L’Église du pape François

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Dès l’annonce officielle de son programme, le 23 novembre 2013 (dans l’exhortation sur «la joie de l’Evangile»), il faisait cet acte de foi:

«Je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort qui consiste à s’accrocher à ses propres sécurités.»

Homélie pour la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens

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La semaine qui commence est une semaine de prière, de rencontres et de réflexions visant à permettre un rapprochement entre les différentes confessions chrétiennes. Parfois, je serais tenté d’appeler cette semaine la Semaine de prière pour l’unité des théologiens et des chefs d’Église, car l’on pourrait très bien dire que nous n’y sommes pour rien si les Églises sont divisées. C’est en haut lieu que ces questions se sont décidées, entre chefs d’Églises, entre les rois et les chefs de guerre. Les peuples n’ont fait que suivre.

Certains pourraient dire que nous ressemblons aux enfants du divorce qui, sans être responsables du divorce de leurs parents, se retrouvent à vivre avec l’un des deux, et qui aujourd’hui, prient afin qu’ils se rapprochent et se réconcilient.

Bien sûr, en rester à une telle vision serait certainement réducteur, car nous avons notre part de responsabilité face à l’avenir, et il faut bien reconnaître que les germes de divisions qui déchirent l’Église sont aussi en nous.

C’est pourquoi la semaine de prière pour l’unité des chrétiens n’est pas tout à fait une fête. On ne peut quand même pas célébrer une blessure, surtout lorsqu’elle atteint le corps du Christ, et qu’elle devient un scandale aux yeux de tous. Cette semaine n’a de sens que si elle est vécue en quelque sorte comme un mini-carême, un temps de pénitence, de prière et de réconciliation, une semaine où l’on prend le temps de se reconnaître divisés, et blessés par cette situation, car l’avenir de l’Église doit nous tenir à coeur.

C’est le bienheureux pape Paul VI qui disait : « L’on ne peut aimer le Christ si l’on n’aime pas l’Église ». Cette semaine de prière est une occasion idéale pour réfléchir non seulement à notre attitude à l’endroit des chrétiens des autres confessions, mais aussi à notre propre appartenance à l’Église.

Est-ce que par notre attitude les gens qui nous entourent sentent chez nous un amour réel de l’Église, un attachement à sa Tradition, un souci affectueux pour ses difficultés, une solidarité avec les défis auxquels elle doit faire face? Ou donnons-nous l’impression d’adolescents en guerre avec leurs parents  qui, à la moindre occasion, en profitent pour les critiquer?

Car je dois vous avouer que j’ai toujours souffert de voir des chrétiens et des chrétiennes dénigrer leur Église sous prétexte qu’ils ne sont pas d’accord, ou parce qu’elle ne prend pas les décisions qu’eux-mêmes prendraient s’ils étaient pape ou évêque. À partir du moment où on ne reconnaît plus ces derniers comme nos frères qui ont la charge de nous conduire, qui font leur possible et donnent habituellement le meilleur d’eux-mêmes, l’on s’engage déjà sur la pente de la division.

Mais ici il faut bien nuancer. Le droit de critique est essentiel. C’est un droit fondamental dans nos sociétés, et il faut bien reconnaître que les baptisés n’ont pas toujours le sentiment d’être entendus dans leur Église. Il y a certainement des progrès à faire sur ce point. Mais cela ne peut justifier le manque d’amour dans les critiques que l’on entend parfois, l’aigreur, sinon l’hostilité, qui laissent croire que ce ne sont pas là des sentiments animés par l’Esprit Saint, car ces attitudes sont trop humaines et relèvent davantage de frustrations que d’un esprit évangélique.

Qui de nous n’a pas été complice de telles attitudes à l’occasion? Rappelons-nous que l’Esprit de Dieu n’est pas un Esprit de rancune, de jalousie ou de haine, et que c’est dans de telles attitudes que commencent les schismes et les divisions qui déchirent le Corps du Christ.

Cette semaine vient nous rappeler l’importance d’aimer l’Église et son mystère, car on ne peut aimer l’Église uniquement dans ses institutions. Le grand corps de l’Église, ce sont avant tout ses membres, présents et passés, qu’il s’agisse d’un saint Paul, d’un saint François, d’une sainte Thérèse de Lisieux, de nos défunts, de vous et de moi. Nous sommes tous réunis dans une même communion, grâce à l’Esprit Saint, qui nous fait vivre de la vie du Christ.

