Jean Delumeau : Je m’abandonne à toi

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N.B. Dernier article dans cette série sur la mort et le deuil

Agrégé d’histoire, professeur au Collège de France, Jean Delumeau est un catholique engagé. Face à la mort, il exprime sa foi. Ce scientifique de 77 ans exprime aussi son désir de pouvoir s’abandonner entre les mains de son Sauveur, le jour de sa mort. Cette prière est comme un credo où l’on retrouve la dimension de la communion en Eglise. Un soutien pour renouveler sa foi dans la Résurrection.

J’aimerais être assez conscient
pour redire la parole du Sauveur :
«Père, entre tes mains je remets ma vie.»
Elle a eu ses peines et ses joies,
ses échecs et ses succès,
ses ombres et ses lumières,
ses fautes, ses erreurs et ses insuffisances,
et aussi ses enthousiasmes, ses élans et ses espérances.

J’ai terminé ma course.
Que je m’endorme dans ta paix et dans ton pardon!
Sois mon refuge et ma lumière.
Je m’abandonne à toi.
Je vais entrer dans la terre.
Mais que mon ultime pensée soit celle de la confiance.
Puissè-je alors me rappeler le verset cité par saint Paul :
«éveille-toi, ô toi qui dors, lève-toi d’entre les morts,
et sur toi luira le Christ !»

Sûr de ta Parole, Seigneur,
je crois que je revivrai avec tous les miens
et avec la multitude de ceux
pour qui tu as donné ta vie.
Alors la Terre sera rénovée, réhabilitée,
et il n’y aura plus ni mort, ni peur, ni larme…

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Sources : Prière extraite du hors-série «Les funérailles chrétiennes», Fêtes & Saisons. Prier n°226 – novembre 2000

Homélie pour le premier dimanche de l’Avent (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 13,33-37.
Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « Prenez garde, veillez : car vous ne savez pas quand viendra le moment.
Il en est comme d’un homme parti en voyage : en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail, et recommandé au portier de veiller.
Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de la maison reviendra, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin.
Il peut arriver à l’improviste et vous trouver endormis.
Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! »

COMMENTAIRE

Péguy dans un poème sur la fête de Noël, met en scène trois personnages, qu’il appelle les filles de Dieu, et qui sont la foi, l’espérance et la charité. Il compare la Charité à une mère ou à une soeur aînée; la foi à une épouse fidèle; et l’espérance, à une toute petite fille. Le poète Péguy a là une intuition des plus intéressante, car les saints et les saintes sont surtout reconnus à cause de leur foi à déplacer les montagnes, de leur charité à toute épreuve, mais l’espérance… Qui a déjà été canonisé parce qu’il ou elle avait espéré? Et pourtant, nous dit Péguy, c’est la petite fille espérance qui entraîne par la main ses deux soeurs la foi et la charité. Cette vision du poète nous introduit dans une belle compréhension de l’année liturgique que nous inaugurons aujourd’hui.

Faut-il le rappeler, l’année liturgique qui commence avec le premier dimanche de l’Avent, et qui se termine avec la fête du Christ-Roi, est marquée par trois grands mouvements, comme une vaste symphonie, qui correspondent au temps de Noël, de Pâques, et du temps « ordinaire », à défaut d’un qualificatif plus poétique. Quand on y regarde de plus près, chacun de ces trois temps de l’année liturgique semble davantage orienté vers l’une des trois vertus théologales de foi, d’espérance et de charité. Non pas que toutes ces vertus ne soient pas évoquées tout au long de l’année liturgique, à travers les lectures bibliques qui nous sont proposées, mais c’est comme s’il y avait une insistance plus soutenue à l’endroit de l’une ou l’autre de ces vertus, selon les grands moments de l’année.

Tout d’abord, le temps ordinaire, celui qui occupe la plus large part de l’année liturgique, est loin d’être « ordinaire ». Je le dirais surtout consacré à la vertu de charité, à la mise en oeuvre quotidienne de l’amour, manifesté par les paroles, les gestes et la personne même de Jésus. Le temps ordinaire de la liturgie est une invitation à faire nôtre sa mission, afin que par nos gestes et nos paroles, l’amour et la tendresse du Père soient à nouveau manifestés à notre monde par nos oeuvres de justice et de miséricorde. Le temps ordinaire, c’est l’aujourd’hui de Dieu, l’aujourd’hui de l’Évangile et de l’Église. On pourrait l’appeler le temps de la charité de l’Église.

Le Carême et le temps pascal me semblent davantage consacrés à la vertu de foi. C’est un temps qui invite à croire, à croire sans réserve. Une invitation nous y est faite à suivre le Christ dans sa mort-résurrection et à proclamer avec les Apôtres que ce Jésus qui a été crucifié, Dieu l’a ressuscité des morts. Carême et temps pascal sont ces temps de l’année où nous retournons aux sources de notre foi et où, à la fête de Pâques, sommet de l’année liturgique, nous proclamons que ce Jésus, Dieu l’a fait Christ et Seigneur. Et nous faisons nôtre cette béatitude promise par Jésus à ses disciples : « Heureux ceux qui croiront sans avoir vu! » C’est à cette foi audacieuse que nous invitent le Carême et le temps pascal.

Vous l’aurez deviné, le temps de l’Avent lui me semble tout orienté vers l’espérance. L’Avent, première halte dans l’année liturgique, vient dresser sur l’horizon de nos attentes humaines une toute petite lueur. Elle a les dimensions d’un berceau, mais elle est capable d’embraser tout l’univers. Pourtant, elle est toute contenue dans le mystère de cette étable de Bethléem. Mystère de l’humilité et de la petitesse de Dieu, qui se donne sans s’imposer à nous.

Noël, c’est Dieu qui déjà se livre une première fois entre nos mains. En attendant la croix, il est couché dans une mangeoire, emmailloté, offert à notre contemplation. Et là, dans cette vie humaine naissante, gît, impuissant, donné à nous, l’espérance du monde, le Christ, le Fils de Dieu. C’est Dieu lui-même qui vient allumer au coeur de notre nuit une soif d’infini et qui nous ouvre le chemin qui y conduit.

Pas étonnant qu’en ce temps de l’année, plus qu’à n’importe quel autre, les gens aient le goût de décorer, de revêtir les villes et les villages de lumières et de couleurs flamboyantes. Ils ont envie de donner d’eux-mêmes sans compter, d’être une fois pour toutes bonté et générosité, comme si leur coeur saisissait à l’approche de Noël, comme l’espace d’un instant, sa véritable vocation, même dans les sociétés les plus sécularisées. Non, les indices ne trompent pas. C’est la petite vertu espérance qui se fraie son chemin depuis cette étable de Bethléem et qui illumine la nuit des temps.

En tant que chrétiens et chrétiennes, il nous faut profiter de ce temps de l’Avent pour accueillir encore une fois cette lumière d’espérance qui vient vers nous. Si nous entrons de tout coeur dans l’Avent, sûrement nous deviendrons de meilleurs croyants et croyantes, les porteurs crédibles d’une Parole capable de redonner espoir à ces hommes et à ces femmes qui trop souvent cherchent sans trouver.

Car annoncer l’Évangile, c’est avant tout être habité soi-même par cette espérance qui espère au-delà de tout. C’est veiller avec le Christ comme il nous demande de le faire dans l’évangile aujourd’hui. C’est attendre activement dans la confiance et la fidélité, sa victoire finale, puisqu’il a « a donné tout pouvoir à ses serviteurs », lui qui est avec nous jusqu’à la fin des temps. Oui, l’espérance nous entraîne à sa suite afin que nous devenions de véritables ferments de justice, de paix et d’amour en notre monde.

