Homélie pour la solennité de Sainte Marie Mère de Dieu

Je me souviens comme plusieurs d’entre vous sans doute de la traditionnelle bénédiction du Jour de l’An. À titre d’ainé de la famille, il me revenait d’aller voir mon père avec ma sœur et, en m’agenouillant, de lui demander de nous bénir pour la nouvelle année. Le malaise était palpable, tant de mon côté que chez mon père qui se prêtait néanmoins, avec beaucoup de solennité et une émotion à peine retenue, à ce geste qui pendant quelques secondes semblait entrebâiller une porte qui ouvrait sur le sacré, sur une présence secrète de Dieu au cœur de notre famille.

Les textes de la fête d’aujourd’hui parlent beaucoup de bénédiction. Et ce n’est pas un hasard si le début de la nouvelle année est marqué au plan liturgique par ce lien très fort entre la maternité de Marie de Nazareth et la bénédiction de Dieu sur nous. 

Mais en quoi consiste une « bénédiction » ? Bénir est un mot latin qui vient de « bene dicere », et qui signifie « dire du bien ». Quand Dieu bénit, il dit du bien de nous. Ce qui n’est pas étonnant puisqu’il nous aime. C’est cette émotion qui anime les parents lorsqu’ils bénissent leurs enfants. Ils ne voient alors en eux que ce qui est bon et ils souhaitent leur bonheur, ils bénissent à la fois leur présent et leur avenir. Que dire alors de la bénédiction de Dieu ! Quand Dieu dit du bien de nous, sa Parole agit en nous, elle nous transforme, elle nous fait du bien. Être « béni », c’est être dans la grâce de Dieu, c’est vivre en harmonie avec Lui. 

Cela ne nous évitera pas pour autant les difficultés et les épreuves, nous le savons trop bien, mais celui ou celle qui vit dans la bénédiction de Dieu, traversera les épreuves de la vie en tenant la main de Dieu, sûr de sa présence. 

Mais quel est le lien que fait la liturgie d’aujourd’hui entre son insistance sur la bénédiction qui vient de Dieu, et la fête de Sainte Marie Mère de Dieu ? Car l’affirmation est plus qu’audacieuse. Marie Mère de Dieu ! Comment cela est-il possible ? Comment en est-on venu à lui donner un tel titre de gloire ? N’est-ce pas insensé ? Comment Dieu peut-il avoir une mère ?

Ce titre « Sainte Marie Mère de Dieu » a été proclamé solennellement lors du grand Concile d’Éphèse en 431, et repris au Concile de Chalcédoine, vingt ans plus tard, afin d’affirmer la doctrine chrétienne concernant la divinité de Jésus. Certains remettaient en question l’affirmation que Jésus soit à la fois vrai Dieu et vrai homme. Une grave crise sévissait alors dans l’Église où certains remettaient en question la nature divine de Jésus. 

La formule « Sainte Marie Mère de Dieu », a alors été énoncé non pas tant pour glorifier la Vierge Marie, que pour prendre acte d’un fait, pour affirmer la véritable nature de celui qu’elle a donné au monde : que Jésus Christ, tout en étant vrai homme, est vraiment Dieu.

En cette fête de Sainte Marie, Mère de Dieu, nous sommes invités à contempler à la fois la bénédiction qui nous est donnée en Jésus Christ, l’Emmanuel, Dieu parmi nous, ainsi que celle qui a reçu une telle bénédiction de concevoir l’Homme-Dieu. Lorsque l’ange Gabriel a salué Marie, il lui a dit « Je te salue, pleine de grâce », c’est-à-dire comblée de la grâce de Dieu. Marie est par excellence celle sur qui le nom de Dieu a été prononcé. C’est pourquoi elle est bénie entre toutes les femme .

Élisabeth sa cousine dira de Marie : « Bienheureuse celle qui a cru ! » Avant d’être une maternité physique, ce qui se vit en Marie est une maternité spirituelle. Et c’est ainsi que saint Augustin dira de Marie : « Elle conçoit le Christ dans son cœur avant de le concevoir dans son sein, et c’est pourquoi, ajoute-t-il, qu’il est plus grand pour Marie d’avoir été disciple du Christ que d’avoir été mère du Christ.»

En honorant la maternité de Marie aujourd’hui, nos regards se portent à la fois sur elle en tant que modèle de foi, ainsi que sur l’extraordinaire mystère de sa maternité, qui est une bénédiction pour notre humanité, et que nous proclamons à nouveau en ce début d’année. Car Dieu s’est fait l’un des nôtres il y a deux mille ans, l’Absolu s’est incarné, il nous a bénis et comblé de sa présence.

Les Pères de l’Église, en accord avec toute la Tradition, ont vu en Marie la « figure de l’Église », celle qui nous précède, qui est là au tout début, porteuse d’un mystère qui la dépasse, en même temps qu’elle nous devance et nous entraine dans le mystère de la vie et la mort de Celui qui nous aima jusqu’au bout. La Vierge Marie est par excellence, « figure de l’Église », expression de son mystère le plus profond. Elle porte le Verbe de Dieu, elle est enceinte de la Parole de Dieu, et elle la donne au monde sans rien retenir pour elle-même. 

C’est pourquoi Marie se retrouvera au cœur de l’assemblée des apôtres et des disciples à la Pentecôte. Elle poursuit sa tâche de Mère, car les disciples du Christ lui deviennent des fils et des filles qu’elle va accompagner à leur tour de sa foi et de sa prière maternelle. Sainte Marie Mère de Dieu, mère de l’Église, mère des disciples !

En ce début d’année 2023, alors que la paix demeure toujours fragile en notre monde, nous nous confions à la miséricorde de Dieu. Nous invoquons sa bénédiction sur nous. Nous lui présentons nos familles, ceux et celles que nous aimons, nous lui confions notre monde dans sa quête de bonheur, nous prions pour les pays en guerre, nous prions pour tous les réfugiés, nous prions pour ceux et celles qui sont persécutés, pour ceux et celles qui souffrent et nous invoquons la prière de notre mère du ciel sur nous. 

Ensemble, en cette fête de Sainte Marie Mère de Dieu, prions-la ensemble : « Je vous salue Marie… »

Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour la Nativité du Seigneur

Ce soir, nos églises, nos cathédrales et nos basiliques, de la baie James à lac Mégantic, de Kuujjuaq à l’Abitibi, se remplissent comme à aucun autre moment de l’année, en cette nuit où nous célébrons la naissance de Jésus de Nazareth, il y a deux mille ans. Nous appelons cette fête la Nativité du Seigneur, c.-à-d. la venue de Dieu parmi nous. Quant au mot Noël, c’est l’expression populaire pour désigner la fête, un mot dérivé du latin natale qui veut dire naissance. Cette fête fait maintenant partie du patrimoine de l’humanité et aucune fête chrétienne n’a connu une telle popularité, bien que la fête de Pâques soit la plus grande de toutes les fêtes.

Le temps de Noël évoque à la fois une ambiance festive et familiale, où on se surprend à vouloir décorer nos villes et nos villages. Cette joie du temps des fêtes semble indissociable d’une fête de la lumière, comme si au cœur de nos nuits, on attendait la venue de quelqu’un, de quelque chose d’extrêmement précieux. Les gens aiment se mettre le cœur en fête en ce temps de l’année, comme si un appel lointain retentissait même dans les cœurs les plus indifférents. Noël est une fête qui éveille le goût de donner, surtout le goût de se donner, ce qui explique sans doute pourquoi Noël est l’un des temps de l’année où les bénévoles se font les plus nombreux aux portes des organismes d’entraide, et où les réunions de familles et d’amis deviennent l’occasion de revoir tous ceux et celles qui comptent beaucoup dans nos vies. C’est avec raison que nous parlons de Noël comme d’une fête de l’amour.

Tout comme les bergers répondant à l’appel de l’ange, nous voici rassemblés autour de la crèche. Bien des raisons nous ont sans doute amené ici ce soir : les amis, la famille, le hasard, la tradition, l’appartenance et la foi, le goût de célébrer. Mais, quels que soient les chemins qui nous ont amenés ici, nous témoignons par notre rassemblement d’une recherche commune, malgré tout ce qui peut nous différencier les uns des autres, d’où que nous sommes.