Quand je dis qu’il nous faut aimer l’Église et son mystère, c’est de toute cette réalité que je veux parler. J’englobe à la fois le présent, le passé et l’avenir de l’Église. Je pense à tous ceux et celles qui ont mis leur foi en Dieu, depuis notre Père Abraham, jusqu’aux plus modestes témoins d’aujourd’hui, dont la vie et les actions sont marquées par l’évangile.

Le mystère de l’Église s’exprime tout autant chez les moines et les ermites que dans les familles chrétiennes, chez les veufs et les veuves, chez les célibataires, chez les couples qui célèbrent modestement leur foi ensemble à la maison. Ce mystère de l’Église s’exprime tout autant dans la vie des grands saints que dans la vie de tous ces hommes et ces femmes anonymes qui n’ont cessé de se mettre au service de leurs frères et de leurs soeurs en humanité, à cause de cette vie du ressuscité qui les appelle et les fait vivre.

Cette Église, elle est tout aussi présente dans les grandes cathédrales et les monastères du monde, que dans les soupes populaires de nos villes, que dans les taudis de Calcutta ou du Nunavut. Partout nous trouvons des chrétiens et des chrétiennes engagées au nom de leur foi en Jésus-Christ, et ce, indépendamment de leurs confessions chrétiennes.

C’est toute cette Église qu’il nous faut aimer et reconnaître, tout autant sur la place Saint-Pierre de Rome, qu’à la cathédrale de Québec, dans la plus petite des églises de nos villages, chez nos frères et nos soeurs dans la foi que nous appelons « séparés ». Chez eux, comme chez nous, il y a ce même mystère d’une présence qui est à l’oeuvre et qui nous appelle. Il y a cette même présence de Jésus Christ et de son Esprit, car il est fidèle à sa promesse de nous être présent, au fil du temps et des siècles, lui le cœur battant de cette grande maison que nous appelons l’Église, et qui en a fait sa demeure. « Venez et voyez nous dit-il. »

Frères et soeurs, demandons à Dieu, en cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens, de nous aider à grandir dans notre attachement à l’Église, Peuple de Dieu, car comment prétendre aimer le Christ, si nous n’aimons pas l’Église? N’a-t-il pas donné sa vie pour elle?

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le Baptême du Seigneur (B)

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Le baptême de Jésus marque le début de son ministère public, alors que la voix du Père se fait entendre et nous dévoile sa véritable identité : « C’est toi mon Fils bien-aimé; en toi j’ai mis tout mon amour ».

Il est important de préciser que ce baptême qu’il reçoit, ce n’est pas encore le baptême chrétien. Il s’agit d’une démarche de pénitence et de conversion, qui est propre à Jean Baptiste, et qui survient alors qu’il y a une grande effervescence dans toute la Judée. De plus en plus, des voix se font entendre pour dire que le messie va bientôt venir, que Dieu va enfin accomplir sa promesse de salut.

Alors que certains se demandent si Jean Baptiste n’est pas le Messie tant attendu, ce dernier annonce la venue d’un plus puissant que lui. Quand il le reconnaît en la personne de Jésus, il s’étonne de sa présence dans les eaux du Jourdain. Il est décontenancé par ce Messie qui prend place parmi les pécheurs, et qui vient se faire baptiser par lui. Mais pourquoi Jésus se fait-il baptiser?

Faut-il le rappeler, le Fils de Dieu, en se faisant homme, assume pleinement notre condition humaine. Il la prend sur lui avec son poids de péché et il marche avec nous. Il se fait solidaire de tous ceux qui se présentent à Jean-Baptiste en quête de pardon. Son baptême est l’expression de son amour pour nous, un amour qui se donnera jusqu’à la mort. Par ce baptême qu’il reçoit, Jésus nous prend sur ses épaules, comme il a pris sa croix, comme le berger prend sur lui la brebis blessée. Il prend sur lui nos péchés et il se fait baptiser avec tout le peuple, solidaire de lui, solidaire de nous.

L’iconographie orientale a bien saisi ce mystère du Baptême de Jésus, le représentant se faisant baptiser dans un tombeau rempli d’eau. Ces eaux symbolisent à la fois la mort et le shéol, le lieu où sont en attente tous les défunts depuis Adam et Ève, et que Jésus va aller chercher. Elles symbolisent aussi la vie, ces eaux vives que le Christ va offrir à la Samaritaine, ces eaux qu’il va transformer en vin des noces, comme à Cana.

