Conférence : Sauver la beauté du monde

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La Faculté de théologie du Collège universitaire dominicain – Dominican University College vous invite aux conférences de l’année 2020 sur son campus d’Ottawa.

La conférence de Jean-Claude Guillebaud est présentée dans la foulée de la publication de son ouvrage intitulé Sauver la beauté du monde, paru en octobre 2019 aux Éditions de L’Iconoclaste.

Ayant passé sa vie à sillonner le monde, Jean-Claude Guillebaud, journaliste, écrivain et conférencier bien connu, revient sur toutes les beautés glanées au fil de son existence : l’extrême émotion ressentie devant une peinture pariétale à Lascaux, devant une abbatiale du XIIe siècle, la parade amoureuse d’un oiseau, le basculement du ciel au-dessus de nos têtes… Si l’auteur révèle toute cette beauté, c’est pour nous rappeler à quel point elle est fragile. Il faut, à tout prix, la préserver. Conférence présentée en collaboration avec l’Institut de pastorale des Dominicains.

Le jeudi 13 février 2020 à 19 h 30
La salle 221 au Collège universitaire dominicain,
96, avenue Empress, Ottawa

Pour information :
Claude Auger
613-233-5696 poste 341
claude.auger@udominicaine.ca
http://www.dominicanu.ca/

 

Homélie pour le 3e Dimanche T.O. (A)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 4, 12-17)

Quand Jésus apprit l’arrestation de Jean le Baptiste,
il se retira en Galilée.
Il quitta Nazareth
et vint habiter à Capharnaüm,
ville située au bord de la mer de Galilée,
dans les territoires de Zabulon et de Nephtali.
C’était pour que soit accomplie
la parole prononcée par le prophète Isaïe :
 Pays de Zabulon et pays de Nephtali,
route de la mer et pays au-delà du Jourdain,
Galilée des nations !
Le peuple qui habitait dans les ténèbres
a vu une grande lumière.
Sur ceux qui habitaient dans le pays et l’ombre de la mort,
une lumière s’est levée.

À partir de ce moment, Jésus commença à proclamer :
« Convertissez-vous,
car le royaume des Cieux est tout proche. »

COMMENTAIRE

Chaque année, dans notre église, un événement unique est célébré le 24 décembre, soit la Crèche vivante, la messe familiale de Noël, et plusieurs des personnes qui y viennent nous sont inconnues. Elles nous rendent visite une fois par année, et à leur manière elles font partie de nos fidèles réguliers !

Ils sont fidèles ! Ils sont là tous les ans et on peut vraiment voir leurs yeux briller de bonheur à l’occasion de cette messe de Noël. Ils sont « endimanchés », ils applaudissent à tout rompre dès qu’une occasion se présente. C’est un public bon enfant, qui aime bien rire avec les enfants, et qui se laisse séduire par le mystère que nous célébrons à travers notre mise en scène bien modeste du mystère de Noël. Tout comme les bergers, année après année, ils suivent l’étoile de Bethléem, et se retrouvent tout près de la crèche.

Pourquoi vous raconter tout cela ? C’est que je vois dans cette célébration, plus qu’à aucun autre moment de notre année liturgique, l’accomplissement de ce que nous dit la Parole de Dieu aujourd’hui, en écho à la prophétie d’Isaïe :  

Pays de Zabulon et pays de Nephtali, route de la mer et pays au-delà du Jourdain, Galilée des nations ! Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient dans le pays et l’ombre de la mort, une lumière s’est levée.

Pour bien comprendre cette prophétie d’Isaïe, permettez-moi de présenter ici son contexte historique. Quand Isaïe fait cette prophétie, près de huit cents ans avant Jésus-Christ, le Royaume d’Israël est divisé en deux. Il y a eu rupture, guerres, et deux entités politiques s’affrontent : tout d’abord le Royaume d’Israël, au nord du pays, qui a la ville de Samarie comme capitale, et le Royaume de Juda, au sud qui a Jérusalem comme capitale. C’est Juda qui est le royaume légitime puisque ses rois sont de la descendance du roi David. 

La prophétie d’Isaïe a pour objet le Royaume du Nord, cette région où habitent deux des douze tribus d’Israël, soit Zabulon et Nephtali, et cette région est appelée la Galilée des nations. Quand Isaïe annonce qu’une grande lumière va se lever sur le Royaume du nord, il reprend une formule qui était utilisée lors de l’intronisation d’un roi en Israël. L’on proclamait alors qu’une grande lumière s’était levée sur le pays. En reprenant cette formule dans sa prophétie pour le pays de Zabulon et de Nephtali, Isaïe annonçait la venue d’un grand roi qui apporterait la paix et qui réunifierait Juda et d’Israël, pour n’en faire qu’un seul pays. Voilà pour le contexte historique de notre prophétie. 

Maintenant, l’évangéliste Matthieu va reprendre cette même prophétie d’Isaïe, mais pour désigner la venue du Messie en la personne de Jésus. Pour les premiers chrétiens, et pour nous aujourd’hui, Jésus est cette grande lumière qui s’est levée sur le monde !  

Il est important de se rappeler que la Parole de Dieu dans la Bible est souvent comparée à une lumière. On dit d’elle qu’elle est une lumière sur notre route, une lampe sur nos pas, car nos vies sont faites d’ombre et de lumière, tant nos vies personnelles que ce monde où nous vivons, sans cesse aux prises avec des conflits, des violences, et des bouleversements. Nous avons tous besoin de lumière pour nous guider dans ces nuits que nous traversons. Et quand je contemple cette foule à Noël, j’ai le sentiment de toucher à cette soif de bonheur qui nous anime tous. Cette foule devient en quelque sorte comme un révélateur de qui nous sommes, de nos aspirations, de notre quête de sens. 

Cette assemblée réunie autour de la crèche vivante, nous fait voir combien les parents aiment leurs enfants. Cette messe est comme une fête des familles et ces dernières sont touchées par le mystère de Noël, puisqu’elles reviennent année après année, alors que pour beaucoup d’entre elles ce sera peut-être leur seule présence à l’église pendant l’année.

Je revois cette maman avec qui j’échangeais avant Noël, et dont les enfants participaient pour la troisième année à la Crèche vivante, et qui me confiait qu’elle en avait eu les larmes aux yeux la première fois qu’elle était venue à cette messe. À sa manière, elle témoignait qu’elle était touchée par cette lumière du Christ qui se lève sur le monde et que nous célébrons à Noël. Et c’est là une conviction chez moi : ils sont beaucoup plus nombreux que nous le croyons ceux et celles qui aspirent à cette lumière, à cette joie.

À travers mon ministère, lors de la préparation de baptêmes, de mariages et de funérailles, je suis sans cesse émerveillé par la bonté des personnes que je rencontre, des rêves qu’elles portent, de l’amour qui les anime, faisant preuve parfois d’une générosité sans borne. Je rencontre des personnes que l’on juge parfois comme étant loin de nous, parce qu’elles ne sont pas présentes à nos célébrations, des personnes qui pourtant nous ressemblent tellement. Vous-mêmes, tout comme moi, vous faites cette expérience. Pensez simplement à vos enfants, à certains de vos amis, à un voisin

Frères et sœurs, n’en doutons pas, le Christ poursuit sa route en cette Galilée des nations qui s’étend maintenant aux dimensions du monde, et où il envoie ses disciples porter la bonne nouvelle de Jésus Christ, comme le chantait Zacharie, soleil levant, l’astre d’en haut, qui vient illuminer de sa présence tous ceux et celles qui le cherchent et conduire leurs pas au chemin de la paix.

Alors, prions aujourd’hui pour tous les chercheurs de Dieu, pour ces familles qui nous visitent à tous les ans, prions aussi pour tous ces chrétiens et ces chrétiennes avec lesquels l’unité n’est pas encore accomplie, mais qui avec nous sont disciples du Christ.

fr. Yves Bériault, o.p.

 

Lettre d’une mère à son fils décédé

Mon Eloi,
Mon grand,

Aujourd’hui nous reprenons notre vie là où nous l’avions laissée après le coup de téléphone de ton chef de corps, le 2 janvier au soir, il y a presque 3 semaines. Tout est semblable et tout est different.

Le vide a un poids. A présent je le sais. Le vide a un poids que je vais porter jusqu’à mon dernier souffle. J’apprendrai à vivre avec, j’apprendrai à l’oublier plusieurs fois par jour mais je sais qu’il se rappellera quotidiennement à moi.

Le manque a un volume. A présent je le sais. Il occupe presque tout l’espace. Il se faufile, il envahit tout. Il oppresse, il étouffe.

Le souvenir est une brûlure douce et intense à la fois. A présent, je le sais. Elle brûle, elle est douloureuse et puis ensuite, seulement après, elle réchauffe et apaise.

L’amour est un feu qui ne s’éteint pas. A présent, j’en suis certaine. Il irradie depuis la vallée jusqu’au plus haut sommet. Il se donne, il se reçoit, il se partage sans fin.
La foi est un secours. A présent, je le vis.

J’ai un sac à ton nom rempli d’amour à donner. J’en ai un pour chacun de mes enfants. Ils ne sont pas interchangeables, car les enfants ne le sont pas. Me voilà à présent avec un sac à porter qui s’alourdira des vacances où tu ne seras pas là, des conversations téléphoniques du week-end que nous n’aurons plus, des Noels où tu seras absent, des cadeaux d’anniversaire que nous ne t’offrirons plus, des photos de famille où tu n’apparaîtra plus, des rides et des cheveux gris qu’on ne te verra jamais porter. Oui, assurément le vide a un poids.

Je suis triste mais je suis pas amère et encore moins révoltée. « Mieux vaut une vie courte et heureuse que longue et ennuyeuse » aimions-nous nous répéter. Et bien voilà, nous y sommes. Tu auras eu une vie courte et, je pense, heureuse. Tu aurais pu avoir une vie longue et heureuse…tu as l’éternité heureuse et tu veilles sur nous. Tu es notre premier de cordée.

Ta maman qui t’aime.

« Il enseignait en homme qui a autorité » (Mc 1, 21-28)

Homélie pour le mardi 14 janvier 2020

En quittant le temps de Noël, nous entrons dans un nouveau cycle liturgique que j’aime bien appeler le temps de l’Église, où les Évangiles nous donnent de voir Jésus à l’œuvre dans son ministère de prédicateur et de guérisseur. Nous entrons à nouveau à l’école des disciples afin de poursuivre l’approfondissement de notre foi en Dieu dans notre suite du Christ.

Nous commençons ce temps « ordinaire » de la vie de l’Église avec l’évangéliste saint Marc qui va droit au but en écrivant son évangile : pas de grands discours théologiques en guise d’introduction, comme chez saint Jean, pas de récit de l’enfance comme chez Luc ou Matthieu. Non, l’objectif de Marc est énoncé dès le premier verset de son écrit : « Commencement de l’Évangile de Jésus Christ Fils de Dieu. » Suit immédiatement le baptême de Jésus, et voilà le lecteur entraîné par Marc à la suite de Jésus dans son ministère de prédication et de guérison.

D’entrée de jeu, Marc veut nous donner de comprendre en quoi consiste cette irruption de Dieu dans l’histoire de l’humanité., lui qui nous envoie son Fils. Mais Marc le fait en tenant ses auditeurs en haleine tout au long de son récit, posant à plusieurs reprises la question suivante : mais qui donc est cet homme ? Qui est-il celui-là qui parle avec tant d’autorité, c’est-à-dire qui semble investit d’un pouvoir et d’une parole qui viennent d’ailleurs, parole tellement prégnante de vérité et de vie qu’elle peut même guérir les malades, libérer les possédés, ouvrir les cœurs les plus endurcis ?

Au seuil de cette nouvelle saison liturgique, nous sommes donc invités à nous laisser interroger à notre tour : « Mais qui donc est cet homme ? » Car tout au long de notre vie de croyants, tant les évènements, les épreuves, les contradicteurs ou encore l’habitude, nous obligent à nous resituer sans cesse devant ce mystère de notre foi et le défi que cela représente que de se tenir debout dans le monde avec le Christ comme maître et Seigneur.

Et si parfois notre foi ne se réduit qu’à une toute petite flamme vacillante, quand elle est aux prises avec ses doutes, ses fatigues ou même ses indifférences, nous avons cette assurance que le Christ a pour nous des paroles salutaires capables de nous relever et de nous guérir.

Yves Bériault, o.p.

 

Prière au Dieu caché

Parce que tu as aimé cette terre Seigneur, voilà qui me donne d’espérer quand je sens ma foi vacillante. À voir vivre tes enfants rieurs, comment ne pas sentir la tendresse de ton regard posé tout doucement sur chacun d’eux. Tu es là ! Je le crois. Et je devine ta joie, car c’est ma joie. Et je connais ta peine lorsqu’ils souffrent, car c’est la mienne, et elle ne peut venir que de Toi.

Et du plus profond de mon impuissance monte en moi cet appel à les consoler avec Toi ! À prendre avec Toi ce poids de douleur qui accable notre terre jusqu’à plus soif. Mais je te découvre plus pauvre que moi. Plus pauvre que moi dans ta toute-puissance. Et ton amour n’en finit plus d’attendre les deux mains clouées sur le bois. Qui donc prendra sur lui le poids de ta croix? Faut-il être entré dans ta gloire pour mesurer le poids infini de ta souffrance et trouver la force de l’assumer avec Toi?

Pourquoi te cacher derrière ce silence qui enveloppe l’univers comme si, sur le point de parler, tu retenais ton souffle, l’espace d’un instant. Un instant d’éternité où l’Homme attend les yeux tournés vers le ciel…

Pourtant, tout dans l’univers ne s’écrie-t-il pas: « Gloire! Des astres créés, aux rires des enfants, contemplez Celui qui vient! Celui qui Est! Contemplez! Il est là, aux portes du monde, et vous êtes chez Lui. L’univers est son jardin et l’Homme, un promeneur solitaire qui cherche son chemin. N’entendez-vous pas sa voix? »

Et l’Homme, reste-là, hébété au cœur du jardin, soûlé par le poids de sa vie, ne sachant plus où regarder quand tout, autour de lui, l’appelle vers Toi.

Nous aurais-tu donc créés aveugles ?

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le Baptême de Jésus (A)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 3, 13-17)

Alors paraît Jésus.
Il était venu de Galilée jusqu’au Jourdain
auprès de Jean,
pour être baptisé par lui.
Jean voulait l’en empêcher et disait :
« C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi,
et c’est toi qui viens à moi ! »
Mais Jésus lui répondit :
« Laisse faire pour le moment,
car il convient
que nous accomplissions ainsi toute justice. »
Alors Jean le laisse faire.

Dès que Jésus fut baptisé,
il remonta de l’eau,
et voici que les cieux s’ouvrirent :
il vit l’Esprit de Dieu
descendre comme une colombe et venir sur lui.
Et des cieux, une voix disait :
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé
en qui je trouve ma joie. »

COMMENTAIRE

Depuis les tout premiers siècles de l’Église, la fête des Rois mages et le Baptême du Seigneur ont toujours été associés à son Épiphanie, c’est-à-dire à sa manifestation au monde, les mages représentant les nations païennes, et le baptême de Jésus marquant le début de son ministère public. 

Dans les quatre Évangiles, ce ministère commence lors de son baptême. Il y a donc là un évènement capital dans la vie de Jésus où à travers signes et symboles, les évangélistes nous dévoilent à la fois l’identité de Jésus ainsi que l’orientation fondamentale que va prendre sa mission parmi nous. On pourrait penser à un tableau impressionniste où les évangélistes nous présentent à leur manière cet évènement déterminant dans la vie de Jésus : il y a l’eau et la foule, la voix de Dieu et la colombe, Jean le Baptiste et ses disciples, et surtout, au milieu d’eux, la présence de Jésus.

Mais précisons d’entrée de jeu que ce baptême que reçoit Jésus n’est pas le baptême chrétien. Il s’agit d’une tout autre démarche de pénitence et de conversion qui n’est pas une coutume juive traditionnelle, mais un rituel qui serait propre à Jean Baptiste et qui survient alors qu’il y a une grande effervescence dans toute la Judée. 

Le contexte historique et social est le suivant. La voix du dernier prophète s’est éteinte 450 ans plus tôt avec la mort du prophète Malachie. Le pays est sans rois depuis près de six cents ans, constamment occupé par des envahisseurs païens, et le peuple se demande quand vont se réaliser les promesses de Dieu tant annoncées par les prophètes de lui envoyer un messie. Déjà, le prophète Isaïe semblait pousser un soupir d’impatience quand il s’exclamait : « Ah ! Si tu pouvais déchirer les cieux et descendre ». Si tu pouvais enfin venir nous sauver!

En réponse à cette attente survient Jean Baptiste. Certains se demandent si ce n’est pas lui le Messie, mais Jean annonce la venue d’un plus grand que lui. Et quand il le reconnaît en la personne de Jésus, il s’étonne de sa présence dans les eaux du Jourdain. Même lui est décontenancé par ce messie qui prend place parmi les pécheurs. La même question s’impose à nous : mais qu’est-ce que Jésus fait là et pourquoi se fait-il baptiser ? 

Pour comprendre, examinons la scène du baptême. Tout d’abord, il y a la voix de Dieu qui se fait entendre, et qui nous dévoile l’identité de Jésus : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie. » Nous avons devant nous le Fils bien-aimé du Père, et sa présence parmi la foule qui se reconnaît pécheresse, nous révèle que le Fils de Dieu assume pleinement notre condition humaine ; il la prend sur lui avec son poids de péchés et de misères, et il marche avec nous, se faisant solidaire des hommes et des femmes en quête de pardon et de bonheur.

Lors de ce baptême, il y a aussi la colombe qui représente l’Esprit Saint. On pense ici à la colombe après le déluge ou encore à l’esprit du Seigneur qui planait sur les eaux, au moment de la création du monde. C’est l’heure de la nouvelle création qui a sonné où le Fils de Dieu nous donne déjà une preuve incroyable de son amour en se soumettant au baptême de Jean. Dans cette action de Jésus, s’exprime à la fois une fidélité entière et radicale à la volonté du Père, ainsi qu’une solidarité avec nous qui le conduira jusqu’à la mort. Et c’est ainsi que par ce baptême qu’il demande et reçoit, Jésus nous prend déjà sur ses épaules, tout comme il prendra sa croix. Celui qui était sans péché, prend déjà sur lui nos péchés et se fait baptiser.

Le baptême du Baptiste n’est toutefois qu’une préfiguration du baptême chrétien. Il sera transfiguré après la résurrection du Seigneur. Désormais, quand ce geste sera posé en Église, ce ne sera plus seulement une volonté de conversion qui sera manifestée, mais il deviendra une adhésion à la vie même du Ressuscité, une remise toute entière de nos vies entre les mains du Père, nous modelant peu à peu à sa ressemblance par le don de l’Esprit Saint.

Malheureusement, trop d’hommes et de femmes ignorent à quel point Dieu les aime et combien cet amour a le pouvoir de transfigurer leur vie. C’est pourquoi il nous faut porter sans cesse le souci et le désir d’annoncer la bonne nouvelle du salut en Jésus Christ.

Il ne s’agit pas de convertir pour faire nombre, pour se rassurer en n’étant pas les seuls à avoir la foi, ou nous réjouir parce que le jubé de notre église serait rempli! Non, il s’agit avant tout de partager avec d’autres le bonheur de croire en Dieu, et son envoyé Jésus Christ, de la même manière qu’on ne peut garder pour soi-même notre émerveillement devant un roman merveilleux, un film qui nous séduit, un coucher de soleil à couper souffle, ou une bonne nouvelle inattendue qui fait irruption dans nos vies. Oui ! Nous voulons alors annoncer cette bonne nouvelle!

Quand nous aimons, il est normal de vouloir partager nos coups de cœur avec les autres. Et il n’y a pas plus grand coup de cœur que la présence de Dieu dans une vie, Lui qui de mille et une manières nous redit sans cesse : « Tu es ma fille bien-aimée, tu es mon fils bien-aimé, en toi j’ai mis tout mon amour. » Amen.

fr. Yves Bériault, o.p.

 

Homélie pour le samedi de l’Épiphanie

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean » (Jn 3, 22-30)

En ce temps-là,
Jésus se rendit en Judée, ainsi que ses disciples ;
il y séjourna avec eux, et il baptisait.
Jean, quant à lui, baptisait à Aïnone, près de Salim,
où l’eau était abondante.
On venait là pour se faire baptiser.
En effet, Jean n’avait pas encore été mis en prison.
Or, il y eut une discussion entre les disciples de Jean et un Juif
au sujet des bains de purification.
Ils allèrent trouver Jean et lui dirent :
« Rabbi, celui qui était avec toi de l’autre côté du Jourdain,
celui à qui tu as rendu témoignage,
le voilà qui baptise,
et tous vont à lui ! »
Jean répondit :
« Un homme ne peut rien s’attribuer,
sinon ce qui lui est donné du Ciel.
Vous-mêmes pouvez témoigner que j’ai dit :
Moi, je ne suis pas le Christ,
mais j’ai été envoyé devant lui.
Celui à qui l’épouse appartient, c’est l’époux ;
quant à l’ami de l’époux, il se tient là,
il entend la voix de l’époux,
et il en est tout joyeux.
Telle est ma joie : elle est parfaite.
Lui, il faut qu’il grandisse ;
et moi, que je diminue. »

COMMENTAIRE

Ce matin, à travers le témoignage de Jean Baptiste, nous sommes entraînés sur un chemin où il n’est pas toujours facile de nous engager, soit celui de l’humilité. C’est le dominicain Maître Eckhart qui affirme que «l’humilité s’enracine dans le fond le plus profond de Dieu ». Pour nous en convaincre, il nous suffit de regarder le Fils de Dieu dans son abaissement. Il n’y a pas plus humble que Dieu.

Jean le Baptiste s’inscrit tout à fait dans cet appel à l’humilité. Bien sûr, il est conscient de sa mission, de son devoir de héraut de la bonne nouvelle. Il a aussi des disciples, et ce, bien avant Jésus; on l’appelle même rabbi. Mais Jean Baptiste sait aussi reconnaître que c’est Dieu qui l’a appelé, et qui lui donne la force et la grâce d’accomplir sa mission. D’où cette affirmation si profonde que l’on retrouve dans sa bouche : « Un homme ne peut rien s’attribuer, sinon ce qui lui est donné du Ciel. »

Et c’est là que le mot « humilité » trouve tout son sens. Il s’agit d’une disposition du cœur qui nous fait nous tourner sans cesse vers Dieu, lui demandant sans cesse force et courage afin de réaliser ce qui nous est demandé, reconnaissant toujours en Dieu l’artisan de nos vies. Ainsi, nous nous offrons comme une terre en friche, présentant à Dieu tout ce que nous sommes, afin que ce potentiel d’amour qu’il a mis en nous puisse trouver son plein épanouissement.

Le témoignage de Jean Baptiste est une invitation à assumer pleinement la foi et la mission qui nous sont données, puisque nous sommes nous aussi les amis de l’Époux, ses intimes, ses plus proches, lui qui un jour nous a saisis, ne nous appelant plus serviteurs, mais amis !

« On ne saurait donc mieux clore le temps liturgique de Noël qu’en évoquant ce cortège nuptial qui nous entraîne avec le Christ au service de la vie. Car la vocation de Jean Baptiste ne s’est pas éteinte avec lui, elle se prolonge en chacun de nous. Il nous révèle comment travailler aux noces de Jésus avec l’humanité, et nous livre le secret de sa joie : Il faut qu’Il croisse et que moi je diminue (Jean 3.30). »

fr. Yves Bériault, o.p.

Homélie pour l’Épiphanie

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Je me souviens quand j’étais enfant, la préparation de la crèche de Noël ressemblait à s’y méprendre à une pièce de théâtre où nous placions soigneusement nos différents personnages, les Mages étant sans doute les plus fascinants avec leurs vêtements somptueux, leurs chameaux et leurs présents. À travers ces personnages, c’est la merveilleuse histoire de Noël qui se jouait sous nos yeux, alors que notre foi d’enfant prenait peu à peu son envol.

Nous n’avions aucune idée de l’intrigue qui se mettait en branle avec la naissance de Jésus. Que savions-nous de la peur qui s’était emparée de Jérusalem quand les mages annoncèrent la naissance du Messie; de l’inquiétude des élites religieuses ou des sombres intentions du roi Hérode à l’endroit de ce nouveau-né?

L’histoire de Noël est beaucoup plus grande et tragique que la simple représentation qu’en donnent nos crèches, car l’Enfant qui vient de naître vient disperser les superbes, comme le chante Marie sa mère, renverser les puissants de leurs trônes, prendre parti pour les humbles et les affamés. Pas étonnant que tous les Hérode et les pouvoirs malveillants de ce monde s’opposent à lui et à son Évangile, car le mystère de la Nativité se joue désormais aux dimensions du monde, et nous faisons tous et toutes partie des personnages de cette crèche universelle où le Christ nous attend.

