Homélie pour le 3e Dimanche de Pâques (A)

Arcabas Emmaus

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 24,13-35.
Le même jour (c’est-à-dire le premier jour de la semaine), deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem,
et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé.
Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux.
Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.
Jésus leur dit : « De quoi discutez-vous en marchant ? » Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes.
L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit : « Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem qui ignore les événements de ces jours-ci. »
Il leur dit : « Quels événements ? » Ils lui répondirent : « Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth, cet homme qui était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple :
comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié.
Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. Mais avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé.
À vrai dire, des femmes de notre groupe nous ont remplis de stupeur. Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau,
elles n’ont pas trouvé son corps ; elles sont venues nous dire qu’elles avaient même eu une vision : des anges, qui disaient qu’il est vivant.
Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. »
Il leur dit alors : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit !
Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? »
Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait.
Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient, Jésus fit semblant d’aller plus loin.
Mais ils s’efforcèrent de le retenir : « Reste avec nous, car le soir approche et déjà le jour baisse. » Il entra donc pour rester avec eux.
Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna.
Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards.
Ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? »
À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent :
« Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. »
À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.

COMMENTAIRE

Les deux disciples dont il est question dans cet évangile ne font pas partie du groupe des Apôtres. Ce sont de simples disciples, comme vous et moi, et dont l’évangéliste Luc nous rappelle la merveilleuse histoire. Une histoire actuelle puisque nous sommes aussi des disciples d’Emmaüs. Nous sommes en marche avec eux avec nos doutes, nos manques de foi. Dans ce récit, le Ressuscité semble nous prendre par la main afin de nous amener à une meilleure intelligence du mystère de sa mort et de sa résurrection. Il nous faut toujours reprendre le chemin d’Emmaüs là où le Christ nous attend.

Quand je prêche à une assemblée comme la nôtre, je suis toujours animé de ce désir d’approfondir avec vous cet extraordinaire mystère de notre foi. Certains me diront que c’est là « mon métier », mais je répondrais que je suis avant tout disciple du Christ avec vous et que c’est ensemble que nous cherchons à mieux comprendre et à mieux vivre cette foi qui est la nôtre.

Les prédications sont comme des variations sur un même thème, soit l’amour de Dieu pour nous et ses conséquences dans nos vies. Je vous vois de dimanche en dimanche venir en Église célébrer votre foi, et pour moi c’est toujours un privilège que de pouvoir méditer avec vous les Écritures, contempler et accueillir ensemble celui qui se donne à nous dans l’Eucharistie. Quand on a la foi, on ne peut qu’acquiescer à cette affirmation de Maurice Zundel : « Le bonheur, c’est Dieu. Dieu c’est le bonheur. » C’est ainsi que nos deux disciples d’Emmaüs, après leur rencontre avec le Ressuscité, peuvent s’exclamer : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en nous tandis qu’Il nous parlait sur la route. »

Chaque dimanche, partout dans le monde, les chrétiens et les chrétiennes se rassemblent afin de se laisser rejoindre sur la route par le Ressuscité, pour se mettre à nouveau à l’écoute des Écritures, qui nous parlent de Lui, et qui nous préparent à communier à sa vie donnée, à recevoir ce supplément de grâce à chacune de nos eucharisties, afin que nous puissions repartir avec cette paix et cette joie du Christ, et que nous avons pour mission de porter au monde.

Mais pour être habité par cette passion qui change véritablement une vie, il faut rencontrer le Christ, et surtout vouloir le rencontrer sans cesse ; ne jamais hésiter à lui dire, quand le jour baisse et que le soir approche : « Reste avec nous ! »

Remarquez que nos deux disciples d’Emmaüs ne reconnaissent pas le Ressuscité quand il se fait voir à leurs yeux. Ce n’est que lorsqu’il disparaît, à la fraction du pain, qu’ils le reconnaissent. Nous ne croyons pas au Christ à cause d’une preuve extérieure évidente ou parce que son tombeau a été trouvé vide le matin de Pâques, ou même parce que des témoins nous disent l’avoir vu après sa mort. Bien sûr, ce sont là des éléments de preuve qui peuvent nous mettre sur le chemin de la foi, mais comme l’écrivait Maurice Zundel : « Je ne crois pas en Dieu, disait-il, je le vis. » Dieu ne se réduit pas à une formule ou un credo, il est une rencontre. Il n’est pas une simple connaissance, il est une re-connaissance au plus intime de nos vies.

La foi chrétienne, c’est le cœur qui s’ouvre à plus grand que lui, à la source même de sa vie, qui expérimente cette rencontre du Christ dont parlait l’Apôtre Pierre dans sa première lettre aux chrétiens de Rome et qui leur disait : « Vous qui l’aimez sans l’avoir vu. »

Est-ce possible d’aimer le Christ sans l’avoir vu ? Certainement, nous en sommes convaincus. L’Église vit de cette réalité depuis près de deux mille ans. Il suffit de regarder la vie de cette foule de témoins qui nous ont précédés pour s’en convaincre, jusqu’au cœur même de notre communauté chrétienne.

