Homélie pour le Jour de l’An

Solennité de Sainte Marie Mère de Dieu

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 2,16-21.
En ce temps-là, les bergers se hâtèrent d’aller à Bethléem, et ils découvrirent Marie et Joseph, avec le nouveau-né couché dans la mangeoire.
Après avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été annoncé au sujet de cet enfant.
Et tous ceux qui entendirent s’étonnaient de ce que leur racontaient les bergers.
Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur.
Les bergers repartirent ; ils glorifiaient et louaient Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, selon ce qui leur avait été annoncé.
Quand fut arrivé le huitième jour, celui de la circoncision, l’enfant reçut le nom de Jésus, le nom que l’ange lui avait donné avant sa conception.

COMMENTAIRE

Je me souviens comme plusieurs d’entre vous de la traditionnelle bénédiction du Jour de l’An. À titre d’ainé de la famille, il me revenait d’aller voir mon père avec ma sœur et, en m’agenouillant, de lui demander de nous bénir pour la nouvelle année. Le malaise était palpable, tant de mon côté que chez mon père qui se prêtait néanmoins, avec beaucoup de solennité et une émotion à peine retenue, à ce geste qui pendant quelques secondes semblait entrebâiller une porte qui ouvrait sur le sacré, sur une présence secrète de Dieu au cœur de notre famille.

Les textes de la fête d’aujourd’hui parlent beaucoup de bénédiction. Et ce n’est pas un hasard si le début de la nouvelle année est marqué au plan liturgique par ce lien très fort entre la maternité de Marie de Nazareth et la bénédiction de Dieu sur nous.

Mais en quoi consiste une « bénédiction » ? Bénir est un mot latin qui vient de « bene dicere », et qui signifie « dire du bien ». Quand Dieu bénit, il dit du bien de nous. Ce qui n’est pas étonnant puisqu’il nous aime. C’est cette émotion qui anime les parents lorsqu’ils bénissent leurs enfants. Ils ne voient alors en eux que ce qui est bien et souhaitent leur bonheur, ils bénissent à la fois leur présent et leur avenir. Que dire alors de la bénédiction de Dieu ! Quand Dieu dit du bien de nous, sa Parole agit en nous, elle nous transforme, elle nous fait du bien. Être « béni », c’est être dans la grâce de Dieu, vivre en harmonie avec Lui.

Cela ne nous évitera pas pour autant les difficultés et les épreuves, nous le savons trop bien, mais celui ou celle qui vit dans la bénédiction de Dieu, traversera les épreuves en tenant la main de Dieu, sûr de sa présence.

Mais quel est le lien que fait la liturgie d’aujourd’hui entre son insistance sur la bénédiction qui vient de Dieu et la fête de Sainte Marie Mère de Dieu ? Car l’affirmation est plus qu’audacieuse. Marie mère de Dieu ! Comment cela est-il possible ? Comment en est-on venu à lui donner un tel titre de gloire ? N’est-ce pas insensé ? Comment Dieu peut-il avoir une mère ?

Ce titre « Sainte Marie Mère de Dieu » a été proclamée solennellement lors du grand Concile d’Éphèse en 431, et repris au Concile de Chalcédoine, vingt ans plus tard, afin d’affirmer la doctrine chrétienne concernant la divinité de Jésus. Certains remettaient en question que Jésus soit à la fois vrai Dieu et vrai homme. Une grave crise sévissait alors dans l’Église où certains remettaient en question la nature divine de Jésus. La formule « Sainte Marie Mère de Dieu », a alors été énoncé non pas tant pour glorifier la Vierge Marie, que pour prendre acte d’un fait, pour affirmer la véritable nature de celui qu’elle a donné au monde : que Jésus Christ, tout en étant vrai homme, est vraiment Dieu.

En cette fête de sainte Marie, mère de Dieu, nous sommes invités à contempler à la fois la bénédiction qui nous est faite en Jésus Christ, l’Emmanuel, Dieu parmi nous, ainsi que celle qui a reçu une telle bénédiction de concevoir l’Homme-Dieu. Lorsque l’ange Gabriel a salué Marie, il lui a dit « Je te salue, pleine de grâce », c’est-à-dire comblée de la grâce de Dieu ; elle est par excellence celle sur qui le nom de Dieu a été prononcé. C’est pourquoi elle est : « bénie entre toutes les femmes… »

C’est pourquoi Élisabeth sa cousine dira de Marie : « Bienheureuse celle qui a cru ! » Avant d’être une maternité physique, ce qui se vit en Marie est une maternité spirituelle. Et saint Augustin dira de Marie : « Elle conçoit le Christ dans son cœur avant de le concevoir dans son sein… » Et c’est pourquoi : « il est plus grand pour Marie d’avoir été disciple du Christ que d’avoir été mère du Christ. »

En honorant la maternité de Marie aujourd’hui, nos regards se portent à la fois sur elle en tant que modèle de foi et, sur l’extraordinaire mystère de sa maternité, qui est une bénédiction pour notre humanité, et que nous proclamons à nouveau en ce début d’année, car Dieu s’est fait l’un des nôtres il y a deux mille ans, l’Absolu s’est incarné, il nous a bénis et comblé de sa présence.