Les icônes du baptême de Jésus sont très semblables à celles de sa résurrection des morts, et dans cette vision du Christ qui se fait baptiser, c’est déjà le Christ victorieux qui nous est présenté au début des évangiles. Plongé dans l’eau de la mort, il en ressort victorieux, et il nous entraine avec lui vers l’autre rive, où nous attend le Père. Voilà le mystère que contemple l’Église en cette fête du Baptême du Seigneur.

Par ailleurs, ce qui se produit au baptême de Jésus est une anticipation de notre propre baptême dans le Christ. Chacun et chacune de nous avons été marqué par le don de l’Esprit Saint à notre baptême et, depuis ce jour, jusqu’à notre entrée dans l’éternité de Dieu, se fait entendre cette voix intérieure qui nous dit : « Tu es ma fille bien aimée, tu es mon fils bien-aimé, en toi j’ai mis tout mon amour. »

Mais quelles sont les conséquences de ce baptême pour nous et pour ce monde où nous vivons? C’est là une question pressante et difficile, en ces jours où la violence semble se faire omniprésente autour de nous.

Il est clair que lorsque la violence est légitimée, quand elle est perçue comme la voie normale pour affirmer sa personne ou ses idées, comme à Paris ces derniers jours, nous sommes alors confrontés à un lamentable échec de notre humanité. C’est le mal qui triomphe, c’est Caïn qui tue Abel encore une fois. Par ailleurs, si les sociétés sont en droit de se protéger, elles ont aussi le devoir de s’interroger quant aux causes de ces violences, tout en évitant de diaboliser l’adversaire, car il y a là un piège.

Parfois la violence est inévitable, lors d’une guerre ou en cas de légitime défense, mais la violence qui est le fruit de la haine ou du désir de vengeance, ne peut qu’alimenter de nouvelles violences. C’est Sylvie Germain, écrivaine française catholique, qui dégage cette analyse de la pensée d’Etty Hillesum sur la haine, cette jeune juive tuée à Auschwitz en 1943 :

« La haine n’est pas seulement la voie la plus facile […]; la haine est aussi la voie la plus dangereuse, la plus trompeuse, elle est sans issue. Là où se lève la haine en réaction à une violence, à un outrage, à une injustice subie, le mal triomphe, car la victime, aussi innocente soit-elle, se laisse alors atteindre au plus intime de son être […] par la maladie du mal. »

Quand nous cédons à la haine et à la vengeance, nous devenons complices du mal, et nous alimentons à notre tour cette bête insatiable en nous. En tant que disciples du Christ, il est de notre devoir de préserver en nous notre humanité à tout prix. C’est ce que notre vie baptismale exige de nous et rend possible en nous. Etty Hillesum écrivait dans son journal :

“Si la paix s’installe un jour, elle ne pourra être authentique que si chaque individu fait d’abord la Paix en soi-même, extirpe tout sentiment de haine pour quelque race ou quelque peuple que ce soit. » (Juin 1942)

Bien sûr, c’est là un grand défi, mais il est possible de le relever, car Jésus lui-même nous y invite. Faut-il le rappeler : notre baptême nous configure au Christ, et nous rend vainqueurs du mal avec lui. Bien sûr, c’est un long travail d’enfantement qui se fait en nous, un patient travail de guérison, où nous connaitrons des échecs, mais Jésus nous a ouvert le chemin du pardon et de l’amour du prochain. Il faut accepter de nous y engager courageusement avec lui. Telle est notre foi. Et quand des frères et des soeurs deviennent nos ennemis, plutôt que de les haïr, Jésus nous apprend à pleurer avec lui sur notre pauvre monde, à pardonner avec lui, à prier avec lui, afin que l’amour ne s’éteigne pas en nous.

En cette fête du baptême du Seigneur, demandons-lui la grâce de vivre pleinement notre baptême, et ainsi rendre témoignage de l’évangile au coeur de notre monde. La paix véritable est à ce prix.

Yves Bériault o.p.