Frères et soeurs, en ce temps de l’Avent, demandons à nouveau au Prince de la paix, au Christ de la Nativité de venir vers nous, de telle sorte que cette espérance qui nous habite puisse soulever le monde avec lui.

En terminant, je vous propose le texte de Charles Péguy, qui à sa manière, nous invite à contempler cette petite fille espérance :

Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance.
Et je n’en reviens pas.
Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout.
Cette petite fille espérance.
Immortelle.
Car mes trois vertus, dit Dieu.
Les trois vertus mes créatures.
Mes filles, mes enfants.
Sont elles-mêmes comme mes autres créatures.
De la race des hommes.
La Foi est une Épouse fidèle.
La Charité est une Mère.
Une mère ardente, pleine de coeur.
Ou une soeur aînée qui est comme une mère.
L’Espérance est une petite fille de rien du tout.
Qui est venue au monde le jour de Noël de l’année dernière.
Qui joue encore avec le bonhomme Janvier.
Avec ses petits sapins en bois d’Allemagne couverts de givre peint.
Et avec son boeuf et son âne en bois d’Allemagne. Peints.
Et avec sa crèche pleine de paille que les bêtes ne mangent pas.
Puisqu’elles sont en bois.

C’est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes.
Cette petite fille de rien du tout.
Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus.
Comme l’étoile a conduit les trois rois du fin fond de l’Orient.
Vers le berceau de mon fils.
Ainsi une flamme tremblante.
Elle seule conduira les Vertus et les mondes.
Une flamme percera des ténèbres éternelles.

Yves Bériault, o.p.

1.  Charles PÉGUY, tiré de «Le porche du mystère de la deuxième vertu. pp. 26-27

John Henry Newman : Conduis-moi, douce lumière

monet_seineConduis-moi,
douce lumière,
A travers les ténèbres qui m’encerclent.
Conduis-moi, toi,
toujours plus avant!
Garde mes pas:
je ne demande pas à voir déjà
Ce qu’on doit voir là-bas :un seul pas à la fois
C’est bien assez pour moi.
Je n’ai pas toujours été ainsi
Et je n’ai pas toujours prié
Pour que tu me conduises, toi, toujours plus avant.
J’aimais choisir et voir mon sentier;
mais maintenant :
Conduis-moi, toi, toujours plus avant!
Si longuement ta puissance m’a béni!
Sûrement elle saura encore
Me conduire toujours plus avant
Par la lande et le marécage,
Sur le rocher abrupt et le flot du torrent
Jusqu’à ce que la nuit s’en soit allée…
Conduis-moi, douce lumière,
Conduis-moi, toujours plus avant!

Denise Gingras-Gosselin :

monet_la_piePoème pour Yves, décédé par assassinat à l’âge de 27ans.

Et maintenant s’en vient Noël
Qui ne sera plus jamais pareil
Trois croix remplacent le sapin
Celle que je porte et celle du Divin

La troisième était sur le cercueil
De mon enfant dans un linceul
Après les prières d’usage
On m’a remis cet héritage

Je l’ai glissé dans un tiroir
Folle de rage et de désespoir
Puis l’évolution de mon chagrin
Me l’a fait reprendre en main

J’en ai orné mon salon
Suivi d’une étrange réaction
Comme la douée présence
De mon fils en permanence

NON, ce ne sera plus jamais pareil
Pour mes préparatifs de Noël
C’est la fête d’un Enfant
Qui renaît tous les ans

Mais moi je vis le vendredi saint
Qui s’est avéré mon destin
0 Jésus de la crèche
Sois fidèle à ta promesse

J’attends la résurrection
Qui me fait tenir bon
Celle qui à la fin des temps
Me fera retrouver mon enfant

Puisqu’on ne fête pas une mort
Qu’on n’exige pas de moi d’autre décor
Que cet emblème de vie éternelle
Qui symbolise mon espérance du ciel

20 octobre 1986

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Source : Parents orphelins. Louise Courteau éditrice, 1990.

Mourir avec le Christ

monet_nuagesJe suis gêné pour respirer. Je ne pensais pas que ça viendrait si vite. Sans doute que je n’arriverai plus à dormir aucune nuit.

Jésus, dans la nuit du Jeudi au Vendredi Saint, je te contemple. Tu sais que ce sera fini pour 15 heures. Tu sais par quoi il te faudra encore passer avant d’arriver ver à la fin et au but. Moi, je ne sais ni l’heure ni ce par quoi il me faudra encore passer.

J’ai peur. Et, tout à l’heure, en essayant encore de me rendormir, j’étais dans l’angoisse, et des rêves d’étouffement hantaient mon imagination. Veux-tu m’aider. Donne-moi la main.

Permets que je m’unisse aux derniers moments de ta vie, que les derniers moments de mon existence unis aux tiens servent à réparer mes péchés et les péchés de ton église; qu’ils soient source de salut pour tous mes frères et qu’ils permettent à tous de te mieux connaître et mieux aimer.

Donne-moi ta paix. Que l’angoisse et la souffrance n’empêchent pas la joie. Que ma solitude éclairée par la solitude de ta nuit du Jeudi au Vendredi Saint, soit remplie de ta présence et de ton amour.

Un prêtre (anonyme)
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Source : Célébrer la mort et les funérailles, Desclée, 1980.

Papa et maman : Lettre à la petite Josianne

monet_printempsNous offrons à tous les parents qui comme nous ont vécu la perte d’un enfant, ou à ceux qui éventuellement auront à y faire face un jour, cette lettre d’espoir et d’amour. Josianne est décédée à l’âge de deux ans et quatre mois.

Il y a déjà trois ans que tu n’es plus de ce monde, même si dans nos cœurs tu existes toujours. C’est avec grande émotion mais avec tellement de conviction que je t’écris cette lettre, sachant même que tu n’as pas à la lire, car c’est toi mon inspiration à présent.

Il y a eu et il y a encore des moments très difficiles à traverser ; et, de toute évidence, il y en aura toujours. Certes, ta présence physique est ce qui nous manque le plus ; ta beauté, ton sourire, ta démarche, ton intelligence, bref, tout ce qui faisait de toi ce petit être que tous chérissions.

Ton séjour fut très court sur cette terre, mais combien fut-il rempli ! Tu fus de passage tel un petit ange venu pour apporter la bonne nouvelle… Il est très difficile de comprendre toutes ces choses. On se pose des tas de questions, sans aucune réponse concrète, mais je conserve un grand espoir qu’il y a une suite à tout cela. Depuis cette grande épreuve, j’ai acquis une sérénité jusqu’ici inconnue en moi-même.

Je vois la vie sous un nouveau jour ; je mords à belles dents dans tout ce qui avait plus ou moins d’importance à mes yeux ; un rien m’éblouit ; le chant d’un oiseau, la pluie, la neige, les enfants, les vieillards, finalement tout ce que j’ai manqué de si merveilleux auparavant et qui semblait faire partie du quotidien. Il suffît malheureusement d’avoir traversé une telle épreuve pour se rendre compte que tout ce qui existe autour de nous est si vulnérable et éphémère, et en même temps tellement précieux pour ceux qui savent être à l’écoute et attentifs à tout ce qui respire et transpire cette promesse d’éternité dans sa moindre parcelle.

