Homélie pour la fête de saint Thomas d’Aquin

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« J’ai prié et l’intelligence m’a été donnée. J’ai supplié et l’esprit de la sagesse est venue en moi ». Cet extrait du livre de la Sagesse (Sg 7, 7) nous situe sans doute au cœur même de la vie de frère Thomas d’Aquin. Lui qui a si bien parlé du mystère de la foi tout au long de sa vie et qui pourtant, au terme de son parcours sur terre, considère ses enseignements comme de la paille. Frère Thomas se voit alors comme le plus humble des frères et il ne peut que se taire devant le mystère qu’il a tellement cherché à comprendre.

Frère Thomas était un mystique, qui donnait toute sa valeur à cette affirmation d’un Père de l’Église qui affirmait que « le théologien est quelqu’un qui prie, et celui qui prie est un théologien ». Avant d’être un théologien, frère Thomas était un simple croyant, un priant, un amant de Dieu. D’ailleurs, l’on n’est pas étonnés de voir des femmes comme Catherine de Sienne ou Thérèse de Lisieux, des femmes sans beaucoup d’instruction,  porter le même titre que ce grand intellectuel, soit celui de docteur de l’Église. Dieu se donne à tous ceux et celles qui le cherchent et il nous rend capables de le trouver.

Thomas l’affirmait : la grâce agit en nous comme une (sur) nature, comme un mouvement intérieur qui nous soutien et nous fait rechercher le bien, le vrai, l’amour, qui nous fait trouver Dieu! Cette grâce est un dynamisme qui nous rend capables d’une véritable communion avec Dieu et qui est offerte à tous, sans distinction, ou s’il fallait en faire une, il faudrait dire qu’elle est offerte aux plus petits et aux plus humbles.

Cette grâce n’est pas une question d’intelligence. Elle est avant tout affaire de volonté. Notre volonté de nous attacher à Dieu afin de mieux le connaître et ainsi mieux l’aimer. C’est cette attitude de désir qui permet à Dieu d’agir en nous et de faire de nous, des docteurs de l’Église, des saints et des saintes, de ces «priants théologiens », de ces croyants bien ordinaires, qui cheminent avec leurs doutes et leurs luttes, et dont Dieu se fait tout proche.

« J’ai prié et l’intelligence m’a été donnée. J’ai supplié et l’esprit de la sagesse est venu en moi ».  Saint Thomas, le premier, était conscient que la contemplation à laquelle il se livrait, par le biais du travail intellectuel et de la prière, avait comme principe de connaissance, l’amour de Dieu. D’ailleurs, il l’affirmait dans l’un de ses sermons : « Manifestement, tous ne peuvent passer leur temps en de laborieuses études. Aussi le Christ nous a donné une loi que sa brièveté rend accessible à tous et qu’ainsi, nul n’a le droit d’ignorer : c’est la loi de l’amour divin ». C’est de cette loi dont ont vécu les grands docteurs de l’Église, et qui est la source même de toute vie spirituelle.

L’Église nous propose comme modèle un personnage qui est très important pour l’Ordre des Prêcheurs et pour l’Église. Et bien sûr, nous sommes fiers de son génie et de son œuvre. En invoquant Thomas d’Aquin, on ne peut oublier à quel point la recherche de Dieu et de la vérité demande un travail acharné, où, sans cesse, l’intelligence doit se mettre au service de la foi. Mais l’on n’aurait rien saisi du mystère de ce docteur de l’Église, et lui même nous le reprocherait, si l’on ne voyait pas tout d’abord en lui l’homme de foi, l’humble frère qui, un jour, attacha ses pas à ceux du Christ et consacra toute sa vie à la recherche de la vérité. 

Intervention du maître de l’Ordre des Prêcheurs au Synode sur la nouvelle évangélisation

La démarche d’évangélisation trouve sa joie et sa force dans la contemplation. Cette intuition des Ordres mendiants met en lumière trois des défis auxquels l’évangélisation se trouve confrontée aujourd’hui. 

Le défi de la connaissance, affronté dans le dialogue avec tous les chercheurs de vérité, philosophes, scientifiques, chercheurs. Le déploiement des sciences et des savoirs est l’occasion de mettre en œuvre cette “belle amitié entre la foi et les sciences” proclamée par le Concile. Dans la foi on y contemple le mystère de la création continuée de Dieu et son appel confiant à la liberté et à la raison de l’homme. Dans l’amitié, on peut, avec les hommes de science, en discerner les enjeux pour, ensemble, penser un monde pour l’homme. 

Le défi de la liberté. Dans la rencontre avec nos contemporains, croyants ou non, il s’agit de manifester d’abord l’amitié de Dieu avec les hommes, avant de formuler des réponses à des questions qui ne sont pas posées dans les termes qu’on leur impose parfois. Se laisser enseigner par la patience de Dieu qui fait confiance à l’homme pour qu’il apprenne à mettre sa liberté à hauteur de sa dignité, et contempler la miséricorde du Christ qui nous précède, Lui qui enseigne à ses amis ce qu’il a reçu du Père. 

Le défi de la fraternité. Les communautés religieuses veulent être des lieux où la fraternité construite dans la diversité aspire à être transformée par l’Esprit de communion en “ sacrement” de l’amitié de Dieu avec le monde. Et, à cause de cette espérance, elles sont au défi d’élargir cette espérance de communion en liant leur destin aux oubliés du monde, faisant leur la conviction du synode de 1971: “Le combat pour la justice et la participation à la transformation du monde nous apparaissent pleinement comme une dimension constitutive de la prédication de l’Évangile”.