Les Pères de l’Église, en accord avec toute la Tradition, ont vu en Marie la « figure de l’Église », celle qui nous précède, qui est là au tout début, porteuse d’un mystère qui la dépasse, en même temps qu’elle nous devance et nous entraine dans le mystère de la vie et la mort de Celui qui nous aima jusqu’au bout. La Vierge Marie est par excellence, « figure de l’Église », expression de son mystère le plus profond.

L’on sous-estime souvent ou l’on ignore l’importance qu’ont accordée les réformateurs protestants à la figure de Marie. Luther, dans un discours, à l’occasion de la Nativité du Seigneur, disait ceci : « Marie, c’est l’Église chrétienne… Or l’Église chrétienne conserve toutes les paroles de Dieu dans son cœur et les relie ensemble… » Marie, par sa maternité, est Parole de Dieu en acte, elle porte le Verbe de Dieu, elle est « enceinte de la parole de Dieu », et elle la donne au monde sans rien retenir pour elle-même.

C’est pourquoi Marie se retrouvera au cœur de l’assemblée des apôtres et des disciples à la Pentecôte. Elle poursuit sa tâche de Mère, car les disciples du Christ lui deviennent des fils et des filles qu’elle va accompagner à leur tour de sa foi et de sa prière maternelle. Sainte Marie Mère de Dieu, Mère de l’Église, mère des disciples !

En ce début d’année 2016, alors que la paix demeure toujours précaire et fragile en notre monde, nous nous confions à la miséricorde de Dieu. Nous lui présentons nos familles, ceux et celles que nous aimons, nous lui confions notre monde dans sa recherche du bonheur, nous prions pour les pays en guerre, nous prions pour les réfugiés, nous prions pour ceux et celles qui sont persécutés, et nous invoquons la prière de notre Mère du ciel sur nous.

C’est tout le sens de la prière du Rosaire où nous reprenons la salutation de l’ange à Marie et où nous invoquons sa prière maternelle. Ensemble, en cette fête de Sainte Marie Mère de Dieu, prions-la ensemble : « Je vous salue Marie… »

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour la fête de la Sainte Famille

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 2,41-52.
Chaque année, les parents de Jésus se rendaient à Jérusalem pour la fête de la Pâque.
Quand il eut douze ans, ils montèrent en pèlerinage suivant la coutume.
À la fin de la fête, comme ils s’en retournaient, le jeune Jésus resta à Jérusalem à l’insu de ses parents.
Pensant qu’il était dans le convoi des pèlerins, ils firent une journée de chemin avant de le chercher parmi leurs parents et connaissances.
Ne le trouvant pas, ils retournèrent à Jérusalem, en continuant à le chercher.
C’est au bout de trois jours qu’ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs de la Loi : il les écoutait et leur posait des questions,
et tous ceux qui l’entendaient s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses.
En le voyant, ses parents furent frappés d’étonnement, et sa mère lui dit : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! »
Il leur dit : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »
Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait.
Il descendit avec eux pour se rendre à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements.
Quant à Jésus, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes.

COMMENTAIRE

« Pourquoi m’avez-vous cherché ? », répond Jésus à ses parents morts d’inquiétude. Un jeune garçon de douze ans qui disparaît pendant trois jours, voilà une situation qui aurait mis sur le qui-vive bien des forces policières si le drame s’était déroulé aujourd’hui. « Pourquoi m’avez-vous cherché ? », répond Jésus, comme si son escapade au Temple allait de soi.

Il faut dire que cette recherche des parents de Jésus se situe à l’intérieur d’une famille bien particulière, et c’est pourquoi on ne peut entendre le récit d’aujourd’hui comme le simple rappel d’un fait divers. Déjà, l’identité de Jésus est énoncée pour la première fois dans sa bouche quand il affirme : « Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » Et c’est dans le Temple que Jésus proclame cette filiation au Père. Mais ses parents ne comprirent pas, nous dit l’évangéliste Luc, et voilà qui est rassurant d’une certaine manière, car nous-mêmes nous ne comprenons pas toujours et à travers la recherche inquiète des parents de Jésus, c’est notre propre recherche, notre propre histoire spirituelle qui se profilent dans l’évangile de ce dimanche.

L’on a toujours proposé la Sainte Famille comme un modèle pour les familles chrétiennes. Toutefois, à notre époque, la notion même de famille traverse une crise sans précédent, ou à tout le moins elle connaît des bouleversements qui en inquiètent plusieurs. Nous connaissons les bébés éprouvettes, les mères porteuses, demain l’on nous promet le clonage, les bébés sur mesures, à notre image et ressemblance, tandis que nous connaissons tous des familles où les parents sont divorcés, des familles reconstituées, des familles monoparentales, où des pères et des mères seules font preuve d’un courage extraordinaire pour éduquer leurs enfants, et nous connaissons aussi des familles où les parents sont du même sexe.

Par ailleurs, plusieurs couples ne pouvant avoir d’enfants ou encore par souci d’aider les enfants les plus démunis de ce monde, se tournent vers l’adoption internationale, et ainsi des grands-parents se retrouvent avec un petit-fils coréen ou une petite fille haïtienne.  Ces changements font que le visage traditionnel de la famille s’est complètement transformé. Ces changements sont parfois porteurs de soucis et de souffrances, mais ils demandent surtout beaucoup d’amour. Est-ce que la traditionnelle Sainte Famille est encore en mesure de nous inspirer dans un ce nouveau contexte de société ?

