La foi et la religion

Récemment, l’animateur d’une émission religieuse à la télévision de Radio-Canada a écrit une lettre ouverte aux journaux afin de souligner l’importance du fait religieux dans la vie des politiciens. Il disait qu’il n’était pas sans importance, comme le croient certains, de connaître leurs convictions religieuses, car cela nous permet d’en évaluer les répercussions possibles sur leurs décisions politiques.Ce que j’ai trouvé de particulièrement intéressant dans cette lettre ouverte c’est que l’auteur en profitait pour parler de sa foi, qu’il définissait comme une « spiritualité ouverte » et donc sans appartenance, sans religion.

De plus en plus, certaines personnes voient là comme le « nec plus ultra » de la foi, alors qu’il ne s’agit que des premiers balbutiements. Les tenants de cette position avancent qu’il faut faire disparaître tout ce qui divise les humains. C’est ce que disait ce journaliste dans sa lettre: les idéologies et les religions divisent, écrivaient-ils, il faut donc s’en débarrasser!

Pourtant les parties politiques nous divisent et nous en avons pourtant besoin; la couleur de la peau nous divise et est la cause de bien des conflits, et pourtant l’on ne peut repeindre l’humanité d’une couleur unique, comme si l’uniformité pouvait résoudre tous les problèmes et nous éviter tous les conflits.

C’est tout un débat que ce rôle de la religion comme facteur de division. S’il s’agissait plutôt du constat que les choses les plus chères au coeur humain sont souvent celles qui lui font perdre la tête. Combien de meurtres au nom de l’amour! Allons-nous l’interdire avec la religion et la politique?

Cette question de la foi sans la religion postule en fait que l’individu est l’ultime référence dans la connaissance du sens de la vie et que toutes les recherches, toutes les expériences de millions d’êtres humains sont engagées en somme sur des trajectoires parallèles qui ne peuvent jamais se rejoindre complètement, sinon l’on assisterait alors à la naissance d’une nouvelle religion.

Ce discours sur la foi ou le spirituel refuse l’hypothèse d’un Dieu qui puisse vouloir se faire connaître et qui puisse prendre les moyens pour le faire. C’est ce que l’on appelle la révélation dans la tradition judéo-chrétienne. La foi ou la spiritualité, sans la révélation, ne risque-t-elle pas d’enfermer l’homme dans des chimères et les pires excès? Est-il possible que Dieu puisse vouloir nous révéler ce qu’il faut faire pour le connaître et découvrir le sens de nos vies? C’est là la question que pose l’existence des religions à l’Homme.

J’aime bien cette réflexion d’un philosophe qui affirmait que « lorsque les hommes abandonnent la religion ils deviennent crédules ». Dans quelle voie ou religion faut-il alors s’engager? C’est là le début d’un long dialogue avec Dieu. C’est l’expérience d’Abraham : « Va vers le pays que je t’indiquerai. » Quitte le pays de tes certitudes et suis-moi.

La rencontre de l’autre

François Varillon, dans son livre : « Un chrétien devant les grandes religions », pose la question suivante : « Qu’est-ce que le christianisme m’apporte d’absolument unique et irremplaçable? Il est vrai que, lorsque les chrétiens ne sont pas capables de répondre à cette question, on peut se demander s’ils sont vraiment chrétien et pourquoi ils le sont » (p. 26). Le jugement de Varillon ici est sévère, surtout à une époque où tant de choses sont relativisées. Mais fondamentalement, il a raison. La suite du Christ ne peut pas être ramené tout simplement à un style de vie parmi d’autres, ou à une question de culture ou d’habitude. Qu’est-ce qui me fait vivre comme chrétien? That is the question , comme dirait Shakespeare. “To be or not to be.”Naturellement, à une époque où la notion de tolérance a fait des gains considérables, où l’oecuménisme a donné naissance en quelque sorte au dialogue inter-religieux (pensons à la première rencontre inter-religieuse d’Assise en 1984), l’on constate que le contre-coup de cette ouverture à l’autre semble être la tentation de relativiser ce qui fait la spécificité de chacun. Cette tentation est grande dans le dialogue oecuménique et inter-religieux, tant au niveau des intervenants, qu’au niveau du grand public, du croyant ordinaire, qui en arrivent à penser que toute croyance renvoie à la même réalité, que tout se vaut. Cela entraîne alors un certain relativisme qui tend à dévaluer la spécificité de l’expérience spirituelle chrétienne. Un intellectuel Hindou, Ananda K. Coomarasvamy affirme, face à ce courant contemporain : « La tolérance moderne est dans une large mesure le symptôme, soit de l’indifférence envers la vérité ou l’erreur spirituelle, soit de la conviction que la vérité ne pourra jamais être connue. » (Cité in F. Varillon, p.22)