Fr. Bruno CADORÉ, O.P., Maître Général de l’Ordre des Frères Prêcheurs

Le Verbe

Le Verbe… »Il a la tête inclinée pour te saluer, la couronne sur la tête pour t’orner, les bras étendus pour t’embrasser, les pieds cloués pour rester avec toi. » (Sainte Catherine de Sienne. Le Dialogue. CXXVIII)

Henri Lacordaire, o.p.

« Je vais où Dieu me mène, incertain de moi, mais sûr de lui » (Henri Dominique Lacordaire, o.p.).

La foi en Dieu est-elle nécessaire?

Une amie avec qui je corresponds se demande si la foi est vraiment nécessaire, puisqu’elle a une amie non-croyante qui est bien meilleure et dévouée que bien des chrétiens qu’elle connaît.Ce que je réponds à cette objection: Imaginons ce qui arriverait si cette personne découvrait Jésus Christ et son Évangile? Si elle goûtait à la vie spirituelle que nous donnent la prière, les sacrements, notre appartenance à l’Église et à une communauté chrétienne? La foi en Jésus est pleine de grâces de toutes sortes à cause de son Esprit qui habite en nous. C’est cela le plus (+) que les incroyants ignorent. Eux aussi sont appelés à connaître Dieu, car cela fait une différence fondamentale dans une vie. D’ailleurs, c’est là le but ultime de la vie.

Dieu nous a créés bons, sans même que nous croyions en lui, puisque nous sommes faits non seulement par amour, mais d’amour. C’est Catherine de Sienne dans son Dialogue, au chapitre 51, qui écrit : « L’âme ne peut vivre sans amour, mais toujours veut aimer quelque chose, parce qu’elle est faite d’amour, car par amour je l’ai créée ». Et l’ultime expérience de l’amour c’est de connaître Dieu.

Une personne serait-elle bonne, même sans avoir la foi, elle ne peut en rester là. Elle est appelée à devenir encore meilleure, à réaliser pleinement sa vocation humaine, qui est de nous ouvrir à la présence de Dieu en nous, de le connaître comme Jésus l’a connu. Pour vivre cela, il faut la foi! Qu’importe qu’une personne soit déjà bonne, elle ne pourra qu’être meilleure avec la foi. Elle aura en elle une joie et une paix beaucoup plus grande que ce qu’elle pourrait connaître maintenant. C’est même incomparable! La vie aura alors un véritable sens, une véritable direction.

Surtout, je dirais que cette personne ne sera plus orpheline. Elle saura enfin que le créateur de ce monde est Dieu, qu’il est son Père, et qu’il est venu parmi nous en la personne de son Fils Jésus Christ, qui lui, nous a laissé ses enseignements et le don de son Esprit Saint. C’est là le grand cadeau de la foi. La foi ne peut que nous transformer et nous rendre meilleurs et fondamentalement heureux.

La prière et les larmes

Je connais des personnes qui pleurent facilement lorsqu’elles entendent dire de belles choses sur Dieu, ou lorsqu’elles partagent leur foi dans l’intimité d’une rencontre avec un ami croyant, ou qui pleurent parfois lorsqu’elles prient. C’est un don! On l’appelle « le don des larmes ». Parfois ce sont des larmes plus proches de la peine que de la joie, mais la peine que l’on éprouve quand l’on constate combien l’on est encore loin de Dieu ou du prochain, combien la perfection nous échappe.

Pas des larmes de culpabilité, mais des larmes où se manifeste le désir de la perfection spirituelle. Des larmes porteuses d’un certain désir de l’infini, de la grâce, et qui demandent à Dieu la force d’aimer davantage. Ce sont des larmes où la joie spirituelle n’est jamais absente malgré le sentiment de manque.

D’autres fois, ce sont des larmes où l’amour de Dieu pour nous et l’amour que l’on ressent pour Dieu est tellement grand que l’on en pleure de joie. On pleure de joie devant ce sentiment d’être tellement aimé, tellement chanceux de connaître Dieu et de vivre cette intimité en lui. Et l’on pleure. Pleurs de joie, pleurs de reconnaissance, pleurs devant la soif d’infini qui est en nous et que Dieu vient rassasier en son Fils Jésus Christ, en nous donnant à boire l’eau vive. Et pourtant, cette soif se renouvelle à chaque fois et devient encore plus profonde, plus sainte!

Voici un passage du Dialogue où Catherine de Sienne parle justement des larmes :

« Maintenant je t’ai dit comment la larme procède du coeur; le coeur la tend à l’oeil, l’ayant récoltée de l’ardent désir, comme le bois vert qui est dans le feu, qui par la chaleur de l’eau gémit, parce qu’il est vert – s’il était sec, non, il ne gémirait pas – ainsi le coeur, reverdi par le renouvellement de la grâce, en ayant retiré la sécheresse de l’amour propre qui dessèche l’âme. De sorte que sont unis feu et larmes, c’est-à-dire désir embrasé. Et comme le désir ne finit, jamais il ne se rassasie en cette vie, mais plus il aime, moins il lui semble aimer, et ainsi s’exerce le saint désir qui est fondé en charité, et avec ce désir l’oeil pleure. »

Un texte extraordinaire sur le « saint désir » qui fait pleurer, comme le bois vert dans le feu qui distille son eau. C’est un processus de communion à Dieu, mais aussi un processus de purification. Et quand nous nous serons laissés brûler par ce feu d’amour, nous en arriverons à ne plus faire qu’un avec le feu, avec le Dieu trois fois Saint; sans nous confondre, sans perdre notre personnalité, sans perdre même ce corps qui est le nôtre et qui nous suivra dans l’éternité.