Une chose est certaine, cette famille n’est pas conventionnelle. Tout d’abord, Joseph a dû cacher la grossesse de Marie avant le mariage en la prenant chez lui comme épouse. Ensuite, même si l’on a souvent évoqué la Sainte Famille pour encourager la natalité, il faut se rappeler qu’il s’agit d’une famille avec un enfant unique, ce qui est très proche de notre moyenne nationale au Québec. De plus, Joseph, le père de Jésus, n’est pas le géniteur de l’enfant, il est son père adoptif, tandis que Marie, la mère biologique, est encore vierge, puisque l’enfant est né d’une action miraculeuse de Dieu. Voilà la Sainte Famille !

L’on peut à la fois retrouver en elle les valeurs familiales les plus traditionnelles, à cause de la sainteté même de Jésus et de ses parents, et en même temps l’originalité de cette famille a de quoi étonner les familles les plus diversifiées que nous connaissions. C’est pourquoi le point de convergence le plus significatif entre ces parents inquiets, que sont Joseph et Marie, et nous-mêmes en tant que parents ou membres d’une famille, est que notre histoire personnelle et familiale est aussi une histoire sainte. Chacun des membres de nos familles, qu’ils soient croyants ou non, est engagé dans une recherche de bonheur et d’absolu.

Parfois ces recherches nous inquiètent et nous blessent. Elles sont parfois même destructrices, mais dans chacune de nos histoires, quelle qu’elle soit, Dieu y est présent, et sans cesse il nous invite à nous approcher du mystère de la crèche, afin qu’il devienne notre propre mystère, c.-à-d. que nous acceptions nous aussi, comme Marie et Joseph, d’accueillir le Messie dans nos vies, afin qu’il trouve un accueil chez nous, et ainsi qu’il puisse nous transformer et nous enrichir, nous aidant à devenir ce que nous sommes, des enfants de Dieu ! C’est tout cela le mystère de Noël.

Marie et Joseph ont dû cheminer péniblement afin de se rapprocher du mystère de leur fils Jésus. Ils n’ont pas toujours compris ni toujours cherché au bon endroit. Ils n’ont pas saisi tout de suite ce que Jésus voulait leur dire quand il disait qu’il devait être dans la maison de son Père.

On connaît peu de choses de Joseph, mais sans doute, comme Marie, gardait-il dans son cœur tout ce qui pouvait lui échapper quant à la destinée de son fils Jésus. Et en ce sens, Marie et Joseph sont des modèles de foi confiante, des cœurs dociles, s’en remettant entièrement à Dieu, même devant l’inexplicable, même devant les menaces d’un Hérode sanguinaire, ou encore l’exil forcé en Égypte, souffrant parfois de ne pas comprendre où les entraînait cet enfant qui leur avait été miraculeusement confié. Ne devait-il pas se dire parfois, tout comme nous : « Mon Dieu, qu’attends-tu de nous ? »

Frères et sœurs, c’est à nous maintenant de prendre chez nous cet enfant et de le laisser grandir « en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes. »

C’est pourquoi, en ce temps de Noël, la Sainte Famille se présente à nous et nous invite à franchir le seuil de sa maison, à nous laisser saisir par son mystère qui nous renvoie à notre propre mystère, et qui est d’accueillir Jésus dans nos vies et dans nos familles, au cœur même de nos pauvretés, de nos doutes et de nos épreuves, car n’en doutons pas, notre histoire personnelle est aussi une histoire sacrée que l’Emmanuel vient habiter de sa présence. Et c’est ainsi que cette histoire d’amour de la Sainte Famille, l’histoire la plus extraordinaire que la terre ait jamais connue, se poursuit tout au long du temps de l’Église. Amen.

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le jour de Noël

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ET LE VERBE S’EST FAIT CHAIR

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 1,1-18.
Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.
Il était au commencement auprès de Dieu.
C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui.
En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ;
la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée.
Il y eut un homme envoyé par Dieu ; son nom était Jean.
Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière, afin que tous croient par lui.
Cet homme n’était pas la Lumière, mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière.
Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde.
Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu.
Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu.
Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom.
Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu.
Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité.
Jean le Baptiste lui rend témoignage en proclamant : « C’est de lui que j’ai dit : Celui qui vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était. »
Tous nous avons eu part à sa plénitude, nous avons reçu grâce après grâce ;
car la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître.

COMMENTAIRE

L’évangile de Jean commence avec ces paroles denses et profondes : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. » Cette proclamation de qui est le Christ vient nous rappeler que la fête de Noël est bien loin du conte pour enfants que l’on en a fait. C’est vrai que c’est beau Noël, c’est magique, trop beau pour être vrai selon certains, alors que d’autres regardent cette fête avec une lueur secrète au fond des yeux, se posant la même question que chantait Jacques Brel : « Et si c’était vrai ! » À ces bergers curieux qui se sont approchés de la crèche, voici ce que j’aimerais partager avec eux en notre nom.

À Noël, nous célébrons un événement prodigieux et unique, qui a marqué à jamais l’histoire de l’humanité, et qui est la naissance de Jésus de Nazareth. Depuis l’aube des temps, l’homme s’interroge quant au mystère de son existence, et voilà que Jésus vient parmi nous en réponse à cette foi au Dieu unique qu’avait toujours professé un petit peuple de Palestine, qui se disait choisi par Dieu pour le faire connaître au monde.

