Homélie pour le 5e Dimanche du Carême (A)

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Il y a quelques années, on avait présenté au Grand théâtre de Québec, les neuf symphonies de Beethoven, sur une période de deux semaines ! Un véritable tour de force dont j’avais eu le privilège d’être le témoin. C’est à la suite de ces concerts que l’inspiration suivante m’était venue de comparer les évangiles à des symphonies, chacun de ces évangiles ayant son propre compositeur inspiré par Dieu, pour nous parler de Dieu et de son action en son Fils Jésus Christ. Un dictionnaire nous dirait d’une symphonie qu’il s’agit d’une longue pièce musicale pour un grand orchestre et qui est souvent constituée de plusieurs mouvements, tout aussi variés les uns que les autres.

Dans une symphonie, il y a toujours un thème principal, soutenu par des thèmes sous-jacents qui viennent l’introduire, qui le laissent deviner, qui préparent son exécution, jusqu’à ce que la symphonie éclate et atteigne son apogée. C’est alors que le thème principal et les sous-thèmes s’unissent l’un à l’autre dans une extraordinaire explosion de sons et d’émotions. Et tout est dit et la salle éclate en bravos.

La liturgie du carême est ainsi conçue. Elle ressemble à s’y méprendre elle aussi à une symphonie, où de dimanche en dimanche, nous passons d’un mouvement à un autre, d’un évangile à un autre, alors que Jésus se révèle peu à peu, jusqu’à l’accomplissement final de sa mission.

Revenons sur le chemin parcouru jusqu’à maintenant en ce carême. Les récits évangéliques des quatre premiers dimanches nous ont amené sur le Mont de la Tentation avec Jésus, pour ensuite passer au Mont de la Transfiguration. Nous avons été témoins de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine, ainsi que de la guérison de l’aveugle-né à la piscine de Siloé. Depuis le début du carême, la liturgie de la Parole s’est déroulée progressivement sur le mode d’une symphonie. Appelons-la : la Symphonie pascale, dans laquelle les sous-thèmes du désert, de la lumière, de la montagne et de l’eau nous ont préparés au mouvement symphonique de ce dimanche où nous sommes mis en présence du miracle de la résurrection de Lazare.

Il s’agit sans doute du miracle le plus spectaculaire de Jésus. Dans ce récit, dans ce mouvement l’on peut entendre clairement le thème sous-jacent à tout l’évangile, même s’il n’est pas encore joué à sa pleine mesure, dans son total déploiement. Mais ce que nous avons vu et entendu aujourd’hui prépare la finale de cette Symphonie pascale qui est la résurrection du Christ le matin de Pâques, et qui est en fait un véritable Hymne à la joie. Voyons maintenant d’un peu plus près ce qui se passe dans ce mouvement de notre symphonie aujourd’hui.

Remarquez comment Jésus prend son temps avant d’aller voir Lazare et ses deux sœurs. Ce n’est pas de l’indifférence de la part de Jésus. Au contraire, il sait ce qu’il fait et il ira voir Lazare en temps et lieu, à l’Heure de Dieu.

N’avons-nous pas tous et toutes un jour attendu cette Heure dans nos vies, convaincus que si Dieu avait été là, s’Il avait agi quand nous le lui avions demandé, les choses se seraient passées bien différemment. « Seigneur, si tu avais été ici. Mon frère ne serait pas mort. » Non seulement les miracles ne surviennent pas toujours quand nous les demandons, mais Dieu ne répond pas toujours comme nous le lui demandons. Les miracles dans nos vies, et ils existent, sont le plus souvent imperceptibles, comme la sève printanière dans les arbres en attente de leur floraison. Mais le plus grand miracle de tous, c’est combien Dieu tient à nous, combien il nous aime, nous promettant qu’en temps et lieu il va nous sauver et nous ramener à la vie, qu’il va ouvrir nos tombeaux.

Notre foi nous affirme que cela est vrai à cause de la résurrection de Jésus qui nous confirme qu’il est véritablement la Lumière du monde, qu’il est la Vie éternelle. Et c’est là le thème central de notre symphonie pascale que l’on entend de dimanche en dimanche, tout au long de ce Carême, et qui va se déployer et retentir solennellement le matin de Pâques, dans un formidable Allegro vivace !

Mais poursuivons notre réflexion. L’Évangile de ce dimanche nous présente l’un des sous-thèmes majeurs de la vie de Jésus, qui est d’une grande importance dans notre Symphonie pascale.

Quelle est la réaction de Jésus quand Marie, la sœur de Lazare, lui dit : « Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. » L’Écriture nous dit que lorsque Jésus a vu pleurer Marie, ainsi que la foule qui l’accompagnait, il frémit intérieurement. Il demanda alors où l’on avait déposé le corps de Lazare et il pleura à son tour devant son tombeau. C’est là une des scènes les plus poignantes des évangiles, où la vie tout à coup semble s’arrêter. Tous les acteurs de ce récit semblent retenir leur souffle, attendant de voir ce que Jésus va faire, alors qu’il pleure.

« Voyez comme il aimait Lazare », se disent-ils entre eux. Et ce mouvement musical s’entend comme un émouvant Adagio. Ce sous-thème dans notre symphonie nous parle de l’humanité de Jésus qui réagit avec indignation et tristesse devant la mort de son ami Lazare.

Les passages où Jésus pleure dans les Évangiles sont les plus révélateurs quant à la nature de Dieu et de son amour pour nous, et nous n’avons pas souvent l’occasion de porter un regard aussi intime sur l’humanité de Jésus. Le miracle d’aujourd’hui évoque non seulement la résurrection du Christ et son pouvoir sur la mort, mais il nous dévoile aussi l’extraordinaire proximité de Jésus à chacune de nos vies.

Jésus pleure devant le tombeau de Lazare. Il va pleurer aussi sur la ville de Jérusalem, qui refuse de l’accueillir comme Sauveur. Il va pleurer et supplier au Jardin de Gethsémani devant la passion à venir, et il va pleurer sur la croix en intercédant pour nous auprès de son Père. Jusqu’à la fin, notre salut et notre bonheur seront la seule et unique passion de Jésus.

Si la mort semble l’emporter dans nos vies, nous savons désormais que l’amour de Dieu pour nous est plus fort que la mort. C’est là le message central de l’évangile d’aujourd’hui. Nous entendons le Christ le crier : « Lazare ! Sors de ton tombeau ! Tiens-toi debout ! Viens, n’aie pas peur, car je suis avec toi ! »

Avec ce miracle, notre Symphonie pascale n’est pas encore terminée, mais elle n’a jamais été aussi proche de son mouvement final, qui éclatera au matin de Pâques, confirmant ainsi les paroles de Jésus à Marthe, la sœur de Lazare :

« Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et tout homme qui vit et qui croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »

Telle est la foi de l’Église, cette foi que nous proclamons et célébrons, alors que nous poursuivons notre montée pascale.

fr. Yves Bériault, o.p.