Homélie pour le Baptême du Seigneur (B)

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Le baptême de Jésus marque le début de son ministère public, alors que la voix du Père se fait entendre et nous dévoile sa véritable identité : « C’est toi mon Fils bien-aimé; en toi j’ai mis tout mon amour ».

Il est important de préciser que ce baptême qu’il reçoit, ce n’est pas encore le baptême chrétien. Il s’agit d’une démarche de pénitence et de conversion, qui est propre à Jean Baptiste, et qui survient alors qu’il y a une grande effervescence dans toute la Judée. De plus en plus, des voix se font entendre pour dire que le messie va bientôt venir, que Dieu va enfin accomplir sa promesse de salut.

Alors que certains se demandent si Jean Baptiste n’est pas le Messie tant attendu, ce dernier annonce la venue d’un plus puissant que lui. Quand il le reconnaît en la personne de Jésus, il s’étonne de sa présence dans les eaux du Jourdain. Il est décontenancé par ce Messie qui prend place parmi les pécheurs, et qui vient se faire baptiser par lui. Mais pourquoi Jésus se fait-il baptiser?

Faut-il le rappeler, le Fils de Dieu, en se faisant homme, assume pleinement notre condition humaine. Il la prend sur lui avec son poids de péché et il marche avec nous. Il se fait solidaire de tous ceux qui se présentent à Jean-Baptiste en quête de pardon. Son baptême est l’expression de son amour pour nous, un amour qui se donnera jusqu’à la mort. Par ce baptême qu’il reçoit, Jésus nous prend sur ses épaules, comme il a pris sa croix, comme le berger prend sur lui la brebis blessée. Il prend sur lui nos péchés et il se fait baptiser avec tout le peuple, solidaire de lui, solidaire de nous.

L’iconographie orientale a bien saisi ce mystère du Baptême de Jésus, le représentant se faisant baptiser dans un tombeau rempli d’eau. Ces eaux symbolisent à la fois la mort et le shéol, le lieu où sont en attente tous les défunts depuis Adam et Ève, et que Jésus va aller chercher. Elles symbolisent aussi la vie, ces eaux vives que le Christ va offrir à la Samaritaine, ces eaux qu’il va transformer en vin des noces, comme à Cana.

Les icônes du baptême de Jésus sont très semblables à celles de sa résurrection des morts, et dans cette vision du Christ qui se fait baptiser, c’est déjà le Christ victorieux qui nous est présenté au début des évangiles. Plongé dans l’eau de la mort, il en ressort victorieux, et il nous entraine avec lui vers l’autre rive, où nous attend le Père. Voilà le mystère que contemple l’Église en cette fête du Baptême du Seigneur.

Par ailleurs, ce qui se produit au baptême de Jésus est une anticipation de notre propre baptême dans le Christ. Chacun et chacune de nous avons été marqué par le don de l’Esprit Saint à notre baptême et, depuis ce jour, jusqu’à notre entrée dans l’éternité de Dieu, se fait entendre cette voix intérieure qui nous dit : « Tu es ma fille bien aimée, tu es mon fils bien-aimé, en toi j’ai mis tout mon amour. »

Mais quelles sont les conséquences de ce baptême pour nous et pour ce monde où nous vivons? C’est là une question pressante et difficile, en ces jours où la violence semble se faire omniprésente autour de nous.

Il est clair que lorsque la violence est légitimée, quand elle est perçue comme la voie normale pour affirmer sa personne ou ses idées, comme à Paris ces derniers jours, nous sommes alors confrontés à un lamentable échec de notre humanité. C’est le mal qui triomphe, c’est Caïn qui tue Abel encore une fois. Par ailleurs, si les sociétés sont en droit de se protéger, elles ont aussi le devoir de s’interroger quant aux causes de ces violences, tout en évitant de diaboliser l’adversaire, car il y a là un piège.