À Noël, le fait divers de la naissance d’un enfant pauvre, devient un événement spectaculaire, car c’est Dieu lui-même qui dresse sa tente parmi nous, et qui vient nous accompagner dans cet enfantement sans cesse renouvelé de nos vies ici-bas, où nous sommes appelés à nous bonifier comme le vin, appelés à être bons, vraiment bons, à l’image de celui qui, aujourd’hui est couché dans une mangeoire et qui demain sera couché sur une croix. On ne peut jamais séparer Noël de la fête de Pâques !

Les textes bibliques en cette fête de Noël sont là pour nous aider à mieux comprendre ce mystère de la présence de Dieu en nos vies. Voici ce qu’ils nous disent :

Dieu nous a parlé par son Fils, ce Fils qui est le reflet resplendissant de la gloire du Père, expression parfaite de son être. Oui, aujourd’hui la lumière a brillé sur la terre, car un Sauveur nous est né, le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous. Il nous a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.

Ainsi, Dieu vient ouvrir au plus profond de nous ce lieu où il vient faire sa demeure, s’y logeant comme l’Enfant de Bethléem dans l’étable. Car Dieu ne méprise aucun de ses enfants, bien au contraire, car il vient habiter nos pauvretés et de nos faiblesses, afin de se faire encore plus proche de nous et ainsi nous sauver, nous relever, nous faire vivre de la vie qu’il rêve pou nous.

J’écoutais l’autre jour une entrevue avec un couple qui, pendant 35 années, a accueilli près de 350 enfants en difficulté en tant que famille d’accueil. La journaliste leur avait alors posé cette question, à savoir s’ils avaient aimé certains enfants plus que d’autres parmi ceux qui leur avaient été confiés. La mère avait alors répondu sans broncher : « Oui, nous l’avons fait pour ceux qui en avaient le plus besoin. »

C’est ainsi qu’agissent les parents et c’est ainsi que Dieu agit avec nous. Et c’est là le mystère de Noël. L’amour de Dieu pour nous dépasse tellement l’entendement, qu’il s’incarne au coeur de notre histoire humaine, il revêt notre humanité, se faisant pauvre parmi les pauvres, et par une nuit obscure, il naît dans un petit village perdu de la Palestine. Il vient « sur la terre pour provoquer un attachement à sa personne, pour attirer à lui l’humanité et l’univers. Mais avant de réclamer cette adhésion et pour l’obtenir, il s’attache lui-même aux hommes. » 

Il vient vivre notre réalité humaine à l’école de Joseph et de Marie. D’ailleurs, on appelait Jésus le fils du charpentier, celui qui œuvrait avec son père Joseph. À travers ses paraboles et ses enseignements, l’on voit combien il avait appris à fouler la terre, à se salir les mains. Il savait qu’une maison ne pouvait se construire que sur une base solide, qu’une vigne avait besoin d’être émondée et avait besoin de fumier pour porter du fruit, qu’une semence devait être jetée sur une bonne terre, que le bon vin était fait pour la fête, que le pain rassasiait la faim des hommes, que l’on pouvait prévoir le temps qu’il ferait demain en regardant l’horizon. Jésus savait jeter le filet pour la pêche, il savait aussi jeter son regard dans les coeurs, il savait combien la peine pouvait nous peser, combien le pardon et l’amitié pouvaient être bienfaisants dans nos vies. Il savait surtout combien nous avions besoin de nous ouvrir à l’amour. Et c’est ce qu’il vient accomplir chez ceux et celles qui veulent bien lui ouvrir leur coeur. C’est cela le sens profond de la fête de Noël ! Dieu avec nous !

Alors, pourquoi ne pas faire de ce Noël 2015 un vrai Noël, en aimant ceux qui en ont le plus besoin, en accueillant dans nos maisons ceux qui sont seuls, partageant avec ceux qui ont froid et faim, ouvrant nos cœurs à la réconciliation et au partage.

Car n’est-ce pas là une conséquence inévitable du sens de cette fête. Ceux et celles qui se mettent à la suite de l’Enfant-Dieu se doivent de se laisser habiter par sa générosité à Lui, car Noël c’est la fête de la générosité surabondante de Dieu. C’est Dieu qui se donne à nous parce que nous en avons tellement besoin !

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour la messe de la nuit de Noël

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 2,1-14.
En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre –
ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie. –
Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville d’origine.
Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem. Il était en effet de la maison et de la lignée de David.
Il venait se faire recenser avec Marie, qui lui avait été accordée en mariage et qui était enceinte.
Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli.
Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune.
Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux.
L’ange du Seigneur se présenta devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte.
Alors l’ange leur dit : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple :
Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur.
Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. »
Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant :
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. »

COMMENTAIRE

Ce soir, nos églises, nos cathédrales et nos basiliques, de la Baie James à Lac-Mégantic, de Kuujjuaq à l’Abitibi, se remplissent comme à aucun autre moment de l’année, en cette nuit où nous célébrons la naissance de Jésus de Nazareth, il y a deux mille ans.

Le temps de Noël évoque à la fois une ambiance festive et familiale, où l’on se surprend à vouloir décorer nos villes et nos villages. Cette joie du temps des fêtes semble indissociable d’une fête de la lumière, comme si au coeur de nos nuits, on attendait la venue de quelqu’un, de quelque chose d’extrêmement précieux. Les gens aiment se mettre le coeur en fête en ce temps de l’année, comme si un appel lointain retentissait même dans les coeurs les plus indifférents. Noël est une fête qui éveille le goût de donner, surtout le goût de se donner, ce qui explique sans doute pourquoi Noël est l’un des temps de l’année où les bénévoles se font les plus nombreux aux portes des organismes d’entraide, et où les réunions de familles et d’amis deviennent l’occasion de revoir tous ceux et celles qui comptent beaucoup dans nos vies. C’est avec raison que nous parlons de Noël comme d’une fête de l’amour.