Pour prendre une image que nous comprenons bien au Québec, cette présence du Ressuscité à nos vies est comparable à l’irruption du printemps au cœur de nos hivers. Nous le savons, et c’est même une certitude, la vie est plus forte que tout. Plus forte que ces glaces qui nous emmurent en janvier, plus forte que ce froid qui trop souvent nous paralyse en février. Cette expérience des saisons dans notre pays nordique est à la fois exigeante, mais aussi exaltante. La nature se fait pédagogue dans notre pays et elle nous enseigne à lire les signes des temps, qui ne sauraient nous tromper. À quiconque sait tendre l’oreille, en ce temps de l’année, la nature semble murmurer ces paroles qui sont au cœur même de l’acte de création : « Osez espérer ! Osez croire ! Ne soyez pas incrédules. Tout va changer. » C’est l’invitation que nous fait le Ressuscité à travers ce récit des disciples d’Emmaüs.

Petite anecdote personnelle pour concrétiser mon propos. Il y a plusieurs années, la communauté chrétienne de l’Annonciation, à laquelle j’appartenais, avait accueilli deux familles de réfugiés cambodgiens. J’étais allé chercher l’une de ces familles, les ramenant de leur « hôtel refuge » de Montréal à ma petite vallée des Laurentides. Nous étions en plein mois de janvier et pour la première fois, ils voyaient nos vastes forêts et je lisais une pointe d’inquiétude dans leurs yeux.

Le père, devant le regard insistant de son épouse, osa enfin me questionner. Il me demanda ce qui avait bien pu arriver à notre forêt pour que les arbres soient tous morts. Je lui expliquai alors que nos arbres perdaient toutes leurs feuilles en automne pour ensuite s’endormir dans un profond sommeil. Mais le printemps venu, je l’assurai qu’ils retrouveraient leur vitalité et leurs feuilles. Cette explication sembla le satisfaire et nous avons poursuivi notre route.

Après les affres de la guerre au Cambodge, une nouvelle vie commençait pour cette famille. Les mois passèrent et, le printemps venu, mes nouveaux amis m’avouèrent, mi-amusés, mi-confus, qu’ils n’avaient pas vraiment cru en mon explication au sujet des arbres. Ce n’est qu’en expérimentant eux même cette réalité complexe, et combien mystérieuse de nos saisons, qu’ils purent comprendre à leur tour ce que signifie cette attente du renouveau au cœur de la vie.

Frères et sœurs, la fête de Pâques est le lieu par excellence où les chrétiens et les chrétiennes enracinent leur espérance, au-delà des saisons qui passent, au-delà des échecs apparents de l’Église, au-delà des déceptions et des découragements. L’Évangile de ce dimanche nous invite à passer de nos désillusions à une foi ferme et convaincue, à une foi persévérante. Nous espérons et nous croyons parce que Dieu le premier a cru en nous en nous donnant la vie. Nous espérons et nous croyons en Dieu parce que dans un élan d’amour sans égal, Il nous a donné son Fils unique en partage. Nous espérons et nous croyons parce que Jésus a vaincu la mort et que sa vie s’offre à nous, sans cesse, comme un printemps toujours renouvelé. N’en sommes-nous pas les témoins ?

Que le Ressuscité ouvre nos esprits et nos cœurs en cette eucharistie, comme il le fit autrefois pour ses disciples, pour que nous puissions aujourd’hui le reconnaître à la fraction du pain et dans le quotidien de nos vies. Amen.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 2e Dimanche de Pâques (A)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 20,19-31.
C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! »
Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.
Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »
Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint.
À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu.
Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! »
Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. »
Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre.
Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.

COMMENTAIRE

Les Églises orientales, catholiques et orthodoxes, appellent ce dimanche, le dimanche de Thomas. Elles veulent ainsi souligner que l’attitude de l’apôtre incrédule est parfois la nôtre. Ce qui n’empêcha pas cet apôtre de grandir dans sa foi, avec l’aide du Christ, car c’est ce même Thomas qui donnera à Jésus le titre le plus éloquent de tout l’Évangile : «Mon Seigneur et mon Dieu.»

Voilà qui est encourageant pour nous! Malgré les doutes et les difficultés que nous pouvons parfois éprouver dans notre vie de foi, Dieu est toujours là avec nous et il nous aide sans cesse dans notre découverte de qui il est et de sa présence au cœur de nos vies. C’est ce que Jésus fait avec ses disciples après sa résurrection. Bien que ces derniers l’aient abandonné, il n’a pas eu honte de ses apôtres. Au contraire, il se manifesta à eux, les appelant à passer des ténèbres de la peur à son admirable lumière, les invitant à entrer dans sa Pâque!

Chaque année, à l’occasion du Triduum pascal, nos couvents dominicains un peu partout dans le monde, célèbrent l’Office des ténèbres. Il s’agit de la prière des psaumes, entrecoupée de lectures bibliques et spirituelles, célébrée le matin, et qui a pour but de nous associer à la passion du Christ. Après l’un de nos offices, j’ai fait la rencontre d’une jeune femme. Elle tenait à nous exprimer son bonheur d’avoir pu prier avec nous. Elle m’avouait avoir même pleuré pendant le beau Cantique de Zacharie, quand nous chantions au sujet du Christ, qu’il est venu illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin de la paix. 

Elle était belle à voir cette jeune mère de six enfants, convertis depuis maintenant seize années. Elle s’exclama soudain, emportée par son enthousiasme : «Je ne comprends pas que des gens ne croient pas en Dieu». Mais elle se ravisa aussitôt, se rappelant qu’elle-même avait jadis été incroyante, et elle ajouta : «Pourquoi moi? Pourquoi nous? Je ne comprends pas.

C’est une grâce, dit-elle, c’est un don. Jamais je ne voudrais perdre ce don et comme j’aimerais le partager.» Elle était là avec son conjoint, rayonnante, comme un ange m’annonçant la bonne nouvelle de Pâques.

Frères et sœurs, c’est à cette joie toute pascale que nous invite la Parole de Dieu en ce dimanche, alors que le Christ ressuscité se tient au milieu de ses apôtres, qu’il se tient au milieu de notre assemblée, et qu’il nous offre sa paix. Jésus apparait à ses disciples dès le premier jour de sa résurrection, comme si les liens noués ici-bas étaient de la plus grande importance pour lui. Malgré le fait que ses amis l’aient abandonné, renié et trahi, Jésus ne se détourne pas d’eux. Au contraire, il vient vers eux avec empressement, et il traverse les murs de leurs peurs et de leurs doutes, afin de les ramener vers lui, et de les établir fermement dans cet amour sans limites qu’il a pour eux. À travers ces apparitions, Jésus nous révèle combien nous avons du prix pour lui. C’est cet amour qui l’a conduit à sa passion et dont il porte encore les marques dans son corps glorifié.

Mais venons-en à l’apôtre Thomas. Quand ses amis affirment : « Nous avons vu le Seigneur », c’est le témoignage d’une adhésion de foi au Ressuscité que les apôtres donnent à Thomas. Le verbe « voir » chez Saint Jean ne désigne pas une vision sensible, mais une nouvelle manière de voir, tout intérieure, grâce à l’action de l’Esprit Saint. Ils ont vraiment reconnu Jésus comme Seigneur, et c’est ce désir de partager cette même foi qu’exprime Thomas quand il dit : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l’endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je n’y croirai pas ». On entend dans ces paroles de Thomas comme une supplication. Il y a chez lui une volonté ferme de communier à son Seigneur, de participer au mystère de Celui qui a été crucifié et qui est mort pour lui. Thomas appelle son Seigneur à son secours et il ne sera pas déçu. Il est alors invité à cesser d’être incrédule et à devenir croyant.

Frères et sœurs, n’est-ce pas là l’invitation sans cesse renouvelée par le Christ dans nos vies? Demandons à Dieu la grâce de l’entendre et d’y répondre, afin de pouvoir faire nôtre à nouveau la profession de foi de Thomas alors que sera remis entre nos mains le corps du Christ : «Mon Seigneur et mon Dieu !»

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Veillée pascale 2017. Homélie du pape François

Le-pape-Francois

Chers frères et sœurs,

1. Dans l’évangile de cette nuit lumineuse de la Vigile pascale, nous rencontrons d’abord les femmes qui se rendent au tombeau de Jésus avec les aromates pour oindre son corps (cf. Lc 24,1-3). Elles viennent pour accomplir un geste de compassion, d’affection, d’amour, un geste traditionnel envers une chère personne défunte, comme nous le faisons nous aussi. Elles avaient suivi Jésus, l’avaient écouté, s’étaient senties comprises dans leur dignité et l’avaient accompagné jusqu’à la fin, sur le Calvaire, et au moment de la déposition de la croix. Nous pouvons imaginer leurs sentiments tandis qu’elles vont au tombeau : une certaine tristesse, le chagrin parce que Jésus les avait quittées, il était mort, son histoire était terminée. Maintenant on revenait à la vie d’avant. Cependant en ces femmes persistait l’amour, et c’est l’amour envers Jésus qui les avait poussées à se rendre au tombeau. Mais à moment-là il se passe quelque chose de totalement inattendu, de nouveau, qui bouleverse leur cœur et leurs programmes et bouleversera leur vie : elles voient la pierre enlevée du tombeau, elles s’approchent, et ne trouvent pas le corps du Seigneur. C’est un fait qui les laisse hésitantes, perplexes, pleines de questions : « Que s’est-il passé ? », « Quel sens tout cela a-t-il ? » (cf. Lc 24,4). Cela ne nous arrive-t-il pas peut-être aussi à nous quand quelque chose de vraiment nouveau arrive dans la succession quotidienne des faits ? Nous nous arrêtons, nous ne comprenons pas, nous ne savons pas comment l’affronter. La nouveauté souvent nous fait peur, mais aussi la nouveauté que Dieu nous apporte, la nouveauté que Dieu nous demande. Nous sommes comme les Apôtres de l’Évangile : nous préférons souvent garder nos sécurités, nous arrêter sur une tombe, à une pensée pour un défunt, qui à la fin vit seulement dans le souvenir de l’histoire comme les grands personnages du passé. Nous avons peur des surprises de Dieu. Chers frères et sœurs, dans notre vie nous avons peur des surprises de Dieu ! Il nous surprend toujours ! Le Seigneur est ainsi.