C’est pourquoi en ce jour de l’Épiphanie, j’aimerais vous parler des mages d’aujourd’hui, dont nous faisons partie, mais plus particulièrement de ceux et celles qui cherchent encore l’étoile, ou qui n’ont pas toujours leur place dans la crèche, car il est important que nous prenions la mesure de cette réalité qui interpelle l’Église et nos communautés.

J’ai rencontré beaucoup de mages dans mon ministère comme dominicain, pas toujours des mages somptueux avec les bras remplis de cadeaux. Souvent des personnes blessées par la vie se présentant à nos églises avec leur baluchon de détresse et de misère : ex-prisonniers cherchant à refaire leur vie, familles de réfugiés ayant fuies leur pays, parents pleurant la mort d’un enfant, personnes rejetées, ou se sentant exclus, tel cet homme divorcé remarié, m’avouant qu’il se tenait derrière une des colonnes de l’église lors des messes, voulant se faire le plus discret possible par crainte de scandaliser les gens qui le connaissaient. C’est là une douleur qui l’habita toute sa vie.

Je pense aussi aux gens de la rue entrant timidement comme des intrus dans nos églises, se tenant dans les derniers bancs; je pense à des homosexuels que j’ai connus, vivant douloureusement le rejet par leurs parents, ou ce couple d’homosexuels voulant célébrer la mort de la mère de l’un des deux, puisque c’était ses dernières volontés, sinon ils ne seraient jamais venus à l’église, m’ont-ils confié, car ils ne croyaient pas qu’ils seraient les bienvenus. Voyez-vous, l’étable de Bethléem est trop souvent devenue un palais où il faut montrer patte blanche.

Mais il y a aussi des petits miracles dans nos communautés. Quand je suis arrivé dans une paroisse, il y avait cette personne transgenre, une personne des plus discrète, assidue aux célébrations quotidiennes de l’eucharistie, se nourrissant d’écrits de mystiques et de vie de saints, faisant parfois les lectures à la messe. Si la foi de cette personne semblait s’imposer à tous comme une évidence, la souffrance liée au rejet qu’elle vivait de la part de son entourage était néanmoins palpable, et certains membres de la communauté la soutenaient. Oui, il y a des mages qui viennent de très loin frapper à la porte de nos églises.

Une des rencontres les plus marquantes pour moi est sans doute celle avec une infirmière à la retraite, venant à moi en pleurs après la messe, me demandant si je lui permettais de venir à la messe même si elle n’avait pas la foi. Elle me disait : « Je ne sais pas pourquoi je viens ici, mais ça me fait du bien, j’aime écouter les chants, ça m’apaise. » Cette femme avait travaillé comme infirmière avec les drogués et les prostitués dans les bas-fonds d’un centre-ville pendant plusieurs années, hébergeant même parfois de ces personnes dans sa maison. Elle était allée au Nicaragua auprès des paysans les plus pauvres, pour ensuite se retrouver au Rwanda lors du génocide, y travaillant pendant plus de trois années. Un parcours humanitaire extraordinaire! Mais voilà, elle était en pleurs près de la crèche, se sentant abandonnée par ses enfants dans sa vieillesse, ne trouvant réconfort que dans une église.

Je pense parfois à elle et à toutes ces personnes avec beaucoup d’émotion, car elles nous entraînent sur un chemin de conversion si nous prenons le temps de les écouter. Elles nous évangélisent, car sans le savoir, elles sont toute proche du cœur de Dieu.

Vous l’aurez sans doute deviné, je vois dans l’Épiphanie une invitation à suivre l’étoile qui nous conduit vers les autres, surtout ceux et celles qui ont besoin d’être accueillis, écoutés et aimés. Car au plus profond de nos vies, il y a ce mystère d’amour que l’enfant de la crèche est venu déposer en nos cœurs; un don qu’il nous appelle à partager, tels des mages en route vers d’autres crèches où, sous le couvert de la misère du monde, Dieu nous attend.

Yves Bériault, o.p.