Il m’arrive souvent de revivre les derniers instants de ta vie jusqu’au moment où tu fus revêtue d’un linceul de neige. Ce sont des événements qui arrivent si soudainement et l’on doit agir si précipitamment qu’il nous semble vivre un mauvais rêve. L’on se doit défaire le point à un moment donné ; c’est très difficile de ressasser ces moments, mais je crois que c’est nécessaire pour pouvoir apprendre à continuer de vivre face à cette vérité. C’est comme si je visionnais un film où je ne serais pas du tout concernée; évidemment, c’est le film le plus triste que j’aie jamais vu. Je me demande comment cette mère, très lucidement d’ailleurs, fait pour être capable de bercer sa petite en lui chantant ses berceuses préférées pour la dernière fois, alors qu’elle vient de rendre le dernier soupir. Elle va même jusqu’à bricoler avec son garçon de 8 ans un petit ange de soie et de dentelle qu il veut offrir à sa petite sœur pour décorer son cercueil blanc.

Aujourd’hui, alors que je revois ces images plus sereinement, je me surprends à me plaire dans cette vision, allant même jusqu’à avoir trouvé la cérémonie des funérailles très belle. Je me rappelle avoir tout préparé avec soin, tout comme je l’aurais fait le jour de ton mariage : tes petits bijoux, tes barrettes, ta plus belle robe bien pressée. Toi qui étais déjà si coquette, je suis certaine que tu as bien apprécié. Lorsque nous sommes arrivés le premier jour au salon funéraire, c’est avec le cœur rempli d’émoi, malgré tout le chagrin qui nous habitait, sans oublier toute l’amertume encore non extériorisée, que nous nous sommes avancés, papa, Yann et moi, vers la plus belle de tous les anges. Nous étions très fiers de présenter à nos amis, qui sont venus sympathiser avec nous, notre petite poupée, parmi ce jardin des merveilles des plus fleuris qui semblait faire partie d’un conte de fées.

Toi qui aimais les rondes et les fêtes, tu as été des plus choyées. Je n’avais jamais vu un aussi beau cortège. Les quatre petits copains de Yann, escortant ton «berceau», affichaient une fière allure en te berçant une dernière fois.. Même la petite réception que nous avons donnée pour recevoir parents et amis intimes fut très bien réussie. Tes petits cousins et cousines fêtaient avec toi ce qui devait être la plus belle journée de ta courte vie. Je sais que tu y es pour quelque chose, autrement je n’aurais pu m’en sortir de cette façon. Je suis convaincue que tu revis, non pas près de nous, mais en nous.

Tu te fais encore bercer, mais au gré de nos sentiments, tantôt d’une manière paisible, mais tantôt avec un peu de colère. Excuse-nous pour ce rythme saccadé, toi qui marquais si bien la cadence… C’est probablement ce que tu as fait grandir en nous qui nous chavire tant, nous qui faisions tout notre possible pour t’aider à grandir en sagesse et en beauté ; voilà que les rôles semblent inversés. Pour ce qui est de grandir en beauté, je dois te dire que tu avais bien débuté ; tu étais d’une beauté indescriptible. Je peux encore admirer tes beaux yeux noirs, car tu possédais les mêmes yeux que papa, ces derniers reflétant encore quelquefois les mêmes larmes que les tiens, et, vois-tu, je continue à les essuyer. Pour ce qui est de ta sagesse, tu y es parvenue avant nous ; mais en acceptant de te voir mener une vie autre que sur terre, je pense être sur le point d’atteindre une partie de ta sagesse et je t’en remercie.

Sache bien que malgré ces deux courtes années, lesquelles ont été nos plus belles, tout ce que nous avons bâti ensemble, pour toi et avec toi, fut fondé sur ce qu’il y avait de plus grand. Les joies que tu nous a apportées sont immenses et elles alimenteront tous nos jours à venir, jusqu’à ce que nous nous réunissions tous dans le petit nid d’amour que tu es sûrement en train de nous tisser dans un coin du paradis.

En attendant, aime-nous comme nous t’aimons, intensément et du plus profond de notre cœur ! Pense à nous comme nous pensons si souvent à toi, à chaque instant, seconde et minute de notre vie! écoute-nous comme nous saurons être à l’écoute de nos instincts guidés par la voix de Dieu en toi ! Attends-nous patiemment comme nous avons si bien su t’attendre, si bien su préparer ton arrivée durant neuf mois tant prémédités ! Je ne sais comment te remercier, ma chérie, pour tout ce que tu as su nous léguer en héritage : ton amour, lequel je sens déborder avec tous ceux qui m’entourent et que j’aime ; la force et l’espoir que tu nous donnes ; merci pour la vie que tu as permis de donner à un autre enfant, par le second souffle de vie que tu lui as offert !

Merci pour le courage que tu nous a donné quand nous avons pris la décision de donner à Yann un petit frère que tu as sans doute croisé sur ta route céleste. Sois bien assurée, mon amour, que cet enfant ne te remplacera jamais, mais tout ce que nous souhaitons, c’est de pouvoir lui procurer autant de joie et d’amour que nous t’avions prodigués et que tu nous rendais si bien.

Merci finalement à Dieu qui nous donne la chance de sortir grandis de cette lourde épreuve et surtout de m’avoir permis d’exprimer des sentiments tellement profonds et difficiles à mettre sur papier, car j’ai dû m’interrompre d’écrire à plusieurs reprises, quelques larmes étant venues s’ajouter à ce tableau…

Au revoir, notre petit ange !

Maman et papa.

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Source : Parents orphelins. Louise Courteau éditrice, 1990.

Jacques Fesch : Une mort acceptée

monet_nympheas2Un mois avant son exécution, un jeune homme, condamné à mort, écrit à sa famille. Sa réclusion après un crime ,a été l’occasion d’une extraordinaire montée spirituelle. Dernière joie humaine et préoccupation de partager sa foi.

J’ai reçu la petite mèche de Véronique… Quels beaux cheveux elle a! Si fins, si blonds, si doux à toucher! J’ai réellement l’impression d’avoir ma petite fille dans la cellule. Il y a quelque chose d’elle de vivant que je puis maintenant toucher…

Si tu savais la gravité de la mort… Il n’y a aucune interprétation à donner. Les clous dans les mains sont réels et les clous acceptés. Vois-tu, je vais certainement passer une drôle d’agonie et la préparation de cette mascarade sanglante est horrible; eh bien! si j’en tremble, ce n’est pas par peur physique, mais parce que je comprends mieux toute la pureté du Christ opposée à mon abjection. Malgré tout ce qui va m’arriver, je ne serai sauvé que par grâce et uniquement par grâce…

Je vois dans ta lettre que tu as mal interprété ce que je t’ai écrit. Ce n’est pas par lassitude que je veux m’en aller. Mais c’est afin que la volonté du Père soit faite; et parce que j’accepte de tout cœur cette Volonté, je reçois joies sur joies. Comprends-tu mieux, maintenant ?… et Celui qui s’abandonne ainsi à Dieu, ce n’est plus un coeur de chair qu’il a dans la poitrine, mais un globe de feu…
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Source : Célébrer la mort et les funérailles, Desclée, 1980.

Jean-François Six : Mourir, ressusciter

monet_agapanthesPrière pour demander d’accepter de mourir, prière pour vouloir que la Résurrection ne soit pas imaginée comme la survie où je me récupère, mais la vie de l’Autre dont je ne sais rien si ce n’est ce qu’il a dévoilé, cette vie qui en tout cas ne veut pas détruire, ici-bas, l’existence et la mort même de l’homme, mais lui donner un Ailleurs. Prière d’humilité pour ne pas accomplir ce tour de passe-passe qui consiste à confisquer par l’au-delà l’aujourd’hui où meurent les hommes.

Certains refusent les agenouillements ; ils ont peur des humiliations, ils veulent être des hommes debout. Dieu ! que je les comprends ! J’aime prier debout. J’aimerais être enterré debout, en signe de prière de résurrection, en signe d’attente de la résurrection.

