Pentecôte : Lumière de feu jaillit du matin de Pâques!

Vous êtes-vous déjà demandé ce que serait la fête de Pâques sans la Pentecôte, sans le don de l’Esprit Saint? Pâques serait alors la fête de Jésus seul, grand vainqueur de la mort. Car comme le dit saint Paul dans l’épître aux Romains, c’est l’Esprit du Christ qui nous donne d’avoir part à sa vie de ressuscité. Sans l’Esprit Saint il ne peut y avoir de résurrection. Sans la Pentecôte, Pâques ne serait plus une victoire pour notre humanité. Mais il y a eu Pentecôte et c’est un événement capital dans l’histoire du salut, tout autant que la fête de Pâques.

Giotto. La Pentecôte

Quand Jésus parle du don de l’Esprit Saint, il évoque une vie intérieure nouvelle pour les disciples. Une vie qui est faite de communion, de participation à l’amour de Dieu, et qui est aussi une forme de connaissance nouvelle et plus profonde de qui est Dieu. L’Esprit de Vérité, dont parle Jésus, l’Esprit qui enseigne, qui fait se souvenir le disciple des enseignements du Maître, cet Esprit poursuit en nous l’action du Christ enseignant. Le disciple devient une terre d’accueil à l’action et à la présence du Christ en lui comme jamais cela n’a été possible auparavant, même pour les Apôtres avant la résurrection. Il y a là une nouveauté sans précédent dans l’histoire spirituelle de l’humanité. De ce lieu historique et temporel où Dieu s’est révélé en Jésus-Christ, jaillit une grâce surabondante pour tous les hommes et les femmes de tous les temps, de toutes races, langues et nations : le don de l’Esprit Saint étend au monde entier la mission de Jésus Christ!

Car quel est le but de Dieu, sa volonté à notre endroit? De quoi Dieu rêve-t-il pour nous, si ce n’est que nous apprenions à le connaître et à l’aimer. Cette connaissance progressive du Dieu créateur et Père de l’humanité est un processus qui s’étale sur des milliers d’années de l’histoire humaine, mais la connaissance que Dieu nous donne d’avoir de lui dans l’histoire va atteindre un point culminant et de non-retour en Jésus Christ : Dieu lui-même nous visite en son Fils. Et le but de cette Incarnation est de nous permettre d’entrer plus avant, comme jamais auparavant, dans cette union intime qui lie le Père au Fils et le fils au Père. Le Fils de Dieu vient nous révéler l’amour qui l’unit au Père afin de nous donner de connaître toute la largeur, la hauteur, la profondeur de l’amour de Dieu. Mais seul le don de l’Esprit Saint pouvait nous donner d’entrer dans cette intimité qui unit le Père et le Fils.

Désormais le Christ n’est plus confiné à un territoire, à une époque, aux limites d’un corps humain, mais il peut enfin se donner à tous par le don de son Esprit, l’Esprit d’amour et de Vérité qui nous rend capables d’aimer Dieu comme lui.

La Pentecôte, c’est l’Esprit Saint qui nous donne de devenir véritablement des disciples du Christ tout autant que les Apôtres, qui nous rend capables de reconnaître Jésus Christ comme Seigneur et Fils de Dieu.

C’est l’Esprit Saint qui met dans notre bouche la parole de vérité et de réconciliation et qui nous rend capables de professer notre foi en ce Dieu Père, Fils et Esprit Saint.

C’est lui qui met en nous des langues de feu capables d’annoncer avec force et courage la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, car la présence de l’Esprit Saint en nos vies c’est la présence même du Christ ressuscité, présent à son église jusqu’à la fin des temps!

Voilà l’extraordinaire mystère que nous célébrons en cette fête de la Pentecôte!
Bonne fête de la Pentecôte!

L’Ascension, une fête triste?

Ascension du Christ

L’Ascension du Christ
Pietro Perugino

Comme j’ai trouvé touchante cette remarque que m’a faite une amie un jour, me disant que depuis qu’elle était petite, elle avait toujours trouvé que la fête de l’Ascension était une fête triste! « Mais pourquoi? », lui ai-je demandé? « Parce que Jésus est parti », m’a-t-elle répondu. Jésus est parti! Elle avait oublié, comme il nous arrive tous de le faire, que Jésus avait dit à ses disciples : « Et moi je suis avec vous jusqu’à la fin des temps ».

Il n’en reste pas moins que la fête de l’Ascension a quelque chose d’énigmatique, son sens nous échappe parfois, un peu comme Jésus qui se dérobe aux yeux de ses disciples. Cette fête est parfois vécue comme le parent pauvre du cycle pascal, alors qu’elle est sans doute la fête qui exprime le mieux le sens de notre destinée humaine, de la portée incroyable de la victoire du Christ pour nous. Car l’Ascension, avec le don de l’Esprit Saint, c’est l’achèvement du mystère de l’Incarnation.

D’ailleurs, Jésus a laissé des indices pour nous aider à comprendre l’extraordinaire mystère qui se joue sous nos yeux avec son Ascension. Rappelez-vous le matin de Pâques, Jésus ressuscité avait dit à Marie-Madeleine :

« Je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va vers mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20, 17). Déjà, Jésus avait dit à ses Apôtres : « Je pars vous préparer une place ? Quand je serai allé vous la préparer, je reviendrai vous prendre avec moi ; et là où je suis, vous y serez aussi. » (Jn 14, 2-3). Ce départ est donc d’une importance capitale dans la mission de Jésus. Il doit retourner vers le Père, afin d’accomplir l’inimaginable, le jamais vu auparavant : « Personne, dit Jésus, n’est jamais monté aux cieux sinon le Fils de l’Homme qui est descendu des cieux » (Jn 3, 13 ; cf. Ep 4, 8-10). Et devant les yeux de ses disciples Jésus est « emporté au ciel ».

Tout cela, j’en conviens, n’est pas simple à comprendre. C’est pourquoi, pour entrebâiller la porte de ce mystère, il nous faut retourner loin loin dans le temps, en reprenant cette histoire première que nous raconte la Bible au sujet de nos origines et qui nous aide à comprendre pourquoi Dieu nous a envoyé son Fils. Il s’agit bien sûr d’un langage imagé, mais qui raconte une histoire vraie.

Il y avait une fois un jardin extraordinaire où vivaient nos premiers parents. Ils s’appelaient Adam et Ève. Ils vivaient dans une parfaite harmonie, ne formant qu’un seul coeur avec Dieu. Mais un jour, ils lui désobéir, ils voulurent devenir leur propre maître, faire à leur tête. Dieu les avait bien mis en garde de ne pas manger d’un fruit qui était défendu. « Faites attention, leur avait-il dit, vous allez vous faire du mal si vous désobéissez, et il ne vous sera plus possible de vivre ici dans ce jardin avec moi si vous mangez de ce fruit ». Mais Adam et Ève n’ont pas écouté. Ils se sont égarés comme lorsqu’on se perd en forêt, aveuglés par leur curiosité, et ils durent quitter ce jardin merveilleux où ils habitaient. La vie est alors devenue très difficile pour eux, et tous leurs descendants. Ils sont devenus mortels et le mal est entré dans le monde avec son cortège de guerres, de haine, de souffrances et de malheurs.

Dieu ne pouvait forcer ses enfants à l’aimer ou à lui obéir, mais il ne pouvait supporter non plus ce malheur dans lequel ils s’étaient eux-mêmes enfermés. C’est pourquoi Dieu dans sa bonté est venu à notre secours, afin de nous apprendre la vraie liberté, qui est d’aimer comme Dieu nous aime. Mais l’apprentissage de l’amour est quelque chose qui prend beaucoup de temps, un peu comme lorsque l’on commence à aller à l’école et où il nous faut apprendre à lire, à écrire et à compter. Dieu, comme un bon professeur, s’est choisi un peuple, qui deviendrait son messager. Il lui a enseigné comment il fallait vivre en lui envoyant des prophètes. Et il lui fit cette promesse incroyable : un jour il viendrait sauver tous les humains et leur ouvrir le chemin vers ce paradis perdu.

Cette promesse extraordinaire a commencé à se réaliser quand un ange fut envoyé à la jeune Marie de Nazareth, lui demandant si elle acceptait d’accueillir un enfant qui sauverait le monde. Marie a dit oui et Jésus est né. Le Fils de Dieu est venu vivre parmi nous afin de nous montrer comment vivre en enfant de Dieu, et en nous offrant de vivre de sa vie à lui. Ce qu’il nous propose c’est de le prendre comme notre meilleur ami, et de nous laisser guider par lui.

Il fait tout cela afin que nous puissions vivre pour toujours avec lui et avec tous ceux et celles que nous aimons. Dieu vient nous proposer la vie éternelle, c’est-à-dire de vivre ensemble pour toujours dans le jardin de son amour. Mais il fallait que l’un d’entre nous nous ouvre le chemin qui mène vers ce jardin. C’est ce que Jésus est venu accomplir en donnant sa vie pour nous. Cet acte d’amour est tellement grand, qu’il est plus fort que la haine, il est plus fort que la mort, et c’est pourquoi au matin de Pâques, la mort n’a pu retenir Jésus dans ses chaînes. Jésus ressuscite avec son corps. Mais ce corps est un corps transformé. Il est glorifié parce qu’il appartient désormais au monde de Dieu.

Et c’est avec ce corps que Jésus va monter au ciel vers son Père, où il va s’asseoir à la droite du Père, et où il va régner avec Lui, avec un corps comme le nôtre. C’est cela le mystère de l’Ascension, et ce mystère est très grand, car il nous dévoile cette vie qui nous attend nous aussi.

Tout comme nous sommes passés du ventre de notre mère à la vie sur la terre, un jour nous passerons du ventre de la terre, à la vie en plénitude auprès de Dieu. Par son Ascension, Jésus vient achever la longue histoire de notre salut, qui est de nous ramener à Dieu.

L’Ascension nous renvoie au mystère que nous affirmons dans notre Credo quand nous disons : « Je crois à la résurrection de la chair ». Car c’est avec ce corps, avec cette humanité qu’il a reçue de sa mère, que Jésus retourne là d’où il était venu et inaugure ainsi la destinée de tous les humains, qui est de ressusciter un jour avec un corps glorifié, réalisant ainsi cette folle espérance du vieux Job qui disait dans son malheur : « Je sais, moi, que mon libérateur est vivant, et qu’à la fin il se dressera sur la poussière des morts; avec mon corps, je me tiendrai debout, et de mes yeux de chair, je verrai Dieu. »

« De l’éternité tout entière, il ne s’éloignera pas. Il a créé l’univers non pas pour l’anéantir, mais pour qu’il soit… Dieu a créé l’univers une fois pour toutes et pour toujours. Il a créé la matière pour toujours. Cela, nous seuls chrétiens, nous osons l’affirmer; nous savons, de foi divine, que les corps ressusciteront, qu’éternellement les hommes seront des hommes et non pas des anges; nous savons, de foi divine, qu’éternellement Jésus sera le Verbe fait chair. Si la matière n’avait pas été voulue par Dieu, si cette terre, parmi les milliards d’étoiles, n’avait pas été fondée, si l’homme n’avait pas été créé – il faudrait même dire : si l’homme n’avait pas péché, s’il n’avait pas appelé, par la profondeur de sa catastrophe, une si prodigieuse rédemption – il n’y aurait jamais eu l’Incarnation, l’Esprit de Dieu jamais n’aurait couvert la Vierge de son ombre (Lc 1, 32), jamais le Verbe ne se serait fait chair, jamais nous n’aurions su quel poids de spiritualité, quel poids de transparence, quel poids de transfiguration et de gloire, une nature humaine corporelle était capable de soutenir, sans céder, sans s’évanouir, sans se volatiliser. »[1]

Par son Ascension, Jésus se fait encore plus proche de nous. Non seulement introduit-il notre corps auprès de Dieu, mais il nous envoie son Esprit afin de nous entraîner à sa suite, afin que nous vivions éternellement avec lui. Voilà, frères et sœurs, la Bonne Nouvelle que l’Église proclame en ce dimanche de l’Ascension. Amen.