Bien plus que par tradition ou par amour des cantiques de Noël, il est bon de reconnaître que la décision de venir à la messe de la nuit de Noël relève aussi d’une quête spirituelle, d’un profond désir de se rapprocher du mystère de la vie. Comment expliquer sinon qu’en pleine nuit, au cœur de l’hiver, autant de gens se déplacent et convergent vers une église comme d’un commun accord? Les églises demeurent les lieux privilégiés de cette recherche spirituelle, avec tout ce qu’elles portent de tradition et de la vie de prière de tous ceux et celles qui nous ont précédés dans la foi. 

Cette nuit de Noël, nous fait communier à une longue histoire, qui se perpétue au fil des siècles, et tout comme l’ont fait nos ancêtres, nous sommes privilégiés d’être ici ce soir avec ceux et celles que nous aimons, en communion avec ceux et celles qui sont absents, portant chacun et chacune de nous des rêves, des personnes, des besoins, que nous présentons à l’Enfant-Dieu de la crèche. En fait, nous sommes engagés ensemble dans une démarche de foi alors que nous fêtons la naissance du Sauveur.

Mais que célébrons-nous au juste? Quel est le sens profond de cette fête qui rassemble des millions de croyants en cette nuit bénie, de la Terre de Feu jusqu’au Pôle Nord; de l’Europe occidentale jusqu’au cœur de la Chine, en passant par l’Afrique et les îles du Pacifique? Il nous suffit de réentendre l’annonce de l’ange aux bergers : « Voici que je viens vous annoncer une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui vous est né un Sauveur… Il est le Messie, le Seigneur. »

Un Sauveur nous est né, nous dit l’ange, mais de quoi vient-il nous sauver au juste? À cette question que posait un journaliste à une jeune femme dans la vingtaine, cette dernière avait répondu : « Jésus vient nous sauver de l’insignifiance ». C’est-à-dire qu’il vient offrir son message de paix et d’amour à tous ceux et celles qui veulent donner une véritable direction à leur vie, qui cherche un but dans la nuit de ce monde, un bonheur qui dure, la joie qui vient d’en haut. Cet enfant qui naît, c’est Dieu lui-même qui nous visite, qui se fait l’un des nôtres, qui se donne à nous afin de nous apprendre à vivre et à être heureux. De quoi Jésus vient-il nous sauver? Jésus est venu libérer l’amour en nous et ainsi il nous sauve de nous-mêmes.  Il nous sauve de nos égoïsmes, de nos duretés de cœur, de nos violences, car lui seul est capable de transformer nos cœurs puisqu’il est Dieu.

Dans l’une de ses catéchèses de l’Avent sur la Nativité du Seigneur, le pape François affirmait il y a quelques années ce qui suit : « Noël est une fête de la foi et de l’espérance, qui surpasse l’incertitude et le pessimisme. Notre espérance réside dans le fait que Dieu est avec nous et qu’il a encore confiance en nous. Il vient parmi les hommes, et choisit la terre comme demeure pour vivre parmi nous et partager nos joies et nos peines. » 

Frères et sœurs, nous voulons aimer et être aimés, nous voulons de tout cœur être heureux et réussir nos vies. Mais pour cela, il nous faut construire sur du solide, bâtir la maison de nos vies sur celui qui est l’auteur de la vie, par qui tout l’univers a été créé et qui avec un infini respect s’approche de nous avec l’humilité d’un enfant, l’enfant de Bethléem.

Oui, réjouissons-nous en cette nuit, car c’est une grande nouvelle qui nous est annoncée. Elle a changé la face du monde et de l’histoire, et elle poursuit sa course jour après jour au cœur de nos vies, et tout particulièrement en cette nuit bénie. Alors, n’hésitons pas à faire nôtre la louange des anges devant la crèche en cette nuit de Noël : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes et aux femmes qu’il aime. »

Chers amis, je vous souhaite un très joyeux Noël, à vous et à tous vos proches!

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 4e Dimanche de l’Avent (A)

Au livre d’Isaïe, celui que la longue tradition de l’Église appelle le cinquième évangéliste, nous avons entendu cette promesse extraordinaire faite au roi Achaz qui règne dans Jérusalem menacée par l’ennemi : « Le Seigneur lui-même vous donnera un signe : Voici que la jeune femme est enceinte, elle enfantera un fils, et on l’appellera Emmanuel, (c’est-à-dire : Dieu-avec-nous). »

Ce passage énigmatique du premier Testament a fait couler beaucoup d’encre. Est-il possible que près de huit cents ans avant Jésus-Christ on ait déjà annoncé sa mystérieuse naissance, alors même que la notion de Messie n’était pas encore apparue dans la tradition d’Israël? Aucune explication historique de ce passage n’est tout à fait satisfaisante pour les exégètes quant à sa signification à l’époque d’Isaïe. Mais les premières générations chrétiennes ont vite fait d’en saisir le sens à la lumière de l’avènement du Christ. Benoît XVI écrit : « Ce signe de Dieu chez Isaïe n’est pas offert pour une situation politique déterminée, mais concerne l’humanité et son histoire dans son ensemble[1] ». Et c’est ainsi qu’une Parole de l’an 733 avant Jésus-Christ, dévoile tout son sens et sa richesse avec la venue du Messie. Dieu est venu parmi nous et il a pris chair de la Vierge Marie.

C’est ce grand mystère qui est annoncé en songe à Joseph, l’époux de Marie. L’Ange du Seigneur lui annonce que « l’enfant qui est engendré en Marie vient de l’Esprit Saint », et qu’il vient sauver son peuple de ses péchés.

L’évangéliste Matthieu nous fait contempler le mystère d’un couple humble et caché qui a pourtant changé le cours de l’histoire. À travers son récit, Dieu nous redit que l’avenir appartient aux pauvres de Dieu, c’est-à-dire à ceux et celles qui se laissent façonner par Lui, qui l’accueillent dans le secret de leur cœur, et qui en font leur plus grande richesse, leur plus beau trésor. Dans le premier Testament on les appelait les justes ; dans le Nouveau Testament ils ont pour nom les fidèles.

Joseph, l’époux promis à Marie, n’a pas d’âge et il a tous les âges. Aucun indice dans les évangiles ne nous permet de lui en donner un. Quant à Marie, puisqu’elle est promise en mariage, on sait qu’habituellement cet engagement était pris par les parents de la mariée, alors que la jeune fille avait environ quinze ans. Donc, une toute jeune fille que cette Marie de Nazareth, et l’on est encore fragile à quinze ans.

Bien qu’engagés l’un à l’autre, ils ne vivent pas encore ensemble et pourtant la voilà enceinte. Comment peut-elle affirmer que l’enfant qu’elle porte vient de Dieu et, de plus, que cet enfant va sauver son peuple ? C’est insensé. Mieux vaut la répudier en secret, se dit Joseph, car il est un homme bon, il cherche néanmoins à lui épargner la honte. Mais un songe vient changer le cours de sa vie. Nous connaissons tous cette belle histoire qui se transmet siècle après siècle, de génération en génération dans une foule d’écrits, de poèmes et de chansons.

En voici un exemple. J’entendais ces jours-ci un cantique de Noël traditionnel du XVe siècle, appelé le cantique du cerisier (The Cherry Tree Carol). Voici la belle histoire qui est racontée. Marie et Joseph sont en route pour le recensement à Bethléem. Marie, voyant un cerisier, demande à Joseph d’aller lui chercher des cerises. Joseph, qui n’a pas encore accepté ni compris ce qui se passe en Marie, lui répond en colère : « Pourquoi ne demandes-tu pas au père de ton enfant de te donner des cerises ? » Soudain, la voix de l’enfant se fait entendre dans le sein de Marie et commande à l’arbre de donner de ses fruits à sa mère. Le cerisier se penche alors vers elle et lui touche la main pour lui offrir de ses fruits. Et Joseph, conclut le cantique, épousa la Vierge Marie, la Reine de Galilée !

C’est le mystère de Noël qui se joue sous nos yeux chaque année ; un mystère enrobé de merveilleux, comme un conte trop beau pour être vrai. Et pourtant… chaque année, nous avons besoin de réentendre la belle histoire de Marie et de Joseph, de nous laisser toucher au cœur à nouveau, tellement cette histoire est incroyable. C’est l’histoire de notre foi, où nous est dévoilé le mystère de l’Église.

En Joseph, nous avons l’image du croyant. Comme lui, chacun et chacune de nous est appelé à accueillir la promesse de Dieu dans sa vie. 

La jeune Marie symbolise l’Église, la jeune fiancée, en qui habite un grand mystère d’amour et à travers lequel Dieu veut se donne sans cesse au monde. 

L’Ange du Seigneur, c’est Dieu lui-même, qui invite le croyant à prendre l’Église chez lui, à l’aimer de tout son cœur, sans nécessairement tout comprendre. « Fais confiance », nous dit l’Ange. « Sois une femme de foi ; sois un homme de foi. N’aie pas peur de prendre chez toi cette Église pour laquelle l’enfant de la crèche donnera sa vie. »

Car voici la Bonne Nouvelle : l’Église est grosse de Dieu ! Elle est enceinte de Dieu. Elle le porte en elle et, en même temps, elle le propose sans cesse à travers la Parole de Dieu, à travers les sacrements, sa vie de prière, sa vie missionnaire, son engagement pour les plus pauvres, son souci quotidien pour le monde. Et tout cela ne peut se réaliser qu’à travers vous et moi. L’amour qui sera annoncé et chanté par les anges la nuit de Noël, c’est à nous qu’il est confié, comme il fut confié à Marie et à Joseph.

Au début, Joseph ne comprend pas ce que vit sa jeune épouse. Comment est-ce possible ? Mais il avance dans la foi, car l’Ange l’y invite, et Joseph fait confiance. C’est à cette confiance que nous sommes invités à quelques jours de la fête de Noël. Sommes-nous prêts à faire confiance à Dieu dans nos vies ? À tout lui remettre ? À jouer notre vie sur lui ? N’est-ce pas là la plus belle et la plus grande des aventures où Dieu ne saurait nous décevoir. C’est ce qu’ont fait Joseph et Marie. Ils ont joué leur vie sur une promesse de Dieu.

Comme pour Joseph, la voix de l’Ange nous invite à avancer dans la foi. « N’aie pas peur d’accueillir chez toi ce mystère. » Parce que nous sommes tous appelés à être porteurs de Dieu. Nous portons enfoui au cœur de nos vies, la vie même du Fils de Dieu incarné, qui veut se donner au monde à travers nous.

Comme l’écrit saint Paul aux chrétiens de Rome, « nous les fidèles qui sommes, par appel de Dieu, le peuple saint », nous sommes invités à veiller sur le mystère de Noël, comme sur un trésor des plus précieux, comme on veille sur un enfant dans son berceau. Que ce soit notre joie !

Frères et sœurs, à chaque eucharistie nous proclamons qu’il est grand mystère de la foi !! Et Dieu n’a pas fini de nous étonner, car la naissance de Jésus a inauguré un monde nouveau. Ne l’entendez-vous pas ? L’enfant de Bethléem est là, enfoui au plus secret de nos vies. Il est à l’œuvre en notre monde où des millions et des millions de témoins portent avec nous cette même joie de croire au Christ, cette même joie de croire en la venue du Fils de Dieu, l’Emmanuel, Dieu-parmi-nous ! Que ce soit notre joie!

Yves Bériault, o.p. Dominicain


[1] Ratzinger, Joseph (Benoît XVI). L’enfance de Jésus, Flammarion, 2012, p. 76. 189 p.

Homélie pour le 3e Dimanche de l’Avent (A)

            Le temps de Noël nous sollicite de bien des manières, comme aucune autre période de l’année. Noël a marqué l’imaginaire des peuples, partout où le christianisme est passé, même là où la foi au Christ ne semble être qu’un vague souvenir. Les gens aiment se mettre le cœur en fête en ce temps de l’année, comme si un appel lointain retentissait même dans les cœurs les plus endurcis, comme si le temps de Noël nous appelait à nous ouvrir à un don venant du ciel.

            Le temps de Noël évoque à la fois une ambiance festive et joyeuse, où l’on se surprend à vouloir décorer nos villes et nos villages. Cette joie des fêtes semble indissociable d’une fête de la lumière, comme si au cœur de nos nuits, l’on attendait la venue de quelqu’un, de quelque chose d’extrêmement précieux.

            Le temps de Noël évoque aussi un sentiment assez unanime d’entraide à l’endroit des plus démunis. Comme si la joie et la charité se donnaient rendez-vous à l’occasion de la naissance du sauveur. Il ne faut pas avoir peur de ce mot charité, qui vient du mot latin caritas qui désigne ce qui est « cher », ce qui coûte. La charité c’est l’amour parfait qui vient de Dieu et que nous sommes appelés à imiter, à faire preuve d’un amour qui coûte. Et cela, nous le constatons autour de nous, en tout temps de l’année, mais le temps de Noël semble susciter encore plus cet élan du cœur qui se veut sensible au prochain.

            Pour nous, chrétiens-nes, que joie et charité se conjuguent n’est pas quelque chose de surprenant. Bien sûr, l’on pourrait reprendre la parole de Jésus qui dit qu’il y a beaucoup plus de joie à donner qu’à recevoir. Mais la joie chrétienne qui est intimement liée à la fête de Noël nous entraîne infiniment plus loin.

            Par ailleurs, il est difficile de parler de joie à ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur âme, et pourtant voilà ce que nous apporte l’Emmanuel. Nous sommes invités à entrer dans sa joie. Jésus est venu parmi nous afin que l’amour de Dieu habite en nous. N’a-t-il pas dit : « Père, je leur ai révélé ton nom… afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux. » Jésus nous engage sur le sentier de la joie évangélique en mettant l’amour de Dieu au cœur de nos vies par le don de l’Esprit Saint. Et cette joie qui nous fait demeurer dans l’amour de Dieu commence dès ici-bas.

Rappelons-nous ces promesses de Jésus :

Heureux les cœurs purs

Heureux les affamés de justice

Heureux les humbles

« Soyez dans la joie et l’allégresse, réjouissez-vous! » Et la Vierge Marie répond à sa manière à la bonne nouvelle de l’Ange en s’écriant : « J’exulte de joie en Dieu mon Sauveur! »

            Oui, la joie est au rendez-vous dans l’Évangile. Elle frappe à la porte de nos souffrances physiques, morales et spirituelles et elle nous invite au rendez-vous de Dieu : c.-à-d. accueillir  le Christ dans nos vies. Il n’y a pas plus grande joie que l’amour de Dieu. Cette joie transforme toute vie qui l’accueille. Cette joie, c’est la foi en Dieu qui nous fait goûter à l’amour du Père pour nous, qui vient nous redire combien notre vie est précieuse, combien elle a du sens, qu’elle a du prix à ses yeux et qu’elle est appelée à vivre avec lui pour toujours.

            Comment cacher cette joie alors que Noël approche? Il faut nous la redire, la chanter, la célébrer, la proclamer et surtout la rendre active, la transmettre à tous ceux et celles qui souffrent, qui sont accablés parce qu’ils ne trouvent aucun sens à la vie, parce que le silence de Dieu leur pèse. Cette joie qui nous habite doit se faire charité, entraide et témoignage de cette réalité beaucoup plus grande que nous et qui nous habite.

J’aimerais terminer par un poème et l’adresser à chacun et chacune de vous personnellement. Ce sera là mon souhait pour vous à l’approche de la fête de Noël : 

I1 y a la joie qui vient du dedans et il y a celle qui vient du dehors.

Je voudrais que les deux soient tiennes,

Qu’elles remplissent les heures de ton jour, et les jours de ta vie; 

Car lorsque les deux se rencontrent et s’unissent, il y a un tel chant d’allégresse que ni le chant de l’alouette ni celui du rossignol ne peuvent s’y comparer.

Mais si une seule devait t’appartenir,

Si pour toi je devais choisir,

Je choisirais la joie qui vient du dedans.

Parce que la joie qui vient du dehors est comme le soleil qui se lève le matin et qui, le soir, se couche. Comme l’arc-en-ciel qui paraît et disparaît; 

Comme la chaleur de l’été qui vient et se retire; 

Comme le vent qui souffle et passe; 

Comme le feu qui brûle puis s’éteint…

Trop éphémère, trop fugitive…

J’aime les joies du dehors. Je n’en renie aucune. Toutes, elles sont venues dans ma vie quand il fallait…

Mais j’ai besoin de quelque chose qui dure; De quelque chose qui n’a pas de fin; Qui ne peut pas finir.

Et la joie qui vient du dedans ne peut finir.

Elle est comme une rivière tranquille, toujours la même; toujours présente.

Elle est comme le rocher,

Comme le ciel et la terre qui ne peuvent ni changer ni passer. Je la trouve aux heures de silence, aux heures d’abandon.

Son chant m’arrive au travers de ma tristesse et de ma fatigue; Elle ne m’a jamais quitté.

C’est Dieu; c’est le chant de Dieu en moi,

Cette force tranquille qui dirige les mondes et qui conduit Les hommes; et qui n’a pas de fin, qui ne peut pas finir.

II y a la joie qui vient du dedans et il y a celle qui vient du dehors.

Je voudrais que les deux soient tiennes.

Qu’elles remplissent les heures de ton jour et les jours de ta vie…

Mais si une seule devait t’appartenir

Si pour toi je devais choisir,

Je choisirais la joie qui vient du dedans.

_________________________________

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 2e Dimanche de l’Avent (A)

isaie

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 3,1-12.
En ces jours-là, paraît Jean le Baptiste, qui proclame dans le désert de Judée :
« Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. »
Jean est celui que désignait la parole prononcée par le prophète Isaïe : ‘Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.’
Lui, Jean, portait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins ; il avait pour nourriture des sauterelles et du miel sauvage.
Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui,
et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain en reconnaissant leurs péchés.
Voyant beaucoup de pharisiens et de sadducéens se présenter à son baptême, il leur dit : « Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ?
Produisez donc un fruit digne de la conversion.
N’allez pas dire en vous-mêmes : “Nous avons Abraham pour père” ; car, je vous le dis : des pierres que voici, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham.
Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu.
Moi, je vous baptise dans l’eau, en vue de la conversion. Mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.
Il tient dans sa main la pelle à vanner, il va nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera son grain dans le grenier ; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. »

COMMENTAIRE

Quand Jean Baptiste fait son apparition dans le désert de Judée, cela fait plus de quatre-cents ans que la voix des prophètes s’est éteinte en Israël et l’on attend toujours le Messie. Cette attente est surtout présente chez ceux et celles qu’on appelle «les pauvres de Yahvé», qui à l’image de la Vierge Marie sont fidèles et confiants dans leur attente. Et leur persévérance n’a pas été déçue, car les temps sont accomplis alors que survient Jean Baptiste, celui dont Isaïe avait prophétisé la venue et dont la mission serait d’annoncer les temps nouveaux : la venue du Messie. 

Jean Baptiste est la voix de celui qui crie dans le désert, ce désert de la condition humaine que Dieu lui-même vient habiter en son Fils Jésus, qui annonce un règne de justice et de paix, qui répand son Esprit sur toute chair, et qui nous presse de vivre de sa vie et de nous engager à ses côtés, afin d’être porteurs de sa passion pour le monde.

Le prophète Isaïe, contemplant cet avenir où doit se manifester le Messie, nous parle avec des images bucoliques d’une création restaurée dans sa paix et son harmonie initiales, telle qu’elle était au début du monde. C’est le paradis retrouvé où le loup habite avec l’agneau, le léopard se couche près du chevreau, le veau et le lionceau sont nourris ensemble! Elles sont belles et évocatrices ces images du prophète, et pourtant, il y a loin de la coupe aux lèvres quand on contemple l’état de notre monde et les défis qui sont les nôtres..

Le moine Christian de Chergé, prieur d’un monastère trappiste en Algérie, assassiné avec six de ses frères, rapporte l’anecdote suivante alors qu’il était en pèlerinage à Jérusalem, et qu’il se trouvait près du mur des Lamentations. Un Juif orthodoxe en le voyant voulut le provoquer en lui lançant cette boutade : «Et puis, lui demanda-t-il, est-ce que le lion mange de l’herbe?» Il aurait pu tout aussi bien lui demander : «Et est-ce que le loup habite avec l’agneau?»

Vous aurez compris que cet homme voulait contredire l’affirmation des chrétiens selon laquelle Jésus est le Messie. Car s’il l’était vraiment, selon ce Juif orthodoxe, les prophéties d’Isaïe se seraient réalisées depuis longtemps, et l’on verrait le lion manger de l’herbe avec le bœuf, le loup habiter avec l’agneau.

Il y a là, bien sûr, un certain fondamentalisme qui s’exprime, mais la question mérite d’être posée, car sans cesse notre espérance et notre foi sont mises à l’épreuve, contredites par les conflits et les violences qui affligent notre monde. Tant de guerres et tant d’injustices qui nous laissent désemparés devant les déserts de l’aventure humaine, où l’amour n’est pas toujours aimé, où la justice et la paix se font douloureusement attendre, alors que nous aimerions tellement que le Christ, le Prince de la Paix, affirme sa royauté et sa toute-puissance.

Il est donc légitime d’entendre les sarcasmes de nos contemporains et de se demander avec eux si le monde a vraiment changé depuis cette nuit de Bethléem. Est-ce que la venue du Christ a véritablement transformé la face de notre terre? 

Nous ne savons pas comment aurait évolué notre monde si Jésus n’était pas venu, mais une chose est indéniable, la suite du Christ a transformé radicalement la vie d’une multitude de femmes et d’hommes depuis la venue du Christ. Ils ont pris sur eux-mêmes, au nom de l’évangile et de leur foi, de transformer cette terre, d’inaugurer des relations de paix, de justice et de miséricorde, partout où ils vivaient, et souvent jusqu’à donner leur vie.

On pourrait nommer ici les grandes figures de l’Église, ces saints et ces saintes qui nous sont si chers, mais je pense aussi à tous ces chrétiens anonymes qui se consacrent tous les jours au service des plus pauvres et des malades, qui luttent pour la justice et la dignité humaine. Je pense à toutes ces mères et à tous ces pères qui initient leurs enfants aux valeurs de l’évangile, leur apprenant la grandeur du don de soi et du partage, l’importance d’être bon, d’être juste, d’être droit. Je pense à tous ces consacrés, à tous ces prêtres, à tous ces religieux et religieuses qui ont voué leur vie au Christ, et qui, souvent, bien humblement, se mettent au service des plus pauvres dans les lieux les plus reculés de la terre.

Des germes de paix et de justice sont nés dans le sillage de ces millions de témoins à travers les siècles, et ce, jusqu’à ce jour. Ils ont cru à la venue du Fils de Dieu en notre monde, ils ont accueilli son Esprit de sainteté et, par leur vie engagée, ils ont préparé la route du Seigneur, comme nous y invite Jean Baptiste aujourd’hui. Ils n’ont pas eu peur des jours sombres et des lendemains qui déchantent, car ils savaient bien qu’ils n’étaient pas seuls dans leur combat. C’est à cette espérance que le temps de l’Avent nous convie.

«Convertissez-vous!», nous dit Jean Baptiste. Conformez votre vie à cette espérance qui est capable de soulever le monde, et qui a pour nom Jésus Christ. Car le Christ, par le don de son esprit, vient établir son Royaume de paix et de justice, en suscitant des relations nouvelles entre les personnes, transformant les cœurs les plus endurcis en cœurs aimants et miséricordieux. Jésus est ce Messie et ce roi pacifique qu’annonçaient les prophètes, et chaque fois qu’un cœur s’ouvre à lui et tend la main au prochain, on peut alors voir le loup habiter avec l’agneau, le léopard coucher près du chevreau, et le lion manger de l’herbe avec le bœuf. Et c’est ainsi que se réalise la prophétie d’Isaïe.

Frères et sœurs, la Parole de Dieu ne nous propose pas une espérance à la petite semaine, une espérance facile et béate. Elle est profonde comme la mer cette espérance, à l’image de la connaissance du Seigneur qui nous est promise par le prophète Isaïe. Cette espérance est de tous les combats, de toutes les luttes, et c’est elle qui nous rend capables de nous engager, de nous aimer les uns les autres, de changer nos cœurs, de recommencer quand tout s’écroule.

C’est cette espérance têtue et obstinée que nous demandons au Seigneur de renouveler en nous en ce temps de l’Avent, afin qu’il nous trouve fidèles et en tenues de service quand il viendra. Amen.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs