné le goût et tracé le chemin : (Quand il disait) “Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis”.[1]»

Frères et sœurs, la mission de l’Église trouve son fondement dans ce récit où Jésus invite ses disciples à lancer le filet avec lui, mais elle trouve sa raison d’être au pied de sa croix. Si la mission de l’Église est de conduire les hommes et les femmes de ce monde à la pleine lumière de qui est Jésus-Christ, notre marche avec lui nous engage tout d’abord en une présence au monde faite de respect et de douceur, de patience et d’amour, présence d’accompagnement qui a sa source dans les gestes, les enseignements et la vie même de notre Seigneur.

Notre mission à nous se vivra donc dans la cité, là où nous levons les voiles chaque matin. Où chaque parole bienveillante, chaque mot d’encouragement, chaque marque de tendresse et de réconfort, tout geste de réconciliation, le moindre petit service, le travail quotidien fait consciencieusement, le temps donné gratuitement, l’écoute généreuse et attentive de celui ou de celle qui souffre, sont là mille et une manières de signifier ce trop-plein d’amour que l’esprit du Christ déverse en nos cœurs. Et ce sont là des semences du Royaume, n’en doutons pas.

L’Évangile de ce jour nous invite donc à avancer vers le large avec Jésus, acceptant de partir de nuit comme de jour, avec nos lampes bien allumées, la prière chevillée au cœur, assumant avec courage chacune des journées qui nous sont confiées, nous donnant à ceux et celles qui en ont le plus besoin, à cause du Christ. Et c’est cela aussi se faire pêcheurs d’hommes, ou pour reprendre l’expression de mon ami Pierre, faire de la politique comme le Christ !

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain


[1] Pierre Claverie, (1938-1996), évêque d’Oran. Extrait de sa dernière homélie donnée en France, parue dans La Vie spirituelle n°721, décembre 1996.

Homélie pour le 2e Dimanche T.O. (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean1, 35-42

En ce temps-là,
Jean le Baptiste se trouvait avec deux de ses disciples.
Posant son regard sur Jésus qui allait et venait, il dit :
« Voici l’Agneau de Dieu. »
Les deux disciples entendirent ce qu’il disait,
et ils suivirent Jésus.
Se retournant, Jésus vit qu’ils le suivaient,
et leur dit :
« Que cherchez-vous ? »
Ils lui répondirent :
« Rabbi – ce qui veut dire : Maître –,
où demeures-tu ? »
Il leur dit :
« Venez, et vous verrez. »
Ils allèrent donc,
ils virent où il demeurait,
et ils restèrent auprès de lui ce jour-là.
C’était vers la dixième heure (environ quatre heures de l’après-midi).

André, le frère de Simon-Pierre, était l’un des deux disciples
qui avaient entendu la parole de Jean et qui avaient suivi Jésus.
Il trouve d’abord Simon, son propre frère, et lui dit :
« Nous avons trouvé le Messie » – ce qui veut dire : Christ.
André amena son frère à Jésus.
Jésus posa son regard sur lui et dit :
« Tu es Simon, fils de Jean ;
tu t’appelleras Kèphas » – ce qui veut dire : Pierre.

MÉDITATION

Alors que nous reprenons le cycle du temps ordinaire de la liturgie, l’évangéliste Jean nous raconte l’appel des premiers disciples. Mais au-delà de cet appel, l’évangéliste nous aide aussi à comprendre que nos vies se construisent essentiellement sur une quête de sens où nous interrogeons à la fois le présent et l’avenir. Pour l’évangéliste, Jésus est la réponse à cette quête, lui en qui Dieu se manifeste et dont la rencontre ne peut que transformer nos vies. « Venez et voyez ! » Et c’est ainsi que les disciples laisseront tout pour suivre Jésus et ainsi découvrir ce lieu secret où il habite.

En accord avec la grande tradition spirituelle de l’Église, nous croyons que c’est Dieu qui a mis en nous le désir de le chercher et de l’aimer. Saint Basile de Césarée, l’un des grands fondateurs de la vie monastique, écrit déjà dans sa règle de vie au IVe siècle que : « L’amour envers Dieu n’est pas matière d’enseignement. Car personne ne nous a enseigné à jouir de la lumière, à aimer la vie, à chérir ceux qui nous ont mis au monde ou qui nous ont élevés. De même, ou plutôt à plus forte raison, écrit-il, le désir de Dieu ne s’apprend pas par un enseignement venu de l’extérieur; dès que cet être vivant que nous sommes commence à exister, une sorte de germe est déposé en nous qui possède en lui-même le principe interne de l’amour. » Principe qui fait de nous des chercheurs de Dieu, qui dépose au plus profond de nous cette question lancinante des disciples : « Où demeures-tu? » « Où es-tu ? »

Sans cesse, cette question nous monte au cœur au cours de notre existence. N’est-ce pas là l’interrogation de ceux et celles qui cherchent dans la nuit un sens à leur vie? Mais à son tour, et c’est là la perspective que nous présente l’évangéliste aujourd’hui, Dieu est en droit de nous questionner. « Que cherchez-vous », nous demande-t-il?

L’être humain a besoin de se situer face à son existence, il a besoin de bien cerner son univers et de se l’expliquer. Des premières migrations humaines aux longues caravanes parcourant les continents; des caravelles qui traversèrent les océans aux satellites de toutes sortes qu’on lance dans l’espace, nous voulons découvrir et comprendre, nous voulons fonder notre existence sur des vérités et des valeurs durables.

La Parole de Dieu aujourd’hui nous révèle en quelque sorte notre condition d’Homme. L’être humain est quelqu’un qui cherche et dont la quête, sans qu’il le sache toujours, est guidée vers ce lieu où Dieu habite. Le jeune Samuel qui sert le prophète Élie, et qui sera lui-même prophète de Dieu auprès du roi David, il fait l’expérience d’un appel dans sa vie. Dans un premier temps, il n’en mesure pas toute la profondeur. Il a besoin d’être guidé afin d’apprendre à reconnaître la voix de Dieu. Il lui faut apprendre à écouter. 

Les disciples de Jean qui sont envoyés auprès de Jésus seront eux invités à venir voir, car il faut aussi apprendre à regarder autour de nous et à nous interroger. Et c’est ainsi que les disciples sont invités à entrer dans la demeure du Christ.  Et quelle est cette demeure ? N’est-il pas dit dans l’évangile que le Fils de l’homme n’avait pas de pierre où reposer la tête. Il faut donc chercher la véritable demeure de Jésus ailleurs que dans un lieu physique. 

Rappelons ici que le verbe « DEMEURER » chez l’évangéliste Jean est très évocateur et qu’il revient souvent dans les paroles de Jésus. En voici quelques exemples :

  • Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là produira du fruit en abondance.
  • Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi je demeure en lui.
  • Demeurez dans mon amour.

On pourrait faire un rapprochement ici avec l’expérience qui est évoquée dans le livre Le Petit Prince où le renard dit au Petit Prince « qu’on ne voit bien qu’avec les yeux du cœur ». Découvrir la demeure de Jésus, c’est tout d’abord faire l’expérience de sa demeure spirituelle, de sa profonde communion avec le Père. C’est découvrir en lui que Dieu est amour et qu’il nous aime d’un amour infini. C’est faire l’expérience de Jésus comme Fils de Dieu qui nous appelle à une communion de destin avec lui, qui nous appelle à partager son amour pour le Père et pour le monde.

En ces temps parfois difficiles et angoissants où nous vivons, avec les bruits de guerres et de violences autour de nous, la question des disciples à Jésus revêt une grande acuité : « Où demeures-tu? » Car s’il vient faire sa demeure en nous,  les disciples doivent aussi chercher la demeure du Christ parmi les hommes et les femmes de ce monde. Cette demeure ne sera jamais un lieu physique, on le comprend bien maintenant. La demeure du Christ est au cœur des humains, des villes et des métros, des champs de bataille et des lits d’hôpitaux, auprès des réfugiés et des enfants abandonnés, auprès de tous ceux et celles qui souffrent et sont persécutés. 

Et c’est ainsi que ceux et celles qui vivent de la résurrection du Christ sont appelés à transformer la question naïve des disciples en une prière! Où demeures-tu Seigneur au cœur de mon existence et au cœur de ce monde? En quel lieu m’appelles-tu à te suivre, à faire l’expérience du pardon et de la réconciliation. Où m’appelles-tu à soigner, à visiter, à consoler, à engager toute mon existence au risque même d’y laisser ma vie? Où m’appelles-tu à aimer et à donner comme toi aujourd’hui?

Quand Jésus répond à ses disciples : « Venez et voyez ! » Il nous invite à entrer dans le mystère de sa mort et de sa résurrection, mystère d’amour qui nous invite à jeter un regard neuf sur notre monde, là où le mal et la mort n’auront jamais le dernier mot, puisque le Christ est ressuscité. 

Venez et voyez ! C’est ce mystère de mort et de vie que nous célébrons en chacune de nos eucharisties.

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain