La difficulté de croire

Marc Donzé, le biographe de Maurice Zundel, un prêtre suisse, grand spirituel du XXe siècle, disait ceci à son sujet : « Il voudrait pouvoir parler de Dieu, à pas de silence et de respect, au coeur de ce qui importe le plus à l’homme. Il voudrait pouvoir dire sans violence, mais en prenant chaque homme par la main, que Dieu est l’accomplissement de l’homme. » (Donzé, Marc. La pauvreté comme don de soi. Cerf/Saint-Augustin,1997. pp. 36-37).

La foi ne s’impose pas, elle ne se démontre pas. Elle échappe aux raisonnements logiques qui en donnerait une preuve définitive. La foi, on ne peut ni la donner, ni la prêter, ni la transmettre comme un bien qui nous appartiendrait. On peut tout au plus en parler, en témoigner et surtout en vivre. En vivre, ce sera de l’insérer au plus intime de nos journées, de nos faits et de nos gestes. Y puiser force et courage, goûter à cette joie secrète de celui qui accueille en sa vie la présence de Dieu. Pour nous chrétiens et chrétiennes, c’est cela vivre notre en Jésus-Christ.

Quand je suis appelé à parler de la foi, je ne puis m’empêcher d’en parler comme si je m’adressais à des curieux de la foi, à des distants, à des personnes qui ignorent même tout de la personne du Christ. Car le danger nous guette toujours, nous les croyants, de surestimer le chemin parcouru depuis que nous avons commencé à croire. L’homme aime bien domestiquer son existence, l’enfermer dans un monde de sécurité et d’habitudes. Et parfois il agit ainsi avec Dieu. Il en fait son bien, sa chose, au point de ne plus vraiment avoir besoin de lui. Dieu devient une commodité que l’on range dans le grenier de nos surplus.

D’autre part, même si nous pensons accorder une juste place à Dieu dans nos vies, je suis convaincu qu’il nous faut toujours entendre parler de la foi avec la ferveur des amoureux lorsqu’ils entendent parler de l’amour. Car parler de la foi en Dieu c’est toucher à la fibre la plus intime et la plus personnelle de notre existence, au-delà de toutes nos amitiés, de tous nos amours. Comme le dit Maurice Zundel : « Dieu est l’accomplissement de l’homme » et l’enjeu qui se cache derrière l’expérience de la foi est celui de la réalisation même de mon être en tant que personne. Nous sommes donc loin ici de définitions abstraites, de doctrines, de choses à retenir. Quand nous abordons en Église la question de la foi, nous parlons avant tout de notre bonheur.

Quand on aborde la question de la foi nous sommes souvent renvoyés par les non-croyants aux nombreux scandales qui entoure les religions, toutes espèces confondues. Au nom de la religion des hommes et des femmes exploitent, dominent, excluent et tuent leurs semblables. La religion est vécu par certains comme un pouvoir, une vérité qu’il faut imposer aux autres ou encore au nom de laquelle il faut exclure les autres, quitte à les exterminer. Toutes les religions ont connu ces excès et encore aujourd’hui nous sommes témoins d’actes intolérances commis au nom de la différence religieuse. Certains voient là la preuve que les religions ne servent à rien et par le fait même ils trouvent là la justification leur permettant de disqualifier tout discours sur Dieu.

Par ailleurs, si l’on veut aborder sérieusement la question de l’intolérance, de l’exclusion ou de l’anéantissement pur et simple de l’autre, il faut être honnête et se rappeler que le XXe siècle, entre tous les siècles, a connu les pires des guerres, utilisant des armes de destructions massives; il faut aussi se rappeler que le XXe siècle a connu les pires mouvements d’exclusion et d’extermination sous divers régimes athées : le communisme en Union Soviétique et en Chine, le nazisme en Allemagne, les Khmers Rouge dans le Kamputchéa de Pol Pot (Cambodge), les massacres raciaux il y a seize ans au Rwanda… Dans aucun de ces cas la religion n’a joué un rôle. « L’homme est un loup pour l’homme », dit le dicton, et son instinct de violence et de domination s’affirme partout là où il exerce son emprise, même au nom de la religion. Les grandes religions, en dépit de leurs messages de paix et de concorde, peuvent aussi tomber entre les mains de mercenaires, et alors l’on confond le message et le messager.

Mais est-ce là une raison pour évacuer Dieu de notre horizon? Alors il faudrait non seulement cesser de croire mais aussi cesser d’aimer, car il y a tellement de crimes commis au nom de l’amour qu’il faudrait tenir tout attachement à un autre comme suspect, sinon dangereux. Ne pourrait-on pas trouver dans toutes ces violences quotidiennes que traversent de nombreux couples et familles la justification au bannissement de l’amour dans nos sociétés. Ainsi on pourrait lire sur des panneaux : « Interdiction d’aimer car l’amour ne conduit qu’à la violence ». « L’amour opium du peuple! » N’est-ce pas là le raisonnement que font ceux et celles qui mettent Dieu en-dehors de leur vie à cause des excès commis au nom de la religion.

Plus fondamentalement, la raison pour laquelle Dieu est ignoré par tant de personnes ne réside pas dans une explication unique mais, en même temps, elles se rejoignent toutes. Ainsi certains ressemblent aux Athéniens dont parle l’Apôtre Paul, et qui n’ont jamais vraiment entendu parler de lui. D’autres n’en ressentent tout simplement pas le besoin. Ils semblent satisfaits de n’avoir aucune explication au sens de la vie. Tandis que d’autres encore refusent de croire parce que l’idée d’un Dieu créateur leur semble absurde. Ils ont l’impression que croire en Dieu veut dire perdre son autonomie, sa liberté. Ils se font des représentations assez fragmentaires de la foi, pour ne pas dire caricaturales, d’où leur refus de croire. Mais dans tous ces cas Dieu est méconnu. Comme le disait sainte Marguerite : « L’amour n’est pas aimé. » La source même de nos vies est ignorée. Mais le mystère est tellement immense, tellement incroyable que l’on peut comprendre qu’il soit si difficile de croire.

L’expérience spirituelle sans Dieu

Bien des personnes parlent de leur spiritualité aujourd’hui. Une spiritualité sans Dieu dont le centre est habituellement l’individu lui-même. Une spiritualité qui se définit par les intérêts de la personne, son style de vie, sa manière propre de vivre le quotidien. Il s’agit d’une spiritualité centrée sur le « je » et sa manière d’interagir avec son environnement. Cette spiritualité séculière est habituellement intemporelle et a-historique. Elle n’a ni passé, ni future. Elle se nourrit de l’instant présent. Elle est sans antécédents, sans tradition et dépourvue de ce que l’on pourrait appeler l’espérance, en ce sens qu’elle n’est pas en attente d’un lendemain plus prometteur. Il s’agit d’une spiritualité sans salut et sans attente particulière.

Fondamentalement, cette spiritualité est individualiste : le temps, l’histoire et le rapport à autrui n’en sont pas des facteurs déterminants. Le sujet qui vit ce type de spiritualité peut y trouver une certaine paix, une façon d’intégrer son histoire personnelle et de l’harmoniser avec le flux du temps qui passe.

Elle peut donner l’illusion de fournir une certaine emprise sur le défi de s’accomplir en tant qu’être humain, mais dans les faits cette spiritualité séculière fait de l’homme un orphelin en quelque sorte, qui n’a comme guide que l’écho de sa voix et de sa conscience devant le vide abyssal de l’univers qui se projette devant lui. Cette spiritualité, comme toutes les autres, vise à donner un sens à l’expérience fondamentale qui habite secrètement le coeur de l’homme : sa profonde solitude dans un monde qui lui est foncièrement hostile et où ses jours sont comptés dès sa naissance.

Cette recherche spirituelle est habitée par la même recherche qui est au coeur de toutes les religions : donner une certaine cohérence, donner un sens au mal de vivre qui marque de son empreinte toute vie humaine. D’une certaine façon, la spiritualité séculière qu’ont adoptée bien de nos contemporains est marquée par une recherche de sens qui constitue, malgré ses limites et son narcissisme parfois, un premier pas en dehors de soi.

« Qu’est-ce donc que nous crient cette avidité et cette impuissance, sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable bonheur, d’où il ne lui reste que la marque et la trace toute vide, et qu’il essaie inutilement de remplir de tout ce qui l’environne, recherchant des choses absentes le secours qu’il n’obtient pas des présentes; mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable; c’est-à-dire que par Dieu lui-même. » (Blaise Pascal, Pensées, Ed. Seuil, 1962, n° 148)

En tout homme, il y a ce profond silence qui ne demande qu’à être habité. Plusieurs éprouvent le vertige devant cet abîme sans fond qui les appelle. Ils fuient alors en dehors d’eux-mêmes afin de donner sens à une existence en manque d’être. Succès professionnels, divertissements, dépendances et erzats de toutes sortes : ils s’enivrent des biens terrestres sans pouvoir véritablement combler leur soif de vivre. Le monde leur devient un immense désert où ils errent sans direction. Et quand elles entendent parler de Dieu, ces personnes sont tellement devenues étrangères à elles-mêmes qu’elles l’imaginent au-delà d’un horizon quelconque, dans un ailleurs tellement lointain qu’elles ne peuvent y croire.

Je ne juge pas ces personnes, croyez-moi. Je connais leur recherche et leurs errances puisque j’ai parcouru les mêmes chemins avant de venir à la foi. C’est donc en connaissance de cause que j’en parle. Je propose ici tout simplement un constat et comment je m’explique pourquoi les hommes empruntent des chemins si divers dans leur quête de sens.

Yves Bériault, o.p.