Frères et sœurs, ne nous fermons pas à la nouveauté que Dieu veut apporter dans notre vie ! Ne sommes-nous pas souvent fatigués, déçus, tristes, ne sentons-nous pas le poids de nos péchés, ne pensons-nous pas que nous n’y arriverons pas ? Ne nous replions pas sur nous-mêmes, ne perdons pas confiance, ne nous résignons jamais : il n’y a pas de situations que Dieu ne puisse changer, il n’y a aucun péché qu’il ne puisse pardonner si nous nous ouvrons à Lui.

2. Mais revenons à l’Évangile, aux femmes et faisons un pas en avant. Elles trouvent la tombe vide, le corps de Jésus n’y est pas, quelque chose de nouveau est arrivé, mais tout cela ne dit encore rien de clair : cela suscite des interrogations, laisse perplexe, sans offrir de réponse. Et voici deux hommes en vêtement éclatant, qui disent : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité » (Lc 24,5-6). Ce qui était un simple geste, un fait, accompli bien sûr par amour – le fait de se rendre au tombeau –se transforme maintenant en évènement, en un fait qui change vraiment la vie. Rien ne demeure plus comme avant, non seulement dans la vie de ces femmes, mais aussi dans notre vie et dans l’histoire de notre humanité. Jésus n’est pas un mort, il est ressuscité, il est le Vivant ! Il n’est pas seulement revenu à la vie, mais il est la vie même, parce qu’il est le Fils de Dieu, qu’il est le Vivant (cf. Nb 14, 21-28, Dt 5,26, Jon 3,10) Jésus n’est plus dans le passé, mais il vit dans le présent et est projeté vers l’avenir, Jésus est l’« aujourd’hui » éternel de Dieu. Ainsi la nouveauté de Dieu se présente aux yeux des femmes, des disciples, de nous tous : la victoire sur le péché, sur le mal, sur la mort, sur tout ce qui pèse sur la vie et lui donne un visage moins humain. Et c’est un message qui est adressé à moi, à toi chère sœur et à toi cher frère. Combien de fois avons-nous besoin de ce que l’Amour nous dise : pourquoi cherchez-vous parmi les morts Celui qui est vivant ? Les problèmes, les préoccupations de tous les jours nous poussent à nous replier sur nous-mêmes, dans la tristesse, dans l’amertume… et là, c’est la mort. Ne cherchons pas là Celui qui est vivant !

Accepte alors que Jésus Ressuscité entre dans ta vie, accueille-le comme ami, avec confiance : Lui est la vie ! Si jusqu’à présent tu as été loin de Lui, fais un petit pas : il t’accueillera à bras ouverts. Si tu es indifférent, accepte de risquer : tu ne seras pas déçu. S’il te semble difficile de le suivre, n’aies pas peur, fais-lui confiance, sois sûr que Lui, il est proche de toi, il est avec toi et te donnera la paix que tu cherches et la force pour vivre comme Lui le veut.

3. Il y a un dernier élément tout simple que je voudrais souligner dans l’Évangile de cette lumineuse Vigile pascale. Les femmes découvrent la nouveauté de Dieu : Jésus est ressuscité, il est le Vivant ! Mais devant le tombeau vide et les deux hommes en vêtement éclatant, leur première réaction est une réaction de crainte : « elles baissaient le visage vers le sol » ? note saint Luc ?, elles n’avaient pas non plus le courage de regarder. Mais quand elles entendent l’annonce de la Résurrection, elles l’accueillent avec foi. Et les deux hommes en vêtement éclatant introduisent un verbe fondamental : rappelez-vous. « Rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était encore en Galilée… Et elles se rappelèrent ses paroles » (Lc 24,6.8). C’est donc l’invitation à faire mémoire de la rencontre avec Jésus, de ses paroles, de ses gestes, de sa vie ; et c’est vraiment le fait de se souvenir avec amour de l’expérience avec le Maître qui conduit les femmes à dépasser toute peur et à porter l’annonce de la Résurrection aux Apôtres et à tous les autres (cf. Lc 24,9). Faire mémoire de ce que Dieu a fait et fait pour moi, pour nous, faire mémoire du chemin parcouru ; et cela ouvre le cœur à l’espérance pour l’avenir. Apprenons à faire mémoire de ce que Dieu a fait dans notre vie.