Dialoguer avec l’Islam

Lors d’une entrevue avec le journal La Croix, le P. Étienne Renaud, directeur des études de l’Institut pontifical d’études arabes et islamiques (Pisai) à Rome, est interviewé au sujet de la rencontre de Benoît XVI avec quatre représentants musulmans. Interrogé au sujet de la pertinence du dialogue entre le christianisme et l’Islam, il rappelle les difficultés d’un dialogue théologique avec l’Islam, puisque le Coran ne reconnaît ni la divinité du Christ, ni sa crucifixion et encore moins le grand mystère de la Rédemption. Ce qui distingue entre autres l’Islam et le christianisme, dit -il, c’est que dans l’Islam « Dieu donne » et dans le christianisme « il se donne ».Où alors trouver un terrain de dialogue? Le P. Renaud répond :

« … pour moi, le vrai dialogue, c’est ce que l’on a coutume d’appeler dialogue spirituel, lorsque chacun peut rendre compte, dans une grande liberté mutuelle, de son expérience de Dieu. Alors, on ne se trouve plus face à face, mais on regarde ensemble vers Dieu. »

Abraham Lincoln : « Ne soyons pas pressés de dire que Dieu est de notre côté. Prions pour être du côté de Dieu. »

Annik, une enseignante m’écrit :

Annik enseigne à des petits de 7 ans de différentes races et religions.

« Comment faire pour ouvrir des voies de dialogue avec le monde moderne et l’Islam dans le respect de chacun? J’y oeuvre à ma petite échelle, j’essaie de faire découvrir à ces petites têtes qui ne sont pas blondes qu’ils sont comme les autres enfants, français, avec la chance d’avoir reçu les valeurs d’une religion que souvent ils ne connaissent pas.

J’en suis arrivée pour plus de paix au sein de la classe à faire découvrir les trois religions monothéïstes… J’ai du travail à faire pour découvrir la sagesse chinoise car dans notre école arrive maintenant de plus en plus de chinois. J’ai la chance d’avoir le droit au sein de ma classe de consacrer 10 minutes par jour à cet éveil religieux… Plus il y aura de dialogue entre nous et de respect mutuel… plus nous pourrons vivre dans un climat apaisé.

Autant vous partager d’autres joies : au cours d’un atelier où je me fais aider par des parents je demande puisque c’était le premier jour du ramadan à la maman présente d’en parler aux enfants. Elle ne trouve pas des mots simples pour en parler et me demande de le faire. Je pense que mon explication avait une résonance chrétienne du jeûne mais cette femme m’a remercié de lui avoir fait découvrir la portée spirituelle de ce qu’elle vivait par tradition.

Pour le 2 février un temps de prière était proposé aux enfants qui le désiraient sur un temps de récréation avant la cantine. Je raconte au sein de la classe le récit biblique et insiste sur la lumière qui éclaire toute vie. Un temps d’intériorisation est organisé pour rechercher ce qui nous éclaire et nous rend heureux et Richard un de mes petits chinois me dit aimer que des parents présentent à Dieu leur enfant. Il viendra au temps de prière et redira « je remercie Dieu pour les parents qui offrent à Dieu leur enfant » cela avec un accent délicieux et lui qui a quelquefois du mal à parler français a à ce moment là su trouver ses mots. Voilà pourquoi je n’aime pas trop qu’on caricature la religion des autres… »

Violence et religions

La lettre d’un prêtre qui s’en va en mission dans un pays du Moyen-Orient m’habite ce matin. Ce dernier dit avoir peur des islamistes. Il me demande de prier pour lui. Je repense ici à Mgr Pierre Claverie, o.p., évêque d’Alger, assassiné en 1996, qui parlait de la prière chrétienne comme d’un dialogue (voir le texte). Le dialogue n’est certainement pas facile quand on craint pour sa vie. C’est là le défi de vivre en disciple du Christ.

Les craintes de ce prêtre ne sont certainement pas sans fondement. La situation des chrétiens et des chrétiennes en pays musulmans est souvent déplorable. Pourtant ils y vivent avec beaucoup de courage et font preuve d’une foi qui est parfois de la trempe des saints.

Au noviciat des dominicains à Mossoul en Iraq, le maître des novices me décrivait la situation là-bas, en avril 2005, en me disant que c’était un peu plus calme maintenant. Il n’était plus nécessaire de garder les armes à portée de mains dans le couvent… Bien sûr quelques roquettes sont tombées à proximité de l’église lors de la Vigile pascale, mais la célébration a pu se dérouler sans autres incidents!

Quelle caricature de Dieu peut bien alimenter les rêves et les fantasmes des violents, toutes religions confondues? Jésus nous dit : « Je suis parmi vous comme celui qui sert. »