La Transfiguration ou voir Dieu
(Homélie pour la communauté chrétienne universitaire de l’Université de Montréal)
En 1996, plusieurs d’entre vous n’étant encore qu’une pensée dans le cœur de Dieu, les frères dominicains du Canada ont mis sur pied un site internet afin de présenter leur mission. Une des originalités de ce site était d’offrir une forme d’accompagnement spirituel en ligne, une sorte de courrier de l’âme, où quatre à cinq frères répondaient à plus de trois cents demandes d’aide par année. Ce travail s’est poursuivi pendant plusieurs années. Un jour, j’ai reçu un courriel d’une maman désemparée : « J’ai un fils de 4 ans, écrit-elle, à qui j’ai raconté l’histoire de Jésus avec l’aide d’un livre pour enfant. Sa réaction fulgurante m’a prise au dépourvu. Il s’est mis à pleurer de ne pouvoir voir Dieu. Il est alors venu se réfugier dans mes bras et il est demeuré ainsi plusieurs minutes, à pleurer silencieusement. Même si nous lui disions, son père et moi, que nous ne pouvons pas plus voir Dieu que lui, mais que nous le ressentions, que la création était une preuve de sa présence, rien n’y faisait. Nous lui avons donc raconté qu’à Noël, nous ne pouvons voir le Père Noël puisqu’il doit s’occuper de tous en même temps, tout comme Dieu à tous les jours, mais que nous savions qu’il est passé par les cadeaux trouvés au matin, tout comme nous savons que Dieu existe par l’amour et la création. Je me demande ce que je peux faire de plus. Signé: Une maman bien dépourvue ».
Voilà une touchante histoire où la demande de l’enfant peut sembler déraisonnable, mais n’est-ce pas le psalmiste qui s’écrie : «C’est ta face Seigneur que je cherche, ne me cache pas ta face» (ps. 26). Et voilà que plusieurs siècles plus tard, la gloire de Jésus est dévoilée à Pierre, Jacques et Jean sur la montagne, alors que se fait entendre la voix de Dieu, en présence de Moïse et du prophète Élie.
Frères et sœurs, voir Dieu, de mille et une manières, est en quelque sorte au cœur même de l’expérience de foi. Et le récit de la Transfiguration est comme un récit initiatique qui résume en lui-même ce que c’est que de croire en Jésus Christ et de le suivre comme si on voyait l’invisible.
Ce soir j’aimerais vous inviter à entreprendre l’ascension de cette « montagne sainte » qui se dresse devant nous, là où Jésus entraîne trois de ses apôtres. Mais situons tout d’abord notre récit. Ce récit de la Transfiguration est d’une importance capitale dans les évangiles. Trois évangélistes sur quatre en font mention et l’Apôtre Pierre en parle lui aussi dans sa deuxième lettre (1:16-18) disant avoir été avoir été, avec Jacques et Jean, témoin oculaire de la majesté de Jésus : «Cette voix, dit-il, nous, nous l’avons entendue; elle venait du Ciel, nous étions avec lui sur la montagne sainte».
L’événement de la Transfiguration survient après la première de trois annonces que fait Jésus de sa passion à venir. Les disciples en sont bouleversés. Ils ont peur. Leur confiance en Jésus est mise à l’épreuve, et c’est dans ce contexte que Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les amène sur la montagne, les préparant ainsi à vivre la passion/résurrection à venir. À la manière d’une icône qu’il faut contempler longuement, la transfiguration de Jésus nous dévoile toute la grandeur du mystère dans lequel nous engage notre baptême.
Alors, vous êtes prêts? Entreprenons donc notre montée qui se fera en trois étapes. Le versant nord, le sommet et le versant sud de la montagne. Le versant nord est celui de l’ascension. C’est le côté abrupt et aride, jouissant très peu de la lumière du soleil. C’est une montée qui se fait en quelque sorte dans l’obscurité. L’obscurité de la fragilité humaine, de nos vies aux prises avec le mal de vivre, la quête de sens et du bonheur qui nous échappent. Le versant nord c’est le lieu du doute et du combat pour nous, tout comme pour les trois apôtres qui ont entrepris cette montée. Mais ils ne sont pas seuls. Jésus monte avec eux. Il en est ainsi pour nous. Cette montée du versant nord se compare à un temps de conversion, un temps de retour vers Dieu afin de retrouver l’intimité perdue. L’enjeu, c’est le rapprochement avec le Christ, et il n’y a pas de rapprochement possible si l’on ne prend pas la pleine mesure de nos pauvretés et de notre profond besoin de Dieu. Voilà pourquoi Jésus s’engage avec nous dans cette ascension. C’est le temps de la conversion, du retournement du cœur.
C’est seulement après un tel parcours que l’on parvient au sommet, où l’horizon est sans fin et le mystère se déploie devant nos yeux. Les disciples entrent dans la pleine lumière où ils sont témoins de la prière de Jésus. Une prière qui a ses racines dans la Loi et les Prophètes, et dont Moïse et Élie sont les représentants. Alors que la gloire de Jésus se manifeste aux disciples, l’icône devient trinitaire. Le Père s’entretient avec le Fils alors que les disciples, eux, entrent dans la nuée, symbole de l’Esprit Saint, lui qui nous fait participants de ce dialogue intime entre le Père et le Fils, et où la véritable nature de Jésus nous est dévoilée : «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le!»
Enfin, voici le troisième versant de la montagne. Nous nous engageons dans la descente du mont de la Transfiguration. C’est le versant sud, celui qui est le plus ensoleillé et qui conduit à la plaine de nos engagements, de nos projets et de nos luttes. Les ténèbres ont disparu et les disciples baignent déjà dans la lumière de la résurrection, témoins éblouis de la gloire du Christ, annonçant au monde qui il est, le Fils bien-aimé du Père, Dieu lui-même.
Voilà frères et sœurs, ma description bien personnelle de cette icône de la Transfiguration. À travers cette image, je souhaite simplement vous donner le goût de Dieu et de l’aventure spirituelle qui nous est proposée dans le Christ, car il n’y a pas de plus grand bonheur. Bon carême!
fr. Yves Bériault, o.p.
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