En cette Nuit de lumière, invoquant l’intercession de la Vierge Marie, qui gardait chaque évènement dans son cœur (cf. Lc 2, 19.51), demandons que le Seigneur nous rende participants de sa Résurrection : qu’il nous ouvre à sa nouveauté qui transforme, aux surprises de Dieu qui sont si belles ; qu’il fasse de nous des hommes et des femmes capables de faire mémoire de ce lui accomplit dans notre histoire personnelle et dans celle du monde ; qu’il nous rende capables de le reconnaître comme le Vivant, vivant et agissant au milieu de nous ; qu’il nous enseigne chaque jour, chers frères et sœurs à ne pas chercher parmi les morts Celui qui est vivant. Amen.

Homélie de Saint Séraphim Tchitchagov pour la fête de Pâques

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Merci à Marie qui m’a communiqué ce très beau texte.

« Nous sommes pardonnés, sauvés et rachetés: le Christ est ressuscité ! Ces deux mots résument tout. Ils sont le fondement de notre foi, de notre espérance, de notre amour, de la vie chrétienne, de toute notre sagesse, de l’intelligence, de la Sainte Eglise, de la prière du coeur et de notre avenir. Ces deux paroles ont détruit tous les malheurs des hommes, la mort, le mal. Par elles nous sont donnés la vie, le bonheur et la liberté ! Quelle force merveilleuse ! Nous ne pouvons nous lasser de répéter: le Christ est ressuscité ! Nous ne l’aurons jamais entendu assez: le Christ est ressuscité !  »

Saint Séraphim Tchitchagov

Homélie pour le dimanche de Pâques (A)

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Frères et soeurs, en ce matin de la résurrection, nous nous tenons éblouis devant un tombeau vide. Un tombeau à la porte grande ouverte, irradiant la lumière de Pâques. L’évangéliste Jean a cette phrase laconique au sujet du disciple bien-aimé qui se tient là avec nous : « Il vit et il crut ! ». Comme si ce tombeau vide était le dénouement logique de ce long compagnonnage avec Jésus ; un tombeau vide confirmant en quelque sorte la profondeur du mystère qui animait Jésus. C’est à ce regard de foi que nous sommes conviés ce matin.

« Il vit et il crut ! » Cet acte de foi du disciple bien-aimé est d’autant plus étonnant compte tenu de la fin tragique de Jésus. C’est le grand spirituel d’ici, Fernand Ouellette, qui écrivait :

« Les évangélistes, faut-il le redire, rapportaient une mort infamante de Jésus sur la croix qui ne pouvait qu’accabler, humilier tout disciple par sa forme d’échec impitoyable. Ce que tout écrivain fabulateur, mythologisant n’aurait jamais voulu imaginer. On n’invente pas Jésus Christ, il a trop d’exigence, et une croix trop lourde et râpeuse pour nos épaules. En somme, nos témoins rapportaient ce qui aurait dû empêcher la naissance et l’expansion du christianisme, s’ils n’avaient pas voulu témoigner particulièrement des faits et de la foi ardente qu’ils avaient en Jésus ressuscité, Messie et Seigneur, seule voie vers le Père. »

Aujourd’hui, deux mille ans plus tard et quelques poussières, c’est cette même foi qui nous nous rassemble et nous fait vivre. Un philosophe grec (Héraclite) disait un jour : « Si tu ne sais pas espérer, tu ne pourras jamais accueillir l’inespéré. »

En cette fête de Pâques, qui est la mère de toutes les fêtes, de toutes les attentes au cœur de la vie des hommes et des femmes de ce monde, nous proclamons que l’inespéré s’est fait chair, que le Fils du Père a habité parmi nous, et qu’il est lui le grand vainqueur de la mort. Tant qu’à nous qui sommes ses disciples, nous affirmons que nous avons reconnu sa présence au cœur de nos vies. Nous avons vus nous aussi et nous avons crus. La pierre qui retenait la vie a été roulée sur le côté. La vie qui était captive de la mort a été libérée de ses entraves, et Jésus est devenu notre éternel printemps.

Réjouissons-nous frères et sœurs ! Rendons grâce à Dieu en ce jour de Pâques ! Car Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! Amen !

fr. Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Vendredi Saint

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« Les évangélistes, faut-il le redire, rapportaient une mort infamante de Jésus sur la croix qui ne pouvait qu’accabler, humilier tout disciple par sa forme d’échec impitoyable. Ce que tout écrivain fabulateur, mythologisant n’aurait jamais voulu imaginer. On n’invente pas Jésus Christ, il a trop d’exigence, et une croix trop lourde et râpeuse pour nos épaules. En somme, nos témoins rapportaient ce qui aurait dû empêcher la naissance et l’expansion du christianisme, s’ils n’avaient pas voulu témoigner particulièrement des faits et de la foi ardente qu’ils avaient en Jésus ressuscité, Messie et Seigneur, seule voie vers le Père.1 »

Frères et soeurs, c’est en communion avec toute l’Église universelle que nous proclamons en ce Vendredi Saint que « notre fierté c’est la croix du Christ ! » Cette croix, malgré sa laideur et la cruauté qu’elle évoque, est le lieu ultime que Dieu a choisi pour nous dire combien il nous aime.

Jésus a dit oui à la croix, il l’a acceptée courageusement, mais peut-on dire qu’il l’a recherchée ? « Père, si tu veux éloigner cette coupe de moi… » disait-il à Gethsémani. Et pourtant, ailleurs en saint Jean il dira à ses disciples : « Comme il me tarde de boire à cette coupe… »

Il n’y a pas de contradiction ici. Le oui de Jésus est un oui à l’épreuve de l’Amour, son amour pour nous et son amour pour le Père, où Jésus ne saurait s’esquiver, car il sait que ce don de lui-même ne peut que nous apporter la vie. Il est venu pour cette Heure, et c’est sur la croix qu’il va affronter le Mal dans ses derniers retranchements.

Jésus a dit oui à la croix, cette croix qui évoque la méchanceté des hommes, symbole de notre péché. C’est sur ce bois, que l’amour du Fils de l’Homme est livré jusqu’au bout, au point de saisir dans son offrande toute l’humanité, toutes les générations à venir qui mettraient leur foi en lui.

Oui, nous proclamons un Messie crucifié ! C’est là notre honte, parce que cette croix est l’expression de notre péché, et il faut en prendre toute la mesure en ces jours saints, mais c’est là aussi notre fierté, parce qu’elle est le lieu de notre relèvement. Comme le disait avec justesse le Père Congar, dominicain : « Ce n’est pas la souffrance de Jésus qui nous sauve; c’est l’amour avec lequel il a vécu cette souffrance; c’est tout autre chose.2»

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs


  1. Ouellette, Fernand. Le danger du divin. Fides,2002. p. 72
  2. Sesboüé, Bernard. Croire. Droguet et Ardant. 1999. p. 296

Homélie pour le Dimanche des Rameaux

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La liturgie de ce dimanche semble paradoxale : nous l’appelons le dimanche des Rameaux, évènement festif qui rappelle l’entrée messianique de Jésus à Jérusalem; et nous l’appelons aussi Dimanche de la Passion du Seigneur, avec la croix comme destination finale. En une seule et unique liturgie, nous passons de la foule en liesse, à la mort de Jésus, de l’accueil triomphal de la foule, au spectacle insoutenable de sa crucifixion sous les cris de cette même foule.

À travers ces textes sacrés, c’est le drame de notre terre qui se joue sous nos yeux, alors que tous les jours les hommes et les femmes de ce monde sont sans cesse confrontés au mystère du mal, au cœur même de leurs joies et de leur soif de vivre, dans leur besoin fondamental d’aimer et d’être aimés. Tous sont atteints, dans leur chair ou dans leur coeur, soit par complicité, ou encore en tant que victimes de la haine et des guerres, qui n’épargnent ni les enfants ni les innocents.

Nous en avons été les témoins horrifiés ces jours-ci en Syrie, et ce n’est là que la pointe de l’iceberg de ce mépris de la vie humaine sur notre terre. La vie est souvent bafouée, nous le savons, et alors que la violence et les outrages se déchaînent contre Jésus, ce dimanche des Rameaux vient nous rappeler que le mal et le péché cherchent toujours à imposer leur loi dans nos vies. Qui va nous en libérer ?

À l’aube de cette Semaine Sainte, nos regards se tournent vers Jésus Christ, alors qu’il entre dans sa passion, et qu’en Église nous faisons mémoire de sa vie qui va jusqu’au bout d’elle-même, professant qu’il est le grand vainqueur de la mort, celui qui enlève le péché du monde.

Cela nous le proclamons à chacune de nos eucharisties, et à nouveau en cette Semaine Sainte, nous entrons avec Jésus dans son combat contre le mal, portant avec lui notre monde qui souffre, nous faisant solidaires de ses peines et de sa soif de bonheur, faisant nôtre sa douleur, qui est celle de Dieu lui-même.

Comme l’écrivait Catherine de Sienne : « Ce ne sont pas les clous qui retiennent Jésus sur la croix, mais l’amour. » La Semaine Sainte nous parle d’un Dieu qui nous aime à en mourir. Sachons donc cette semaine ouvrir nos cœurs au mystère du plus grand amour qui soit! Amen.

fr. Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 5e dimanche du carême (A)

The-Resurrection-Of-Lazarus-S

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 11,1-45. 
En ce temps-là, il y avait quelqu’un de malade, Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de Marthe, sa sœur.
Or Marie était celle qui répandit du parfum sur le Seigneur et lui essuya les pieds avec ses cheveux. C’était son frère Lazare qui était malade.
Donc, les deux sœurs envoyèrent dire à Jésus : « Seigneur, celui que tu aimes est malade. »
En apprenant cela, Jésus dit : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. »
Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare.
Quand il apprit que celui-ci était malade, il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait.
Puis, après cela, il dit aux disciples : « Revenons en Judée. »
Les disciples lui dirent : « Rabbi, tout récemment, les Juifs, là-bas, cherchaient à te lapider, et tu y retournes ? »
Jésus répondit : « N’y a-t-il pas douze heures dans une journée ? Celui qui marche pendant le jour ne trébuche pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde ;
mais celui qui marche pendant la nuit trébuche, parce que la lumière n’est pas en lui. »
Après ces paroles, il ajouta : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil. »
Les disciples lui dirent alors : « Seigneur, s’il s’est endormi, il sera sauvé. »
Jésus avait parlé de la mort ; eux pensaient qu’il parlait du repos du sommeil.
Alors il leur dit ouvertement : « Lazare est mort,
et je me réjouis de n’avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez. Mais allons auprès de lui ! »
Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), dit aux autres disciples : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui ! »
À son arrivée, Jésus trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà.
Comme Béthanie était tout près de Jérusalem – à une distance de quinze stades (c’est-à-dire une demi-heure de marche environ) –,
beaucoup de Juifs étaient venus réconforter Marthe et Marie au sujet de leur frère.
Lorsque Marthe apprit l’arrivée de Jésus, elle partit à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison.
Marthe dit à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort.
Mais maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. »
Jésus lui dit : « Ton frère ressuscitera. »
Marthe reprit : « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. »
Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ;
quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »
Elle répondit : « Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. »
Ayant dit cela, elle partit appeler sa sœur Marie, et lui dit tout bas : « Le Maître est là, il t’appelle. »
Marie, dès qu’elle l’entendit, se leva rapidement et alla rejoindre Jésus.
Il n’était pas encore entré dans le village, mais il se trouvait toujours à l’endroit où Marthe l’avait rencontré.
Les Juifs qui étaient à la maison avec Marie et la réconfortaient, la voyant se lever et sortir si vite, la suivirent ; ils pensaient qu’elle allait au tombeau pour y pleurer.
Marie arriva à l’endroit où se trouvait Jésus. Dès qu’elle le vit, elle se jeta à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. »
Quand il vit qu’elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé,
et il demanda : « Où l’avez-vous déposé ? » Ils lui répondirent : « Seigneur, viens, et vois. »
Alors Jésus se mit à pleurer.
Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! »
Mais certains d’entre eux dirent : « Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? »
Jésus, repris par l’émotion, arriva au tombeau. C’était une grotte fermée par une pierre.
Jésus dit : « Enlevez la pierre. » Marthe, la sœur du défunt, lui dit : « Seigneur, il sent déjà ; c’est le quatrième jour qu’il est là. »
Alors Jésus dit à Marthe : « Ne te l’ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. »
On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé.
Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ; mais je le dis à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. »
Après cela, il cria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! »
Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le, et laissez-le aller. »
Beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de Marie et avaient donc vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui.

COMMENTAIRE

Il y a quelques années, on avait présenté au Grand théâtre de Québec les neuf symphonies de Beethoven sur une période de deux semaines ! Un véritable tour de force dont j’avais eu le privilège d’être le témoin. C’est à la suite de ces concerts que l’inspiration suivante m’était venue de comparer les évangiles à des symphonies, chacun de ces évangiles ayant son propre compositeur inspiré par Dieu, afin de nous parler de Dieu et de son action en son Fils Jésus Christ.

Un dictionnaire nous dirait d’une symphonie qu’il s’agit d’une longue pièce musicale pour un grand orchestre et qui est souvent constituée de plusieurs mouvements, tout aussi variés les uns que les autres. Dans une symphonie, il y a toujours un thème principal, soutenu par des thèmes sous-jacents qui viennent l’introduire, qui le laissent deviner, qui préparent son exécution, jusqu’à ce que la symphonie éclate et atteigne son apogée. C’est alors que le thème principal et les sous-thèmes s’unissent l’un à l’autre dans une extraordinaire explosion de sons et d’émotions. Et tout est dit et la salle éclate en bravos.

La liturgie du carême est ainsi conçue. Elle ressemble à s’y méprendre elle aussi à une symphonie, où de dimanche en dimanche, nous passons d’un mouvement à un autre, d’un évangile à un autre, alors que Jésus se révèle peu à peu, jusqu’à l’accomplissement final de sa mission.

Revenons sur le chemin parcouru jusqu’à maintenant en ce carême. Les récits évangéliques des quatre premiers dimanches nous ont amené sur le Mont de la Tentation avec Jésus, pour ensuite passer au Mont de la Transfiguration. Nous avons été témoins de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine, ainsi que de la guérison de l’aveugle-né à la piscine de Siloé. Depuis le début du carême, la liturgie de la Parole s’est déroulée progressivement sur le mode d’une symphonie. Appelons-la : la Symphonie pascale, dans laquelle les sous-thèmes du désert, de la lumière, de la montagne et de l’eau nous ont préparés au mouvement symphonique de ce dimanche où nous sommes mis en présence du miracle de la résurrection de Lazare.

