Thérèse de l’Enfant-Jésus : Dialogue avec le Christ

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« Ma vie n’est qu’un instant, une heure passagère. Ma vie n’est qu’un seul jour qui m’échappe et qui fuit. Tu le sais, ô mon Dieu ! Pour t’aimer sur la terre. Je n’ai rien qu’aujourd’hui ! (…)

Que m’importe, Seigneur, si l’avenir est sombre. Te prier pour demain, oh non, je ne le puis ! Conserve mon cœur pur, couvre-moi de ton ombre ; Rien que pour aujourd’hui.

Si je songe à demain, je crains mon inconstance. Je sens naître en mon cœur la tristesse et l’ennui.  Mais je veux bien, mon Dieu, l’épreuve, la souffrance. Rien que pour aujourd’hui.

Je dois te voir bientôt sur la rive éternelle. Ô Pilote divin ! Dont la main me conduit. Sur les flots orageux guide en paix ma nacelle. Rien que pour aujourd’hui. (…)

Cette grappe d’amour, dont les grains sont des âmes. Je n’ai pour la former que ce jour qui s’enfuit. Ah ! Donne-moi, Jésus, d’un apôtre les flammes. Rien que pour aujourd’hui (…) »

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Mon chant d’aujourd’hui, sainte Thérèse de Lisieux (extraits).

Homélie pour le 28e Dimanche du temps ordinaire. Année B.

suis-moi

VIENS SUIS-MOI

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 10,17-30.
En ce temps-là, Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? »
Jésus lui dit : « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul.
Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. »
L’homme répondit : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. »
Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. »
Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.
Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! »
Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit : « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu !
Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. »
De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « Mais alors, qui peut être sauvé ? »
Jésus les regarde et dit : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »

COMMENTAIRE

La parole de Dieu en ce dimanche nous fait entendre l’invitation de Jésus qui vaut pour toutes les époques : « Viens, suis-moi. Marche courageusement avec moi. » Cette invitation est plus que jamais d’actualité alors que plusieurs ont la foi triste devant le paysage désolé de bon nombre de nos paroisses. Ce à quoi certains répondent que ce n’est pas là le réflexe de vrais chrétiens. Il faudrait plutôt être joyeux et optimistes, comme si les déconvenues de l’Église ne nous concernaient pas, que c’était avant tout l’affaire du Seigneur.

Il ne faudrait pas confondre optimisme béat et espérance, car nous ne sommes pas des êtres désincarnés. Jésus lui-même dans l’évangile aujourd’hui n’est pas indifférent au départ du jeune homme riche. L’évangéliste Marc prend la peine de noter que Jésus aima ce jeune homme en le voyant et, qu’à la suite de son incapacité à le suivre, Jésus exprima sa grande déception à ses disciples. C’est ce même Jésus qui va se lamenter sur le sort de Jérusalem et ses habitants, qui va pleurer devant le tombeau de son ami Lazare. Comment pourrait-il en être autrement pour nous ? Notre vie de foi ne peut se vivre en vase clos, comme si nous pouvions être indifférents aux soubresauts du monde autour de nous.

Nous vivons souvent des situations de vie qui nous blessent, qui nous déçoivent, ou qui nous désespèrent et, comme l’affirment les psychologues, il est constructif de pouvoir le reconnaître. La guérison commence toujours par la prise de conscience de ce qui nous heurte, de ce qui nous fait souffrir. C’est pourquoi il nous faut sans cesse remettre sur le métier la trame de nos vies à la lumière de l’évangile, avec ses joies et ses peines, laissant la puissance de résurrection du Christ agir en nous. Rien de plus thérapeutique !

Voyez Jésus dans sa rencontre avec le jeune homme riche. Il n’en reste pas à sa déception. « Tout est possible à Dieu », dit-il, quand ses disciples lui demandent « qui donc peut bien être sauvé ». C’est avec ce même regard de foi et d’espérance qu’il nous faut regarder la situation actuelle de l’Église et de notre monde. Tristes, nous devons l’être quand nous constatons que l’amour n’est pas aimé, comme le notait un moine du Moyen-Âge, quand nous constatons que l’amour est bafoué, mais adopter une attitude de désespoir, jamais ! Jamais, puisque le Christ est vainqueur ! C’est sur ce roc que nous devons grandir et appuyer notre foi.

De nos jours, les personnes que nous voyons aux eucharisties dominicales sont pour la plupart des survivants, qui ont traversé la grande épreuve de la sécularisation. Beaucoup sont des anciens, comme on les appelait dans les premiers temps de l’Église, c.-à-d. des aînés, mais avant tout des aînés dans la foi, qui par leur fidélité et leur persévérance, sont des porteurs et des gardiens de la bonne nouvelle de Jésus Christ.

C’est surtout cela qui me frappe quand je vois des fidèles rassemblés pour l’eucharistie. Fidèles ! On ne peut trouver de mot plus beau pour décrire ce qui habite le cœur des disciples du Christ. Elle est belle cette fidélité qui semble à toute épreuve, et où des parents et des grands-parents persévèrent dans leur foi, tout en portant le souci, parfois douloureux, de leurs enfants et de leurs petits-enfants, priant sans cesse pour eux. Elle est belle la fidélité de ces célibataires qui poursuivent leurs engagements dans leurs milieux de travail et dans la Cité, au nom même de leur amour du Christ et du prochain.

C’est cette même fidélité qui s’exprime quand nous portons douloureusement le monde avec ses souffrances et ses violences, car la foi en Dieu transforme notre cœur et notre regard sur le monde. Quand l’évangile prend racine en nous, il nous rend responsables, et il fait de nous des hommes et des femmes qui prennent au sérieux l’appel du Christ, qui savent tendre l’oreille et le cœur aux cris de détresse des plus proches comme des plus lointains.

C’est à ce radicalisme que nous sommes invités quand Jésus dit : « Viens suis-moi ».  Car le danger qui toujours nous guette, est soit de nous enfermer dans l’attitude du jeune homme riche, pour qui le défi évangélique semble trop coûteux, alors que c’est la vie même qui lui est proposée, ou encore, de ressembler à ces chrétiens qui, comme les deux disciples sur la route d’Emmaüs, ne savent plus parler de leur Seigneur qu’au passé, comme s’il n’était jamais ressuscité, comme s’il ne marchait pas avec nous.

Un évêque que j’ai eu la chance d’entendre prêcher un jour proclamait d’une voix forte dans son homélie : « Je suis fils de Dieu ! Avant même que le monde soit créé, Dieu pensait à moi. Il m’aimait déjà et il voulait me créer. Et ce monde avec ses galaxies a été fait pour MOI, car JE suis fils de Dieu. Et il me demande de m’y engager avec tout cet amour qu’il a mis en moi, car JE suis fils de Dieu ! »

Frères et sœurs, notre vocation personnelle, mystérieusement, était gravée dans le cœur de Dieu avant même que nous ne soyons nés. Dieu nous voyait déjà avant même la création du monde. Il se penchait avec amour sur le rêve en devenir que nous étions, posant son regard bienveillant sur chacun de ses enfants, encore à l’état de rêve, mettant en chacun d’eux un dynamisme de vie capable de regarder vers l’infini, capable de le reconnaître Lui pour qui il est : Dieu, notre Père.

C’est ce regard d’amour que pose Jésus sur le jeune homme riche, et sur chacune de nos vies, nous invitant à le suivre en laissant tout ce qui peut nous détourner de Dieu, car nos vies ne peuvent véritablement s’épanouir et s’accomplir si elles ne répondent pas à cet appel. Mais gloire soit rendue à notre Dieu, car l’assurance qui est la nôtre, et qui fonde notre espérance, est que rien n’est impossible à Dieu. C’est là la promesse qu’il nous fait en son Fils Jésus Christ.

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le 27e dimanche T.O. (B)

Couple et enfants

CEUX QUE DIEU A UNIS

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 10,2-16. 
Des pharisiens l’abordèrent et, pour le mettre à l’épreuve, ils lui demandaient : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? »
Jésus leur répondit : « Que vous a prescrit Moïse ? »
Ils lui dirent : « Moïse a permis de renvoyer sa femme à condition d’établir un acte de répudiation. »
Jésus répliqua : « C’est en raison de la dureté de vos cœurs qu’il a formulé pour vous cette règle.
Mais, au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme.
À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère,
il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair.
Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! »
De retour à la maison, les disciples l’interrogeaient de nouveau sur cette question.
Il leur déclara : « Celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre devient adultère envers elle.
Si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre, elle devient adultère. »
Des gens présentaient à Jésus des enfants pour qu’il pose la main sur eux ; mais les disciples les écartèrent vivement.
Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent.
Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. »
Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains.

COMMENTAIRE

« L’amour est aveugle, mais le mariage lui rend la vue. » Proverbe allemand

« Les amoureux rêvent, les époux sont réveillés. » (A. Pope).

Mieux vaut aborder le sujet du mariage avec un peu d’humour, car c’est un sujet délicat, aujourd’hui comme hier, alors que s’ouvre à Rome le Synode sur la famille. Nous le savons, le mariage traverse une crise sans précédent, et les couples chrétiens, déçus dans leur amour ou engagés dans une deuxième union, se sentent sûrement interpellés, sinon jugés par les paroles de Jésus aujourd’hui.

Bien sûr, Jésus nous rappelle le sérieux du mariage, le sérieux de nos vies et de nos engagements, mais lors de son ministère en Galilée, il a aussi témoigné d’un souci extraordinaire pour les blessés de la vie, rappelant ainsi à l’Église qu’elle a un devoir de compréhension et de compassion face à des millions de drames humains liés au mariage et qui affaiblissent les communautés chrétiennes. Je pense aux souffrances que vivent ces couples et ces familles, je pense au problème de l’accès à la communion eucharistique, ou encore à la difficulté d’un remariage à l’église. Le synode ne pourra pas faire l’économie d’une discussion en profondeur sur ces questions.

Par ailleurs, notre récit évangélique a une visée beaucoup plus large que la simple question du divorce. Alors que les pharisiens tendent un piège à Jésus en lui demandant s’il est permis de quitter sa femme, Jésus, en bon pédagogue, les questionne plutôt sur ce qu’a prescrit Moïse : « Moïse, disent-ils, a permis de renvoyer sa femme à condition d’établir un acte de répudiation. » Jésus réplique de façon assez brutale, que c’est en raison de la dureté de leur cœur que Moïse a permis une telle prescription.

Jésus n’est pas sans savoir que dans le Judaïsme, il y a différentes écoles de pensée au sujet du divorce. Certaines écoles rabbiniques affirment que le divorce n’est possible que dans le cas d’une immoralité grave, et donc qu’on ne peut divorcer à la légère. D’autres écoles, plus libérales, prétendent qu’une épouse peut être renvoyée sur-le-champ dès qu’elle déplaît à son mari.  L’on cherche donc à entraîner Jésus dans ce débat sur les motifs du divorce, mais Jésus invite plutôt ses interlocuteurs à une réflexion sur le sens du mariage. Il rappelle qu’au commencement Dieu créa l’homme et la femme en les appelant à ne former qu’une seule chair.

Pour comprendre l’intention de Jésus, il faut regarder le texte biblique qu’il invoque pour faire contrepoids à l’autorité de Moïse. Jésus affirme que Moïse a légiféré à cause de la dureté de cœur des hommes. Car il faut bien le dire, le divorce dans la société juive était avant tout le privilège des hommes, et une femme qui subissait un divorce se trouvait souvent mise à la rue du jour au lendemain, sur simple remise d’une lettre du mari. À moins d’être reprise par sa famille, l’épouse renvoyée de la maison de l’époux était souvent vouée, soit à la mendicité, soit à la prostitution. Jésus connaît trop bien l’existence de ces rapports de domination entre l’homme et la femme, et il s’attaque à cette loi du plus fort, à l’égoïsme des maris érigé en loi, mais il le fait avant tout en rappelant la beauté de la vocation de l’homme et de la femme dans le mariage.

En réponse à la loi de Moïse, Jésus cite le livre de la Genèse où l’homme et la femme sont créés égaux, et ont pour vocation d’être féconds comme Dieu. Car il y a une communion d’amour en Dieu, c’est ce que nous révèle le mystère de la Trinité, et de cette communion jaillit un amour fécond qui engendre la vie. Il en est de même pour l’homme et la femme. Créés à l’image de Dieu, ils sont appelés à la communion dans l’amour, communion qui trouve son accomplissement dans le mariage, où l’homme et la femme se complètent l’un l’autre et ne forment plus qu’un.

Bien sûr, ce mystère de communion et de fécondité vaut pour tous et toutes, chacun et chacune selon notre état de vie, mais le mariage en est l’expression la plus visible. Il agit comme un signe prophétique qui est là pour nous rappeler jusqu’où il faut aimer et donner de soi-même aux autres. Et cela prend toute une vie. C’est la perspective du mariage chrétien.

Dans le mariage, un être unique et irremplaçable m’est confié pour la vie, et à qui je me donne pour la vie, dans une fidélité qui se veut une réponse à l’appel et à la fidélité même de Dieu. Et c’est ainsi que l’homme et la femme ne forment plus qu’un seul oui pour toute la vie, qu’un seul et même projet d’amour, dans une fidélité sans faille, et dans le respect mutuel de chacun.

C’est tout cela la beauté et la grandeur du mariage que Jésus vient rappeler à ses interlocuteurs, alors que ces derniers semblent davantage préoccupés par les contraintes du mariage que de sa finalité. Jésus leur rappelle que le mariage est avant tout un projet de Dieu, la vocation la plus belle et la plus noble qu’il ait confiée à l’homme et à la femme, et où lui-même s’engage dans la réalisation de cette union, puisque c’est lui qui unit les époux : « Ce que Dieu a uni… », dit Jésus.

C’est pourquoi l’Église a le devoir de nous rappeler sans cesse la grandeur de ce mystère d’amour et l’importance d’y être fidèle. Mais elle ne peut oublier ceux et celles qui ont connu l’échec dans ce projet de vie, car l’on ne saurait encourager les uns sans soutenir les autres, puisque Jésus est venu relever ce qui est faible, pauvre et blessé en nous.

L’échec ne doit pas faire de nous des exclus, du moins ce n’est pas ce que l’Évangile nous enseigne, sinon nous serions tous des exclus. Le radicalisme évangélique est avant tout un radicalisme de la miséricorde dont nous avons tous besoin. Et toutes nos belles paroles, tous nos beaux discours ne seront que de pieux bavardages, si la miséricorde de Jésus n’a pas le dernier mot en Église. C’est pourquoi il nous faut prier sans cesse pour que ce défi soit relevé dans notre Église, et plus particulièrement pendant ce synode sur la famille qui se tient à Rome !

Terminons cette réflexion comme nous l’avons commencée, avec un proverbe chinois : « Les grands bonheurs viennent du ciel, mais les petits bonheurs viennent de l’effort. » C’est la grâce que je nous souhaite.

Yves Bériault, o.p.

Famille de trois enfants

Portrait of family with three kids (6-7, 2-3, 6-11 months)