Tout comme les bergers répondant à l’appel de l’ange, nous voici rassemblés autour de la crèche. Bien des raisons nous ont sans doute amené ici ce soir : les amis, la famille, le hasard, la tradition, l’appartenance et la foi, le goût de célébrer. Mais, quels que soient les chemins qui nous ont conduits ici, nous témoignons par notre rassemblement d’une recherche commune, malgré tout ce qui peut nous différencier les uns des autres, d’où que nous soyons.

Bien plus que par tradition ou par amour des cantiques de Noël, il est bon de reconnaître que la décision de venir à la messe de la nuit de Noël relève aussi d’une quête spirituelle, d’un profond désir de se rapprocher du mystère de la vie.

Comment expliquer sinon qu’en pleine nuit, au cœur de l’hiver, autant de gens se déplacent et convergent vers une église comme d’un commun accord? Les églises demeurent les lieux privilégiés de cette recherche spirituelle, avec tout ce qu’elles portent de tradition et de la vie de prière de tous ceux et celles qui nous ont précédés dans la foi.

Cette nuit de Noël, nous fait communier à une longue histoire, qui se perpétue au fil des siècles, et tout comme l’ont fait nos ancêtres, nous somme privilégiés d’être ici ce soir avec ceux et celles que nous aimons, en communion avec ceux et celles qui sont absents, portant chacun et chacune de nous des rêves, des personnes, des besoins, que nous présentons à l’Enfant de la crèche. En fait, nous sommes engagés ensemble dans une démarche de foi alors que nous fêtons la naissance du Sauveur.

Mais que célébrons-nous au juste? Quel est le sens profond de cette fête qui rassemble des millions de croyants en cette nuit bénie, de la Terre de Feu jusqu’au Pôle Nord; de l’Europe occidentale jusqu’au cœur de la Chine, en passant par l’Afrique et les îles du Pacifique? Il nous suffit de réentendre l’annonce de l’ange aux bergers : « Voici que je viens vous annoncer une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui vous est né un Sauveur… Il est le Messie, le Seigneur. »

Un Sauveur nous est né, nous dit l’ange, mais de quoi vient-il nous sauver au juste? À cette question que posait un journaliste à une jeune femme dans la vingtaine, cette dernière avait répondu : « Jésus vient nous sauver de l’insignifiance ». C’est-à-dire qu’il vient offrir son message de paix et d’amour à tous ceux et celles qui veulent donner une véritable direction à leur vie, qui cherche un but dans la nuit de ce monde, un bonheur qui dure, la joie qui vient d’en haut. Cet enfant qui naît, c’est Dieu lui-même qui nous visite, qui se fait l’un des nôtres, qui se donne à nous afin de nous apprendre à vivre et à être heureux.

De quoi Jésus vient-il nous sauver? Jésus est venu libérer l’amour en nous et ainsi il nous sauve de nous-mêmes. Il nous sauve de nos égoïsmes, de nos duretés de cœur, de nos violences, car lui seul est capable de transformer nos cœurs puisqu’il est Dieu.

Dans sa catéchèse de l’Avent sur la Nativité du Seigneur, le pape François affirmait ce qui suit : « Noël est une fête de la foi et de l’espérance, qui surpasse l’incertitude et le pessimisme. Notre espérance réside dans le fait que Dieu est avec nous et qu’il a encore confiance en nous. Il vient parmi les hommes, et choisit la terre comme demeure pour vivre parmi nous et partager nos joies et nos peines. »

Frères et sœurs, nous voulons aimer et être aimés, nous voulons de tout cœur être heureux et réussir nos vies. Mais pour cela, il nous faut construire sur du solide, bâtir la maison de nos vies sur celui qui est l’auteur de la vie, par qui tout l’univers a été créé et qui avec un infini respect s’approche de nous avec l’humilité d’un enfant, l’enfant de Bethléem.

Oui, réjouissons-nous en cette nuit, car c’est une grande nouvelle qui nous est annoncée. Elle a changé la face du monde et de l’histoire, et elle poursuit sa course jour après jour au cœur de nos vies, et tout particulièrement en cette nuit bénie. Alors, n’hésitons pas à faire nôtre la louange des anges devant la crèche en cette nuit de Noël : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes et aux femmes qu’il aime. »

Chers amis, je vous souhaite un très joyeux Noël, à vous et à tous vos proches!