Quand, transpercé par la mort et par la lumière faite sur ma vie, je m’apercevrai que je me suis mal laissé aimer par l’Amour, quand, devant le Père de Jésus et le mien, je verrai que j’ai mal aimé parce que j’ai souvent refusé d’être aimé, alors, je le sais, l’Esprit, plus que jamais, priera à travers ma pauvreté nue. Et le Père de tendresse se contentera de me regarder avec humour en disant, comme réponse à cette ultime prière : « Comment vas-tu ? »

Le rythme « Christ mort et ressuscité » : rythme de notre vie, rythme de notre prière. Mourir à nos forces de mort et ressusciter à nos forces de vie. Mourir à tout ce que nos gestes ont d’étriqué, mourir à tout ce que nos pensées ont d’incohérent, mourir à tout ce que nos cœurs ont de stérile. Ressusciter à une vie qui est la nôtre et qui est greffée d’une Autre.Fin de l’article
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Jean-François Six, La Prière et l’Espérance. Seuil, 1968, pp. 48, 49, 50, 100.

Source : Célébrer la mort et les funérailles, Desclée, 1980.

Homélie pour la fête du Christ Roi (A)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 25,31-46.
Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire.
Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres :
il placera les brebis à sa droite, et les chèvres à sa gauche.
Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : ‘Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde.
Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ;
j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi ! ‘
Alors les justes lui répondront : ‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ?
tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ?
tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ? ‘
Et le Roi leur répondra : ‘Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. ‘
Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : ‘Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le démon et ses anges.
Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ;
j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité. ‘
Alors ils répondront, eux aussi : ‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim et soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ? ‘
Il leur répondra : ‘Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait. ‘
Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »

COMMENTAIRE

Les textes bibliques à l’occasion de la fête du Christ-Roi, mettent l’accent à la fois sur la sollicitude de Dieu à notre endroit, lui le Bon pasteur, et sur cette même sollicitude dont nous devons faire preuve entre nous. Nous le savons : « Dieu est amour », nous dit saint Jean, alors que l’Apôtre Paul affirme que « l’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour ». Autrement dit, ce que Dieu fait, nous sommes invités à le faire nous aussi, à être comme lui.

Maintenant, Jésus dans l’évangile aujourd’hui établit un lien très étroit entre notre amour du prochain et lui-même. « Tout ce que vous avez fait à l’un de ces petits, nous dit Jésus, c’est à moi que vous l’avez fait ». Jésus nous dit que Dieu est le premier touché quand l’amour se manifeste, qu’on le sache ou non, qu’on le veuille ou non. Dieu devient l’objet de notre amour quand les couples s’aiment, quand les parents cajolent leurs enfants, quand de vraies amitiés se nouent, quand les bénévoles se donnent avec coeur et patience. Que ce soit chez les bénéficiaires de nos hôpitaux, chez les personnes en centre d’accueil, chez les prisonniers, chez tous ceux et celles qui souffrent, ou que l’on persécutent. Partout où l’on souffre, où l’on vie  et où l’on meurt, Dieu est présent. Et tous, même sans le connaître, se font proches de Dieu quand ils aiment leur prochain, quand ils sont bienveillants

Voyez les brebis qui sont jugées favorablement dans la parabole d’aujourd’hui. Elles ne savaient pas qu’en aidant leur prochain elles posaient une action en faveur de Jésus, en faveur de Dieu. « Quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif… », demandent-elles? Et Jésus répond qu’il était était là dans le prochain.

Un proverbe oriental pourrait nous apporter une clé de lecture pour cette parabole. Ce proverbe fait dire à Dieu : « Viens à moi avec ton coeur et tu verras avec mes yeux ». Jésus nous invite à voir le prochain avec ses yeux à lui. Nous avons de la valeur aux yeux de Dieu, parce que nous sommes son bien le plus précieux, nous sommes ses enfants, et c’est cette richesse que Jésus nous invite à découvrir chez le prochain.

Non seulement Dieu nous crée par amour, comme le souligne sainte Catherine de Sienne, mais Dieu lui révèle que nous sommes faits d’amour, parce qu’il nous a créé son image. C’est dans nos gènes! Dieu se reconnaît en nous comme les parents se reconnaissent dans leurs enfants.

Nous sommes faits de Dieu, sa vie circule en nous, et c’est ce qui rend la vie de toute personne si précieuse et digne d’être aimée. Aimer le prochain, c’est aimer Dieu. Aimer Dieu, c’est aimer le prochain. C’est tout un! Voilà ce que Jésus veut nous faire comprendre aujourd’hui.

Jésus nous enseigne que le prochain est non seulement un chemin vers Dieu, mais qu’il est le seul chemin. C’est pourquoi le jugement qui est posé dans l’évangile par le Fils de l’homme, porte uniquement sur la charité que nous devons nous manifester les uns aux autres. C’est à la mesure de cette charité que nous serons jugés.

Jésus nous révèle que le prochain est un autre soi-même, tellement aimé de Dieu, qu’il nous faut nous attacher à lui comme à notre propre chair. Et si le Christ nous dit : « chaque fois que vous avez fait du bien à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait », il ne faudrait pas négliger d’accueillir le prochain pour sa propre valeur, pour ce qu’il est. C’est là un danger qui nous guette quand nous faisons la charité.

Notre sollicitude à l’égard du prochain ne saurait reposer uniquement sur des principes ou se faire par imitation, comme si nous pouvions aider le prochain sans y mettre notre coeur, sans le reconnaître comme un frère ou une soeur dans le besoin. Si le prochain est précieux aux yeux du Christ, il doit aussi le devenir pour nous. Notre sollicitude doit éventuellement s’adresser à l’autre personnellement, et non seulement comme une forme de bienséance évangélique superficielle, où notre charité s’exercerait sans même un sourire, ou un regard pour l’autre.

Dieu non seulement nous confie les uns aux autres, mais il est au coeur de ce mystère de communion qui nous unit les uns aux autres. Aimer le prochain, c’est s’ouvrir au mystère de l’autre, en posant sur lui ou sur elle, le regard même du Christ, car cet autre est porteur de la vie de Dieu, il porte son empreinte. Mais vous pourriez me répondre avec raison qu’il n’est pas toujours facile d’aimer le prochain. Et bien c’est alors que notre sollicitude doit se faire prière pour l’autre, miséricorde, pardon, tout en demandant à Dieu la force d’y parvenir.

Quand Jésus nous invite à accueillir notre prochain comme si c’était lui, il ouvre des perspectives nouvelles à nos amours, à nos amitiés, à nos relations entre nous. C’est comme s’il nous disait : « Si tu savais le don de Dieu, si tu savais qui s’adresse à toi à travers ce prochain, si tu savais tout ce dont sont porteurs tes actes de charité, même les plus modestes, tu t’empresserais d’aller vers les plus pauvres, les plus malheureux et les plus démunis, parce qu’en eux c’est Dieu qui se tient à ta porte, qui t’espère et qui t’attend. »

Frères et soeurs, en cette fête du Christ-Roi, et au terme de cette année liturgique, demandons à Dieu de nous aider à grandir et à persévérer dans l’amour du prochain, lui qui vient vers nous avec douceur et humilité, non pas pour dominer nos vies, mais pour les transfigurer et nous rendre semblables à lui, afin que nous puissions aimer comme lui.

Seigneur, que ton règne arrive. Amen.

Yves Bériault, o.p.

P. Escalié : La ronde des jours

renoir_jardinLe printemps de la vie et son innocence, l’été de la vie et ses combats, l’automne de la vie et son apaisement, une femme-poète a chanté « la ronde des jours », —jusqu’au dernier, le jour du retour à la maison. «Ouvre donc. Seigneur, nous voici», avec la guirlande de nos souvenirs.