Yves Bériault, o.p.


[1]      Ch. Journet. Entretiens sur Dieu le Père. Parole et Silence. 1998.

Bonne et Heureuse année 2014

theotokos2À tous les fidèles lecteurs et lectrices du blogue du Moine ruminant je tiens à souhaiter une année 2014 marquée du sceau de la paix et de la joie de l’Emmanuel, du Dieu-parmi-nous. Avec les images de guerres et d’horreur que nous lègue 2013 et qui nous poursuivent, avec les dérives climatiques et écologiques qui se profilent à l’horizon et dont nous sommes déjà témoins, dans un contexte mondial de globalisation et de capitalisme sauvage au service des élites, il est difficile de poser un regard optimiste sur l’avenir de notre planète. Comme nous avons besoin de cette paix et de cette joie du Christ, que promettait déjà le prophète Isaïe et que nous avons proclamé hier à l’occasion de la belle fête de l’Épiphanie :

Debout, Jérusalem ! Resplendis : elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi.
Regarde : l’obscurité recouvre la terre, les ténèbres couvrent les peuples ; mais sur toi se lève le Seigneur, et sa gloire brille sur toi.
Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore.
Lève les yeux, regarde autour de toi : tous, ils se rassemblent, ils arrivent ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur les bras.
Alors tu verras, tu seras radieuse, ton coeur frémira et se dilatera. Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi avec les richesses des nations.
Des foules de chameaux t’envahiront, des dromadaires de Madiane et d’Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens et proclamant les louanges du Seigneur.

Qu’est-ce que l’année liturgique?

Déjà se profile à l’horizon la fin de l’année liturgique avec la fête du Christ-Roi. La fête du Christ-Roi est assez récente puisqu’elle fut instituée par Pie XI à l’occasion de l’année sainte en 1925. Une fête qui a donc moins de cent ans. Mais la question de la royauté du Christ remonte à l’époque même de Jésus. Rappelez-vous quand Jésus devait se cacher parce que la foule voulait s’emparer de lui et le proclamer roi. Ou encore lorsque Pilate lui-même posait la question à Jésus : « Es-tu le roi des Juifs? » Jésus lui répondit que sa royauté ne venait pas de ce monde.Étrangement, l’année liturgique ne correspond pas à l’année civile. L’année liturgique commence quatre dimanches avant Noël et dure douze mois. Pendant cette période, l’Église dans sa liturgie dominicale, nous fait cheminer à travers les grandes étapes du salut, révélées en la personne de Jésus-Christ. L’année liturgique est bâtie autour de notre foi au Christ et son but est de nous aider à approfondir de dimanche en dimanche, l’extraordinaire mystère de l’incarnation du Fils de Dieu.

L’année liturgique commence donc avec l’Avent qui nous prépare à la fête de la Noël. De là, on chemine vers la fête des Rois et l’Épiphanie. Quelques semaines plus tard, vient le Carême, qui nous prépare à la fête centrale de notre foi, la fête de Pâques. Cette fête est suivie d’une période de cinquante jours, que l’on appelle le temps pascal, et qui nous mène à l’Ascension et qui culmine avec la fête de la Pentecôte. Entre ces périodes fastes de la liturgie se vit le temps de l’Église, le temps que l’on appelle ordinaire, qui reprend après la Pentecôte, du printemps jusqu’à l’automne, et qui nous conduit jusqu’à la fête du Christ-Roi, qui est le dernier dimanche de l’année liturgique. À chaque année, ce cycle liturgique recommence et pourtant on ne finit jamais d’en découvrir la nouveauté, car notre vie évolue et nous-mêmes nous changeons. Nous sommes donc invités sans cesse, en tant que chrétiens et chrétiennes, à revivre le parcours de notre foi à travers ses mystères et la vie de Jésus-Christ. Voilà ce qu’il nous est donné de contempler tout au long de l’année liturgique.

La communion des mains

Depuis que je suis prêtre, j’ai toujours été fasciné par ces mains qui se tendent vers moi lors de la communion. Elles me dévoilent un peu la personne qui les tend et elles font de moi le témoin privilégié du mystère d’une rencontre. Depuis que je suis prêtre, je ne compte plus les milliers de mains qui se sont tendues vers cette petite hostie entre mes doigts. J’en suis encore émerveillé.

À chaque eucharistie défilent devant moi des mains de toutes sortes, minuscules ou trapues, douces ou décharnées. Mains fermées et mains ouvertes, mains qui dévoilent leurs faims, leurs désirs ou leur indifférence. Voilà longtemps que je souhaitais parler de ces mains.

Il y a les mains pressées, peut-être est-ce de la timidité, souvent elles sont brusques et enlèvent littéralement le Corps du Christ. Des mains promptes à prendre et promptes à se retirer, emportant avec elles leur hâte.

Il y les mains timides, des mains qui semblent quémander le Corps du Christ tout en s’excusant d’être là. Elles sont malhabiles et semblent dire : « Seigneur je ne suis pas digne de te recevoir… », oubliant la finale de la formule : « mais dis seulement une parole et je serai guéri. »

Il y les mains fières qui reçoivent l’hostie comme un dû, qui prennent et s’en vont, sans rien dire. Ou encore les mains distraites, le regard ailleurs, ou, est-ce le coeur?

Mais il y a aussi les mains qui adorent, qui contemplent déjà en s’avançant. Ce sont des mains sereines, des mains de foi, tout ouvertes au mystère. Comme il y a aussi ces mains pieuses, toutes recueillies, mais parfois à l’excès, et qui me laissent alors un étrange malaise, comme si elles voulaient ne garder que pour elle le Christ qui s’offre à tous.

Et que dire de ces mains usées, tannées par le travail, mains rugueuses, sales parfois. Je revois ces mains de cultivateurs ayant passé toute la journée aux champs. Ce sont des mains impressionnantes qui parlent de l’Homme et de son labeur sur la terre.

Il y a aussi les mains usées et ridées des vieillards. Ce sont des mains fidèles et persévérantes, on voudrait les baiser, comme si elles portaient les plaies du Christ. Bien qu’elles tremblent un peu en offrant leur faiblesse, elles respirent la confiance en Dieu et la foi têtue. Ce sont les plus belles mains avec les mains des enfants.

Les mains d’enfants sont des mains confiantes, toutes données. Elles sont encore toutes petites et elles sourient au mystère de Dieu qui se dépose en elles. Ce sont des mains pleines de joie et de fraîcheur, ce sont les mains de la jeunesse et de l’avenir de l’Église. Elles me rendent heureux d’être prêtre.

Enfin, les mains qui m’émeuvent tout particulièrement, ce sont les mains des itinérants (SDF). On en voit peu, mais lorsqu’elles se présentent on les remarque tout de suite. Ce sont des mains abîmées, cicatrisées, noircies, parce que laissées à elles-mêmes, solitaires et abandonnées. Elles hésitent souvent lorsqu’elles se tendent, comme gênées d’être là, et pourtant si habituées à quémander… En les voyant, je me dis: “Que voilà des mains qui souffrent.” Elles ressemblent aux mains du Christ.
La communion des mains c’est tout cela, mais c’est avant tout recevoir le Corps du Christ. C’est prendre entre ses doigts ce qu’il y a de plus précieux dans la création. Pour Simone Weil, l’hostie nous place au degré le plus infime de la Création, et parce que justement ce degré est le plus bas, il est le plus capable de recevoir l’infini.

Et c’est là qu’intervient la main du prêtre. Quelle conscience elle doit avoir de l’honneur qui lui échoit, car dans cette main qui tend l’hostie, il y a la main du Christ qui dispense en toute gratuité le grand mystère de l’Amour fait chair.
N’ayons donc pas peur d’ouvrir bien grand les mains et de dire AMEN!

Le rapport à la Liturgie des Heures dans la tradition dominicaine (2)

Le couvent des frères : une « sainte prédication »

Les couvents dominicains sont conçus comme de « saintes prédications » . La prédication des frères s’enracine dans une vie régulière qui annonce déjà la bonne nouvelle. La tâche de prêcher, première responsabilité des frères, est portée par toute la communauté. La communauté tout entière est « prédicante », à la fois lieu de formation des frères et d’envoi en mission.

Les grands axes de la vie religieuse des frères sont au service de cette prédication : vœux, observances, liturgie, vie commune et étude. Cet ensemble d’observances s’harmonise dans le quotidien et tend vers l’imitation de la vie des apôtres. Cette nouvelle forme de vie religieuse conjugue l’idéal communautaire des Actes des Apôtres : « Ils étaient assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Actes 2, 42) et l’idéal missionnaire de Jésus qui envoie ses disciples « deux par deux » (Mc 6, 7)). « L’imitation des Apôtres », si chère au monachisme prend donc une coloration nouvelle au 13e siècle. Avec ces nouveaux « moines », la clôture devient le monde. Leur mode de vie itinérante les fera même qualifier de « gyrovague » par certains opposants. Le bénédictin Mathieu de Paris, s’écriera indigné en voyant les premiers dominicains : « ils ont pour cloître l’univers et l’océan pour clôture! » .

Liturgie des Heures et mission

La vie dominicaine est structurée par une tension entre vie commune et appels du monde extérieur. La liturgie, et plus particulièrement la liturgie des Heures, vécue à l’intérieur des couvents, sera donc fortement marquée par celle-ci. Comme le souligne le fr. Vincent de Couesnongle, O.P., dans sa lettre de promulgation de la nouvelle édition du « Propre de l’Ordre des Prêcheurs » pour la liturgie des Heures en 1983 : « Notre vie dominicaine exige que nous soyons fervents dans la célébration des mystères divins et totalement adonnés à l’annonce de l’Évangile(2). »

Saint Dominique donne donc une orientation nettement apostolique à la célébration liturgique et aux conditions régissant l’office choral. Le « breviter et succinte » dominicain, cette manière allègre et brève de réciter l’office chorale, se démarque nettement de la liturgie monastique en vigueur au 13e siècle et qui souffre de la surcharge des siècles passés. La liturgie des Heures, tout en étant belle et soignée, ne doit pas avoir pour but un pur souci d’esthétisme ou d’enchaînement de dévotions sans fin. Il y a urgence dans la demeure de l’Église. La Parole de Dieu doit être annoncée! Et la profonde intuition de Dominique est que le but de la prière liturgique des frères est de porter et nourrir cette annonce de l’Évangile, non pas de la restreindre.

Une première mesure visant à favoriser la mission sera l’instauration de la dispense. Elle permet à des frères, quand la mission ou l’étude l’exigent, de se soustraire à l’office chorale de la communauté pour le célébrer seuls ou en petits groupes, avec moins de solennité. D’ailleurs dès l’année 1221, les frères de l’Ordre obtiennent le privilège de célébrer l’eucharistie hors des couvents, lorsqu’ils sont en mission, en apportant avec eux un autel portatif. Pour Dominique, la vie régulière des frères ne doit pas devenir un empêchement au soin des âmes. À défaut de la célébration avec la communauté, les frères se joignent à la prière de l’Église locale où ils se trouvent. Afin de faciliter cet équilibre délicat entre mission et observances communautaires, Dominique refuse que les observances lient les frères sous peine de péché, ce qui était le cas jusqu’à cette époque. Dominique veut des frères libres et responsables afin d’affronter les défis d’un siècle nouveau, dans un monde en plein bouleversements sociaux.

Conclusion

La prière dominicaine d’aujourd’hui demeure fidèle à son intuition première et porte toujours en elle le cri de saint Dominique : « Mon Dieu, mon Dieu! Que vont devenir les pécheurs… » Notre prière, toute imprégnée de la parole de Dieu, se nourrit des cris et des espoirs du monde. Comme le précise la lettre de promulgation du maître de l’Ordre ci-haut mentionnée : « … notre marche à la suite du Christ, selon le charisme particulier de saint Dominique, cherche à se renouveler constamment dans la prière communautaire, afin de pouvoir prendre en charge les « inquiétudes, les difficultés et les joies de notre apostolat(3). » Voilà la mission que poursuit l’Ordre des Prêcheurs depuis huit cents ans .

1. Premières Constitutions O.P., Prologue.
2. Propre des Offices de l’Ordre des Prêcheurs. Provinces dominicaines francophones. Paris, 1983, par. 4.
3. Ibid.

(Article paru dans la revue Célébrer les Heures. No 38. Été 2003)

Le rapport à la Liturgie des Heures dans la tradition dominicaine (1)

En apparence, la vie communautaire dominicaine semble marquée par la stabilité et la régularité. Il suffit de regarder d’un peu plus près la vie des frères, et ce, depuis les origines de l’Ordre, pour constater combien elle porte en elle comme une empreinte indélébile, un appel vers le large qui est au cœur même de notre vie apostolique. Saint Dominique laisse un précieux trésor à l’Église en fondant son Ordre : un nouveau modèle de vie religieuse où la vie régulière est au service de la prédication, et où cette même prédication est fondée sur l’étude et la contemplation de la Parole de Dieu, vécues dans l’unanimité de la vie commune à l’exemple de la première communauté apostolique de Jérusalem (Ac 2,42-47; Ac 4, 32-33).Les origines

Dès les origines, la réforme de la vie religieuse que propose Dominique cherche à conjuguer l’imitation des apôtres, la pauvreté mendiante et la prédication itinérante. Ces trois lignes de force constitueront les fondements de la naissance de l’Ordre des Prêcheurs. Elles détermineront non seulement la vie missionnaire de l’Ordre, mais la nature même de la vie conventuelle des frères et leur vie de prière.

Notre vie religieuse « fut, on le sait, dès l’origine spécifiquement instituée pour la prédication et le salut des âmes » (1). En saisissant bien cette articulation entre la vie commune des frères et les impératifs de notre mission, on peut comprendre la spécificité de la liturgie des Heures dans notre tradition et son articulation avec les autres éléments qui fondent le charisme de notre Ordre.

La fondation de l’Ordre, en 1216, est le résultat d’une quête passionnée chez un chanoine castillan, Dominique de Guzman, confronté au phénomène des hérésies cathares et albigeoises dans l’Europe du 13e siècle. Il s’engage avec son évêque dans une mission de prédication dans le sud de la France. Cela le convainc que l’Église doit créer de toute urgence un ordre de frères prêcheurs, sans vœux de stabilité, comme les moines, sans liens particuliers à un évêque, comme les chanoines ou le clergé séculier. Ils seront des prédicateurs entièrement voués à la mission, libres de parcourir l’Europe, et au-delà, afin d’annoncer la bonne nouvelle du Christ à toutes les nations.

Dès les débuts de la fondation, l’intuition de Dominique repose sur la nécessité de former des prédicateurs, le clergé de l’époque n’étant pas instruit. À cette fin, il envoie ses premiers frères dans les centres universitaires naissants. Dominique insiste sur la nécessité de donner aux frères un cadre de vie leur permettant de répondre sans délai aux impératifs de la mission. Il y a urgence : le salut des âmes est en jeu. À cette urgence fait écho le célèbre cri de Dominique dans sa prière nocturne : « Mon Dieu, que vont devenir les pécheurs! ». (à suivre)