« Sans le dimanche, nous ne pouvons pas vivre »

Dernière Cène

Dernière Cène

Bien des catholiques ont abandonné la messe du dimanche, ne voyant plus l’importance de ce rassemblement, ou ne comprenant plus le mystère qui s’y joue. Il va de soi que notre société offre tellement de divertissements de qualité que notre pauvre curé vieillissant a bien de la difficulté à supporter toute comparaison, comme s’il était le centre de cette rencontre.

Bien des paroisses sont en panne de créativité et de dynamisme dans leurs célébrations, j’en conviens. Il faudrait aussi repenser ce que doit être la responsabilité et la place des laïcs dans ces célébrations, mais il est important tout d’abord de se rappeler le sens premier de nos dimanches. (Pour approfondir cette réflexion je vous invite à lire la lettre de Mgr Jean-Louis Brugès, évêque d’Angers, intitulée « Le dimanche, jour des chrétiens ».)

En juin 2005, se tenait le Congrès eucharistique de Bari en Italie, qui avait pour thème : « Sans le dimanche nous ne pouvons pas vivre ». Ce slogan est une reprise des paroles des 49 martyrs d’Abitène. Leur martyre eut lieu sous l’empereur Dioclétien (304 après J.C) dans une ville de l’actuelle Tunisie : surpris lors d’une réunion le Jour du Seigneur, désobéissant ainsi aux dispositions impériales, ces chrétiens allèrent courageusement à la mort en déclarant qu’ils ne pouvaient vivre sans célébrer le Jour du Seigneur.

Depuis les tout débuts de l’Église, le dimanche joue un rôle de première importance pour les chrétiens et il faut donc en tenir compte lorsque nous voulons mieux comprendre le sens de l’eucharistie pour nous. Car le lieu par excellence où se constitue l’Église, où se construit sa fraternité, et où l’Église renouvelle ses forces est sans contredit l’eucharistie dominicale. L’affirmation d’un saint Ignace d’Antioche, évêque et martyr au tout début du IIe siècle de l’Église, demeure toujours actuelle. Il disait : « Le Dimanche est le jour où notre vie se lève par le Christ »!

Mais d’où vient ce lien entre le dimanche et l’eucharistie dominicale? Il est vrai que dans la Tradition de l’Église, l’eucharistie s’est peu à peu développée au point d’être célébrée tous les jours de la semaine. Mais cela a quand même pris plus de 400 ans, car son cadre premier et naturel a toujours été le dimanche. Ce lien entre l’eucharistie et le dimanche est apparent au tout début de l’Église. Écoutons ce que nous dit le Concile Vatican II à ce sujet :

L’Église célèbre le mystère pascal, en vertu d’une tradition apostolique qui remonte au jour même de la résurrection du Christ, chaque huitième jour, qui est nommé à bon droit le jour du Seigneur, ou dimanche. Ce jour-là, en effet, les fidèles doivent se rassembler pour que, entendant la parole de Dieu et participant à l’eucharistie, ils se souviennent de la passion, de la résurrection et de la gloire du Seigneur Jésus, et rendent grâces à Dieu qui les « a régénérés pour une vivante espérance par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts » (1 P 1,3). Aussi le jour dominical est-il le jour de fête primordial qu’il faut proposer et inculquer à la piété des fidèles, de sorte qu’il devienne aussi jour de joie et de cessation de travail… (VSC 106).

Comme nous le rappelle ce texte du Concile Vatican II, avec les premières communautés chrétiennes c’est le Jour du Seigneur ou le Huitième jour, comme on l’appellera aussi dans les premiers temps de l’Église, qui fait son apparition.

Rappelons-nous que c’est au matin du « premier jour de la semaine » (Mt 28,1; Mc 16,9; Lc 24,1; Jn 20,1) que le Seigneur Jésus est ressuscité et qu’il s’est manifesté aux siens. Après être apparu aux saintes femmes, puis à Pierre, il se manifesta « ce même jour » aux deux disciples d’Emmaüs, qui « le reconnurent à la fraction du pain » (Lc 24,35) et il leur dit: « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ». Ayant dit cela, il souffla sur eux et leur dit: « Recevez l’Esprit Saint. A qui vous remettrez les péchés, ils seront remis » (Jn 20,21-23).

Sept jours plus tard, soit le dimanche, Jésus apparaît à nouveau au milieu des apôtres (Jn 20,26-27). C’est alors que Thomas est invité à mettre la main dans ses plaies et à devenir un homme de foi, un croyant.

Ce qu’il faut retenir de ce qui précède, c’est le lien intime qui relie le dimanche et le mystère de Pâques, i.e. tous ces événements qui entourent la résurrection de Jésus et qui se déroulent soit le jour même de sa résurrection, i.e. le dimanche, ou sept jours plus tard, le huitième jour, comme l’a appelé la tradition chrétienne. C’est pourquoi depuis la résurrection chaque dimanche pour l’Église est un jour de Pâques.

(Cette réflexion sera poursuivie dans les semaines qui viennent. En attendant, bonnes vacances et bon été!)

La communion des mains

Depuis que je suis prêtre, j’ai toujours été fasciné par ces mains qui se tendent vers moi lors de la communion. Elles me dévoilent un peu la personne qui les tend et elles font de moi le témoin privilégié du mystère d’une rencontre. Depuis que je suis prêtre, je ne compte plus les milliers de mains qui se sont tendues vers cette petite hostie entre mes doigts. J’en suis encore émerveillé.

À chaque eucharistie défilent devant moi des mains de toutes sortes, minuscules ou trapues, douces ou décharnées. Mains fermées et mains ouvertes, mains qui dévoilent leurs faims, leurs désirs ou leur indifférence. Voilà longtemps que je souhaitais parler de ces mains.

Il y a les mains pressées, peut-être est-ce de la timidité, souvent elles sont brusques et enlèvent littéralement le Corps du Christ. Des mains promptes à prendre et promptes à se retirer, emportant avec elles leur hâte.

Il y les mains timides, des mains qui semblent quémander le Corps du Christ tout en s’excusant d’être là. Elles sont malhabiles et semblent dire : « Seigneur je ne suis pas digne de te recevoir… », oubliant la finale de la formule : « mais dis seulement une parole et je serai guéri. »

Il y les mains fières qui reçoivent l’hostie comme un dû, qui prennent et s’en vont, sans rien dire. Ou encore les mains distraites, le regard ailleurs, ou, est-ce le coeur?

Mais il y a aussi les mains qui adorent, qui contemplent déjà en s’avançant. Ce sont des mains sereines, des mains de foi, tout ouvertes au mystère. Comme il y a aussi ces mains pieuses, toutes recueillies, mais parfois à l’excès, et qui me laissent alors un étrange malaise, comme si elles voulaient ne garder que pour elle le Christ qui s’offre à tous.

Et que dire de ces mains usées, tannées par le travail, mains rugueuses, sales parfois. Je revois ces mains de cultivateurs ayant passé toute la journée aux champs. Ce sont des mains impressionnantes qui parlent de l’Homme et de son labeur sur la terre.

Il y a aussi les mains usées et ridées des vieillards. Ce sont des mains fidèles et persévérantes, on voudrait les baiser, comme si elles portaient les plaies du Christ. Bien qu’elles tremblent un peu en offrant leur faiblesse, elles respirent la confiance en Dieu et la foi têtue. Ce sont les plus belles mains avec les mains des enfants.

Les mains d’enfants sont des mains confiantes, toutes données. Elles sont encore toutes petites et elles sourient au mystère de Dieu qui se dépose en elles. Ce sont des mains pleines de joie et de fraîcheur, ce sont les mains de la jeunesse et de l’avenir de l’Église. Elles me rendent heureux d’être prêtre.

Enfin, les mains qui m’émeuvent tout particulièrement, ce sont les mains des itinérants (SDF). On en voit peu, mais lorsqu’elles se présentent on les remarque tout de suite. Ce sont des mains abîmées, cicatrisées, noircies, parce que laissées à elles-mêmes, solitaires et abandonnées. Elles hésitent souvent lorsqu’elles se tendent, comme gênées d’être là, et pourtant si habituées à quémander… En les voyant, je me dis: “Que voilà des mains qui souffrent.” Elles ressemblent aux mains du Christ.
La communion des mains c’est tout cela, mais c’est avant tout recevoir le Corps du Christ. C’est prendre entre ses doigts ce qu’il y a de plus précieux dans la création. Pour Simone Weil, l’hostie nous place au degré le plus infime de la Création, et parce que justement ce degré est le plus bas, il est le plus capable de recevoir l’infini.

Et c’est là qu’intervient la main du prêtre. Quelle conscience elle doit avoir de l’honneur qui lui échoit, car dans cette main qui tend l’hostie, il y a la main du Christ qui dispense en toute gratuité le grand mystère de l’Amour fait chair.
N’ayons donc pas peur d’ouvrir bien grand les mains et de dire AMEN!