Parmi bruyères et genêts,…
Voilà bien longtemps, je suis née.
Je croyais,
petite innocente,
Sans fin la ronde des jours…
Que jamais n’en ferais le tour!
Croyais pure entre les roseaux
L’eau murmurante des ruisseaux.
Croyais les mots faits de musique,
Chargés de joie, chargés d’amour,
Et tous les chemins de velours…
Croyais l’oiseau roi de l’azur,
Ayant en l’homme un ami sûr.
Croyais les chiens doux et fidèles,
Léchant les mains si tendrement
Qu’endormaient la peur doucement.
Croyais tous les enfants heureux,
Avec du soleil plein les yeux
Et la tendresse de leur mère…
Beau comme la rosé d’un jour,
Et éternel croyais l’amour.
J’ai vu des amants déchirés
Et leurs beaux serments bafoués.
J’ai vu, des enfants, la tristesse :
Pour eux, ni soleil, ni jardin ;
Pour eux las! faim, peur et dédain…
Ah ! vraiment n’y comprends plus rien
A mordre, on a dressé les chiens…
Le maître aimé les abandonne…
Et, pour l’oiseau, l’homme a choisi
La cage étroite ou le fusil !
Durs, tortueux et incertains,
Pleins de dangers sont les chemins
Où la pierre côtoie l’ornière.
Il est des mots laids et méchants :
Comme la lame ils sont tranchants.
Dans l’eau meurt le poisson d’argent ;
L’eau n’a plus de reflets changeants
Mais de grises franges d’écume.
File, file, file le temps…
Rides au front et cheveux blancs !
Là-bas, bruyères et genêts,
Dans la campagne où je suis née,
A leur saison encor fleurissent.
Continue la ronde des jours,
Et j’en ai fait presque le tour.
Le soleil baisse à l’horizon
Dorant le toit de ma maison…
Le soir tamise la lumière,
Adoucit couleurs et contours :
C’est l’heure d’un plus grand amour.
Ma main s’apaise entre tes mains,
Je rêve encor de lendemains
Où la joie paisible a sa place.
Mon Aimé, voici le déclin,
Notre course touche à sa fin.
Déposons là tous nos fardeaux,
C’est le moment du grand repos.
Conviés à la même fête,
Oublions larmes et soucis.
« Ouvre donc, Seigneur, nous voici ! »
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Source : Célébrer la mort et les funérailles, Desclée, 1980.

André Verdet : L’espoir à tout prix

monet_pontjaponaisDieu a mis au cœur de l’homme un goût de la vie si fort, une confiance si invincible que, même dans l’enfer d’Auschwitz, il s’est trouvé des poètes pour chanter « l’espoir à tout prix».

Quand bien même tous les êtres que j’aime viendraient à mourir
Seraient morts me laissant seul à seul
Comme serait morte à jamais si grouillante la terre
Quand bien même éteints astres phares et foyers
Et toi de mon amour éternité
Si la nuit des nuits écrasait le monde
De son pampre touffu de ténèbres glacées
Quand bien même plus un souffle de vie
Hormis le mien
Plus solitaire que le néant
Et plus menacé
Quand bien même l’irrémédiable Carcasse Rien
Alors dans cet univers pétrifié
Mes lèvres forgeraient d’or le nom d’une aurore nouvelle.
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Source : Célébrer la mort et les funérailles, Desclée, 1980.

Auguste Valensin : L’amour bannit la crainte

sisley_cheminLa peur des jugements de Dieu nous fait redouter la mort. Mais pourquoi craindre, nous dit le P. Valensin. Parce que nous n’aimons pas assez ? Mais Dieu nous connaît et il nous aime. Il suffit que quelqu’un accepte d’être aimé de lui pour que cesse la peur de la rencontre.

Les sentiments que je voudrais avoir à cette heure (et que j’ai actuellement): penser que je vais découvrir la Tendresse. Il est impossible que Dieu me déçoive, l’hypothèse seule est énorme ! J’irai à lui et je lui dirai : Je ne me prévaux de rien, sinon d’avoir cru en votre bonté. C’est bien là en effet ma force, toute ma force, ma seule force.

Si cela m’abandonnait, si cette confiance en l’Amour me désertait, tout serait fini, car je n’ai pas le sentiment de valoir, surnaturellement, quoi que ce soit ; et s’il faut être digne du bonheur pour l’avoir, c’est à y renoncer. Mais plus je vais, plus je vois que j’ai raison de me représenter mon Père comme l’indulgence infinie. Et que les maîtres de la vie spirituelle disent ce qu’ils veulent, parlent de justice, d’exigences, de craintes, mon juge à moi, c’est celui qui tous les jours montait sur la tour et regardait à l’horizon si l’enfant prodigue lui revenait. Qui ne voudrait être jugé par lui?

Saint Jacques a écrit : « Celui qui craint n’est pas encore parfait dans l’Amour». Je ne crains pas Dieu, mais c’est moins encore parce que je l’aime que parce que je me sais aimé de lui (…).

Il suffit que j’accepte d’être aimé de lui pour l’être effectivement. Mais il faut que je fasse ce geste personnel d’accepter. Cela, c’est la dignité, la beauté même de l’amour qui le veut. L’amour ne s’impose pas : il s’offre. 0 mon Père, merci de m’aimer! Et ce n’est pas moi qui vous crierai que je suis indigne ! En tous cas, m’aimer, moi, tel que je suis, voilà qui est digne de vous, digne de l’amour essentiel, digne de l’amour essentiellement gratuit ! Fin de l'article

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Auguste Valensin, La joie dans la foi, Aubier 1954, p. 106
Source : Célébrer la mort et les funérailles, Desclée, 1980.

Méditation sur nos choix de vie à l’occasion de l’Année de la vie consacrée

L’Année de la vie consacrée sera précédée le samedi 29 novembre 2014 par une veillée de prière et débutera officiellement le 30 novembre, premier dimanche de l’Avent. Elle prendra fin le 2 février 2016 à l’occasion de la journée mondiale de la vie consacrée. Pendant ces quatorze mois, des célébrations, des rendez-vous divers auront comme objectif de mettre en lumière les dimensions variées de la vie consacrée.

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Un évêque allemand, que j’ai eu la chance d’entendre prêcher à l’église Santa Maria in Trastevere, à Rome, à la communauté de San Egidio, proclamait bien fort dans son homélie : « Je suis fils de Dieu! Avant même que le monde soit créé, Dieu pensait à moi. Il m’aimait déjà et il voulait me créer. Et ce monde avec ses galaxies a été créé pour MOI, car JE suis fils de Dieu. Et il me demande de m’y engager avec tout cet amour qu’il a mis en moi, car JE suis fils de Dieu! » Ce fut une homélie à la fin de laquelle j’aurais voulu applaudir tellement l’enthousiasme de cet évêque était communicatif.

En rappelant ici cette homélie, je désire simplement souligner que notre vocation personnelle, mystérieusement, s’inscrit déjà dans le coeur de Dieu, avant même que nous ne soyons nés. Il ne s’agit pas ici de déterminisme, où nous n’aurions pas le choix de l’orientation de nos vies. Mais Dieu, dans sa prescience, voyait déjà chacun et chacune de nous, avant même la création du monde. Il se penchait déjà, avec amour, sur le rêve en devenir que nous étions; posant son regard bienveillant sur chacun de ses enfants en devenir, encore à l’état de rêve; posant son regard d’amour sur la fibre la plus intime de notre être et mettant en chacun et chacune un dynamisme de vie capable de regarder vers l’infini, capable de le reconnaître pour qui il est : Dieu, notre Père.

Je crois être venu au monde avec cet appel particulier à chercher Dieu de toutes mes forces, dans une vie qui lui serait entièrement consacrée. Cette vocation aurait sans doute pu se réaliser dans le mariage ou dans un célibat engagé dans le monde. Mais c’est Dieu qui appelle et qui inspire des directions à nos choix de vie. Je dirais qu’il nous souffle à l’oreille ce qui pourra être, pour nous, la meilleure voie d’épanouissement, sans que cela veuille dire qu’il n’y ait pas différentes voies possibles. Mais certaines sont mieux adaptées à ce que nous sommes, à ce que nous portons comme richesses, talents et sensibilités.

Il y a des choix de vie où nous sommes mieux assurés de trouver notre bonheur, notre épanouissement personnel, même si parfois ces choix semblent aller contre la logique de ce monde. À notre époque, dans nos sociétés occidentales, même le mariage est soupçonné. Avoir des enfants est quasiment perçu comme un geste irresponsable, dès que l’on dépasse un deuxième, si ce n’est dès le premier! Que dire alors de la vocation religieuse ou sacerdotale! Même des chrétiens s’en méfient et jugent parfois sévèrement ceux et celles qui s’y engagent.

La vocation religieuse ou sacerdotale est avant tout un choix de vie où, la personne qui s’y engage, y reconnaît une voie de bonheur et d’épanouissement supérieure à tout autre pour elle. Il s’agit d’une invitation de Dieu qui, secrètement, au fond du coeur de celui ou de celle qui est appelé, met un désir profond de suivre le Christ avant toute chose. Cela devient le premier choix de vie.

C’est un choix qui doit se faire, ni par sentimentalisme, ni par culpabilité, ni par crainte de dire non à Dieu, comme le présentent certaines spiritualités qui caricaturent l’appel de Dieu, mais ce choix doit être avant tout un oui au bonheur, en dépit des renoncements qu’il implique. Celui ou celle qui s’y engage, doit s’y engager parce qu’il y trouve sa joie. Il n’y a pas d’engagement de vie sans renoncements, mais toujours l’amour, la joie du don de soi, le désir de dire oui, nous font accepter les limites et les contraintes d’un choix de vie donné, les avantages étant tellement supérieurs aux renoncements. Même ces derniers sont au service de l’amour et le font grandir, l’aide à atteindre sa pleine maturité.

Oui, Dieu me demande de m’engager dans ce monde avec tout cet amour qu’il a mis en moi, car JE suis fils de Dieu!

Yves Bériault, o.p.

Jacques Leclercq : Le suprême jour de l’homme

nympheas1À la fin de son livre « Le Jour de l’homme », le P. Jacques Leclercq célèbre la Résurrection comme la suprême coïncidence du «Jour de l’homme» avec le «Jour de Dieu».  

Je suis la résurrection et la vie, dit Jésus. Qui croit en moi, fût-il mort, vivra.
Et je crois, oui, je crois qu’un jour, ton jour, ô mon Dieu,
je m’avancerai vers toi,
Avec mes pas titubants,
Avec toutes mes larmes dans mes mains,
Et ce cœur merveilleux que tu nous as donné,
Ce cœur trop grand pour nous puisqu’il est fait pour toi…
Un jour, je viendrai,
Et tu liras sur mon visage
Toute la détresse, tous les combats, tous les échecs des
chemins de la liberté,
Et tu verras tout mon péché.

Mais je sais, ô mon Dieu, que ce n’est pas grave le péché,
quand on est devant toi.

Car c’est devant les hommes que l’on est humilié.
Mais devant toi, c’est merveilleux d’être si pauvre,
Puisqu’on est tant aimé !

Un jour, ton jour, ô mon Dieu, je viendrai vers toi.

Et dans la formidable explosion de ma résurrection,
Je saurai enfin
Que la tendresse, c’est toi,
Que ma liberté, c’est encore toi.

Je viendrai vers toi, ô mon Dieu, et tu me donneras ton
visage.

Je viendrai vers toi avec mon rêve le plus fou :
T’apporter le monde dans mes bras.

Je viendrai vers toi, et je te crierai à pleine voix
Toute la vérité de la vie sur la terre.

Je te crierai mon cri qui vient du fond des âges :
« Père ! J’ai tenté d’être un Homme, et je suis ton en-
fant… »

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(Jacques Leclercq, Le Jour de l’homme,
Seuil 1976, p. 152-153) 

Paul Éluard : La mort ? L’amour, la vie

durerPour Paul Eluard, la vie est plus forte que la mort. Tel est le message de l’amour, de l’affection, de l’amitié. Par delà toute mort, il y a un monde à bâtir, un monde des hommes à bâtir « pour se comprendre et pour s’aimer»; la foi chrétienne dirait: un Royaume à faire advenir.

J’ai cru pouvoir briser la profondeur l’immensité
Par mon chagrin tout nu sans contact sans écho
Je me suis étendu dans ma prison aux portes vierges
Comme un mort raisonnable qui a su mourir
Un mort non couronné sinon de son néant
Je me suis étendu sur les vagues absurdes
Du poison absorbé par amour de la cendre
La solitude m’a semblé plus vive que le sang
Je voulais désunir la vie
Je voulais partager la mort avec la mort
Rendre mon cœur au vide et le vide à la vie
Tout effacer qu’il n’y ait rien ni vitre ni buée
Ni rien devant ni rien derrière rien entier
J’avais éliminé l’hivernale ossature
Du vœu de vivre qui s’annule.

Tu es venue le feu s’est alors ranimé
L’ombre a cédé le froid d’en bas s’est étoile
Et la terre s’est recouverte
De ta chair claire et je me suis senti léger
Tu es venue la solitude était vaincue
J’avais un guide sur la terre je savais
Me diriger je me savais démesuré
J’avançais je gagnais de l’espace et du temps
J’allais vers toi j’allais sans fin vers la lumière
Là vie avait un corps l’espoir tendait sa voile
Le sommeil ruisselait de rêves et la nuit
Promettait à l’aurore des regards confiants
Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard
Ta bouche était mouillée des premières rosées
Le repos ébloui remplaçait la fatigue
Et j’adorais l’amour comme à mes premiers jours.

Les champs sont labourés les usines rayonnent
Et le blé fait son nid dans une houle énorme
La moisson la vendange ont des témoins sans nombre
Rien n’est simple ni singulier
La mer est dans les yeux du ciel ou de la nuit
La forêt donne aux arbres la sécurité
Et les murs des maisons ont une peau commune
Et les routes toujours se croisent.
Les hommes sont faits pour s’entendre
Pour se comprendre pour s’aimer
Ont des enfants qui deviendront pères des hommes
Ont des enfants sans feu ni lieu
Qui réinventeront les hommes
Et la nature et leur patrie
Celle de tous les hommes
Celle de tous les temps.

Paul Eluard, Derniers poèmes d’amour, Seghers.

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Source : Célébrer la mort et les funérailles, Desclée, 1980.

Robert Desnos : Toi aussi tu viendras où je suis

gogh_oliviersLe souvenir des morts que nous aimons nous apprend peu à peu la vraie solitude. En nous apprivoisant à la perspective de notre propre mort, il fait de nous un partenaire plus vrai parmi les hommes. C’est ce que suggère ce poème délicat et mélancolique.

Aujourd’hui je me suis promené avec mon camarade.
Même s’il est mort,
Je me suis promené avec mon camarade.
Qu’ils étaient beaux les arbres en fleurs,
Les marronniers qui neigeaient le jour de sa mort.

Avec mon camarade je me suis promené.
Jadis mes parents
Allaient seuls aux enterrements
Et je me sentais petit enfant.
Maintenant je connais pas mal de morts,
J’ai vu beaucoup de croque-morts

Mais je n’approche pas de leur bord.
C’est pourquoi tout aujourd’hui
Je me suis promené avec mon ami.
Il m’a trouvé un peu vieilli,
Un peu vieilli mais il m’a dit :
Toi aussi tu viendras où je suis,
Un dimanche ou un samedi,
Moi, je regardais les arbres en fleurs,
La rivière passer sous le pont
Et soudain j’ai vu que j’étais seul.
Alors je suis rentré parmi les hommes.

(Robert Desnos, «Etat de veille. Mines de rien 1938»,
dans Destinée arbitraire. Gallimard)

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Source : Célébrer la mort et les funérailles, Desclée, 1980.

Anne Philippe : Oui à la mort – Oui à la vie

gogh_irisJe ne me rappelle plus le jour où pour la première fois j’ai senti que tout n’était pas irrémédiablement perdu. Est-ce un sourire d’enfant qui m’a réveillée ou un signe de tristesse démasqué là où je ne voulais pas en voir ? Un sens de la responsabilité? Avais-je enfin épuisé le désespoir?

Peut-être me suis-je simplement prise au jeu de la vie. La vérité a tant de facettes qu’il m’est impossible de préciser comment j’ai repris pied. Un jour, je me suis aperçue que j’avais cessé de n’être qu’une façade. J’existais, je respirais.

Je voulais à nouveau agir sur les événements. Lentement, je me ressaisissais et je voyais ce qui restait de moi. C’est alors que j’ai commencé à ne plus subir la solitude, mais à me laisser apprivoiser par elle…

Jamais je n’avais regardé la mort avec autant de désinvolture qu’au temps du bonheur. Vivre ou mourir m’était alors presque indifférent. A présent, la mort me préoccupait. J’y pensais en traversant la rue, en conduisant une voiture. Un rhume risquait de se transformer en congestion, un léger amaigrissement signifiait peut-être une maladie grave. Je sortais de mon engourdissement pour entrer dans ce monde à vif que j’avais redouté et où tout, je ne savais pour combien de temps, me blessait. Je me souviens de l’émotion qui m’avait saisie, Porte de la Villette, à la vue d’un camion chargé de chevaux qui allaient vers l’abattoir.

Ces condamnés, même ceux-là, me ramenaient à toi. Un soir, dans l’autobus, j’étais restée hypnotisée par une petite tête de mort en ivoire qui se balançait au bout d’une chaîne d’or ; la fille qui la portait était jolie, très jeune, les yeux faits et les lèvres pâles, mon regard arrachait sa chair pour découvrir son ossature et je voyais deux têtes de mort auxquelles se substitua celle qui me hantait (…).

Tu fus mon plus beau lien avec la vie.

Tu es devenu ma connaissance de la mort.

Quand elle viendra, je n’aurai pas l’impression de te rejoindre, mais celle de suivre une route familière, déjà connue de toi.
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Source : Anne Philippe. Le temps d’un soupir. Julliard, pp. 96-99)

Antoine de Saint-Exupéry : Ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort

monet_bassin1Saint-Exupéry a célébré ces morts d’autrefois au village, simples relais dans l’histoire d’une lignée qui, elle, ne mourait pas. Une vie avait donné fruit. Elle s’effaçait en léguant son exemple. Les fils et les filles de la ferme mûriraient à leur tour leurs enfants en même temps que leur propre mort. Mais chacun de nous, à sa place, ne peut-il pas vivre une vie donnée ?

Quand nous prendrons conscience de notre rôle, même le plus effacé, alors seulement nous serons heureux. Alors seulement nous pourrons vivre en paix et mourir en paix, car ce qui donne un sens à la vie, donne un sens à la mort.

Elle est si douée quand elle est dans l’ordre des choses, quand le vieux paysan de Provence, au terme de son règne, remet en dépôt à ses fils son lot de chèvres et d’oliviers, afin qu’ils le transmettent, à leur tour, aux fils de leurs fils. On ne meurt qu’à demi dans une lignée paysanne. Chaque existence craque à Sun tour comme une cosse et livre ses graines.

J’ai coudoyé, une fois, trois paysans, face au lit de mort de leur mère — et certes, c’était douloureux — Pour la seconde fois était tranché le cordon ombilical. Pour la seconde fois, un nœud se défaisait : celui qui lie une génération à l’autre. Ces trois fils se découvraient seuls, ayant tout à apprendre, privés d’une table familiale où se réunir aux jours de fête, privés du pôle en qui ils se retrouvaient tous. Mais je découvrais aussi, dans cette rupture, que la vie peut être donnée pour la seconde fois. Ces fils, eux aussi, à leur tour, se feraient têtes de file, points de rassemblement et patriarches, jusqu’à l’heure où ils passeraient, à leur tour, le commandement à cette portée de petits qui jouaient dans la cour.

Je regardais la mère, cette vieille paysanne au visage paisible et dur, aux lèvres serrées, ce visage changé en masque de pierre. Et j’y reconnaissais le visage des fils. Ce masque avait servi à imprimer le leur. Ce corps avait servi à imprimer ces corps, ces beaux exemplaires d’hommes. Et maintenant, elle reposait brisée, mais comme une gangue dont on a retiré le fruit. A leur tour, fils et filles, de leur chair, imprimeraient des petits d’hommes. On ne mourait pas dans la ferme. La mère est morte, vive la mère !

Douloureuse, oui, mais tellement simple cette image de la lignée, abandonnant une à une, sur son chemin, ses belles dépouilles à cheveux blancs, marchant vers je ne sais quelle vérité, à travers ses métamorphoses. Fin de l’article

(Antoine de Saint-Exupéry. Terre des hommes. Gallimard, Pléiade. 1939. p. 257)

Source : Célébrer la mort et les funérailles, Desclée, 1980.

Homélie pour la Dédicace de la basilique du Latran

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Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 2,13-22.
Comme la Pâque des Juifs approchait, Jésus monta à Jérusalem.
Il trouva installés dans le Temple les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs.
Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple ainsi que leurs brebis et leurs bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs,
et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d’ici. Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic. »
Ses disciples se rappelèrent cette parole de l’Écriture : L’amour de ta maison fera mon tourment.
Les Juifs l’interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ? »
Jésus leur répondit : « Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. »
Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce Temple, et toi, en trois jours tu le relèverais ! »
Mais le Temple dont il parlait, c’était son corps.
Aussi, quand il ressuscita d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent aux prophéties de l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite.

COMMENTAIRE

Frères et soeurs, cela peut sembler paradoxal, mais tous les textes bibliques en cette fête de la Dédicace de la basilique du Latran à Rome, nous parlent du Temple de Jérusalem. Quel lien peut-il bien y avoir entre ces deux lieux de culte?

Tout d’abord, dans la première lecture, nous voyons le prophète Ézéchiel, qui lors d’une vision aperçoit une source, jaillissant sous le seuil du Temple, et qui se transforme en un fleuve immense, assainissant tout ce qu’il touche. Nous sommes en 573 av. J.-C. et Ézéchiel est en exil à Babylone avec le peuple d’Israël. Alors que Jérusalem a été saccagée et le Temple détruit lors d’une guerre, la promesse d’un grand renouveau est faite à Ézéchiel : Israël retrouvera la terre promise et son Temple, d’où jaillira une source d’eau vive. Et le psalmiste qui chante Jérusalem, s’exclame au sujet du Temple : « Voici la demeure de Dieu parmi les hommes. »

Saint Paul, dans la deuxième lecture, reprend le thème du temple, en nous rappelant la nouveauté qui s’accomplit en Jésus Christ et qui fait de nous le temple de Dieu.