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le 4e dimanche de l’Avent (C)

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LA VISITATION DE MARIE À ÉLISABETH

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 1,39-45.
En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée.
Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.
Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint,
et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni.
D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?
Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi.
Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »

COMMENTAIRE

La mère de Jésus occupe une place centrale dans la foi de l’Église. Pourquoi? Parce qu’elle est celle qui a cru. Mais quand on dit de Marie qu’elle est celle qui a cru, l’on ne veut pas dire par là qu’elle fait simplement partie d’une longue lignée de témoins de la foi en Dieu, bien que cela soit vrai, mais l’on veut surtout affirmer que la pierre d’assise de la foi chrétienne, qui est de croire que le Fils de Dieu s’est incarné, que cette pierre d’assise a comme point de départ la foi de Marie, son oui à Dieu ! Elle est celle qui a cru non seulement à la réalisation des promesses de Dieu, où tout le peuple d’Israël attendait le Messie, mais elle a cru à son incarnation en sa chair même. Et c’est ainsi que Marie accomplit la première et la plus grande de toutes les béatitudes, celle qui requiert une confiance absolue en Dieu : « Heureuse celle qui a cru ! »

C’est grâce à la foi de Marie que l’on entre dans l’Alliance nouvelle que Dieu vient sceller avec l’humanité. Tout d’abord, dans ce mystère de l’incarnation, nous pouvons déjà entendre Dieu dire à son peuple et à chacun et chacune de nous : « Je suis présent dans votre attente ! Vous tous qui peinez et souffrez, qui cherchez un sens à cette vie, je suis là au coeur de vos vies, avec vous. » Cette présence de Dieu en Marie devient physique. C’est le Fils de Dieu qui prend chair de notre chair, qui assume tout le poids de notre humanité, excepté le péché, afin d’affirmer de manière irrévocable que Dieu s’est engagé avec nous dans notre lutte contre le mal, le péché et la mort.

Mais le mystère qui se joue en Marie est bien plus que le signe d’une présence de Dieu à nos vies. Contemplant Marie et le mystère qui l’habite, nous sommes invités à faire nôtre sa visitation à Élisabeth.

Regardez les récits de l’enfance dans les Évangiles. Dès que l’action de Dieu se fait sentir, les personnages se mettent en mouvement. Visitation de l’Ange à Marie, à Joseph, à Zacharie, le père de Jean-Baptiste. Visitation de Marie à Élisabeth. Visitation des bergers, des anges et des Mages à la crèche. Même les étoiles semblent se déplacer la nuit de Noël ! Car plus qu’une présence à nos vies, le mystère qui se joue en Marie demande non seulement à être reçu, mais aussi à être porté au monde.

Et voilà que Marie écoutant la voix de l’ange, se met en route pour aller chez sa cousine Élisabeth, qui en est à son sixième mois. Marie se fait toute disponible à cette action de Dieu en elle. Elle se rend chez sa cousine porteuse du Christ et, en ce sens, elle inaugure déjà la vocation du disciple. Elle est la première disciple de son fils. Car avant d’être une maternité physique, ce qui se vit en Marie est une maternité spirituelle. Saint Augustin dira de la Vierge Marie: « Elle conçoit le Christ dans son coeur avant de le concevoir dans son sein… ».

Voilà toute la portée du oui de Marie, et c’est pourquoi saint Augustin dira dans un sermon : « qu’il est plus grand pour Marie d’avoir été disciple du Christ que d’avoir été mère du Christ. » Et avec Marie notre mère, nous aussi nous sommes disciples du Christ, appelés à donner nous aussi le Christ au monde. Mais comment cela va-t-il se faire ? Le défi n’est-il pas trop grand pour nous ? Voici quelques pistes que je propose à notre réflexion afin de répondre à cet appel.

Donner le Christ au monde ce sera tout d’abord croire comme Marie, i.e. de poser cet acte de foi qui fait pleinement confiance à Dieu, lui qui est au coeur de toutes nos attentes, de tout ce que nous pouvons porter comme projets, comme épreuves, comme engagements, comme relations aux autres.

Donner le Christ au monde ce sera croire que Dieu est capable, non pas de nous donner tout ce que nous désirons, mais qu’il est capable de réaliser en nous toutes ses promesses de salut, qu’il est capable de nous donner de vivre de sa vie dans la foi et la confiance, qu’il est capable de nous faire marcher à la suite du Christ, courageusement, avançant sur les routes du monde, où qu’elles nous conduisent, à l’exemple de Marie qui va visiter sa cousine Élisabeth.

Donner le Christ au monde ce sera de marcher avec tous les compagnons et compagnes de route que la vie nous donne, partageant leurs recherches, leurs luttes, leurs joies et leurs peines, nous associant à leur volonté de construire un monde meilleur, même s’ils ne partagent pas toujours notre foi, car Dieu aime tous ses enfants.

Quand dans l’Évangile Élisabeth s’écrie : « Heureuse celle qui a cru », cette exclamation n’est pas seulement un cri d’admiration devant la Vierge Marie, mais il nous faut aussi entendre ce cri comme une invitation qui nous est lancée afin de vivre nous aussi de cette béatitude de la foi, à l’exemple de Marie.

C’est la bienheureuse Élisabeth de la Trinité, dans une strophe à l’Esprit Saint, écrite en 1904, qui faisait cette demande bouleversante à Dieu :

« Ô Feu consumant, Esprit d’amour, survenez en moi afin qu’il se fasse en mon âme comme une incarnation du Verbe : que je lui sois une humanité de surcroît en laquelle il renouvelle tout son mystère. » (Prière du 21 novembre 1904). C’est cela croire comme Marie. C’est souhaiter de tout son coeur cette action de l’Esprit de Dieu en nous afin que nous puissions nous aussi témoigner de lui en le donnant au monde, porteurs de cet amour qui habitait le coeur de Marie.

C’est pourquoi, à quelques jours de la fête de Noël, la liturgie nous invite à contempler la mère de Jésus et son mystère, car en elle se trouve résumé à la fois la réponse que Dieu attend de nous, ainsi que la réponse de Dieu à notre besoin de salut, l’Emmanuel, Dieu parmi nous.

Yves Bériault, o.p.

La joie qui vient d’en haut!

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J’aimerais adresser le poème qui suit, à chacun et chacune de vous. Ce sera là mon souhait pour vous à l’approche des fêtes de Noël :

Il y a la joie qui vient du dedans et il y a celle qui vient du dehors.
Je voudrais que les deux soient tiennes,
Qu’elles remplissent les heures de ton jour, et les jours de ta vie;
Car lorsque les deux se rencontrent et s’unissent, il y a un tel chant d’allégresse que ni le chant de l’alouette ni celui du rossignol ne peuvent s’y comparer.
Mais si une seule devait t’appartenir,
Si pour toi je devais choisir,
Je choisirais la joie qui vient du dedans.

Parce que la joie qui vient du dehors est comme le soleil qui se lève le matin et qui, le soir, se couche.
Comme l’arc-en-ciel qui paraît et disparaît;
Comme la chaleur de l’été qui vient et se retire;
Comme le vent qui souffle et passe;
Comme le feu qui brûle puis s’éteint…
Trop éphémère, trop fugitive…
J’aime les joies du dehors. Je n’en renie aucune.
Toutes, elles sont venues dans ma vie quand il fallait…

Mais j’ai besoin de quelque chose qui dure; De quelque chose qui n’a pas de fin; Qui ne peut pas finir.
Et la joie qui vient du dedans ne peut finir.
Elle est comme une rivière tranquille, toujours la même; toujours présente.
Elle est comme le rocher,
Comme le ciel et la terre qui ne peuvent ni changer ni passer.
Je la trouve aux heures de silence, aux heures d’abandon.
Son chant m’arrive au travers de ma tristesse et de ma fatigue;
Elle ne m’a jamais quitté.
C’est Dieu; c’est le chant de Dieu en moi,
Cette force tranquille qui dirige les mondes et qui conduit Les hommes; et qui n’a pas de fin, qui ne peut pas finir.

II y a la joie qui vient du dedans et il y a celle qui vient du dehors.
Je voudrais que les deux soient tiennes.
Qu’elles remplissent les heures de ton jour et les jours de ta vie…
Mais si une seule devait t’appartenir
Si pour toi je devais choisir,
Je choisirais la joie qui vient du dedans.

Auteur anonyme.

Homélie pour le 2e dimanche de l’Avent (C)

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Préparez le chemin du Seigneur !

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 3,1-6.
L’an quinze du règne de l’empereur Tibère, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode étant alors au pouvoir en Galilée, son frère Philippe dans le pays d’Iturée et de Traconitide, Lysanias en Abilène,
les grands prêtres étant Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, le fils de Zacharie.
Il parcourut toute la région du Jourdain, en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés,
comme il est écrit dans le livre des oracles d’Isaïe, le prophète : Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.
Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits, les chemins rocailleux seront aplanis;
et tout être vivant verra le salut de Dieu.

COMMENTAIRE

Le thème du retour à Jérusalem occupe une place importante chez les prophètes et dans les psaumes. D’ailleurs, le psaume que nous avons entendu fait écho à cette promesse : « Ramène Seigneur nos captifs, comme les torrents au désert ! »  Avec le prophète Baruc, la promesse s’étend à tous les juifs dispersés, de l’Orient à l’Occident. Il annonce le retour du peuple élu à Jérusalem, marchant à la lumière de la gloire de Dieu, sur une route bien aplanie, frayant son chemin à travers montagnes et vallées, sur une route bordée d’arbres odoriférants, accompagné de la miséricorde et de la justice de Dieu. Ces images idylliques veulent exprimer la grandeur du salut promis, et annoncent les temps nouveaux, les temps messianiques, où Dieu promet à tous les captifs du monde de les faire revenir de leur exil, l’humanité tout entière étant invitée au banquet de Dieu.

La venue de Jésus Christ inaugure ces temps nouveaux et l’évangéliste Luc prend un soin tout particulier afin de bien situer dans l’histoire du monde cette bonne nouvelle. Il procède à la manière d’un journaliste, décrivant le contexte historique de la venue du Messie. Car il y a là un avant et un après dans l’histoire du monde, et le prophète Jean-Baptiste en est l’annonciateur. Il énonce les conditions indispensables pour accueillir le messie. Les temps sont accomplis, dit-il, il faut préparer le chemin, et convertir son cœur.

Cette annonce retentit encore jusqu’à nous et garde toute son actualité. Car nous n’avons jamais fini d’aplanir le chemin qui nous permet d’accueillir et d’approfondir ce mystère où Dieu vient faire en nous sa demeure. Il vient nous conduire vers notre pleine stature d’hommes et de femmes spirituels, nous aidant à progresser sans cesse dans l’amour, vers ce que l’apôtre Paul appelle dans la deuxième lecture, la connaissance vraie et la parfaite clairvoyance, nous donnant de marcher sans trébucher vers le jour du Christ. Ce deuxième dimanche de l’avent met donc l’accent sur la venue du messie et l’inauguration des temps nouveaux.

Mais que répondre à nos contradicteurs qui nous demandent en quoi la venue du Christ a changé le cours de l’histoire? Où sont-ils ces captifs enfin libérés? Où est-il le règne de justice et de paix promis?

