Homélie pour le 2e Dimanche de Pâques (C)

Dans les récits d’apparitions de Jésus, les évangélistes nous décrivent à la fois la nouvelle réalité corporelle de Jésus, tout en nous laissant entrevoir sa profonde humanité. Même au-delà de la mort, Jésus ressuscité est plus vrai que jamais. Il apparait de façon si réellement incarnée à ses disciples, que ces derniers n’ont d’autre choix que de s’incliner et de le reconnaître. « Quand leurs yeux et leurs oreilles ne suffisent pas, ils doivent encore le toucher ; quand le toucher ne suffit pas pour réveiller leur foi, ils doivent présenter à Jésus nourriture et boisson qu’il consomme devant leurs yeux.[1] » Jésus est bel et bien vivant après sa crucifixion, plus vivant que jamais !

D’ailleurs, Jésus apparait à ses disciples dès le premier jour de sa résurrection, comme si les liens noués ici-bas étaient de la plus grande importance pour lui. Malgré le fait que ses amis l’aient abandonné, renié et trahi, Jésus ne se détourne pas d’eux. Au contraire, il vient vers eux avec empressement, et il traverse les murs de leurs peurs et de leurs doutes, afin de les ramener vers lui, et de les établir fermement dans cet amour sans limites qu’il a pour eux. À travers ses apparitions, Jésus nous révèle combien nous avons du prix à ses yeux. C’est cet amour qui l’a conduit à sa passion et dont il porte encore les marques dans son corps glorifié.

Benoît XVI a exprimé cela de manière magnifique dans une homélie pour le deuxième dimanche de Pâques : « Le Seigneur, dit-il, a apporté avec lui ses blessures dans l’éternité. C’est un Dieu blessé ; il s’est laissé blesser par l’amour pour nous. » 

Ces blessures c’est la marque de notre péché. Car si le péché nous blesse dans nos vies personnelles, Jésus nous fait découvrir que le péché s’adresse avant tout à Dieu. 

Les plus anciens parmi nous se souviennent sans doute de la pédagogie de nos parents quand nous étions enfants, et qu’ils nous disaient, après un mauvais mot ou une colère : « Tu fais de la peine au Bon Dieu », ou encore « au petit Jésus ». Je m’en souviens très bien. Cette remarque avait pour effet de calmer instantanément l’ardeur des enfants querelleurs que nous étions parfois. 

Mais dans cette pédagogie, un peu douteuse, il y avait néanmoins une profonde intuition spirituelle, qu’un théologien contemporain exprime de la manière suivante : « C’est la mort du Christ en croix, dit-il, qui nous renvoie l’image de notre péché.[2] » Jésus est mort pour nos péchés, et il en porte les blessures jusque dans sa résurrection.

Le péché, ce sont toutes ces actions, ces paroles, ces pensées et ces omissions, où nous perdons le sens de nous-mêmes et de notre dignité d’enfants de Dieu. Le péché, c’est le cœur qui s’éteint, c’est la source de l’amour qui se tarit en nous. 

Nous le savons, nous portons notre mission de disciples du Christ dans des vases d’argile, mais nous avons le Christ désormais pour nous relever de nos péchés, pour nous pardonner, pour nous donner sa force. 

Il est Celui qui ouvre le chemin vers Dieu et qui, depuis sa résurrection, poursuit sa route avec nous, dans un mode de présence tout nouveau, mais encore plus vrai, plus intime. Désormais, le Seigneur Jésus vient transformer nos vies de l’intérieur, lui le grand Vainqueur de la mort, « l’Homme fort », comme me le confiait ces jours-ci un paroissien. Il nous confie sa paix en nous demandant de la porter au monde, et il nous invite ainsi à entrer avec lui dans le combat de Dieu, à nous faire solidaires de ses blessures.

C’est le pape Benoît XVI qui dira au son sujet de Thomas : « Il est accordé à l’apôtre Thomas de toucher les blessures du ressuscité et ainsi, il le reconnaît — il le reconnaît, au-delà de l’identité humaine de Jésus de Nazareth, dans son identité véritable et plus profonde : “Mon Seigneur et mon Dieu !” (Jn 20,28). 