Méditation

Le Verbe… »Il a la tête inclinée pour te saluer, la couronne sur la tête pour t’orner, les bras étendus pour t’embrasser, les pieds cloués pour rester avec toi. » (Catherine de Sienne. Le Dialogue. CXXVIII)

Une grâce pour le monde entier

« Malheur à moi si je n’annonce pas la Bonne Nouvelle », disait saint Paul. Toute autre avenue me paraîtrait une fuite devant ce charisme qui m’a été confié. Je le dis bien humblement et je le vis avec toutes les faiblesses et les limites qui sont les miennes. Je ne me considère pas comme un intellectuel, ni comme un prédicateur de carrière, mais mon entrée dans l’Ordre est un appel du Seigneur. Il a eu beau me dire un jour : « je ne déciderai pas pour toi ! », mais l’appel était déjà lancé au moment où je m’interrogeais sur ma vocation. Dès les premiers instants de ma conversion, j’ai été saisi par le Christ et comme aspiré dans son élan missionnaire, qui ne cherche qu’à partager avec le monde entier l’extraordinaire nouvelle de sa Mort-Résurrection, du salut offert à toute l’humanité.

Je dirais que l’Ordre a été la matrice qui a fait de moi un Frère Prêcheur. Il ne s’agit pas ici d’un moule, puisque j’ai été accueilli tel que j’étais, en tout respect de mes forces et mes faiblesses, tout autant que de mes intérêts. Mais l’appel à entrer dans l’Ordre, je ne puis en douter, vient du Seigneur. C’est lui qui m’a conduit vers cette demeure spirituelle dans son Église, afin de m’y former pour la mission. C’est à cette école que le Maître m’instruit, qu’il me prépare et me façonne. À cette école de saint Dominique, est confié aux Dominicains le charisme de la mission universelle, cette mission apostolique qui est de toutes les époques, de toutes les langues et de toutes les cultures. C’est pourquoi il nous faut éviter la tentation de lire ou de vivre ce charisme uniquement en lien avec une situation géographique donnée, avec un couvent, une province ou un pays. Le charisme dominicain est donné pour toute l’Église universelle, il est une grâce pour le monde entier. Et cette grâce, pour nous de la famille dominicaine, elle nous aide non seulement à vivre notre vocation de prédicateurs, mais c’est elle qui nous aide à traverser les temps d’épreuves et de désert, quand la Parole semble stérile et que la mission butte sur les obstacles de toutes sortes.

La vie dominicaine est offerte à tous

Ce charisme dominicain, cet «état de perfection » dont parle saint Thomas, est un charisme pour tout homme, toute femme de bonne volonté qui désire attacher ses pas à la suite du Christ, comme la fait saint Dominique. Être Dominicain c’est porter avec les frères, les soeurs et les laïques, une passion commune pour le monde, qui se vit dans cette contemplation qui est à la fois : prière, étude, réflexion, partage, vie fraternelle, recherche de la vérité et recherche de sens. Tout cela au nom de notre amour pour le Dieu de Jésus Christ. Ainsi, c’est toute la famille dominicaine qui devient prédicante, qui porte ensemble cet extraordinaire charisme de la vérité, qui est de le connaître Lui qui a « dressé sa tente » parmi nous, afin de nous révéler la beauté extraordinaire de l’insondable mystère de Vie qui bat en nous. Le charisme dominicain est là pour annoncer une voie de recherche et d’engagement pour le monde. Une voie qui est enracinée dans la recherche de la vérité, dans la contemplation de cette vérité, mais qui n’est pas un retrait du monde. Bien au contraire, cette contemplation elle est faite du regard attentif sur le quotidien et les grands courants mondiaux. Elle est attentive à nos proches, aux hommes et aux femmes que l’on côtoie. C’est une contemplation qui est toujours à l’affût du mystère de Dieu qui se révèle en notre monde et qui nous lance sur les routes du monde, avec passion, le cœur aux aguets, « parlant avec Dieu ou de Dieu! ». En somme, la vie dominicaine sera toujours une vie en tension où, d’une part nous devons porter la Parole vers les lieux les plus lointains, et où, d’autre part, le coeur et l’intelligence doivent toujours retrouver le chemin de la cellule afin de tendre sans cesse vers Dieu et son mystère.

Action ou contemplation?

Je vous disais dans mon journal de la Trappe que, l’aspect de mon séjour qui me nourrissait le plus à la Trappe, consistait en ces temps libres où je pouvais lire, réfléchir et prier. À un moment donné, pendant ce séjour à Oka, j’ai réalisé que les aspects de mon stage monastique qui m’interpellaient le plus… étaient dominicains! J’en étais à la fois surpris et heureux. L’étude de la Parole, la recherche intellectuelle, nourries par la prière, la liturgie! C’était là pour moi une nouvelle confirmation de ma vocation. Depuis, j’ai pu poursuivre ma réflexion sur ce charisme de la contemplation qui est aussi le nôtre et j’ai consulté saint Thomas à ce propos.Pour saint Thomas, la contemplation est le but même de l’existence humaine, puisque qu’elle est tout orientée vers l’amour de Dieu, Lui qui est le terme de notre existence. La vie contemplative est donc engagée dans cette voie de recherche de perfection en cherchant Dieu sans cesse. Dans la vie dominicaine, c’est le service de l’évangélisation qui vient en premier, l’évangélisation par la prédication, l’enseignement, la « cure d’âmes », c.-à-d. la direction spirituelle, le ministère de la confession. Pourtant saint Thomas nous rappelle à juste titre que, dans la vie dominicaine, la prédication et l’enseignement doivent procéder de la contemplation. Pour saint Thomas, contempler c’est admirable, mais la contemplation qui devient prédication est le sommet même de la vie religieuse.

C’est le « contemplata aliis traedere » des dominicains, c.-à-d. transmettre au monde le fruit de notre contemplation. Saint Thomas affirme : «de même qu’il est préférable d’éclairer que de seulement briller, de même il est préférable de donner aux autres les fruits de sa contemplation que de simplement contempler » ( IIa-IIae, q. 188 ). C’est beau cette vision que présente saint Thomas du charisme dominicain, lui qui est Docteur de l’Église et qui est donc un guide sûr afin de nous aider à mieux comprendre le sens de notre vie dominicaine. Et je me réjouis de trouver chez lui une réponse à cette soif qui m’a toujours habité et qui ne fait que me confirmer dans ma vocation dominicaine. Action ou contemplation? Mais chez nous, cela ne fait qu’un! Et je comprends mieux maintenant pourquoi, au cœur de l’action, de mes engagements apostoliques, la contemplation pouvait me manquer.

Pour saint Thomas, la prédication et l’enseignement sont les fonctions les plus élevées que puisse exercer un ordre religieux. Naturellement Thomas, en écrivant ces lignes, pensait à l’Ordre des Prêcheurs, qu’il se devait de défendre contre le clergé séculier qui remettait en question les privilèges et l’autonomie des dominicains à l’endroit des évêques. Mais pour que les Dominicains puissent véritablement entrer dans cette voie très riche de l’apostolat, saint Thomas déclare que « l’action doit procéder de la plénitude de la contemplation ». C’est à cette condition que la vie du dominicain devient une voie privilégiée dans la recherche de Dieu, c.-à-d. dans la mesure où sa recherche s’enracine dans la prière, l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Et je vois bien à quel point mon besoin de me donner des espaces pour cette contemplation, cette vie d’études, est vital pour exercer mon ministère. Car notre mission principale est de partager les fruits de cette contemplation à travers la prédication et l’enseignement.

Bien sûr les tâches caritatives (hôpitaux, aumônes, soins des pauvres, etc.) ou administratives doivent être assumées en Église. Nous ne sommes pas des frères de Saint-Vincent-de-Paul qui s’occupent des pauvres, des démunis; nous ne sommes pas de la tradition d’une Mère Térésa ou des arches de Jean Vanier. Au cœur du charisme dominicain, l’aumône a tout à fait sa place, mais pour nous l’aumône, notre œuvre caritative principale, c’est de donner l’aumône de la vérité, du sens de la vie. C’est là notre aumône au monde, comme le rappelait le Dominicain Paul Murray dans son cours à l’Angelicum.

Le rapport à la Liturgie des Heures dans la tradition dominicaine (2)

Le couvent des frères : une « sainte prédication »

Les couvents dominicains sont conçus comme de « saintes prédications » . La prédication des frères s’enracine dans une vie régulière qui annonce déjà la bonne nouvelle. La tâche de prêcher, première responsabilité des frères, est portée par toute la communauté. La communauté tout entière est « prédicante », à la fois lieu de formation des frères et d’envoi en mission.

Les grands axes de la vie religieuse des frères sont au service de cette prédication : vœux, observances, liturgie, vie commune et étude. Cet ensemble d’observances s’harmonise dans le quotidien et tend vers l’imitation de la vie des apôtres. Cette nouvelle forme de vie religieuse conjugue l’idéal communautaire des Actes des Apôtres : « Ils étaient assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Actes 2, 42) et l’idéal missionnaire de Jésus qui envoie ses disciples « deux par deux » (Mc 6, 7)). « L’imitation des Apôtres », si chère au monachisme prend donc une coloration nouvelle au 13e siècle. Avec ces nouveaux « moines », la clôture devient le monde. Leur mode de vie itinérante les fera même qualifier de « gyrovague » par certains opposants. Le bénédictin Mathieu de Paris, s’écriera indigné en voyant les premiers dominicains : « ils ont pour cloître l’univers et l’océan pour clôture! » .

Liturgie des Heures et mission

La vie dominicaine est structurée par une tension entre vie commune et appels du monde extérieur. La liturgie, et plus particulièrement la liturgie des Heures, vécue à l’intérieur des couvents, sera donc fortement marquée par celle-ci. Comme le souligne le fr. Vincent de Couesnongle, O.P., dans sa lettre de promulgation de la nouvelle édition du « Propre de l’Ordre des Prêcheurs » pour la liturgie des Heures en 1983 : « Notre vie dominicaine exige que nous soyons fervents dans la célébration des mystères divins et totalement adonnés à l’annonce de l’Évangile(2). »

Saint Dominique donne donc une orientation nettement apostolique à la célébration liturgique et aux conditions régissant l’office choral. Le « breviter et succinte » dominicain, cette manière allègre et brève de réciter l’office chorale, se démarque nettement de la liturgie monastique en vigueur au 13e siècle et qui souffre de la surcharge des siècles passés. La liturgie des Heures, tout en étant belle et soignée, ne doit pas avoir pour but un pur souci d’esthétisme ou d’enchaînement de dévotions sans fin. Il y a urgence dans la demeure de l’Église. La Parole de Dieu doit être annoncée! Et la profonde intuition de Dominique est que le but de la prière liturgique des frères est de porter et nourrir cette annonce de l’Évangile, non pas de la restreindre.

Une première mesure visant à favoriser la mission sera l’instauration de la dispense. Elle permet à des frères, quand la mission ou l’étude l’exigent, de se soustraire à l’office chorale de la communauté pour le célébrer seuls ou en petits groupes, avec moins de solennité. D’ailleurs dès l’année 1221, les frères de l’Ordre obtiennent le privilège de célébrer l’eucharistie hors des couvents, lorsqu’ils sont en mission, en apportant avec eux un autel portatif. Pour Dominique, la vie régulière des frères ne doit pas devenir un empêchement au soin des âmes. À défaut de la célébration avec la communauté, les frères se joignent à la prière de l’Église locale où ils se trouvent. Afin de faciliter cet équilibre délicat entre mission et observances communautaires, Dominique refuse que les observances lient les frères sous peine de péché, ce qui était le cas jusqu’à cette époque. Dominique veut des frères libres et responsables afin d’affronter les défis d’un siècle nouveau, dans un monde en plein bouleversements sociaux.

Conclusion

La prière dominicaine d’aujourd’hui demeure fidèle à son intuition première et porte toujours en elle le cri de saint Dominique : « Mon Dieu, mon Dieu! Que vont devenir les pécheurs… » Notre prière, toute imprégnée de la parole de Dieu, se nourrit des cris et des espoirs du monde. Comme le précise la lettre de promulgation du maître de l’Ordre ci-haut mentionnée : « … notre marche à la suite du Christ, selon le charisme particulier de saint Dominique, cherche à se renouveler constamment dans la prière communautaire, afin de pouvoir prendre en charge les « inquiétudes, les difficultés et les joies de notre apostolat(3). » Voilà la mission que poursuit l’Ordre des Prêcheurs depuis huit cents ans .

1. Premières Constitutions O.P., Prologue.
2. Propre des Offices de l’Ordre des Prêcheurs. Provinces dominicaines francophones. Paris, 1983, par. 4.
3. Ibid.

(Article paru dans la revue Célébrer les Heures. No 38. Été 2003)

Le rapport à la Liturgie des Heures dans la tradition dominicaine (1)

En apparence, la vie communautaire dominicaine semble marquée par la stabilité et la régularité. Il suffit de regarder d’un peu plus près la vie des frères, et ce, depuis les origines de l’Ordre, pour constater combien elle porte en elle comme une empreinte indélébile, un appel vers le large qui est au cœur même de notre vie apostolique. Saint Dominique laisse un précieux trésor à l’Église en fondant son Ordre : un nouveau modèle de vie religieuse où la vie régulière est au service de la prédication, et où cette même prédication est fondée sur l’étude et la contemplation de la Parole de Dieu, vécues dans l’unanimité de la vie commune à l’exemple de la première communauté apostolique de Jérusalem (Ac 2,42-47; Ac 4, 32-33).Les origines

Dès les origines, la réforme de la vie religieuse que propose Dominique cherche à conjuguer l’imitation des apôtres, la pauvreté mendiante et la prédication itinérante. Ces trois lignes de force constitueront les fondements de la naissance de l’Ordre des Prêcheurs. Elles détermineront non seulement la vie missionnaire de l’Ordre, mais la nature même de la vie conventuelle des frères et leur vie de prière.

Notre vie religieuse « fut, on le sait, dès l’origine spécifiquement instituée pour la prédication et le salut des âmes » (1). En saisissant bien cette articulation entre la vie commune des frères et les impératifs de notre mission, on peut comprendre la spécificité de la liturgie des Heures dans notre tradition et son articulation avec les autres éléments qui fondent le charisme de notre Ordre.

La fondation de l’Ordre, en 1216, est le résultat d’une quête passionnée chez un chanoine castillan, Dominique de Guzman, confronté au phénomène des hérésies cathares et albigeoises dans l’Europe du 13e siècle. Il s’engage avec son évêque dans une mission de prédication dans le sud de la France. Cela le convainc que l’Église doit créer de toute urgence un ordre de frères prêcheurs, sans vœux de stabilité, comme les moines, sans liens particuliers à un évêque, comme les chanoines ou le clergé séculier. Ils seront des prédicateurs entièrement voués à la mission, libres de parcourir l’Europe, et au-delà, afin d’annoncer la bonne nouvelle du Christ à toutes les nations.

Dès les débuts de la fondation, l’intuition de Dominique repose sur la nécessité de former des prédicateurs, le clergé de l’époque n’étant pas instruit. À cette fin, il envoie ses premiers frères dans les centres universitaires naissants. Dominique insiste sur la nécessité de donner aux frères un cadre de vie leur permettant de répondre sans délai aux impératifs de la mission. Il y a urgence : le salut des âmes est en jeu. À cette urgence fait écho le célèbre cri de Dominique dans sa prière nocturne : « Mon Dieu, que vont devenir les pécheurs! ». (à suivre)

Chronique d’un frère dominicain en Irak

La situation actuelle en Irak Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, le 9 avril 2003, on compte plus de six cent soixante-dix mille morts sur le territoire irakien. Les chrétiens étaient alors au nombre de huit cent mille, de différents rites, majoritairement des catholiques. Nous comptons aujourd’hui parmi les chrétiens plus d’un millier de victimes, et trois cent mille chrétiens ont quitté le pays depuis 2003. Des centaines d’intellectuels chrétiens, médecins, ingénieurs, avocats, professeurs, inter­prètes et hommes d’affaires, ont été enlevés, tortures et pour la plupart assassinés ou décapités. Ceux qui ont eu la chance d’être libérés ont dû payer une rançon qui varie entre dix mille et huit cent mille dollars.

Tous ceux et toutes celles qui ont le malheur de contacter ou de travailler pour les Américains de près ou de loin sont détectés et pourchassés comme des traîtres, et exterminés.

