La providence de Dieu. Qu’en est-il?

C’est le théologien Dietrich Bonhoeffer qui écrivait ce constat terrible et alarmant au sujet de sa foi en Dieu :

« Le Dieu qui est avec nous est celui qui nous abandonne (Mc 15, 34) ! Le Dieu qui nous laisse vivre dans le monde, sans l’hypothèse de travail Dieu, est celui devant qui nous nous tenons constamment. Devant Dieu et avec Dieu, nous vivons sans Dieu. Dieu se laisse déloger du monde et clouer sur la croix. Dieu est impuissant et faible dans le monde, et ainsi seulement il est avec nous et nous aide […] Voilà la différence décisive d’avec toutes les autres religions. La religiosité de l’homme le renvoie dans sa misère à la puissance de Dieu dans le monde, Dieu est le deus ex machina. La Bible le renvoie à la souffrance et à la faiblesse de Dieu; … L’évolution du monde vers l’âge adulte dont nous avons parlé, faisant table rase d’une fausse image de Dieu, libère le regard de l’homme pour le diriger vers le Dieu de la Bible qui accomplit sa puissance et sa place dans le monde par son impuissance. »

Ce que propose Bonhoeffer, est de passer à une vision monarchique de Dieu à un Dieu solidaire avec nous, dont le seul et unique soutien est celui de sa grâce, de son amour, à travers lequel nous progressons peu à peu vers notre pleine stature humaine et spirituelle. Nous devenons majeurs et responsables dans l’existence avec Dieu. Nous rejoignons ici un saint Paul dans le plus profond de son expérience de Dieu qui l’amenait à dire : « Ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi. »

Jacques LisonCela veut-il dire que nous sommes laissés à nous-mêmes? Qu’en est-il alors de la providence de Dieu? Jacques Lison, dans son livre « Dieu intervient-il vraiment? (Novalis 2006) en arrive à la définition suivante en parlant de la Providence de Dieu :

« La providence divine désigne la pleine maîtrise avec laquelle Dieu saisit les hommes et les femmes de bonne volonté pour que ceux-ci protègent le monde selon son projet éternel et pour que, par eux, son règne vienne. »

Notre déficit de compréhension à l’endroit de la providence de Dieu est directement proportionnel à notre incompréhension vis-à-vis de l’état précaire de notre condition humaine. Ce que nous ne parvenons pas à assimiler, c’est à la fois la tragédie de notre condition mortelle, avec tout son cortège de souffrances et de calamités, et la toute-puissance de Dieu. Pourquoi sa force ne vient-elle pas contrebalancer notre état de faiblesse, nous demandons-nous? Jacques Lison répond :

« L’expression toute-puissance n’évoque pas la capacité qu’aurait Dieu de pouvoir faire n’importe quoi, mais plutôt la maîtrise absolue de son amour. L’action de la Providence de Dieu, c’est avant tout Dieu qui saisit les hommes et les femmes de bonne volonté. Cela signifie que la providence divine ne désigne pas son action sur les éléments ni dans les événements du monde que nous habitons, mais avant tout sur nous qui voyons le monde. Dieu nous touche pour que nous voyions le monde comme il le voit lui-même et que nous y agissions avec ses mœurs à lui, puisque nous sommes créés à son image. »

Dans la perspective de la définition que propose Jacques Lison, Dieu ne prédétermine pas notre histoire, ni le cours des choses. Le monde où nous nous retrouvons est à peine organisé, il est un quasi-chaos. Mais Dieu a quand même un projet. II veut que les humains protègent ce monde, c’est-à-dire qu’ils le rendent habitable en l’humanisant selon son projet éternel, en étant porteurs de son amour.

« Ce projet, Dieu ne l’impose pas. Il s’efface plutôt au point de paraître absent, et même impuissant, quand triomphe la volonté des tyrans. Dieu cache sa face, il ne fait pas de miracles – au sens d’une intervention directe dans les lois de la nature -, il ne se comporte pas comme on l’attendrait d’un dieu. Il est néanmoins mystérieusement présent à ceux et celles qui mettent leur confiance en sa providence au point de l’aider en devenant eux-mêmes providence. Il les saisit dans le mouvement de sa vie trinitaire pour que, par eux, son règne vienne. »

L’impuissance de Dieu

« Le Dieu qui est avec nous est celui qui nous abandonne (Mc 15, 34) ! Le Dieu qui nous laisse vivre dans le monde, sans l’hypothèse de travail Dieu, est celui devant qui nous nous tenons constamment. Devant Dieu et avec Dieu, nous vivons sans Dieu. Dieu se laisse déloger du monde et clouer sur la croix. Dieu est impuissant et faible dans le monde, et ainsi seulement il est avec nous et nous aide […] Voilà la différence décisive d’avec toutes les autres religions. La religiosité de l’homme le renvoie dans sa misère à la puissance de Dieu dans le monde, Dieu est le deus ex machina. La Bible le renvoie à la souffrance et à la faiblesse de Dieu; … L’évolution du monde vers l’âge adulte dont nous avons parlé, faisant table rase d’une fausse image de Dieu, libère le regard de l’homme pour le diriger vers le Dieu de la Bible qui accomplit sa puissance et sa place dans le monde par son impuissance. »

(Dietrich Bonhoeffer. Résistance et soumission, Lettres et notes de captivité. Lettre du 16 juillet 1944, Genève 1967, p. 162-163.)

Lettre de captivité de Dietrich Bonhoeffer

« Le Dieu qui est avec nous est celui qui nous abandonne (Mc 15, 34) ! Le Dieu qui nous laisse vivre dans le monde, sans l’hypothèse de travail Dieu, est celui devant qui nous nous tenons constamment. Devant Dieu et avec Dieu, nous vivons sans Dieu. Dieu se laisse déloger du monde et clouer sur la croix. Dieu est impuissant et faible dans le monde, et ainsi seulement il est avec nous et nous aide […] Voilà la différence décisive d’avec toutes les autres religions. La religiosité de l’homme le renvoie dans sa misère à la puissance de Dieu dans le monde, Dieu est le deus ex machina. La Bible le renvoie à la souffrance et à la faiblesse de Dieu; … L’évolution du monde vers l’âge adulte dont nous avons parlé, faisant table rase d’une fausse image de Dieu, libère le regard de l’homme pour le diriger vers le Dieu de la Bible qui accomplit sa puissance et sa place dans le monde par son impuissance. » (D. Bonhoeffer, Dietrich. Résistance et soumission, Lettres et notes de captivité. Lettre du 16 juillet 1944, Genève 1967, p. 162-163.)


Qui est Dietrich Bonhoeffer?

« Né à Breslau en 1906, fils de la haute bourgeoisie allemande, docteur en théologie à 23 ans après de brillantes études, tout semble destiner Dietrich Bonhoeffer à une haute position dans la société. Il voyage en Europe et aux Etats-Unis et est ordonné pasteur en 1931.

Le 30 janvier 1933, Hitler arrive au pouvoir. Dès le 1er février, Bonhoeffer dénonce, dans une allocution à la radio, la prétention de souveraineté totale du Führer. Son émission est immédiatement interrompue. Il publie ensuite un article contre l’antisémitisme et participe à l’organisation de l’Eglise confessante, avec Karl Barth et Niemöller. Chez ce « théologien de la réalité » (selon André Dumas), la vie, l’oeuvre, la foi, sont indissolublement liées.

En 1935, il est responsable du séminaire de Finkenwalde dont les activités sont rapidement interdites, et se poursuivent dans la clandestinité.

« Nachfolge » (Le prix de la Grâce) – 1937 – « Gemeinsames Leben » (De la vie communautaire) – 1939 – Ethique – paru en 1949 – Résistance et soumission, lettres de prison publiées en 1951 : l’oeuvre de Bonhoeffer a marqué son époque. Comment être croyant dans un monde qui semble ne pas avoir besoin de Dieu, quelle peut être l’action de l’Eglise dans le monde ?

En 1940, Bonhoeffer s’engage dans la conjuration contre Hitler. Arrêté par la Gestapo le lendemain de l’attentat manqué de 1943, il est condamné à mort et pendu le 9 avril 1945 sur l’ordre personnel de Hitler. » (Source)


Une biographie récente de D. Bonhoeffer

Schlingenspien, Ferdinand. Dietrich Bonhoeffer 1906-1945. Salvator, 2005. 438 pp.

« Sur la base de nouvelles sources (oeuvres complètes, correspondances diverses), l’auteur nous décrit l’itinéraire exemplaire et courageux du pasteur luthérien allemand, Dietrich Bonhoeffer. Dans cet ouvrage, il fait preuve d’une très grande maîtrise pour présenter en Dietrich Bonhoeffer l’homme, l’écrivain, le résistant à Hitler, le théologien d’exception qui ouvre de nouvelles voies au christianisme contemporain. Après une longue période – puisque le livre de Ebehard Bethge remonte à 1967 – cette biographie devient l’ouvrage de référence sur Dietrich Bonhoeffer. »

Jésus et la loi

Voici une réflexion intéressante de Dietrich Bonhoeffer qui aide à mieux comprendre l’évangile de ce jour (Mt 5, 17-19), où Jésus rappelle à ses disciples que nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu s’il n’accomplit la loi. Jésus ne leur laisse aucune illusion à ce sujet lorsqu’il déclare : « je ne suis pas venu abolir la loi, mais l’accomplir. »

bonhoeffer

Dietrich Bonhoeffer

Le péché d’Israël était la déification de la loi et la légalisation de Dieu. Inversement, dédiviniser la loi et séparer Dieu de sa loi eût constitué la méprise pécheresse des disciples. Dieu et la loi, dans l’un et l’autre cas, étaient soit séparés l’un de l’autre, soit identifiés l’un a l’autre, ce qui revient au même.

Face à ces deux méprises, Jésus remet en vigueur la loi comme loi de Dieu. Dieu est le donateur et il est le maître de la loi, et ce n’est que dans la communion personnelle avec Dieu que la loi est accomplie. Il n’y a pas d’accomplissement de la loi sans communion avec Dieu; il n’y a pas non plus de communion avec Dieu sans accomplissement de la loi. Le premier point vise les Juifs, le second vise la menaçante méprise des disciples. (Dietrich Bonhoeffer. Prix de la grâce. p. 83-84)