Homélie pour la fête de l’Épiphanie du Seigneur

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 2,1-12. 
Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem
et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu se lever son étoile et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
En apprenant cela, le roi Hérode fut pris d’inquiétude, et tout Jérusalem avec lui.
Il réunit tous les chefs des prêtres et tous les scribes d’Israël, pour leur demander en quel lieu devait naître le Messie. Ils lui répondirent :
« A Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète :
Et toi, Bethléem en Judée, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Judée ; car de toi sortira un chef, qui sera le berger d’Israël mon peuple. »
Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ;
puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. »
Sur ces paroles du roi, ils partirent. Et voilà que l’étoile qu’ils avaient vue se lever les précédait ; elle vint s’arrêter au-dessus du lieu où se trouvait l’enfant.
Quand ils virent l’étoile, ils éprouvèrent une très grande joie.
En entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
Mais ensuite, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

COMMENTAIRE

Je me souviens alors que j’étais enfant, la fête de l’Épiphanie était le moment tant attendu, où l’on pouvait enfin placer dans la crèche, sous le sapin, les trois Rois Mages, tout près du berceau de Jésus. Nous trouvions toujours que c’était un peu tard nous les enfants. Après tout, le sapin avait donné le meilleur de lui-même et il ne lui restait plus que quelques jours à orner le salon familial.

La préparation de la crèche de Noël ressemblait à s’y méprendre à la préparation d’une pièce de théâtre, où nous placions nos différents personnages. Les personnages des Rois Mages étaient sans doute les plus fascinants de la crèche, avec leurs vêtements somptueux, leurs chameaux et leurs présents d’or, d’encens et de myrrhe. À travers eux, c’est la merveilleuse histoire de Noël qui se déroulait sous nos yeux, et notre foi d’enfant prenait peu à peu son envol à travers cette mise en scène annuelle de notre crèche familiale.

Toutefois, nous n’étions pas conscients de l’intrigue qui se jouait autour de nos Rois Mages et de l’enfant Jésus. « Le roi Hérode fut pris d’inquiétude, et tout Jérusalem avec lui », nous dit l’évangéliste Matthieu. Que savions-nous en effet de la peur qui s’était emparée de Jérusalem, quand les mages annoncèrent à Hérode la naissance du Messie; que savions-nous de l’inquiétude des élites religieuses, ou des sombres intentions du roi Hérode?

L’histoire des rois mages est comme une parabole où le sens est beaucoup plus riche qu’il ne semble à première vue. Derrière la joie qui se manifeste la nuit de Noël, une terrible tragédie se met déjà en branle, mais qui n’est pas représenté lorsque nous montons nos crèches de Noël.

Aussitôt que Jésus vient au monde, sa vie est en danger, car comme le chante Marie dans son Magnificat, il vient disperser les superbes, et renverser les puissants de leurs trônes. Pas étonnant qu’Hérode et tous les pouvoirs cruels et malveillants de ce monde, s’opposent à lui et à son message de paix. Cet enfant est l’envoyé du Père qui vient nous aider à changer nos mentalités, nos façons de faire, en guérissant nos cœurs blessés. Il vient nous aider à remplacer l’égoïsme par l’amour, à surmonter le péché par la grâce, et ainsi participer à sa victoire sur le mal. Aujourd’hui, nous célébrons la manifestation de cet amour pour notre monde. C’est la fête de l’Épiphanie!

L’Épiphanie! Ce mot signifie pour nous la révélation de la gloire de Dieu sous une forme humaine. « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous », nous dit l’évangéliste Jean. La nouvelle de son Incarnation est manifestée au monde lors de la venue des Rois Mages, qui viennent des confins de l’Orient. Avec eux nous contemplons le mystère qui a été dévoilé à Bethléem, l’Emmanuel, Dieu avec nous. Les Rois Mages représentent toutes les nations de la terre qui cherchent dans la nuit, une lumière pour les guider et qui la trouvent chez cet enfant couché dans une mangeoire. La venue des Mages à la crèche est comme l’accomplissement de la prophétie d’Isaïe qui proclamait : « Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. »

L’Épiphanie! Une histoire qui fascine jeunes et vieux, mais qui n’est pas sans conséquence pour ceux et celles qui mettent leur foi en ce jeune enfant. Le récit évangélique que nous avons entendu aujourd’hui se termine ainsi : « Tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Mais ensuite, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin. »

« Par un autre chemin », nous dit l’évangéliste. Suivre le Christ signifie s’engager dans une nouvelle direction, sur des chemins contraires aux Hérode de ce monde; il s’agit d’une suite marquée par l’Esprit de Jésus, où l’on marche sur ses traces, dans ses pas à lui, où l’on devient comme lui.

Mais qu’ont fait les Mages avant de partir par un autre chemin? Ils ont ouvert leurs trésors et les ont offerts à Jésus en hommage. Si nous tentons d’interpréter ce passage de manière spirituelle et symbolique, il signifie que si nous acceptons de nous laisser conduire sur des chemins nouveaux par l’Esprit du Seigneur, il nous faut tout d’abord offrir à Dieu notre trésor, ce que nous possédons de plus précieux.

Et quel est ce trésor? C’est notre désir. Notre désir de faire le bien, de goûter le vrai bonheur; notre désir de nous faire proches de Dieu et du prochain, notre désir d’être bon. C’est là le plus beau trésor que nous puissions offrir à Dieu. En d’autres mots, ce désir c’est faire nôtre cette prière silencieuse du prêtre juste avant la communion où il demande à Dieu : « Fais que je demeure fidèle à tes commandements et que jamais je ne sois séparé de toi. »

Quant à Dieu lui, Il est prêt à tout nous donner. Rappelez-vous les paroles du Père au fils aîné dans la parabole de l’enfant prodigue : « Mon enfant, tout ce qui est à moi est à toi. » Ces paroles sont pour chacun et chacune de nous, et c’est cette promesse incroyable qui trouve son accomplissement avec la naissance du Messie, et qui est proclamée au monde entier lors de la venue des Rois Mages. C’est cela l’Épiphanie! La promesse de Dieu qui se fait chair, qui se fait l’un de nous et qui se donne à nous comme le plus incroyable des cadeaux.

Alors, comme les Rois Mages, adorons nous aussi l’enfant de la crèche. Il s’offre à nous désormais dans l’eucharistie, ce lieu privilégié de la manifestation du Fils de Dieu au monde. Offrons-nous à lui en cette fête, offrons-Lui le meilleur de nous-mêmes, afin qu’Il puisse faire de nous, comme il est dit dans notre prière eucharistique, une éternelle offrande au Père. Ainsi, nous pourrons nous engager sans crainte sur les chemins imprévus de la vie, guidés par l’étoile des Mages, avec cette assurance que l’Emmanuel marche avec nous et qu’avec lui nous serons vainqueurs. Amen.

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour la solennité de Sainte Marie Mère de Dieu

Sainte Marie Mère de Dieu

C’est à l’initiative du pape Paul VI, en 1968, que le premier janvier fut consacré Journée mondiale de la Paix. Si l’on s’arrête à cette époque, la crise de Cuba avec ses ogives nucléaires avait conduit le monde au seuil d’un conflit international; la Guerre froide était toujours à l’ordre du jour de l’échiquier mondial; la guerre du Vietnam faisait rage, et il faudra attendre encore une vingtaine d’années avant l’écroulement du Mur de Berlin et le démantèlement de l’Union Soviétique. Paul VI était convaincu que le monde avait besoin de consacrer la première journée de la nouvelle année à la paix, afin de rappeler à l’humanité que la paix est notre défi le plus fondamental. Il en va de notre survie.

Depuis le début de son pontificat, le pape François ne cesse de nous rappeler les énormes défis que le monde doit affronter s’il veut véritablement bâtir une paix durable. Dans son message au monde pour le 1er janvier 2015, il démasque les multiples visages de l’esclavage d’hier et d’aujourd’hui et nous invite à « résister à la tentation de nous comporter de manière indigne de notre humanité ». Dans son message qui a pour titre « non plus esclaves, mais frères », il dénonce à la fois les guerres, la corruption, la violence faite aux enfants, le trafic humain, les dérives de la mondialisation et le mépris des pauvres.

Mais le cœur de son message vise à rappeler au monde que, tous autant que nous sommes sur cette terre, nous sommes tous frères et sœurs, avant d’être des ennemis. Et s’il y a une mondialisation que nous devons réaliser au nom de l’évangile, c’est celle de la solidarité, de la justice et de la fraternité.

Quand le péché corrompt le cœur de l’homme, dit le pape François, et l’éloigne de son Créateur et de ses semblables, ces derniers ne sont plus perçus comme des êtres d’égale dignité, comme frères et sœurs en humanité, mais sont vus comme des objets, ce qui justifie alors tous les esclavages. On oublie alors que : « Tous sont aimés de Dieu, tous ont été rachetés par le sang du Christ, mort et ressuscité pour chacun. » Voilà ce que l’Église proclame sans cesse au monde.