Nous avons là la plus belle expression de foi de tous les évangiles : “Mon Seigneur et mon Dieu !” Et c’est l’Apôtre Thomas qui nous en fait cadeau. Tout comme les autres Apôtres, Thomas est tiré de sa nuit, et il lui est donné de voir son Seigneur, malgré ses doutes et ses faiblesses. Il lui est donné de toucher ses blessures, qui lui dévoilent combien est grande la passion du Christ pour notre monde. Thomas est alors invité à cesser d’être incrédule et à devenir croyant. N’est-ce pas là l’invitation sans cesse renouvelée par le Christ dans nos vies ? Demandons à Dieu la grâce de l’entendre et d’y répondre, afin de pouvoir faire nôtre la profession de foi de Thomas : “Mon Seigneur et mon Dieu !”

Yves Bériault, o.p. Dominicains.


[1] Urs von Balthasar. La gloire et la croix. p.263

[2] Sesboüé, Bernard. L’homme, merveille de Dieu. Salvator, 2015. p. 216

Homélie pour le Dimanche de Pâques (C)

Il vit et il crut! (Jean 20, 1-10)

En lisant le récit de la course passionnée de Pierre et de Jean vers le tombeau vide, comment ne pas voir dans leur sillage les souvenirs enchevêtrés de ces trois années d’itinérance passées avec Jésus. Comme il était grand leur espoir ! Trois années nourries des rêves les plus fous… et puis la mort tragique, la fin brutale de celui qu’ils aimaient. Et quoi maintenant? Quelle est cette nouvelle? Le souffle se fait haletant, mais le pied, lui, reste ferme. Et si c’était vrai? Ils n’osent y croire. À bout de souffle, le regard inquiet, les voici au tombeau, le plus jeune devançant le plus vieux. Le commentaire de l’évangéliste au sujet de l’apôtre Jean est stupéfiant par sa brièveté : « Il vit et il crut! »

Le souvenir de Pierre et de Jean courant vers le tombeau de Jésus le matin de Pâques, est une belle métaphore de notre vie de foi, qui continue d’habiter la mémoire de tous ceux et celles qui, un soir ou un matin, se sont retrouvés, étonnés, devant un tombeau vide. Le tombeau vide de leurs doutes et de leurs craintes; le tombeau vide de leur impuissance, de leur manque de foi. Un tombeau à la porte ouverte, irradiant la lumière matinale, sa béance pleine d’une présence, le regard intérieur s’allumant, tout d’un coup, à l’expérience de foi : « Il vit et il crut! »

Paradoxalement, la foi au Christ ressuscité, avant d’être de l’ordre du croire, est avant tout de l’ordre du voir. Comme la reconnaissance d’une présence intérieure, une présence d’amour infinie devant laquelle la foi se prosterne et adore. « Il vit et il crut! » C’est l’amour qui croit! Et c’est le regard aimant de Jésus-Christ, posé sur nous, qui nous attire vers lui et cet appel intérieur, du plus profond de nous-mêmes, se fait pressant, comme pour nous dire : « Voyez! Vous pensiez avoir enterré tous vos espoirs. Mais regardez, c’est plein de vie dedans. » Parole de Ressuscité!

Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour la Vigile pascale 2022

Frères et sœurs, il y a de ces moments où célébrer notre foi semble être en porte-à-faux avec la réalité ambiante. N’en avons-nous pas fait l’expérience avec un ami malade, une famille éprouvée, une personne violentée, alors que la seule présence qui s’impose est celle de notre silence bienveillant? 

On ne peut faire abstraction en cette nuit de Pâques qu’ailleurs, comme en Ukraine, la guerre fait rage; on y souffre, on y meurt, alors que nous nous tenons là, impuissants, bien que solidaires. C’est comme si le Vendredi saint ne semblait pas vouloir s’achever cette année et il nous est impossible d’en faire abstraction en cette nuit de veille. Je dirais même que c’est là la première chose qu’attend de nous le Seigneur ressuscité.

Si nous étions en Ukraine, ou dans tout autre pays en guerre, de quelle manière célèbrerions-nous la résurrection du Christ? J’oserais espérer pour ma part pouvoir vivre la Pâque du Seigneur avec une passion et une prière encore plus aiguisées et suppliantes, me donnant ainsi la force de tenir ferme quand tout bascule autour de moi, quand l’espérance semble se tenir comme au-dessus d’un abîme.

La semaine dernière, une amie me faisait part d’un poème qu’elle venait d’écrire et qui saisit tout à fait cette contradiction apparente au cœur de notre vie de foi, où le clair-obscur en sera toujours une composante inévitable, où passion et résurrection ne seront jamais bien loin l’un de l’autre. Voici ce que m’écrivait mon amie Stéphanie :

Songe du 41e jour de guerre en Ukraine

Ce matin,

Le chant incessant du cardinal heureux

Me heurte, directement comme un affront

Un affront à cette désharmonie bien installée,

Bien accordée au monde et à l’atmosphère actuelle.

Quel fanfaron!

Quand tout semble noir et insurmontable,

un chant me rappelle franchement la présence d’une beauté intarissable.

Dans cette dichotomie, comment éviter de se crevasser le cœur ?

Entre la laideur terrifiante d’une guerre immonde et

la beauté inégalée d’un simple trait musical a capella.

Au milieu de cette crevasse douloureuse et insondable, se laisser choir ?

Une larme à l’œil gauche, un rire à l’œil droit ?

Est-ce là être humain, en toute connaissance, sourire en portant la douleur ?

Une simple note, voulant hisser tout à coup le monde hors de toutes ses fausses notes,

rappelant à la conscience une autre réalité, 

réharmonisant et attendrissant ma fresque intérieure.

En arrière-plan, un ciel bleu et un soleil brillant, réalité imperturbable;

aussi improbable que cela puisse paraitre ces jours-ci, en écoutant les nouvelles.

Passagers, ils passeront ces nuages épais, 

accueillir la pluie de larmes, vivre profondément sa peine.

Importe l’harmonie et la beauté cultivées, 

chéries et soignées durant le mauvais temps.

Étrangement, je me faisais une réflexion semblable en préparant l’homélie pour cette Vigile pascale. Chaque année, dans le pays nordique qui est le nôtre, le printemps fait irruption dans nos vies. Les journées ne sont plus les mêmes. La vie renaît tout d’un coup et c’est la fête! Nous nous réjouissons de la venue du printemps comme d’un ami longtemps attendu. Nous ne faisons pas que nous rappeler de cette saison comme d’un souvenir du passé. Au contraire, c’est la saison qui s’empare de nous, qui nous séduit, et dont l’énergie ne peut être stoppée. Que dire alors de la venue du Christ en cette nuit très sainte? Ne vient-il pas vers nous comme ces eaux de mars inarrêtables, traversant le mur de nos doutes, de nos peurs et de nos angoisses?

N’est-il pas lui, cette « simple note, voulant hisser tout à coup le monde hors de toutes ses fausses notes »; lui, réalisation d’une promesse longtemps attendue, où Dieu affirme de manière éclatante que la vie est plus forte que la mort, que le vivant, en commençant par le Christ, n’a pas sa place dans les tombeaux du monde.

Les évangiles ne manquent pas de détails pour évoquer la dimension dramatique, cataclysmique même, de la mort de Jésus. Il s’agit d’un drame au retentissement cosmique qui se joue dans les évangiles : du ciel qui s’obscurcit, au soleil qui disparaît, du voile du Temple qui se déchire en deux, au tremblement de terre qu’évoque Matthieu, les évangélistes veulent surtout nous faire comprendre combien la mort de Jésus revêt une dimension universelle. La Terre vacille sur son socle, le voile du Temple se déchire, ouvrant ce dernier aux quatre vents, alors qu’un monde nouveau est en train de naître.

Comme cette image d’enfantement est à propos devant cette crise universelle et humanitaire que nous traversons, où toutes nos certitudes sont ébranlées, nous amenant à nous demander quels seront les lendemains qui nous attendent. Un monde nouveau ? De nouvelles relations entre les nations où tout le monde serait gentil et généreux ? Rien n’est impossible, bien sûr, mais quelle conversion extraordinaire cela exigerait ?  C’est pourquoi il nous faut vraiment prendre la mesure du défi qui se présente à nous et du remède à y apporter.

Je ne crois pas en ces grands lendemains où « tout va changer ce soir », comme le chantait la chanson. Je crois toutefois que le grand changement est déjà survenu un certain matin de Pâques dans la Jérusalem ensommeillée, et qu’il nous revient de faire nôtre cette victoire. 

« Éveille-toi ô toi qui dors », comme le chante une hymne antique. Ouvre ton cœur à Celui qui seul est capable de le guérir en profondeur. C’est là la seule réponse qui convient devant l’énorme défi de notre vivre ensemble sur cette terre et où nous découvrons combien nous avons besoin les uns des autres, de pays à pays, de voisin à voisin.

C’est à cette révolution spirituelle et universelle que cette nuit très sainte nous convoque. Pas de recette magique, mais un profond travail d’enfantement chez tous ceux et celles qui veulent bien ouvrir leur cœur en ces temps qui sont les nôtres, et qui ressemblent à s’y méprendre à un chemin de croix pour notre humanité, mais où notre foi nous dit que Dieu est avec nous et que le dernier mot lui appartient.

En cette Sainte Vigile, qui est la mère de toutes les vigiles, de toutes les attentes au cœur de notre monde, frères et sœurs, nous proclamons que l’inespéré s’est fait chair, que le Fils du Père a habité parmi nous, qu’il a vaincu la mort et qu’il est devenu notre éternel printemps. Ne l’entendez-vous pas !

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain.

Homélie pour le 5e Dimanche du Carême (C)

Ce récit est une des scènes les plus dramatiques des évangiles. Sans doute à cause de la sobriété du récit où la violence est palpable, et où Jésus met sa vie en jeu comme jamais auparavant dans les évangiles. Il le fait pour une personne prise en flagrant délit d’adultère, une coupable selon la Loi, dont la faute entraîne la lapidation. Une personne, en entendant ce récit, me disait que si un jour elle avait à vivre une situation semblable de mise en accusation, elle voudrait bien avoir Jésus comme défenseur. Difficile de ne pas aimer Jésus dans ce récit.

En fait, cet épisode propre à l’évangile de Jean, est en quelque sorte un prélude à la Semaine Sainte. La nuit sur le Mont des Oliviers y est évoquée. Au matin, Jésus descend à Jérusalem et enseigne dans le Temple, alors que ses opposants se manifestent. C’est l’affrontement, les accusations contre la femme, le piège tendu à Jésus. On cherche à le prendre en défaut, on veut sa perte. Son procès est déjà commencé et Jésus garde le silence, tout comme il le fera devant Pilate, et devant le Sanhédrin.

Le récit de la femme adultère fait suite à un épisode de l’évangile de Jean, où les grands prêtres et les pharisiens, après une première tentative d’arrestation de Jésus, s’exclament au sujet de la foule qui admire Jésus : « cette foule qui ne connaît pas la loi, ce sont des maudits ». Ce commentaire décrit bien les adversaires de Jésus et de cette femme que l’on a jetée devant lui.

Difficile de ne pas penser ici à tous ces radicalismes qu’ils soient religieux ou politiques, où l’idéal visé, qui devient idéologie, fait fi des personnes. On l’a vu dans de multiples guerres et révolutions. Nous le voyons aujourd’hui dans de multiples formes de militantismes, qu’ils soient religieux ou politiques. Il n’y a que la cause qui compte. On la défend avec fanatisme. La personne ne compte plus. Elle devient une quantité négligeable qui n’a droit à aucune compassion. Que l’on pense à ces régimes totalitaires qui tiennent leurs populations en esclavage ou encore à ces dictateurs, comme Staline, qui disait avec cynisme, afin de justifier ses massacres, que la mort d’un homme est bien sûr une tragédie, mais que la mort d’un million d’hommes n’est qu’une statistique.

À la suite de l’élection du Pape François, qui est reconnu pour son action en faveur des démunis en Argentine, les pourfendeurs de l’Église se sont empressés de minimiser ce souci pour les pauvres, en remettant en question la notion de charité chrétienne, l’accusant de ne pas s’attaquer aux véritables causes des inégalités, qui seraient avant tout politiques. On reproche à l’Église de se donner bonne conscience en n’aidant que de manière marginale et épisodique ceux et celles qui souffrent, alors qu’ils auraient besoin d’une révolution.

Bien qu’il faille s’attaquer aux structures injustes dans notre monde, aux systèmes économiques et politiques qui exploitent, des luttes faut-il le dire dans lesquelles nombre de chrétiens et de chrétiennes sont engagés, nous croyons aussi, comme nous le révèle l’Évangile, que la transformation du monde passe nécessairement par la conversion des cœurs, un cœur à la fois. Sinon, aucune transformation sociale, aussi noble soit-elle, ne saurait tenir. C’est ainsi qu’il faut comprendre ce passage du livre d’Isaïe entendu dans la première lecture : « Voici que je fais un monde nouveau il germe déjà, ne le voyez-vous pas? »

Cette attention à la personne, Jésus nous en donne l’exemple dans cette rencontre de la femme adultère et de ses accusateurs. Remarquez que Jésus ne condamne personne dans ce récit. Il garde longuement le silence. Il écoute. Il prie. Pour ensuite suggérer à ses opposants de regarder en eux-mêmes. Alors que ces derniers tentent de s’imposer par le nombre et par la force de la Loi, Jésus s’adresse en fait à chacun d’eux. « Regarde dans ton cœur », leur dit-il. Que celui qui est sans péché, lui lance la première pierre ». C’est à dire : « Rappelle-toi que tu es avant tout une personne avec tes propres faiblesses et tes fragilités. Est-ce que tu voudrais que Dieu te condamne? Qu’il n’ait pas pitié de toi? Comment alors peux-tu ne pas avoir pitié de ta sœur qui est ici? Et tu voudrais la tuer? »

Voyez l’attitude de Jésus. Alors que cette femme est livrée à une foule déchaînée qui la traine devant Jésus avant de la lapider, ce dernier baisse la tête et regarde vers le sol. Comme s’il ne voulait pas humilier cette femme davantage en la regardant ou encore pour réprimer sa honte et sa colère devant les agissements de cette foule. Jésus a alors cette réaction tout à fait étonnante : il se penche vers le sol et il se met à écrire.

Depuis les débuts de l’Église, bien des théologiens se sont interrogés sur ce que Jésus pouvait bien avoir écrit. Cette action de Jésus restera toujours énigmatique en dépit des interprétations avancées.

Ce que l’on peut affirmer toutefois sans se tromper, c’est que Jésus écrit dans le sable avec un langage nouveau, qui s’exprime dans son action de libérer la femme adultère et de lui rendre sa dignité ; en lui disant des paroles que son cœur n’espérait certainement pas entendre dans cette situation de violence et de mépris : « Moi non plus, je ne te condamne pas ».

Jésus ne condamne pas. Il invite tout simplement : « Va ma fille, ne pèche plus ». Par la parole qu’il prononce en sortant de son silence, Jésus n’abroge pas la loi relative à l’adultère, ni ne condamne la femme coupable; il lui demande simplement de ne plus pécher.

Saint Augustin a magnifiquement interprété ce tête-à-tête entre Jésus et cette femme. Une fois que la foule s’est dispersée, écrit-il, « ils ne restent plus que deux : Miseria et Misericordia », c’est-à-dire la misère humaine et la miséricorde divine. En Jésus, Dieu se révèle comme le Dieu de toute miséricorde. Et c’est cette miséricorde, cette pédagogie de la conversion, que l’Église doit faire entendre au monde si elle veut toucher les cœurs.

Henri Nouwen décrit ainsi l’attitude de Dieu vis-à-vis ses enfants :

« Son seul désir est de bénir… Il n’a aucun désir de les punir. Ils ont déjà été punis de façons excessives par leur propre errance, intérieure et extérieure. Le Père veut simplement leur faire savoir que l’amour qu’ils ont cherché dans des chemins tortueux a été, est et sera toujours là, pour eux… mais il ne peut les forcer à l’aimer sans perdre sa véritable paternité. » (Henri Nouwen. Le retour de l’enfant prodigue. Bellarmin, 1995. p. 119)

L’évangile de dimanche dernier, celui du retour de l’enfant prodigue, et l’évangile de ce dimanche constituent en quelque sorte une mise en route en cette fin de Carême, afin de nous préparer à la fête de Pâques, en nous invitant à reconnaître que nous avons tous et toutes besoin du pardon de Dieu.

En Église, le sacrement du pardon est en quelque sorte une actualisation de ces récits évangéliques, le lieu par excellence où nous nous présentons devant le Christ avec notre péché et nos pauvretés. Chaque fois que nous avons recours à ce sacrement, c’est le Christ lui-même qui pose son regard sur nous, qui nous relève, et qui nous dit : « Va, personne ne te condamne. Tu es libre. Va et ne pèche plus. » Ne devrait-on pas courir vers cette rencontre avec le Christ? C’est la grâce que je nous souhaite à l’approche de la grande fête de Pâques. Amen.

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain