Homélie pour le 22e Dimanche (B)

Jésus nous rappelle le fondement de toute vie spirituelle en reprenant les paroles d’Isaïe : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son coeur est loin de moi. » Jésus nous invite à regarder en nous-mêmes, à bien examiner les forces qui sont à l’oeuvre en nous et qui parfois nous entraînent loin de Dieu et loin de nous-mêmes.

Pourtant, les textes de la Parole de Dieu en ce dimanche sont unanimes pour nous rappeler combien Dieu est proche de nous. Il ne s’éloigne jamais de nous. Dans notre première lecture, Moïse en fait le rappel au peuple hébreu en lui disant : « Quelle est en effet la grande nation dont les dieux soient aussi proches que le Seigneur notre Dieu est proche de nous chaque fois que nous l’invoquons ? » Dans la deuxième lecture, c’est l’apôtre saint Jacques qui nous fait l’invitation suivante : « Accueillez dans la douceur la Parole semée en vous ; c’est elle qui peut sauver vos âmes. » La Parole de Dieu habite en nous et elle est agissante, elle est vivante!

Quant à Jésus, il identifie clairement dans l’évangile le lieu où réside la source du mal qui nous éloigne de Dieu. Il affirme que c’est ce qui sort du coeur de l’homme qui le rend impur, qui le sépare de Dieu, et il illustre sans complaisance comment le mal se démultiplie et prospère dans le monde : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. Toutes ces actions, pensées ou attitudes nous rendent complices du mal et nous rendent impurs, nous dit Jésus. Mais alors, qui donc peut être sauvé? La réponse de la Parole de Dieu en ce dimanche est très claire à ce sujet : en nous attachant fermement à Dieu, et en vivant selon ses commandements. 

C’est ce que Jésus vient nous aider à réaliser en nos vies. Il est l’ami fidèle capable d’ouvrir nos coeurs fermés, capable d’effacer la haine et le ressentiment en nous, capable de nous libérer des pulsions qui nous habitent et qui parfois nous obsèdent. Car il est lui cette Parole de Dieu semée en nos coeurs, dont parle saint Jacques, et il a le pouvoir de nous purifier et de renouveler nos vies.

Par ailleurs, le Seigneur Jésus ne vient pas simplement nous indiquer un but à atteindre dans notre vie spirituelle, il nous propose une voie sur laquelle il nous invite à marcher avec lui, lui qui EST le CHEMIN. Cette voie est une voie de MISÉRICORDE, qui prend sa source dans la miséricorde de Dieu pour nous. Jésus nous invite et nous fait participer à la miséricorde de Dieu, lui qui prend le risque, en nous confiant son Fils, de remettre son amour entre nos mains. 

L’expérience que nous faisons de la miséricorde du Christ convertit notre indifférence à la misère humaine autour de nous, attendrit notre coeur et nous entraîne à aimer comme lui, afin que nos coeurs soient toujours cette demeure privilégiée de Dieu où son amour prolonge son action. L’Esprit Saint n’est pas chiche et il déploie ses dons avec générosité, partout sur la terre, chez tous ceux et celles dont le coeur reconnaît qu’il est fait pour aimer, que c’est là sa véritable vocation. 

En voici un exemple il me semble, en ces temps de violences; une histoire qui s’entend comme une parabole évangélique et qui met en scène des chrétiens et des musulmans. C’est le Père Michel Morlet, prêtre et médecin, qui raconte ce qui suit alors qu’il était en Éthiopie auprès des lépreux : 

« C’était dans les débuts de mon arrivée à Gambo, où il y a un petit village où l’on garde les lépreux trop mutilés pour retourner chez eux. Ils reçoivent un peu de nourriture chaque jour et ils complètent avec leur jardin et leurs poules. Ils vivent pauvrement et ne mangent de la viande qu’aux grandes fêtes, soit musulmanes, soit chrétiennes. À Noël et à Pâques, on donnait une vache aux chrétiens. La même chose pour les musulmans à la fin du ramadan ou à la naissance du Prophète. Ils ne peuvent pas manger ensemble. Or vers la fin du ramadan, Mohamed, un musulman du village, accompagné des anciens, vint voir le Père italien chargé de la mission. Ce dernier lui demanda : « Tu viens déjà chercher ta vache ? » Mohamed lui répondit : « Non, on a discuté tous ensemble au village. Mes enfants vont rire et manger de la viande pendant que les enfants des chrétiens pleureront parce qu’ils n’en ont pas; alors qu’à Noël c’est le contraire. Comme on est tous les enfants du même Dieu, désormais, tu donneras à chaque fête. Tu nous donneras seulement un mouton. Comme cela, tu pourras pour le même prix en payer un autre aux chrétiens. Ainsi nos enfants riront et mangeront de la viande en même temps. » 

Cette histoire est une histoire prophétique pour notre temps, qui vient nous rappeler combien « Dieu est une rencontre que chacun doit faire en soi (2) », car lui seul à ce pouvoir de nous rendre meilleurs, bons comme le Christ. Et c’est pourquoi de ce même coeur de l’homme, capable des pires atrocités, Dieu a voulu faire sa demeure d’où jailliraient les fruits de l’Esprit Saint qui sont : charité, joie, paix, bienveillance, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur et maîtrise de soi. Aucune richesse n’est comparable à ces dons en cette vie, car ils nous ouvrent au véritable bonheur.

Yves Bériault, o.p.

Dominicain. Ordre des prêcheurs

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1. Annales, n. 301, février 1988. pp. 41-42. Dans Cahiers Saint-Dominique. Numéro 319, juin 2015. Article Qui nous fera voir le bonheur? de Soeur Marie-Isabelle Rioux, o.p. pp. 39-43.

2. Zundel, Maurice. L’évangile intérieur. Saint-Augustin, 1997. p. 23

Homélie pour la fête de l’Assomption de la Vierge Marie

La dormition de la Vierge Marie par le dominicain fra Angelico

Les Pères de l’Église, en accord avec toute la Tradition, ont toujours vu en Marie la « figure de l’Église », celle qui nous précède, qui est là au tout début, porteuse d’un mystère qui la dépasse, en même temps qu’elle nous devance et nous entraîne dans le mystère de la vie et la mort de Celui qui nous aima jusqu’au bout. Elle est à la fois derrière nous et elle est devant de nous. La Vierge Marie est, par excellence, « figure de l’Église », expression de son mystère le plus profond et c’est ce que la fête de son Assomption nous donner d’entrevoir dans la foi.

En Jésus, l’humanité apporte un oui définitif à l’œuvre de salut inaugurée par le Père en notre faveur, mais celui-ci voulait que le don de son Fils soit aussi accueilli par le « oui » humain d’une créature humaine. » (Raniero Cantalamessa, p. 56) C’est le fiat de Marie.

On a volontiers comparé Marie à la nouvelle Ève, car il lui est donné par la conception du Verbe fait chair, de donner à l’humanité celui qui serait capable de la relever de la chute originelle. Le théologien Karl Rahner dira de Marie :

« En un instant qui n’aura jamais plus de couchant et qui reste valable pour toute l’éternité, la parole de Marie fut la parole de l’humanité, et son “oui” l’amen de toute la création au “oui” de Dieu ».

« Amen », « oui », « fiat », tous ces mots ne font plus qu’un dans la bouche de Marie. Et son oui occupe une place unique dans l’histoire du salut. Il fait office de charnière indispensable entre l’Ancien et le Nouveau Testament, car Dieu ne voulait et ne pouvait nous sauver sans notre libre adhésion à son plan de salut. Par son oui, Marie rend possible le Verbe fait chair. Et parce qu’elle est tout ouverte à l’action de la grâce en elle, Marie devient la « pleine de grâce », la nouvelle Ève par qui le retour vers le Père va pouvoir s’opérer grâce à son fils Jésus.

C’est Dieu le Père qui accomplit tout en son Fils, bien sûr, mais Dieu veut avoir besoin de nous et c’est Marie qui en notre nom dira : « Me voici, je suis la servante du Seigneur. »

En notre nom, au nom de notre humanité, Marie a dit oui à cette présence infinie de Dieu en notre chair et de par sa mission et son état de Mère du Sauveur, elle est la première d’une multitude à être entraînée corps et âme à la suite de son fils ressuscité.

« L’Assomption de Marie, affirme Benoît XVI (dans une homélie pour l’Assomption de la Vierge Marie en 2009), est un évènement unique et extraordinaire destiné à combler d’espérance et de bonheur le cœur de chaque être humain ». Il y a un climat de « joie pascale qui émane de la fête de l’Assomption. “Marie, ajoute-t-il, est la prémisse de l’humanité nouvelle, la créature dans laquelle le mystère du Christ a déjà eu un plein effet en la rachetant de la mort. Marie constitue le signe sûr de l’espérance et de la consolation.”

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 19e Dimanche (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean (Jn 6, 41-51)

En ce temps-là,
les Juifs récriminaient contre Jésus
parce qu’il avait déclaré :
« Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel. »
Ils disaient :
« Celui-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph ?
Nous connaissons bien son père et sa mère.
Alors comment peut-il dire maintenant :
‘Je suis descendu du ciel’ ? »
Jésus reprit la parole :
« Ne récriminez pas entre vous.
Personne ne peut venir à moi,
si le Père qui m’a envoyé ne l’attire,
et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
Il est écrit dans les prophètes :
Ils seront tous instruits par Dieu lui-même.
Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement
vient à moi.
Certes, personne n’a jamais vu le Père,
sinon celui qui vient de Dieu :
celui-là seul a vu le Père.
Amen, amen, je vous le dis :
il a la vie éternelle, celui qui croit.
Moi, je suis le pain de la vie.
Au désert, vos pères ont mangé la manne,
et ils sont morts ;
mais le pain qui descend du ciel est tel
que celui qui en mange ne mourra pas.
Moi, je suis le pain vivant,
qui est descendu du ciel :
si quelqu’un mange de ce pain,
il vivra éternellement.
Le pain que je donnerai, c’est ma chair,
donnée pour la vie du monde. »

COMMENTAIRE

Dans la première lecture, nous voyons le prophète Élie, soutenu par Dieu, trouver la force de marcher quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu. Dans la Bible, le chiffre quarante signifie un temps de gestation et de mûrissement. Il me semble que nous avons là chez le prophète Élie, une belle analogie avec notre vie spirituelle puisque nous sommes en marche nous aussi vers cette montagne de la rencontre où un jour nous verrons Dieu face à face. C’est pourquoi, il nous est dit en ce dimanche : « Lève-toi et mange, car il est long le chemin qui te reste. » Il est fait d’obstacles, de tentations et d’épreuves, alors « Lève-toi et mange! »

Relisant ce texte à la lumière de l’Évangile, comment ne pas y entendre la disposition intérieure qui doit être la nôtre devant le Christ qui s’offre à nous comme le pain vivant tombé du ciel. Il est dépassé le temps de la manne au désert, ou encore celui de la galette et de la cruche d’eau servies à Élie. Désormais, Dieu se donne lui-même. « Lève-toi et mange! » 

La transformation intérieure qu’annonçaient les prophètes trouve son achèvement en Jésus Christ. Désormais, ceux et celles qui mettent leur foi en lui voient leur vie spirituelle se transformer en profondeur et ils font l’expérience d’une communion mystérieuse à cet amour qui unit le Père à son Fils. Sinon comment expliquer cet amour qui nous habite quand nous mettons notre foi en Dieu et remettons nos vies entre ses mains? Accueillant le Christ qui se donne à nous comme nourriture spirituelle, nous devenons les hôtes intimes de l’Esprit Saint et nous sommes alors appelés à marcher nous aussi vers la montagne de l’Horeb, vers la maison de Dieu, pour vivre éternellement avec Lui. Alors, « Lève-toi et mange! »

Jésus compare ce don qu’il nous fait dans l’offrande de sa vie à un pain vivant, un pain venu du ciel, à de la nourriture pour l’âme et dont l’Eucharistie est l’expression la plus achevée de ce mystère. 

Maintenant la communion à un tel mystère doit être porteuse de changements bien sentis dans nos vies, changements qui se produiront dans la mesure où nous collaborons à cette grâce de conversion qui est à l’oeuvre en nous. On le voit bien dans cet extrait de la lettre de Paul aux Éphésiens qui précède notre évangile :

« Frères et sœurs, n’attristez pas le Saint Esprit de Dieu, qui vous a marqués de son sceau en vue du jour de votre  délivrance. Amertume, irritation, colère, éclats de voix ou insultes, tout cela doit être éliminé de votre vie, ainsi que toute espèce de méchanceté. Soyez entre vous pleins de générosité et de tendresse. Pardonnez-vous les uns aux autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ. »

Voilà l’agir qui nous est proposé dans le Christ, sinon, qu’en est-il de cette foi que nous prétendons avoir? Nous le savons, la suite du Christ est exigeante et elle coûte; pourtant nous ne sommes pas laissés à nous-mêmes. C’est pourquoi, sans cesse, il nous faut crier vers Dieu quand nous faisons le mal plutôt que le bien, quand notre vie spirituelle s’affadit, car tout ce qui blesse autour de nous est aussi une blessure faite à Dieu. « N’attristez pas le Saint Esprit de Dieu », nous dit saint Paul, nous dévoilant ainsi qu’il est possible de blesser l’Amour, de blesser Dieu lui-même.

Vous le savez comme moi, lorsque l’on marche avec le Christ on a toujours cette vive conscience de ce qui peut nous séparer de Lui par nos paroles et nos actions. Le témoignage le plus fort qui m’a été donné en ce sens est celui de mon père. Il avait vécu une grande révolte contre Dieu à la suite de la mort tragique de ma sœur cadette âgée de dix-huit ans. Ce n’est que lors de mon entrée dans la vie dominicaine, quinze ans plus tard, qu’un changement s’est opéré en lui, comme si la grâce de mon appel l’avait aussi rejoint. Et c’est ainsi que je l’ai vu au fil des années développer une véritable vie de prière au sujet de laquelle il a toujours été très discret. Mais à l’occasion du cinquantième anniversaire de mariage de mes parents, mon père m’a confié qu’il remerciait Dieu de vivre un tel bonheur avec ma mère qu’il aimait beaucoup; j’en ai alors profité pour lui demander en quoi consistait sa prière. Il m’a alors confié ceci : 

« Parfois j’ai peur de marcher tout seul, mais si Lui marche avec moi, alors je n’ai plus peur, parce que je sais qu’avec Lui ça va bien aller! Je ne demande pas à Dieu qu’il me donne la santé, la richesse, le succès ou même d’être heureux. Je ne lui demande que ceci : qu’il me rende bon. Bon avec ma femme, mes enfants, mes voisins et mes proches. Pour le reste : santé, richesse, succès, bonheur, je m’en occupe. Mais qu’Il me donne seulement d’être bon. »

Mon père avait une vive conscience de ses faiblesses, mais sa foi en Dieu lui faisait comprendre comme par instinct l’importance de « vivre dans l’amour », comme le souligne saint Paul. Car c’est cela finalement vivre spirituellement et revêtir l’homme nouveau : « c’est se transformer de plus en plus, jusqu’à ce que le visage du Christ soit visible en nous. » (1) Sans le savoir, en cherchant à être bon et meilleur, mon père tendait vers cet idéal.

Frères et soeurs, tous les rites liturgiques, tous les sacrements que nous célébrons en Église, nous insèrent dans une démarche de transformation de nos vies, et l’Eucharistie en est l’expression la plus forte. C’est Anselm Grün, moine bénédictin, qui écrit :

« Dans toute eucharistie, nous célébrons la métamorphose de notre vie. Dans le don du pain et du vin, nous nous en remettons à Dieu avec nos déchirements, avec tout ce qui nous blesse et nous broie, avec nos pensées et nos sentiments, nos besoins et nos passions, notre conscience et notre inconscient. Et nous faisons confiance à Dieu : il va accepter nos dons et les transformer, de sorte que peu à peu, imperceptiblement, quelque chose va changer en nous au fil des Eucharisties… » (2)

C’est pourquoi chaque dimanche nous sommes invités à participer à l’eucharistie, non par obligation, mais par fidélité, non par habitude, mais par amour, parce que c’est là que Dieu a choisi de se donner à nous de la manière la plus inattendue et la plus absolue qui soit : en se faisant pain vivant pour nous.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs


  1.  Anselm Grün. Réussir la transformation de soi. Salvator, 2014. p. 8-9
  2.  Anselm Grün. Réussir la transformation de soi. Salvator, 2014. p. 24