La liturgie d’aujourd’hui, dans le prolongement de la fête de Noël, nous fait voir cette nécessité de la paix en notre monde dans une perspective beaucoup plus large que la simple absence de conflit. L’évangile nous enseigne que la véritable paix est un don de Dieu, et que cette paix trouve son fondement dans ce don unique au monde du Prince de la Paix, Jésus Christ.

Le deuxième point central de notre célébration, en ce premier Jour de l’An, est la fête en l’honneur de la Vierge Marie, alors que se termine l’octave de Noël. Si notre attention à Noël était tout orientée vers la naissance du Sauveur, aujourd’hui nous contemplons sa mère à qui nous avons donné le titre de Sainte Mère de Dieu. L’affirmation est plus qu’audacieuse. Marie Mère de Dieu! Comment cela est-il possible? Comment Dieu peut-il avoir une mère?

Ce titre, « Sainte Marie Mère de Dieu », a été proclamé solennellement lors du grand Concile d’Éphèse en l’an 431, et repris au Concile de Chalcédoine, vingt ans plus tard, afin d’affirmer la doctrine chrétienne concernant la divinité de Jésus. Une grave crise sévissait alors dans l’Église où certains remettaient en question que Jésus soit à la fois vrai Dieu et vrai homme. La formule « Sainte Marie Mère de Dieu », a alors été énoncé non pas tant pour glorifier la Vierge Marie, que pour affirmer la véritable nature de celui qu’elle a donné au monde : Jésus Christ qui tout en étant vrai homme, est vraiment Dieu.

En cette fête de Sainte Marie, Mère de Dieu, nous sommes invités à contempler à la fois la bénédiction qui nous est faite en Jésus Christ, l’Emmanuel, Dieu parmi nous, le Prince de la paix, ainsi que celle qui a reçu une telle bénédiction de concevoir l’Homme-Dieu. Lorsque l’ange Gabriel salut Marie, il lui dit « Je te salue, pleine de grâce », c’est-à-dire comblée de la grâce de Dieu; elle est par excellence celle sur qui le nom de Dieu a été prononcé. C’est pourquoi elle est « bénie entre toutes les femmes… »

Sa cousine Élisabeth dira de Marie « bienheureuse celle qui a cru! » Avant d’être une maternité physique, ce qui se vit en Marie c’est une maternité spirituelle : « Elle conçoit le Christ dans son cœur avant de le concevoir dans son sein. » Augustin dira « qu’il est plus grand pour Marie d’avoir été disciple du Christ que d’avoir été mère du Christ. » Ce mystère nous concerne en tout premier lieu.

Car comme le veut le vieil adage : « Telle mère, telles filles, et tels fils », car nous aussi nous sommes disciples du Christ, participant au même mystère que Marie, notre Mère.

En honorant la maternité de Marie aujourd’hui, nos regards se portent à la fois sur elle en tant que modèle de foi et, surtout, sur l’extraordinaire mystère de sa maternité où Dieu se donne au monde. C’est cette bénédiction sur notre humanité, que nous célébrons au début de chaque nouvelle année, car Dieu s’est fait l’un des nôtres, il y a deux mille ans, il nous a bénis et comblé de sa présence.

Marie, par sa maternité, est Parole de Dieu en acte, elle porte le Verbe de Dieu, elle est « enceinte de la Parole de Dieu », et elle la donne au monde sans rien retenir pour elle-même.

C’est pourquoi Marie se retrouvera au cœur de l’assemblée des Apôtres à la Pentecôte. Elle poursuit sa tâche de Mère, car les disciples du Christ lui deviennent des fils et des filles qu’elle va accompagner à leur tour de sa foi et de sa prière maternelle.

En ce début d’année 2015, alors que la paix demeure toujours quelque chose de précaire et de fragile en notre monde, nous nous confions à Dieu. Nous lui confions nos familles, ceux et celles que nous aimons, nous lui confions notre monde dans sa recherche du bonheur, nous prions pour les pays en guerre, pour ceux et celles qui sont persécutés, et nous invoquons la prière de notre Mère du ciel sur nous : Sainte Marie Mère de Dieu, Mère de l’Église, Mère des disciples, priez pour nous ! Amen.

Yves Bériault, o.p.

[1] Augustin. Sermons 215, 4, PL 38, 1074.