Nous le savons, le Temple de Jérusalem occupait une place centrale dans la vie d’Israël, mais l’action du Christ, et surtout ses paroles aujourd’hui, ouvrent des perspectives nouvelles quant à l’avenir de ce Temple. Jésus nous entraîne déjà dans son mystère pascal quand il affirme : « Détruisez ce Temple, et je le reconstruirai en trois jours ». C’est vers ce mystère que la fête de la Dédicace oriente notre regard.

Pour la petite histoire, rappelons que le Latran est une propriété à Rome où une famille noble, les Laterani, avait déjà son palais au premier siècle de notre ère. Ce lieu va prendre toute son importance quand il sera transformé en édifice religieux chrétien, sous l’empereur Constantin.

Première église à être publiquement consacrée — le 9 novembre 324 par le pape Sylvestre Ier — elle prit progressivement le nom de basilique Saint-Jean-l’Évangéliste. Cette basilique deviendra la cathédrale et le siège de l’évêché de Rome, dont le titulaire n’est autre que le pape, et elle est la première en ancienneté et en dignité de toutes les églises d’Occident. Sur le fronton de la basilique, on retrouve l’inscription suivante : « Mère et tête de toutes les églises de la ville et du monde ».En soulignant la consécration de cet édifice au culte chrétien, nous ne célébrons pas un édifice de pierre, aussi prestigieux soit-il, mais nous célébrons le Seigneur lui-même et son Église à travers cette basilique qui portait à l’origine le nom de « Saint Sauveur ». Quand le pape Sylvestre dédicace cette basilique, il l’offre avant tout aux chrétiens et aux chrétiennes de Rome, afin que ces derniers puissent y naître à la foi et y grandir, y offrir un culte vivant et ainsi faire Église. C’est dans cette basilique, la première en importance au monde, qu’on y trouve le plus ancien baptistère de Rome.

Cette fête de la Dédicace nous invite à contempler et à célébrer le mystère de l’Église. Elle nous rappelle que nous formons un temple spirituel dans le Christ et qu’il nous faut, comme le dit une vieille expression du Moyen Âge, placer l’ancre de notre espérance au ciel avec lui. C’est pourquoi nous ne devons pas avoir peur face à l’avenir en dépit du contexte de précarité et de menaces auquel font face nos institutions religieuses et nos églises aujourd’hui.

Cette fête nous invite à regarder au-delà de nos fragilités, au-delà des pierres et de l’aspect matériel de nos églises, et à contempler tout le chemin parcouru depuis la première annonce de l’évangile, depuis la création des premières communautés chrétiennes, et dont nous sommes les héritiers.

Le Temple de Jérusalem préfigurait la venue d’un temps nouveau où l’humanité se verrait invitée à rendre à Dieu un culte en esprit et en vérité. C’est cette réalité que la Dédicace de la basilique du Latran célébrait lors de sa consécration au coeur même de la capitale de l’Empire romain. Et le souvenir de cet événement historique doit orienter notre regard vers la réalité spirituelle qu’est l’Église, qui est faite des pierres vivantes que nous sommes, qui est construite sur le fondement solide qu’est le Christ, avec qui nous formons un seul Corps. Trop souvent nous parlons de l’Église comme d’un corps étranger, extérieur à nous-mêmes, alors que l’Église c’est nous avant tout, nous tous ensemble avec le Christ.

Quel que soit le lieu où les chrétiens et les chrétiennes se réunissent, de la chapelle la plus pauvre à la cathédrale la plus majestueuse, c’est toujours la vie même du Christ qui est reçue et célébrée par les fidèles, et ce à toutes les époques, même à la nôtre, dans tous les empires.

C’est le prêtre orthodoxe Alexandre Men, assassiné en Union soviétique en 1990, alors qu’il se rendait célébrer la Liturgie dominicale, qui affirmait dans une homélie :

Le christianisme n’en est qu’à ses débuts. Son « programme », appelons-le ainsi, est prévu pour des millénaires… Le christianisme est ouvert sur tous les siècles, sur le futur, sur le développement de toute l’humanité. C’est pourquoi il est capable de renaître constamment. Au fil de son histoire, il peut traverser les crises les plus pénibles, se trouver au bord de l’extermination, de la disparition physique ou spirituelle, mais à chaque fois il renaît. Non pas parce qu’il est dirigé par des personnes exceptionnelles – ce sont des pécheurs comme tout le monde -, mais parce que le Christ lui-même a dit : « Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Le Seigneur n’a pas dit : « Je vous laisse tel ou tel texte, que vous pouvez suivre aveuglément. » […] Non, le Christ a dit : « Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde. » Il n’a pas parlé de quelques écrits, de Tables de la Loi, de certains signes et symboles particuliers. Il n’a rien laissé de tel, mais il s’est laissé lui-même, lui seul. 1

Frères et soeurs, cette fête de la Dédicace de la basilique du Latran nous fait contempler le Christ Sauveur et son Église, la véritable « demeure de Dieu parmi les hommes ». Cette fête nous rappelle aussi qu’un jour nous avons été baptisés dans cette eau vive jaillissant du côté de Jésus en croix, et qu’il nous appartient maintenant de faire grandir avec Lui son Corps qui est l’Église. Que ce soit là notre joie et notre consolation. Amen.

Yves Bériault, o.p.

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1- Alexandre Men. Le christianisme ne fait que commencer. Cerf, coll. « Le sel de la Terre », 1996, p. 253

Fredo Krumnowe : Recevoir de Dieu la vie et la mort

gogh_cypres-1Fredo Krumnow, militant ouvrier, atteint d’un cancer, écrit à une amie en janvier 1974. il est en plein cœur de sa maladie. Il mourra quatre mois plus tard. Avec une sérénité poignante, il dit à la fois sa lutte, son goût de la vie et, en grande humilité, son acceptation de la mort. Il nous apprend qu’il faut vivre et mourir dans l’aujourd’hui de Dieu.

Pour ma part, j’engage cette nouvelle année dans la foi et dans la joie. Cette période de maladie est pour moi un temps de grâce. Elle me fait vivre en plus grande harmonie avec moi-même et le Dieu en qui je crois et d’une façon plus intense que jamais. Bien sûr, ces derniers neuf mois ont été durs. Il n’y a pas de maladie sans souffrance et il faut la porter avec patience. Il n’y a pas de lutte sans difficultés et celle que je mène contre la maladie n’est pas facile. Mais comme toute lutte, elle est exaltante. (…)

La mort ne m’inquiète plus. Si elle vient, ce sera la volonté de Dieu et mon passage de ce monde à l’autre état hors du temps et de l’espace n’a pas plus d’importance que celui de tout homme et de toute femme qui passe dans l’au-delà, qu’il s’agisse du Vietnamien tué par une guerre insensée, du Chilien fusillé, de l’enfant du Sahel qui meurt de faim, des trente et un morts massacrés sur l’aérodrome de Rome, du copain ou de l’inconnu qui meurt sur la route ou de celui ou celle qui trépasse dans son lit.

Je vis déjà dans la main toute-puissante, la main amoureuse de Dieu. Cela me met beaucoup de paix dans le cœur et l’esprit. Je vis chaque jour qui vient comme un merveilleux don de Dieu et cela remplit intensément ma vie que d’apprécier à sa vraie valeur un rayon de soleil, de goûter pleinement une pomme de terre en robe de chambre, de découvrir admiratif toutes les richesses de la vie. Et cela est merveilleux…

(Lettre à une amie, janvier 1974)
Source : Célébrer la mort et les funérailles, Desclée, 1980.