Il s’agit sans doute du miracle le plus spectaculaire de Jésus. Dans ce récit, dans ce mouvement l’on peut entendre clairement le thème sous-jacent à tout l’évangile, même s’il n’est pas encore joué à sa pleine mesure, dans son total déploiement. Mais ce que nous avons vu et entendu aujourd’hui prépare la finale de cette Symphonie pascale qui est la résurrection du Christ le matin de Pâques, et qui est en fait un véritable Hymne à la joie. Voyons maintenant d’un peu plus près ce qui se passe dans ce mouvement de notre symphonie aujourd’hui.

Remarquez comment Jésus prend son temps avant d’aller voir Lazare et ses deux sœurs. Ce n’est pas de l’indifférence de la part de Jésus. Au contraire, il sait ce qu’il fait et il ira voir Lazare en temps et lieu, à l’Heure de Dieu.

N’avons-nous pas tous et toutes un jour attendu cette Heure dans nos vies, convaincus que si Dieu avait été là, s’Il avait agi quand nous le lui avions demandé, les choses se seraient passées bien différemment. « Seigneur, si tu avais été ici. Mon frère ne serait pas mort. » Non seulement les miracles ne surviennent pas toujours quand nous les demandons, mais Dieu ne répond pas toujours comme nous le lui demandons. Les miracles dans nos vies, et ils existent, sont le plus souvent imperceptibles, comme la sève printanière dans les arbres en attente de leur floraison. Mais le plus grand miracle de tous, c’est combien Dieu tient à nous, combien il nous aime, nous promettant qu’en temps et lieu il va nous sauver et nous ramener à la vie, qu’il va ouvrir nos tombeaux.

Notre foi nous affirme que cela est vrai à cause de la résurrection de Jésus qui nous confirme qu’il est véritablement la Lumière du monde, qu’il est la Vie éternelle. Et c’est là le thème central de notre symphonie pascale que l’on entend de dimanche en dimanche, tout au long de ce Carême, et qui va se déployer et retentir solennellement le matin de Pâques, dans un formidable Allegro vivace !

Mais poursuivons notre réflexion. L’Évangile de ce dimanche nous présente l’un des sous-thèmes majeurs de la vie de Jésus, qui est d’une grande importance dans notre Symphonie pascale.

Quelle est la réaction de Jésus quand Marie, la sœur de Lazare, lui dit : « Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. » L’Écriture nous dit que lorsque Jésus a vu pleurer Marie, ainsi que la foule qui l’accompagnait, il frémit intérieurement. Il demanda alors où l’on avait déposé le corps de Lazare et il pleura à son tour devant son tombeau. C’est là une des scènes les plus poignantes des évangiles, où la vie tout à coup semble s’arrêter. Tous les acteurs de ce récit semblent retenir leur souffle, attendant de voir ce que Jésus va faire, alors qu’il pleure.

« Voyez comme il aimait Lazare », se disent-ils entre eux. Et ce mouvement musical s’entend comme un émouvant Adagio. Ce sous-thème dans notre symphonie nous parle de l’humanité de Jésus qui réagit avec indignation et tristesse devant la mort de son ami Lazare.

Les passages où Jésus pleure dans les Évangiles sont les plus révélateurs quant à la nature de Dieu et de son amour pour nous, et nous n’avons pas souvent l’occasion de porter un regard aussi intime sur l’humanité de Jésus. Le miracle d’aujourd’hui évoque non seulement la résurrection du Christ et son pouvoir sur la mort, mais il nous dévoile aussi l’extraordinaire proximité de Jésus à chacune de nos vies.

Jésus pleure devant le tombeau de Lazare. Il va pleurer aussi sur la ville de Jérusalem, qui refuse de l’accueillir comme Sauveur. Il va pleurer et supplier au Jardin de Gethsémani devant la passion à venir, et il va pleurer sur la croix en intercédant pour nous auprès de son Père. Jusqu’à la fin, notre salut et notre bonheur seront la seule et unique passion de Jésus.

Si la mort semble l’emporter dans nos vies, nous savons désormais que l’amour de Dieu pour nous est plus fort que la mort. C’est là le message central de l’évangile d’aujourd’hui. Nous entendons le Christ le crier : « Lazare ! Sors de ton tombeau ! Tiens-toi debout ! Viens, n’aie pas peur, car je suis avec toi ! »

Avec ce miracle, notre Symphonie pascale n’est pas encore terminée, mais elle n’a jamais été aussi proche de son mouvement final, qui éclatera au matin de Pâques, confirmant ainsi les paroles de Jésus à Marthe, la sœur de Lazare :

« Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et tout homme qui vit et qui croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs