« La personne qui a une raison de vivre peut supporter presque n’importe quoi. » Viktor Frankl

Viktor FranklViktor Frankl, déporté à Auschwitz, a publié son récit à la sortie des camps en 1946 sous le titre : Un psychiatre déporté témoigne.

Viktor Frankl était un professeur autrichien de neurologie et de psychiatrie, l’inventeur de ce qu’il appellera plus tard, la logothérapie, une approche thérapeutique basée sur la recherche du sens de la vie. Quand les nazis prennent le pouvoir en Autriche, il sabote les ordres reçus, au risque de sa vie, afin de ne pas euthanasier les malades mentaux. En 1942, sa famille est déportée, et il le sera lui-même en 1945 (interné à Auschwitz puis dans d’autres camps). Libéré, il apprend que sa femme est morte d’épuisement à la libération du camp de Bergen-Belsen.

Pour Frankl, il y a chez l’être humain une volonté de sens. Il s’aperçoit que ses patients ne souffrent pas uniquement de frustrations sexuelles (Freud) ou de complexes d’infériorité (Adler), mais aussi d’un « vide existentiel ». C’est son expérience dans les camps de concentration qui l’amènera à approfondir cette intuition.

Le grand principe qu’il dégage de son expérience est que « la personne qui a une raison de vivre peut supporter presque n’importe quoi. » Pour Frankl, la vie n’est pas avant tout une quête du plaisir, comme l’enseignait Freud, ou une quête du pouvoir comme le pensait Adler, mais une quête de sens. La plus grande tâche pour une personne est de trouver un sens à sa vie. Frankl voyait trois sources possibles où une personne pouvait trouver ce sens à sa vie :

1. Dans le travail, par l’engagement dans une œuvre signifiante et fondamentale;
2. Dans l’amour, soit l’amour d’une autre personne ou l’amour de Dieu;
3. Dans le courage, dans la volonté de faire face à l’adversité;

Pour Frankl, le fait que certaines personnes aient survécu aux sévices et conditions de vie des camps de concentration, alors que d’autres se sont laissées mourir, est la preuve que si l’on ne peut contrôler ce qui nous arrive dans la vie, une personne peut toujours décider du comment elle réagira face à ce qui lui arrive. Frankl en arrive au constat que la vie a un sens et que c’est là la tâche de toute personne de faire cette découverte dans sa vie, quelles que soient les circonstances.

C’est le rabbin Harold S. Kushner qui écrit dans la préface du livre de Frankl :

« Nous avons appris à connaître l’Homme tel qu’il est. Après tout, l’homme est celui qui a inventé les chambres à gaz à Auschwitz; cependant, il est aussi celui qui est entré dans ces chambres à gaz, avec la prière du Seigneur ou le Shema Israël sur ses lèvres ».

Il y a un moment-clé dans l’expérience de Viktor Frankl qui l’amène à sa profonde intuition. Alors qu’il se décourage de plus en plus devant les conditions de vie qui sont les siennes, il se met à penser à sa femme, qui est elle aussi à Auschwitz, mais qu’il ne peut voir. La pensée de celle-ci le soutien et le ravive, au point où il devient convaincu que son amour pour elle, même s’il ne sait si elle est encore vivante, sera sa force pour traverser l’épreuve d’Auschwitz. Car, selon Frankl, l’amour va plus loin que le simple attachement à la personne aimée. L’amour prend racine dans notre être spirituel. Nous sommes faits pour aimer. C’est là notre vocation ultime, c’est dans l’amour que l’être humain manifeste toute sa valeur et sa dignité. Ce qui fait dire à Frankl que l’amour est aussi fort que la mort.

C’est pourquoi l’amour est le bien le plus grand et le plus élevé auquel une personne puisse aspirer. Selon Frankl : « Le salut de l’Homme se fait dans l’amour et par l’amour. » Quand une personne est saisie par l’amour, elle peut surmonter toutes les épreuves, même quand elle est impuissante à s’en sortir par elle-même, même quand la personne aimée n’est plus de ce monde. Une personne décédée ou Dieu lui-même peuvent être l’objet de cet amour.

Cette quête de sens à la vie vient aussi donner un sens à la souffrance, selon Frankl. Elle fait irrémédiablement partie de la vie, comme le destin et la mort, et ce serait nier la vie que de vouloir en occulter la souffrance. Sans la souffrance et la mort, la vie humaine ne saurait être complète selon Frankl. Il y a là un tout, et notre vocation humaine est de tout assumer en découvrant le sens de notre vie.

Homélie pour le 14e Dimanche du temps ordinaire. Année C.

« Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. »

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 10,1-12.17-20. 
Parmi ses disciples, le Seigneur en désigna encore soixante-douze, et il les envoya deux par deux devant lui dans toutes les villes et localités où lui-même devait aller. 
Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. 
Allez ! Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. 
N’emportez ni argent, ni sac, ni sandales, et ne vous attardez pas en salutations sur la route. 
Dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison. ‘
S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous. 
Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous servira ; car le travailleur mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. 
Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qu’on vous offrira. 
Là, guérissez les malades, et dites aux habitants : ‘Le règne de Dieu est tout proche de vous. ‘
Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, sortez sur les places et dites : 
‘Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous la secouons pour vous la laisser. Pourtant sachez-le : le règne de Dieu est tout proche. ‘
Je vous le déclare : au jour du Jugement, Sodome sera traitée moins sévèrement que cette ville. 
Les soixante-douze disciples revinrent tout joyeux. Ils racontaient : « Seigneur, même les esprits mauvais nous sont soumis en ton nom. » 
Jésus leur dit : « Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair. 
Vous, je vous ai donné pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et pouvoir sur toute la puissance de l’Ennemi ; et rien ne pourra vous faire du mal. 
Cependant, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux. » 

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L’on parle beaucoup d’évangélisation ces temps-ci. L’évangile d’aujourd’hui peut certainement nous aider à approfondir cet appel en tant que disciples du Christ. Mais soyons réalistes. Peu d’entre nous se mettront à sillonner villes et villages pendant l’été comme le font les disciples. C’est pourquoi je vous propose d’aborder la question de l’évangélisation sous un autre angle, et qui est aussi au coeur du récit que nous venons d’entendre.

Il s’agit de la consigne de Jésus à ses disciples quand il leur dit : « Je vous envoie comme des agneaux parmi les loups. » Tout d’abord, l’annonce de la foi au Christ est risquée, elle est périlleuse encore aujourd’hui, et elle le sera jusqu’à la fin des temps. Il serait trop long d’en développer le pourquoi, sinon pour dire que l’évangile est porteur d’un message de paix, d’amour et de justice, et que les idéologues, les faux messies, les dictateurs et les violents ne peuvent s’accommoder d’un tel message. C’est pourquoi l’on a crucifié Jésus. Le même sort menace ses disciples, car en suivant le Christ ils s’engagent dans un combat pour le bien et pour la vérité.

Par ailleurs, cette image des agneaux qu’emploie Jésus vient nous rappeler que l’évangélisation n’est pas une entreprise de séduction ou de conquête. Elle est une proposition de vie qui doit être offerte avec le plus de délicatesse et de bienveillance possible. Car, ne l’oublions pas, les disciples sont appelés à imiter leur maître, lui qui est doux et humble de coeur.

Comme lui, les disciples sont appelés à s’en remettre entièrement à Dieu. Remarquez dans le récit d’aujourd’hui qu’ils n’apportent ni argent, ni provisions, ni sandales. Ils acceptent l’hospitalité qu’on veut bien leur offrir. Ils n’imposent rien, n’entrent en conflit avec personne, parce qu’ils sont porteurs de la paix du Christ. Et quand on ne veut pas les entendre, ils reprennent tout bonnement leur chemin, secouant la poussière de leurs pieds, afin de bien signifier que leur « démarche est totalement désintéressée, et que les bénéficiaires du message restent toujours libres de le refuser. » L’évangile de ce dimanche nous interpelle donc quant à la manière dont nous devons partager notre foi avec les autres.

C’est Marc Donzé, le biographe de Maurice Zundel, l’un des grands spirituels du XXe siècle, qui écrivait à son sujet : « Il voudrait pouvoir parler de Dieu, à pas de silence et de respect, au coeur de ce qui importe le plus à l’homme. Il voudrait pouvoir dire sans violence, mais en prenant chaque homme par la main, que Dieu est l’accomplissement de l’homme. »

La foi ne s’impose pas. Elle échappe aux raisonnements logiques qui en donneraient une preuve définitive. On ne peut ni la donner, ni la prêter, ni la transmettre comme un bien qui nous appartiendrait. On peut tout au plus en parler, la proposer et surtout en vivre. C’est-à-dire l’insérer au plus intime de nos journées, de nos faits et gestes, y puiser force et courage, goûter à cette joie secrète de celui ou celle qui accueille en sa vie la présence de Dieu et qui ne peut qu’en éprouver un grand bonheur et beaucoup de gratitude. Pour nous chrétiens et chrétiennes, c’est cela vivre notre foi en Jésus-Christ et c’est pourquoi nous voulons offrir à d’autres cette chance de croire en Dieu.

Nous sommes donc loin ici de définitions abstraites, de doctrines et de choses à retenir. Quand nous abordons la question de la foi, nous parlons avant tout de ce bonheur et de cette espérance qui nous habitent et qui nous font vivre. C’est la joie de croire. Et pour bien saisir ce que veut dire évangéliser, j’emploierais la comparaison suivante. Nous sommes comme des sourciers au pays de la soif, qui auraient découvert une source cachée et intarissable d’eau vive. Annoncer Jésus Christ, c’est tout simplement vouloir faire connaître cette source pour le plus grand bonheur de tous. Aux proches comme aux lointains, à nos enfants, à nos amis, à nos familles. Mais cela n’est pas simple. Nous le savons, car la foi est un don et il appartient à chacun d’accueillir librement ce don.

Pour beaucoup de nos contemporains, Dieu est méconnu, sinon ignoré, et c’est là la plus grande des tragédies pour l’humanité, car elle est alors orpheline et sans direction, vulnérable à toutes les passions, aux idéologies les plus meurtrières, car elle est sans espérance. Jésus, en nous envoyant dans le monde, nous rappelle que nous avons la responsabilité de nos frères et soeurs en humanité. Comme le soulignait le pape Jean-Paul II, «celui qui a vraiment rencontré le Christ ne peut le garder pour lui-même, il doit l’annoncer. »

C’est pourquoi Jésus, lui le Prince de la Paix, nous envoie comme des agneaux et non comme des loups, nous invitant à marcher à pas de patience et de sollicitude avec tous ceux et celles que Dieu met sur notre route, afin qu’ils puissent reconnaître cette réalité fondamentale de l’existence humaine : c’est en Dieu que reposent toutes nos joies, tous nos bonheurs et toutes nos amours, il en est la source et c’est pourquoi nous pouvons dire de Dieu qu’il est véritablement l’accomplissement de l’Homme. Voilà ce que nous annonçons au monde, voilà ce que nous ne pouvons taire, car comment pourrions-nous cacher la joie qui nous habite? Puisse le Seigneur nous donner en cette eucharistie l’audace et le discernement nécessaire pour bien témoigner de lui.

Amen.

fr. Yves Bériault, o.p.

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1 Thabut. 14e Dimanche. Année C.

2 Donzé, Marc. La pauvreté comme don de soi. Cerf/Saint-Augustin,1997. pp. 36-37

3 Jean-Paul II, Novo Millenio Ineunte, 40, 6 janvier 2001

L’euthanasie et l’aide au suicide. Prévoir les conséquences…

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Beaucoup a été dit sur l’euthanasie et l’aide au suicide. Mais a-t-on bien mesuré les conséquences qu’aurait leur acceptation? Je n’en suis pas certain. En voici quelques-unes, trop rapidement esquissées.

• Les personnes gravement malades porteraient un regard différent sur elles-mêmes. Estimant que leur vie est devenue trop souffrante ou privée de sens, elles pourraient être tentées d’en finir. Or, si l’euthanasie et l’aide au suicide demeurent interdites, plusieurs d’entre elles prendront le temps d’accueillir cette étape cruciale de leur existence et y trouveront un chemin de vie. Surtout si elles sont accompagnées avec empathie.

• La relation entre la personne ma­lade et son médecin changerait. À partir du moment où l’euthanasie deviendrait possible, la confiance envers le médecin pourrait difficilement demeurer entière. En effet, comment savoir si le médecin ne s’autoriserait pas du principe de bienfaisance pour mettre un terme à la vie d’une personne gra­vement handicapée et privée de sa lucidité?

• De même, la relation avec les pro­ches de la personne malade serait notablement modifiée. Voyons comme il est déjà difficile, dans le cas d’un proche parent, de pren­dre la décision de cesser ou d’en­treprendre un traitement. Ce le serait bien davantage s’il s’agissait de mettre fin activement à sa vie. De plus, il se pourrait bien alors que certains proches soient moti­vés par des intérêts financiers…

• Le personnel médical œuvrant en soins palliatifs affirme que l’acceptation de l’euthanasie ou l’aide au suicide porterait un dur coup à la philosophie et à la pratique des soins palliatifs. En effet, comment mobiliser autant de bénévoles et de ressources financières s’il est devenu possible d’en finir à moindres frais?

• Mais les conséquences les plus graves affecteraient les autres personnes gravement malades ou handicapées. Déjà très fragiles et anxieuses de ne pas être un poids pour leurs proches et pour la société, elles se demanderaient inévitablement si elles ne devraient pas, elles aussi, imiter celles qui ont choisi d’en finir plus vite.

• Les partisans de l’euthanasie ou de l’aide au suicide affirment que ces pratiques seraient strictement balisées et limitées à des cas ex­ceptionnels. Mais l’expérience de certains pays révèle que la seule balise qui tienne est celle de l’interdit. Si nous levons l’interdit d’homicide d’une vie innocente, nous nous engageons sur une pente glissante. Or, cet interdit, formulé dans le serment d’Hippo­crate, a guidé des générations de médecins pendant des siècles. Il garde toute sa valeur.

Prise une à une, chacune de ces conséquences pèse déjà très lourd. Mais il importe de les considérer dans leur interaction et leur effet cumulatif. Elles nous introduiraient dans une autre culture, centrée sur l’autonomie individuelle et non sur la solidarité envers les plus fragiles d’entre nous. Une culture irrespectueuse de la vie humaine.

Mgr Bertrand Blanchet

SOURCE : PRIONS EN ÉGLISE.  29 mai 2011