Depuis l’occupation de l’Irak par les Américains et leurs alliés, la guerre interreligieuse et les affrontements ethniques ont été préparés et déclarés. L’autorité militaire américaine se pose elle-même comme protectrice des lois et des droits de la nouvelle nation irakienne, libérée de la dictature de Saddam Hussein. Mais la réalité est autre. Les affrontements, déjà perceptibles mais étouffés à l’époque de Saddam, sont d’après nous soit voulus par les Américains, soit alimentés ou menés par leurs intermédiaires. Nous remarquons en particulier que les vrais criminels, arrêtés par la nouvelle police ou la nouvelle armée irakienne, sont relâchés rapidement par les Américains, alors que la violence se perpétue et que le nombre de victimes augmente.

La terre irakienne était déjà ensanglantée et minée quand les chars américains ont débarqué, mais l’infrastructure du pays est aujourd’hui détruite : longues coupures d’électricité, pénurie d’eau potable, manque de produits pétroliers… Il faut attendre parfois plus de vingt-quatre heures pour un plein d’essence ; le litre d’essence a dépassé le dollar, dans un pays exportateur de pétrole !

La sécurité est nulle dans la majeure partie de l’Irak. À Bagdad, comme en beaucoup d’autres endroits, le gouvernement n’a jamais maîtrisé la situation, qui est chaotique. La guerre civile entre musulmans chiites et sunnites est une réalité. Des centaines de « points de contrôle », tenus par des hommes armés et le plus souvent masqués, parsèment les routes et coupent les communications entre quartiers et entre villes. On arrête les gens en pleine rue ; on vérifie nom et appartenances ; on les relâche ou on les tue selon leur carte d’identité. Les chrétiens sont considérés comme les personnes les moins dangereuses et les moins protégés, car ils ne présentent aucun enjeu politique. On peut les attraper comme on veut et là où on le veut, sans risque ni remords. Mais les barrages dressent surtout les musulmans les uns contre les autres ; beaucoup de musulmans ont sur eux une fausse carte d’identité chrétienne, qui ne coûte que cent à cent cinquante dollars, et ils portent parfois sur eux ou dans leur véhicule une croix ou un médaillon de la Vierge Marie, pour mieux passer les barrages.

D’après les dernières statistiques publiées par les journaux irakiens, plus de cent cinquante mille familles auraient été délogées de leur demeure de force, ou bien à cause des enlèvements et des assassinats.

Quelles solutions pour les chrétiens ?

Les chrétiens, nationalistes ou non, demandent une solution urgente pour protéger le reste de leur petit peuple humilié et dispersé : un territoire où les chrétiens resteraient démogra­phiquement majoritaires. Cet « espace protégé » pourrait être la plaine de Ninive, où demeurent plus de cent cinquante mille chrétiens. Ce territoire est déjà sous le protectorat de fait des Kurdes, qui cherchent à attirer tous les chrétiens de Mossoul, de Bagdad et d’ailleurs dans une sorte de « pays autonome ». Ce projet a des avantages et des inconvénients. Les chrétiens se sentiraient plus forts et mieux protégés ; ils représenteraient 15 % de la population de la région du Kur­distan ; mais ce rassemblement pourrait aussi être une nasse dans laquelle les chrétiens deviendraient une proie pour nos voisins les islamistes arabes au sud et le Kurdes au nord. Il suffirait à cela un simplement retournement d’alliances.

Il ne faut pas oublier le génocide des Arméniens ; il ne faut pas oublier non plus ce qu’a raconté le frère Jacques Rhétoré et dont témoignent les archives de la province de France : le massacre des chrétiens « assyro-chaldéens » à Summel, au nord de Mossoul, en 1933. Bernés par les Anglais qui leur promettaient un État dont Ninive serait la capitale, les nationalistes assyriens, seuls faces aux Arabes et aux Kurdes, ont été exterminés.

Morts pour la foi.

Dorat, un des quartiers les plus peuplés en chrétiens de Bagdad, est aujourd’hui presque désert : c’est un champ d’affrontement entre factions et aussi un refuge de bandits et de truands. C’est là cependant qu’enseignent régulièrement cinq de nos frères, au Babel Collège de philosophie et de théologie. On y trouve encore toutes les congrégations religieuses, la maison des postulants dominicains et le séminaire chaldéen.

Un grand nombre de chrétiens a quitté Mossoul, Bagdad et Bassora à cause des menaces des groupes terroristes ou fondamentalistes. Beaucoup de prêtres et de laïcs, et aussi un évêque, ont été menacés, enlevés et parfois torturés et assassinés. Le jeune Raymond, vingt ans, proche de notre communauté de Mossoul et voisin du couvent, a été enlevé en août 2004, torturé et décapité. Un film cd a été distribué aux familles chrétiennes par les terroristes, qui montre des scènes de cette actes barbare, et la tête de Raymond dans un récipient. Le film était accompagné de la menace de la même mort à ceux qui ne se convertiraient par à l’Islam. Peu après, le père Sabah Gamoura, un jeune prêtre chaldéen catholique marié, a été attaqué dans sa maison en pleine nuit, mais il a été sauvé par miracle. Enfin, le père Paulus Eskandar, jeune prêtre orthodoxe marié et père de quatre enfants a été assassiné le 11 novembre dernier dans une rue de Mossoul. Il avait été enlevé deux jours plus tôt par un groupe qui agissait à visage découvert et réclamait trois cent mille dollars. Le corps décapité a été retrouvé avant le début de toute négociation ; la tête, précisait le message des assassins, a été coupée dans un récipient afin que le sang du prêtre ne salît pas la terre de l’islam. Le père Paulus avait été torturé afin qu’il reniât sa foi ; mort, sa main gardait trois doigts joints, signe de la Sainte Trinité. Les funérailles ont témoigné de la force et de la sérénité du clergé et du peuple chrétien devant la mort d’un innocent ; ils ont affirmé leur volonté de vivre en frères, dans la paix et le pardon.

Malgré le martyre, malgré les incertitudes, les menaces et les risques, les frères d’Irak, comme beaucoup de chrétiens, n’ont pas perdu le courage et la persévérance de continuer leur mission et d’élargir leur champ apostolique. Leurs projets montrent leur désir de rester auprès des plus démunis et de leur donner la joie de vivre en chrétien. Leurs services s’entendent à Bagdad, Mossoul, Kirkuk, la plaine de Ninive et jusqu’au Kurdistan. Ils dirigent des centres hospitaliers, des orphelinats, le centre al-Nour qui accueille les femmes battues et rejetées par la société, le centre Saint-Jean qui accueille les pauvres, les vieillards, les handicapés, les sans-abris et les orphelins, le centre socioculturel pour les jeunes, la Pensée chrétienne et sa version pour les enfants, et enfin l’audacieux projet d’Université ouverte de Bagdad.

Les chrétiens en Irak ne veulent pas déserter cette terre qui a ouvert ses bras à la Bonne Nouvelle depuis l’apôtre saint Thomas. Malgré les jours sombres et le souvenir des martyrs, Jésus nous assure que c’est toujours la vie qui l’emporte à travers la mort. Nous vivons aujourd’hui ce que le diacre saint Ephrem a écrit il y a seize siècles : « Les bons épis, chargés de blé, baisseront la tête devant la tempête et, quand la tempête sera passée, ils redresseront la tête. »

Fr. Nageeb o.p.

Source : PRÊCHEUR. Bulletin de liaison de la Province de France. NOVEMBRE 2006.

Journal de la Trappe (14)

Je n’ai pu compléter ce que j’avais commencé précédemment, mais ce sera pour une autre fois sans doute. Je voulais traiter de la souffrance, du silence de Dieu et, surtout, de l’utilisation que nous faisons de Dieu. Le Dieu « riche en faveurs », nous sommes très à l’aise avec lui, comme notre ami Caillou, mais le Dieu « pauvre », rien à faire! Présentement, je suis en train de lire « Maître Eckhart ou l’empreinte du désert » de Gwendoline Jarczyk et Pierre-Jean Labarrière, un livre un peu exigeant pour mes connaissances en philosophie, mais qui est néanmoins passionnant. Passionnant parce que l’on y aborde toute la mystique de Maître Eckhart sous l’angle du débat intelligence ou volonté pour accéder à Dieu. Voici quelques extraits :

Parlant du travail d’Albert-le-Grand dans sa consultation des œuvres philosophiques païennes :

« Au point de départ, les fidélités n’étaient donc point si tranchées, et nombreux étaient les échanges entre le courant augustinien transcrivant la pensée de Platon en des termes substantiels et la tradition plus « logicienne » de l’Un de Plotin, s’exposant à travers la technique discursive héritée de Boèce. C’est sous une autre forme que s’exacerba la tension, lorsque le néo-platonisme dionysien affirma plus fortement l’identité entre l’être et l’intellect, s’opposant de la sorte au néo-platonisme augustinien, lequel, relayé par saint Bernard puis par les docteurs franciscains, misait sur l’absolu d’un amour caritatif appelé au relais d’une intelligence tenue pour limitée dans ses capacités unitives. » pp. 40-41

Un thème qui traversera donc les sermons de maître Eckhart est celui de la relation entre l’intelligence et la volonté dans l’homme.

« S’il est hors de doute que l’union s’opère chez lui par voie d’intelligence – s’il rejette donc la position de saint Bernard qui en appelle à la volonté pour conclure positivement là où la raison aurait échoué – la connaissance pour lui est lourde d’une affectivité qui n’est pas étrangère à sa perfection intellectuelle. Ce qui invalide… toute opposition catégorique entre sa mystique « spéculative » et la mystique affective préconisée par les héritiers d’Augustin. » p. 41

Dans son sermon no. 9 nous trouvons un énoncé très clair de la position d’Eckhart :

« J’ai dit à l’École que l’intellect est plus noble que la volonté, et cependant tous deux appartiennent à cette lumière. Un maître d’une autre École dit que la volonté est plus noble que l’intellect, car la volonté prend les choses telles qu’elles sont en lui. C’est vrai. Un œil est plus noble en lui-même qu’un œil peint au mur. Mais je dis que l’intellect est plus noble que la volonté. La volonté prend Dieu sous le vêtement de la bonté. L’intellect prend Dieu dans sa nudité, dépouillé de bonté et d’être. » p.53

Mais sa position dernière aurait été de dire que : « L’accomplissement de la béatitude réside dans les deux : la connaissance et l’amour », même si en terme de hiérarchie, « la palme va à l’intellect ».

Je considère ces questions importantes, car elle touche au fondement même de l’expérience de Dieu, que l’être humain est appelé à faire. Si je me rapporte à ma propre expérience je me souviens de ce moment dans mon cheminement de foi où je souhaitais croire, je désirais croire mais en était incapable. J’avais devant moi toute l’histoire du salut, son pourquoi, son comment. Le tout pouvait faire sens, me disais-je, mais ne me convainquait pas! Au mieux, j’aurais pu me dire croyant en arguant que les preuves en faveur de l’existence de Dieu l’emportaient sur celles de sa non-existence, mais je n’aurais pas eu la foi pour autant. Du moins, cette foi qui fait vivre et à laquelle on s’accroche.

C’est parce que j’avais le désir de croire que j’ai accepté d’aller au bout de ce désir en appelant Dieu à mon secours. Et il m’a répondu. J’ai fait l’expérience de son amour. J’ai voulu sa présence et je l’ai connue. Mais c’est une connaissance toute faite d’amour. Avant que je ne l’aime, lui m’a aimé. Telle a été mon expérience de conversion. Mon expérience première de Dieu a été plutôt de cet ordre du désir, de la volonté de croire, que par le biais d’un acte de l’intelligence. Par ailleurs, c’est ma volonté qui a mû mon intelligence dans cette recherche de Dieu. L’intelligence au service de la volonté!

Le but de Maître Eckhart est de ramener l’homme au seul lieu où il soit « un » avec lui-même, et donc avec Dieu; car être en soi c’est être en Dieu, et « ce qui est en Dieu est Dieu ». p.67

Journal de la Trappe

Il y a quelques années, à l’occasion d’une année sabbatique, j’ai fait un séjour d’un mois chez des trappistes. Je relisais ce journal aujourd’hui, en panne d’inspiration pour mon blogue, et je me suis dit, tiens! pourquoi pas partager ces réflexions avec ceux et celles qui fréquentent mes prés virtuels!Donc, dès demain, je commencerai à vous livrer ce journal, une fois par semaine.

Marie-Joseph Lagrange

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Par ailleurs, je viens de terminer la biographie critique de Marie-Joseph Lagrange, dominicain, illustre fondateur de l’École biblique de Jérusalem, et de l’introduction de la méthode historico-critique dans l’étude de la Bible dans l’Église catholique. Un grand pionner! Un livre très bien documenté, ce n’est pas un roman!, mais d’un grand intérêt pour tous ceux et celles qui s’intéresse à l’exégèse et à l’histoire des études biblique.

Je retiens cette phrase qui exprime bien la grande simplicité du P. Lagrange:

« J’aime entendre l’Évangile chanté par le diacre à l’ambon, au milieu des nuages de l’encens: les paroles pénètrent alors mon âme plus profondément que lorsque je les retrouve dans une discussion de revue. » (Revue biblique, 1892).

Voici ce que l’on a écrit à son sujet dans la Documentation catholique du 3 mai 1992:

« Les évêques se réjouiraient de voir reconnue officiellement sa sainteté. En effet, dans la vie sacerdotale et religieuse, il a su allier, avec un rare équilibre, la vigueur intellectuelle et la vie religieuse. (…) Il a donné aussi un exemple magnifique de liberté et d’humilité dans la recherche de la vérité; il a laissé enfin un témoignage héroïque d’obéissance à l’Église qui en a été constitué la gardienne… Nous pensons que son exemple mérite d’être proposé dans l’Église d’aujourd’hui. Sa béatification inciterait certainement de nombreux chrétiens à se nourrir plus largement de la Parole biblique, à la recevoir dans l’esprit de l’Église et à la faire fructifier dans l’actualité de leur existence. »

Pour en savoir plus: Montagnes, Bernard. Marie-Joseph Lagrange. Une biographie critique. Cerf, 2004.

To blogue or not to blogue…

J’ai peu écrit ces derniers temps. Un temps de « vaches maigres » se disent certains pour le moine ruminant? Pas exactement. Mes occupations m’ont tenu à l’extérieur de la ville et de mon pré, mais le blogue m’habitait. C’est un peu comme un enfant à qui l’on a donné la vie. Il faut ensuite s’en occuper. On s’en souci.C’est mystérieux cette relation avec des lecteurs et des lectrices des quatre coins du monde, avec qui l’on partage sans se connaître. C’est lorsque vous m’écrivez que je prends alors conscience de l’impact d’un blogue. De petites phrases anodines qui parfois viennent éclairer un pan de vie quotidienne.

J’ai eu la chance le week-end dernier de participer à un colloque sur Catherine de Sienne. J’en suis revenu tout plein de ce feu cathérinien. Catherine écrira dans l’Oraison numéro XXII :

« Dans ta nature, Déité éternelle, je connaîtrai ma nature. Et quelle est ma nature, amour inestimable? C’est le feu parce que tu n’es autre que feu d’amour, et c’est de cette nature que tu as donnée à l’homme puisque par feu d’amour tu l’as créé. Et ainsi toutes les autres créatures et toutes les choses créées, tu les as faites par amour. »

Quelle femme! Je comprends qu’elle soit co-patronne de l’Europe, car Catherine était une femme forte et inspirée, une figure prophétique dans une Europe en mutation. De plus, elle est aussi docteur de l’Église, la première à recevoir cette reconnaissance avec Thérèse d’Avila.

Mais le grand mérite de Catherine de Sienne est de nous faire entrer dans l’intimité de l’amour de Dieu à travers son Dialogue, ses Lettres et ses Oraisons. Sa doctrine spirituelle semble inépuisable à qui s’en approche, tellement elle a contemplé Celui qu’elle appelle: « Déité éternelle », « Amour inestimable », « Feu qui sans cesse brûle », la « douce première vérité ». Elle parlait ainsi à Dieu:

« O Trinité éternelle! ô Déité! … vous êtes une mer sans fond où plus je me plonge, plus je vous trouve, et plus je vous trouve, plus je vous cherche encore. De vous, jamais on ne peut dire : c’est assez ! L’âme qui se rassasie dans vos profondeurs vous désire sans cesse, parce que toujours elle est affamée de vous, Trinité éternelle… Car j’ai goûté et j’ai vu, avec la lumière de mon intelligence dans votre lumière, votre abîme, ô Trinité éternelle, et la beauté de la créature. En me contemplant en vous, j’ai vu que j’étais votre image, et que vous m’avez donné votre puissance à vous, Père éternel, avec dans mon intelligence la sagesse, qui est votre Fils unique, en même temps que l’Esprit-Saint qui procède de vous et de votre Fils, faisait ma volonté capable de vous aimer… O abîme, ô Divinité éternelle! Océan sans fond! » (Oraison 22, 10)