Un chrétien ne croit pas en n’importe quel Dieu

Jacques Couture, prêtre et ancien ministre du travail pour le gouvernement du Québec, exprime ainsi sa foi en Dieu :

« Je ne connais pas ce Dieu qui trône dans les cieux, au milieu des archanges, des chérubins et des puissances… Le Dieu que je connais est impuissant, silencieux et terriblement gênant. Il m’empêche de dormir tranquille. Il hante mes nuits paisibles. Il dit qu’il a faim, qu’il a soif, qu’il est nu, qu’il est étranger, qu’il est prisonnier. Il crie sur le bord de la route. Il gémit abandonné, rejeté, il étale sans pudeur ses os décharnés, son corps meurtri.. Le Dieu que je connais s’appelle Jésus-Christ. Il se tient à l’ombre de chez moi… »

(Extrait de Aux frontières de la foi. Entre l’athéisme et le mystère, de Jean-Guy Saint-Arnaud. Médiaspaul, Montréal, 2007, 200 pages.)

Dieu existe-t-il encore?

Un lecteur du blogue du Moine ruminant a attiré mon attention sur une entrevue donnée par André Comte-Sponville sur la chaîne radio de Radio-Canada, portant sur le thème « L’expérience spirituelle sans Dieu ». Coïncidence? C’est le thème que je donnais à mon blogue il y a une semaine.Afin d’entrer dans cette rencontre entre la foi en Dieu et l’athéisme moderne, je vous conseille un livre qui renoue avec la pratique de la « disputatio » médiévale, où deux philosophes débattent sur l’existence de Dieu, question traditionnelle aujourd’hui réactivée. Les deux philosophes sont Philippe Capelle – André Comte-Sponville . Et le titre du livre est « Dieu existe-t-il encore?« .

Je ne veux pas reprendre ici la discussion sur le bien-fondé de l’existence de Dieu. J’y crois. Je dirais plus, j’aime. Alors, comment prouver que l’on aime véritablement à un autre. Je ne crois pas par besoin, ou par insécurité, ou parce que je tiens à aller au ciel. D’ailleurs, tous les croyants que je connais n’ont pas du tout cette perspective de l’éternité dans leur horizon de croyants. Ce qui leur importe, c’est leur vie d’homme ici-bas. Sans vouloir minimiser le sens de la vie éternelle pour nous chrétiens, je dirais que le ciel est un bénéfice secondaire dans l’acte de foi. La foi est en tout premier lieu un don pour maintenant, pour l’aujourd’hui terrestre.

Quant à ma foi en Dieu et en son Fils Jésus-Christ, je l’accueille comme le don le plus extraordinaire qui soit. Je crois comme j’aime le chaud soleil du matin, la première brise de printemps, le chant des oiseaux en forêts, ou le rire des enfants qui courent après les papillons. La véritable foi en Dieu est gratuite, c’est donné, c’est une joie, c’est plus fort que moi, c’est plus fort que tout, et ma vie y puise comme à sa source. Ainsi est faite la foi en Dieu pour moi.

Elle est avant tout une rencontre avec Celui qui habite au plus profond de moi, qui est le créateur de toutes choses, et dont la connaissance apporte un tel bonheur, un tel accomplissement de soi, qu’après 30 ans de cette expérience de foi, je ne puis en douter, même si ma foi n’est jamais de l’ordre d’une certitude. C’est mon espérance qui est certaine.

Dieu ne se prouve pas. Tout comme l’athée ne peut prouver sa non-existence. L’athée croit au néant, le croyant croit en Dieu. Mais croire au néant n’implique pas le rapport à un Autre, comme la foi peut l’impliquer. L’athéisme est une croyance, oui, mais qui laisse l’homme seul avec lui-même. Bien sûr, l’autre, le prochain, le frère en humanité, importe beaucoup dans le parcours de bien des athées, et je les admire. Leur engagement envers le monde est noble et beau. Mais c’est un parcours auquel le christianisme n’a rien à envier. Il suffit de regarder la vie des innombrables témoins de la foi au fil des millénaires pour s’en convaincre.

André Comte-Sponville affirme que « l’athéisme est une forme d’humilité ». L’origine latine de notre mot « humilité » peut nous aider à nous débarrasser d’une fausse idée de l’humilité. En effet, le mot « humilité » vient du latin humus qui se traduit par « terre, sol ». Ce mot est passé directement en français pour désigner la couche superficielle du sol, très féconde, qui accueille la semence pour lui faire porter du fruit. On comprend alors que l’humilité chrétienne est cette qualité d’ouverture qui permet au croyant d’accueillir la Parole de Dieu avec joie, comme une semence qui donne à sa vie une dimension nouvelle.

La foi en Dieu est une grâce que l’homme ne peut se donner à lui-même. Tout ce qui est requis de lui c’est vouloir suffisamment cette grâce pour la demander à Dieu. Voilà la véritable humilité. Le refus de s’engager dans ce dialogue, certe risqué et compromettant, c’est de l’orgueil, et en ce sens, l’athéisme est une forme d’orgueil.

À Maya qui m’écrit : Comment osez vous parler de Jésus?

Bonjour Maya,

Que de colère dans votre message! Ce n’est sûrement pas le premier pas d’un dialogue. C’est plutôt comme un graffiti, et pourquoi pas… Je respecte votre opinion et j’oserais dire aussi que je la comprends, puisque j’ai connu l’athéisme.

Merci d’avoir pris la peine de m’écrire. Votre opinion vaut bien la mienne.

Cordialement.