Tout comme l’amour, l’action de Dieu en nos vies ne peut pas vraiment se démontrer, comme s’il s’agissait d’une équation mathématique. L’amour et la foi sont de l’ordre de cette cellule intérieure du coeur que seuls les amoureux fréquentent et connaissent. Tout ce que nous pouvons affirmer, c’est que la suite du Christ a transformé de manière radicale la vie d’une multitude d’hommes et de femmes au cours des siècles, qui ont pris sur eux-mêmes, au nom de leur foi en Jésus Christ, de transformer cette terre en inaugurant des relations de paix, de justice, et de miséricorde, et ce parfois, jusqu’à donner leur vie.

On pourrait nommer ici de grandes figures de l’Église, ces saints et ces saintes qui nous sont si chers. Mais je pense surtout à tous ces chrétiens et chrétiennes anonymes, qui se consacrent tous les jours aux services des plus pauvres, qui luttent pour la justice et la dignité humaine.

Je pense à tous ces parents qui initient leurs enfants aux valeurs évangéliques, qui leur apprennent la grandeur du don de soi et du partage, l’importance d’être bon, d’être juste, d’être droit. Je pense à tous ces consacrés, à tous ces prêtres, à tous ces religieux et religieuses qui ont voué leur vie au Christ et qui souvent, bien humblement, se mettent au service des plus pauvres. Je pense aux contemplatifs, présence silencieuse et fraternelle en notre monde, et qui portent sans cesse les enfants de cette terre dans leur prière. Il y a aussi tous ces jeunes chrétiens qui portent un rêve au nom de l’Évangile et qui partent vers des pays lointains faire œuvre de solidarité.

Des germes de paix et de justice sont nés dans le sillage de ces millions de témoins à travers les siècles. Ils ont non seulement cru à la venue du Fils de Dieu en notre monde, mais ils ont accueilli son esprit et, par leur vie engagée, ils ont préparé la route au Seigneur. Ils n’ont pas eu peur des jours sombres et des lendemains qui déchantent, car ils savaient bien qu’ils n’étaient pas seuls, et déjà leur espérance a marqué le monde de son empreinte.

C’est à cette espérance que nous convie ce deuxième dimanche de l’avent en nous faisant entendre la voix du Baptiste : « Convertissez-vous ! » Conformez votre vie à cette espérance qui s’est blottie au plus profond de notre humanité, qui est capable de soulever le monde et qui a pour nom Jésus Christ !

C’est le frère Jean-Marie Tillard, dominicain et théologien, qui posait la question suivante, quelques années avant sa mort en l’an 2000 : « Sommes-nous les derniers des chrétiens ? Nous sommes certainement les derniers de tout un style de christianisme, disait-il, mais nous ne sommes pas les derniers des chrétiens ». Pour illustrer son propos, il donnait l’exemple suivant :

« Il existe, dans la flore de Saint-Pierre et Miquelon où je suis né, une plante dont tout le monde là-bas connait le nom latin au singulier comme au pluriel, un polygonium, des polygonia. Pourquoi ? Parce que c’est une plante étrange. Bel arbuste ornemental, aux larges feuilles d’un vert très tendre […] Il joue un important rôle écologique : certains oiseaux des rivages y font leur nid, les insectes l’habitent, les petits rongeurs logent dans ses racines. Mais voilà : c’est une plante têtue. Si vous avez planté un polygonium dans votre jardin ou votre cour, jamais vous ne pourrez vous en débarrasser. Vous aurez beau le déraciner en allant jusqu’à la plus extrême des radicelles, verser du poison… Trois ou quatre ans plus tard, vous verrez une timide pousse réapparaitre au beau milieu de votre framboisier ou entre les pavés de votre cour. Il suffit d’un infime morceau demeuré en terre pour que tout repousse.

Quand je pense à l’avenir de l’Église, poursuit le Père Tillard, je pense aux polygonia de mon enfance. Cent fois je les ai vus arrachés ; cent fois j’ai entendu les jardiniers se dire l’un à l’autre, par-dessus leurs clôtures : “Je suis venu à bout de mon polygonium” ; cent fois j’ai cueilli des framboises ou des groseilles là où j’allais autrefois admirer les araignées tissant leur toile ; mais… cent fois j’ai constaté que le polygonium resurgissait.

La terre de mon ile, pauvre et balayée par les vents de l’Atlantique qui la malmènent, a comme fait alliance avec lui parce qu’elle refuse de devenir un sol stérile. Ainsi dans le plus profond de son désir l’humanité a fait alliance avec l’Évangile. Arrachez-le, il repoussera un jour, alors que vous ne vous y attendiez plus. Car l’humanité refusera toujours d’être sans Espérance… »

Frères et sœurs, elle est profonde comme la mer cette espérance qui est la nôtre, à l’image de la connaissance du Seigneur qui nous est promise par les prophètes. Elle est de tous les combats, de toutes les luttes, et c’est elle qui nous rend capables de nous engager, de nous aimer les uns les autres, de pardonner, de changer nos cœurs, de recommencer quand tout s’écroule, et surtout d’être d’une fidélité indéfectible à l’endroit du Seigneur et de son Église. C’est cette espérance têtue et obstinée que nous demandons au Seigneur de renouveler en nous en ce temps de l’avent. Amen.

Yves Bériault, o.p.