Parfois la violence est inévitable, lors d’une guerre ou en cas de légitime défense, mais la violence qui est le fruit de la haine ou du désir de vengeance, ne peut qu’alimenter de nouvelles violences. C’est Sylvie Germain, écrivaine française catholique, qui dégage cette analyse de la pensée d’Etty Hillesum sur la haine, cette jeune juive tuée à Auschwitz en 1943 :

« La haine n’est pas seulement la voie la plus facile […]; la haine est aussi la voie la plus dangereuse, la plus trompeuse, elle est sans issue. Là où se lève la haine en réaction à une violence, à un outrage, à une injustice subie, le mal triomphe, car la victime, aussi innocente soit-elle, se laisse alors atteindre au plus intime de son être […] par la maladie du mal. »

Quand nous cédons à la haine et à la vengeance, nous devenons complices du mal, et nous alimentons à notre tour cette bête insatiable en nous. En tant que disciples du Christ, il est de notre devoir de préserver en nous notre humanité à tout prix. C’est ce que notre vie baptismale exige de nous et rend possible en nous. Etty Hillesum écrivait dans son journal :

“Si la paix s’installe un jour, elle ne pourra être authentique que si chaque individu fait d’abord la Paix en soi-même, extirpe tout sentiment de haine pour quelque race ou quelque peuple que ce soit. » (Juin 1942)

Bien sûr, c’est là un grand défi, mais il est possible de le relever, car Jésus lui-même nous y invite. Faut-il le rappeler : notre baptême nous configure au Christ, et nous rend vainqueurs du mal avec lui. Bien sûr, c’est un long travail d’enfantement qui se fait en nous, un patient travail de guérison, où nous connaitrons des échecs, mais Jésus nous a ouvert le chemin du pardon et de l’amour du prochain. Il faut accepter de nous y engager courageusement avec lui. Telle est notre foi. Et quand des frères et des soeurs deviennent nos ennemis, plutôt que de les haïr, Jésus nous apprend à pleurer avec lui sur notre pauvre monde, à pardonner avec lui, à prier avec lui, afin que l’amour ne s’éteigne pas en nous.

En cette fête du baptême du Seigneur, demandons-lui la grâce de vivre pleinement notre baptême, et ainsi rendre témoignage de l’évangile au coeur de notre monde. La paix véritable est à ce prix.

Yves Bériault o.p.

Dieu et la violence

Comme moi vous n’êtes sans doute pas indifférents à ce déferlement de violence entourant les caricatures du prophète de l’Islam. Un sentiment d’inquiétude monte en moi. Certains admirent la détermination et la conviction avec lesquelles le monde musulman défend sa religion, mais moi j’en éprouve un profond malaise.

Que la violence soit si manifeste et naturelle devant ce que l’on considère être un blasphème m’interroge sur ce rapport de l’Islam avec la violence. Quel Dieu mérite que l’on tue pour lui? J’ai le sentiment d’être plongé dans une dynamique propre à l’Ancien testament où la foule se déchaîne, où l’on lapide et l’on tue. Le tout au nom de Dieu. Étrange n’est-ce pas?

Non pas que la violence ne soit pas aussi le lot de certains groupes se disant chrétiens, mais habituellement ce ne sont pas des motifs religieux qui les animent et leurs actions ne peuvent trouver aucun appui dans les enseignements de Jésus. Mais dans le cas présent, il n’y a aucun doute, même si les extrémistes profitent de la situation, ce sont bien de fervents musulmans qui portent leur indignation à un point limite, un point de cassure avec le monde occidental.

Par ailleurs, j’ai le sentiment, à voir certaines entrevues à la télévision, que bien des musulmans se sentent obligés d’entériner ce qui se passe actuellement, sinon ils seraient considérés comme de mauvais musulmans. Et ici s’exprime aussi un profond malaise quant au rapport entre religion et liberté. Ces deux concepts ne semblent pas pouvoir coexister facilement dans l’Islam.

J’ai l’impression parfois que cette religion est entraînée dans un cycle de violence inexorable et nul ne sait où il s’arrêtera. Tout cela pour Dieu! Quels lendemains nous réserve l’Islam et son rapport au monde moderne? Je ne puis m’empêcher de croire et de souhaiter que bien des musulmans doivent être attristés devant ce qui se passe présentement. Il faut prier les uns pour les autres.

Avoir la foi?

Dans un éloge de l’Homme et de ses capacités, Mario Roy, un éditorialiste du journal montréalais LA PRESSE, y va de cette conclusion dans son éditorial du 3 janvier 2006, intitulé « Résolution pour 2006: avoir la foi. » :

« En 2006, il vaudrait mieux cesser d’investir sa foi dans les chimères et les dieux, les manchettes et les curés, les évangiles et les devins. Il faut retrouver la seule foi qui vaille, celle dont l’objet est l’être humain. Lequel existe bel et bien. Et a toujours vaincu. »

Cela me rappelle le courriel d’une lectrice qui m’avait écrit ce qui suit :

« Je ne comprend pas comment des gens peuvent encore croire au Christ avec toutes les horreurs qu’il y a sur Terre. C’est presque une insulte pour les personnes qui vivent dans un malheur que ce que pourrait penser ce soit disant fils de Dieu. Je trouve ça dommage que les gens aient encore besoin de ce simulacre de Dieu pour vivre. Croyez plutôt en l’Homme et en ses dons. »

Il est bon de se rappeler que les idéologies les plus meurtrières qui ont marqué l’histoire de l’humanité étaient avant tout athées : maoïsme, stalinisme, marxisme, nazisme…, sans compter toutes les exactions commises au nom de la race et des ethnies. Par ailleurs, nous ne pouvons cesser de croire en l’Homme en dépit de ceux et celles qui agissent en sous-hommes. Quant à la foi en l’Homme, laissé à lui-même, permettez-moi d’en douter. Le passé n’est certainement pas garant de l’avenir. S’il y a une conclusion qui s’en dégage c’est que l’Homme a besoin d’être sauvé de lui-même, il a besoin de retrouver sa source spirituelle.

Nous chrétiens nous croyons en l’Homme parce que Dieu croit en l’Homme. Parce qu’il l’aime. Il en est de même pour l’Église. Malgré les faiblesses des hommes qui la défigurent, nous aimons l’Église parce que c’est à travers elle que le Christ a voulu se faire connaître et se donner à nous. À côté de quelques manchettes qui font choc dans les médias en mal de sensationnalisme et de profits, ce sont des millions de témoins silencieux qui tous les jours vivent leur foi en s’engageant auprès de leurs frères et de leurs soeurs du monde qui souffrent. Le bien fait rarement du bruit. À chacun et chacune de découvrir comment la foi au Christ peut transformer une vie. On aime bien réduire cette foi à une morale alors qu’il s’agit d’un dynamisme de vie en nous, la présence d’un Autre.

Quant à notre éditorialiste, il me revient à la lecture de son éditorial combien le Québec a pu être intolérant lorsque la religion dominait et qu’il était de bon ton d’afficher ses couleurs catholiques, même dans les journaux. Je me souviens de ces Témoins de Jéhovah que l’on chassait des rues de mon quartier le dimanche parce qu’ils faisaient du porte-à-porte. Aujourd’hui, alors que le Québec subit une vague anti-cléricale sans précédents, l’intolérance a tout simplement changé de visage. Serait-ce le revers d’une même médaille?

Violence et religions

La lettre d’un prêtre qui s’en va en mission dans un pays du Moyen-Orient m’habite ce matin. Ce dernier dit avoir peur des islamistes. Il me demande de prier pour lui. Je repense ici à Mgr Pierre Claverie, o.p., évêque d’Alger, assassiné en 1996, qui parlait de la prière chrétienne comme d’un dialogue (voir le texte). Le dialogue n’est certainement pas facile quand on craint pour sa vie. C’est là le défi de vivre en disciple du Christ.

Les craintes de ce prêtre ne sont certainement pas sans fondement. La situation des chrétiens et des chrétiennes en pays musulmans est souvent déplorable. Pourtant ils y vivent avec beaucoup de courage et font preuve d’une foi qui est parfois de la trempe des saints.

Au noviciat des dominicains à Mossoul en Iraq, le maître des novices me décrivait la situation là-bas, en avril 2005, en me disant que c’était un peu plus calme maintenant. Il n’était plus nécessaire de garder les armes à portée de mains dans le couvent… Bien sûr quelques roquettes sont tombées à proximité de l’église lors de la Vigile pascale, mais la célébration a pu se dérouler sans autres incidents!

Quelle caricature de Dieu peut bien alimenter les rêves et les fantasmes des violents, toutes religions confondues? Jésus nous dit : « Je suis parmi vous comme celui qui sert. »