Homélie pour le 3e Dimanche de Pâques (A)

Arcabas Emmaus

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 24,13-35.
Le même jour (c’est-à-dire le premier jour de la semaine), deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem,
et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé.
Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux.
Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.
Jésus leur dit : « De quoi discutez-vous en marchant ? » Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes.
L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit : « Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem qui ignore les événements de ces jours-ci. »
Il leur dit : « Quels événements ? » Ils lui répondirent : « Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth, cet homme qui était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple :
comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié.
Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. Mais avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé.
À vrai dire, des femmes de notre groupe nous ont remplis de stupeur. Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau,
elles n’ont pas trouvé son corps ; elles sont venues nous dire qu’elles avaient même eu une vision : des anges, qui disaient qu’il est vivant.
Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. »
Il leur dit alors : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit !
Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? »
Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait.
Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient, Jésus fit semblant d’aller plus loin.
Mais ils s’efforcèrent de le retenir : « Reste avec nous, car le soir approche et déjà le jour baisse. » Il entra donc pour rester avec eux.
Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna.
Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards.
Ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? »
À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent :
« Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. »
À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.

COMMENTAIRE

Les deux disciples dont il est question dans cet évangile ne font pas partie du groupe des Apôtres. Ce sont de simples disciples, comme vous et moi, et dont l’évangéliste Luc nous rappelle la merveilleuse histoire. Une histoire actuelle puisque nous sommes aussi des disciples d’Emmaüs. Nous sommes en marche avec eux avec nos doutes, nos manques de foi. Dans ce récit, le Ressuscité semble nous prendre par la main afin de nous amener à une meilleure intelligence du mystère de sa mort et de sa résurrection. Il nous faut toujours reprendre le chemin d’Emmaüs là où le Christ nous attend.

Quand je prêche à une assemblée, je suis toujours animé de ce désir d’approfondir avec elle cet extraordinaire mystère de notre foi. Certains me diront que c’est là « mon métier », mais je répondrais que je suis avant tout disciple du Christ avec vous et que c’est ensemble que nous cherchons à mieux comprendre et à mieux vivre cette foi qui est la nôtre.

Les prédications sont comme des variations sur un même thème, soit l’amour de Dieu pour nous et ses conséquences dans nos vies. Je vois les fidèles de dimanche en dimanche venir en Église célébrer leur foi, et pour moi c’est toujours un privilège que de pouvoir méditer avec eux les Écritures, contempler et accueillir ensemble celui qui se donne à nous dans l’Eucharistie. Quand on a la foi, on ne peut qu’acquiescer à cette affirmation de Maurice Zundel : « Le bonheur, c’est Dieu. Dieu c’est le bonheur. » C’est ainsi que nos deux disciples d’Emmaüs, après leur rencontre avec le Ressuscité, peuvent s’exclamer : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en nous tandis qu’Il nous parlait sur la route. »

Chaque dimanche, partout dans le monde, les chrétiens et les chrétiennes se rassemblent afin de se laisser rejoindre sur la route par le Ressuscité, pour se mettre à nouveau à l’écoute des Écritures, qui nous parlent de Lui, et qui nous préparent à communier à sa vie donnée, à recevoir ce supplément de grâce à chacune de nos eucharisties, afin que nous puissions repartir avec cette paix et cette joie du Christ, et que nous avons pour mission de porter au monde.

Mais pour être habité par cette passion qui change véritablement une vie, il faut rencontrer le Christ, et surtout vouloir le rencontrer sans cesse ; ne jamais hésiter à lui dire, quand le jour baisse et que le soir approche : « Reste avec nous ! »

Remarquez que nos deux disciples d’Emmaüs ne reconnaissent pas le Ressuscité quand il se fait voir à leurs yeux. Ce n’est que lorsqu’il disparaît, à la fraction du pain, qu’ils le reconnaissent. Nous ne croyons pas au Christ à cause d’une preuve extérieure évidente ou parce que son tombeau a été trouvé vide le matin de Pâques, ou même parce que des témoins nous disent l’avoir vu après sa mort. Bien sûr, ce sont là des éléments de preuve qui peuvent nous mettre sur le chemin de la foi, mais comme l’écrivait Maurice Zundel : « Je ne crois pas en Dieu, disait-il, je le vis. » Dieu ne se réduit pas à une formule ou un credo, il est une rencontre. Il n’est pas une simple connaissance, il est une re-connaissance au plus intime de nos vies.

La foi chrétienne, c’est le cœur qui s’ouvre à plus grand que lui, à la source même de sa vie, qui expérimente cette rencontre du Christ dont parlait l’Apôtre Pierre dans sa première lettre aux chrétiens de Rome et qui leur disait : « Vous qui l’aimez sans l’avoir vu. »

Est-ce possible d’aimer le Christ sans l’avoir vu ? Certainement, nous en sommes convaincus. L’Église vit de cette réalité depuis près de deux mille ans. Il suffit de regarder la vie de cette foule de témoins qui nous ont précédés pour s’en convaincre, jusqu’au cœur même de notre communauté chrétienne.

Pour prendre une image que nous comprenons bien au Québec, cette présence du Ressuscité à nos vies est comparable à l’irruption du printemps au cœur de nos hivers. Nous le savons, et c’est même une certitude, la vie est plus forte que tout. Plus forte que ces glaces qui nous emmurent en janvier, plus forte que ce froid qui trop souvent nous paralyse en février. Cette expérience des saisons dans notre pays nordique est à la fois exigeante, mais aussi exaltante. La nature se fait pédagogue dans notre pays et elle nous enseigne à lire les signes des temps, qui ne sauraient nous tromper. À quiconque sait tendre l’oreille, en ce temps de l’année, la nature semble murmurer ces paroles qui sont au cœur même de l’acte de création : « Osez espérer ! Osez croire ! Ne soyez pas incrédules. Tout va changer. » C’est l’invitation que nous fait le Ressuscité à travers ce récit des disciples d’Emmaüs.

Petite anecdote personnelle pour concrétiser mon propos. Il y a plusieurs années, la communauté chrétienne de l’Annonciation, à laquelle j’appartenais, avait accueilli deux familles de réfugiés cambodgiens. J’étais allé chercher l’une de ces familles, les ramenant de leur « hôtel refuge » de Montréal à ma petite vallée des Laurentides. Nous étions en plein mois de janvier et pour la première fois, ils voyaient nos vastes forêts et je lisais une pointe d’inquiétude dans leurs yeux.

Le père, devant le regard insistant de son épouse, osa enfin me questionner. Il me demanda ce qui avait bien pu arriver à notre forêt pour que les arbres soient tous morts. Je lui expliquai alors que nos arbres perdaient toutes leurs feuilles en automne pour ensuite s’endormir dans un profond sommeil. Mais le printemps venu, je l’assurai qu’ils retrouveraient leur vitalité et leurs feuilles. Cette explication sembla le satisfaire et nous avons poursuivi notre route.

Après les affres de la guerre au Cambodge, une nouvelle vie commençait pour cette famille. Les mois passèrent et, le printemps venu, mes nouveaux amis m’avouèrent, mi-amusés, mi-confus, qu’ils n’avaient pas vraiment cru en mon explication au sujet des arbres. Ce n’est qu’en expérimentant eux même cette réalité complexe, et combien mystérieuse de nos saisons, qu’ils purent comprendre à leur tour ce que signifie cette attente du renouveau au cœur de la vie.

Frères et sœurs, la fête de Pâques est le lieu par excellence où les chrétiens et les chrétiennes enracinent leur espérance, au-delà des saisons qui passent, au-delà des échecs apparents de l’Église, au-delà des déceptions et des découragements. L’Évangile de ce dimanche nous invite à passer de nos désillusions à une foi ferme et convaincue, à une foi persévérante. Nous espérons et nous croyons parce que Dieu le premier a cru en nous en nous donnant la vie. Nous espérons et nous croyons en Dieu parce que dans un élan d’amour sans égal, Il nous a donné son Fils unique en partage. Nous espérons et nous croyons parce que Jésus a vaincu la mort et que sa vie s’offre à nous, sans cesse, comme un printemps toujours renouvelé. N’en sommes-nous pas les témoins ?

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 2e Dimanche de Pâques (A)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 20,19-31.
C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! »
Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.
Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »
Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint.
À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu.
Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! »
Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. »
Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre.
Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.

COMMENTAIRE

Les Églises orientales, catholiques et orthodoxes, appellent ce dimanche, le dimanche de Thomas. Elles veulent ainsi souligner que l’attitude de l’apôtre incrédule est parfois la nôtre. Ce qui n’empêcha pas cet apôtre de grandir dans sa foi, avec l’aide du Christ, car c’est ce même Thomas qui donnera à Jésus le titre le plus éloquent de tout l’Évangile : «Mon Seigneur et mon Dieu.»

Voilà qui est encourageant pour nous! Malgré les doutes et les difficultés que nous pouvons parfois éprouver dans notre vie de foi, Dieu est toujours là avec nous et il nous aide sans cesse dans notre découverte de qui il est et de sa présence au cœur de nos vies. C’est ce que Jésus fait avec ses disciples après sa résurrection. Bien que ces derniers l’aient abandonné, il n’a pas eu honte de ses apôtres. Au contraire, il se manifesta à eux, les appelant à passer des ténèbres de la peur à son admirable lumière, les invitant à entrer dans sa Pâque!

Chaque année, à l’occasion du Triduum pascal, nos couvents dominicains un peu partout dans le monde, célèbrent l’Office des ténèbres. Il s’agit de la prière des psaumes, entrecoupée de lectures bibliques et spirituelles, célébrée le matin, et qui a pour but de nous associer à la passion du Christ. Après l’un de nos offices, j’ai fait la rencontre d’une jeune femme. Elle tenait à nous exprimer son bonheur d’avoir pu prier avec nous. Elle m’avouait avoir même pleuré pendant le beau Cantique de Zacharie, quand nous chantions au sujet du Christ, qu’il est venu illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin de la paix. 

Elle était belle à voir cette jeune mère de six enfants, convertis depuis maintenant seize années. Elle s’exclama soudain, emportée par son enthousiasme : «Je ne comprends pas que des gens ne croient pas en Dieu». Mais elle se ravisa aussitôt, se rappelant qu’elle-même avait jadis été incroyante, et elle ajouta : «Pourquoi moi? Pourquoi nous? Je ne comprends pas.

C’est une grâce, dit-elle, c’est un don. Jamais je ne voudrais perdre ce don et comme j’aimerais le partager.» Elle était là avec son conjoint, rayonnante, comme un ange m’annonçant la bonne nouvelle de Pâques.

Frères et sœurs, c’est à cette joie toute pascale que nous invite la Parole de Dieu en ce dimanche, alors que le Christ ressuscité se tient au milieu de ses apôtres, qu’il se tient au milieu de notre assemblée, et qu’il nous offre sa paix. Jésus apparait à ses disciples dès le premier jour de sa résurrection, comme si les liens noués ici-bas étaient de la plus grande importance pour lui. Malgré le fait que ses amis l’aient abandonné, renié et trahi, Jésus ne se détourne pas d’eux. Au contraire, il vient vers eux avec empressement, et il traverse les murs de leurs peurs et de leurs doutes, afin de les ramener vers lui, et de les établir fermement dans cet amour sans limites qu’il a pour eux. À travers ces apparitions, Jésus nous révèle combien nous avons du prix pour lui. C’est cet amour qui l’a conduit à sa passion et dont il porte encore les marques dans son corps glorifié.

Mais venons-en à l’apôtre Thomas. Quand ses amis affirment : « Nous avons vu le Seigneur », c’est le témoignage d’une adhésion de foi au Ressuscité que les apôtres donnent à Thomas. Le verbe « voir » chez Saint Jean ne désigne pas une vision sensible, mais une nouvelle manière de voir, tout intérieure, grâce à l’action de l’Esprit Saint. Ils ont vraiment reconnu Jésus comme Seigneur, et c’est ce désir de partager cette même foi qu’exprime Thomas quand il dit : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l’endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je n’y croirai pas ». On entend dans ces paroles de Thomas comme une supplication. Il y a chez lui une volonté ferme de communier à son Seigneur, de participer au mystère de Celui qui a été crucifié et qui est mort pour lui. Thomas appelle son Seigneur à son secours et il ne sera pas déçu. Il est alors invité à cesser d’être incrédule et à devenir croyant.

Frères et sœurs, n’est-ce pas là l’invitation sans cesse renouvelée par le Christ dans nos vies? Demandons à Dieu la grâce de l’entendre et d’y répondre, afin de pouvoir faire nôtre à nouveau la profession de foi de Thomas alors que sera remis entre nos mains le corps du Christ : «Mon Seigneur et mon Dieu !»

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

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Homélie pour le Dimanche de Pâques (A)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Jean   (Jn 20, 1-9)
Le premier jour de la semaine,
Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ;
c’était encore les ténèbres.
Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau.
Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple,
celui que Jésus aimait,
et elle leur dit :
« On a enlevé le Seigneur de son tombeau,
et nous ne savons pas où on l’a déposé. »
Pierre partit donc avec l’autre disciple
pour se rendre au tombeau.
Ils couraient tous les deux ensemble,
mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre
et arriva le premier au tombeau.
En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ;
cependant il n’entre pas.
Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour.
Il entre dans le tombeau ;
il aperçoit les linges, posés à plat,
ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus,
non pas posé avec les linges,
mais roulé à part à sa place.
C’est alors qu’entra l’autre disciple,
lui qui était arrivé le premier au tombeau.
Il vit, et il crut.
Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris
que, selon l’Écriture,
il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.

COMMENTAIRE

En entendant le récit de la course passionnée de Simon-Pierre et du disciple bien-aimé, comment ne pas voir dans leur sillage les souvenirs enchevêtrés de ces trois années d’itinérance passées avec Jésus ?

Comme il était grand leur espoir ! Trois années nourries des rêves les plus fous… et puis la mort tragique, la fin brutale de celui qu’ils aimaient. Et quoi maintenant ? Quelle est cette nouvelle ? Ils n’osent y croire. À bout de souffle, le regard inquiet, les voici au tombeau, le plus jeune devançant le plus vieux. Le commentaire de l’évangéliste à son sujet est stupéfiant par sa brièveté : « Il vit et il crut ! ».

La résurrection de Jésus est la réalisation d’une promesse longtemps attendue, où Dieu affirme que le Vivant n’a pas sa place dans les tombeaux de ce monde. Pourtant, l’expérience du tombeau vide n’explique en rien la foi des disciples du Christ. Ce serait là un bien faible appui sur lequel miser nos vies. Le tombeau vide n’est que le signe annonciateur préparant les disciples à une rencontre décisive avec le Ressuscité.

« Il vit et il crut ! », nous dit l’évangéliste. Nous avons là une clé d’interprétation fondamentale pour comprendre ce que veut dire la foi en Jésus Christ. Ceci peut sembler contradictoire, mais avant de croire, il faut avoir vu. Je m’explique. La foi au Dieu de Jésus Christ ne se fonde pas sur des raisonnements intellectuels irréfutables, bien que l’intelligence soit au service de la foi. Je serais un bien mauvais dominicain si j’osais affirmer le contraire. Mais je garde cette conviction fondamentale que le cœur de la foi chrétienne est avant tout la reconnaissance d’une présence intérieure, d’un appel au plus profond de nous, une présence d’amour infinie devant laquelle la foi se prosterne et adore. « Il vit et il crut ! »

En fait, c’est l’amour qui fait croire ici ! Comme si l’apôtre bien-aimé se disait en regardant le tombeau vide : « Je le savais ! » Cette brise légère au cœur de notre vie de foi, c’est la rencontre du regard aimant de Jésus posé sur nous qui nous attire vers lui et qui nous fait entendre cet appel intérieur, au plus profond de nous-mêmes, tout comme les deux disciples devant le tombeau vide, à qui le Ressuscité semble dire : « Voyez ! Vous pensiez avoir enterré tous vos espoirs. Mais regardez ce tombeau vide, c’est plein de vie dedans. »

Tout comme pour Pierre et le disciple bien-aimé, c’est la bonne nouvelle de la résurrection du Christ qui nous fait accourir ici en ce matin de Pâques. C’est une recherche commune qui nous unit en Église, où nous ne cessons d’approfondir le don que Dieu nous fait en Jésus Christ, et où nous ne cessons de nous en émerveiller ensemble.

C’est tout le sens de cette grande Semaine Sainte qui nous a conduits jusqu’à ce matin de la résurrection, où nous nous tenons éblouis nous aussi devant ce tombeau vide. Un tombeau à la porte grande ouverte, irradiant la lumière de Pâques. « Il vit et il crut ! » C’est à ce regard de foi et d’amour que nous sommes conviés ce matin.

fr. Yves Bériault, o.p.

 

Homélie pour la Vigile pascale

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 28, 1-10)

Après le sabbat,
à l’heure où commençait à poindre le premier jour de la semaine,
Marie Madeleine et l’autre Marie
vinrent pour regarder le sépulcre.
Et voilà qu’il y eut un grand tremblement de terre ;
l’ange du Seigneur descendit du ciel,
vint rouler la pierre et s’assit dessus.
Il avait l’aspect de l’éclair,
et son vêtement était blanc comme neige.
Les gardes, dans la crainte qu’ils éprouvèrent,
se mirent à trembler et devinrent comme morts.
L’ange prit la parole et dit aux femmes :
« Vous, soyez sans crainte !
Je sais que vous cherchez Jésus le Crucifié.
Il n’est pas ici,
car il est ressuscité, comme il l’avait dit.
Venez voir l’endroit où il reposait.
Puis, vite, allez dire à ses disciples :
‘Il est ressuscité d’entre les morts,
et voici qu’il vous précède en Galilée ;
là, vous le verrez.’
Voilà ce que j’avais à vous dire. »
Vite, elles quittèrent le tombeau,
remplies à la fois de crainte et d’une grande joie,
et elles coururent porter la nouvelle à ses disciples.
Et voici que Jésus vint à leur rencontre et leur dit :
« Je vous salue. »
Elles s’approchèrent,
lui saisirent les pieds et se prosternèrent devant lui.
Alors Jésus leur dit :
« Soyez sans crainte,
allez annoncer à mes frères
qu’ils doivent se rendre en Galilée :
c’est là qu’ils me verront. »

COMMENTAIRE

Selon le récit évangélique entendu, elles étaient deux à l’aube de ce matin qui ressemblait à tous les matins du monde. Deux ombres craintives, accablées par la mort de Jésus qu’elles avaient suivi jusqu’au Calvaire. Mais voilà que tout bascule, après l’ange qui leur apparaît, c’est Jésus lui-même qui les salue et leur confie une mission : il est ressuscité!

En soumettant ces faits au jugement de l’histoire ou à l’enquête judiciaire, une conclusion s’imposerait d’elle-même : le corps ne fut jamais retrouvé, il fut sans doute enlevé par ses partisans. Le dossier serait clos ! Pourtant, la suite de l’histoire a de quoi étonner et c’est sans doute ce qui permet d’affirmer que nous sommes devant la disparition la plus spectaculaire de tous les temps.

Alors que Jérusalem cherchait à oublier les événements de la veille, et qui pourtant marqueront à jamais sa destinée ; alors que les Apôtres eux-mêmes croyaient que ces femmes déliraient, un constat s’impose : la nouvelle incroyable se répandra avec la vitesse de l’éclair et, bientôt, elle embrasera tout le bassin de la Méditerranée. Il n’y a plus place ici pour l’observateur impartial, le journaliste ou l’historien. De ce matin semblable à tous les autres matins, jaillit l’extraordinaire nouvelle du matin de Pâques.

Pourtant, l’expérience du tombeau vide n’explique en rien la foi des disciples du Christ. Ce serait là un bien faible appui sur lequel miser sa vie. L’événement est d’un autre ordre. Le tombeau vide n’est qu’un signe avant-coureur qui prépare les disciples à une rencontre avec le Ressuscité où la foi seule sera sollicitée. La résurrection du Seigneur Jésus qu’annonce l’ange, est la réalisation d’une promesse longtemps attendue, où Dieu affirme que la vie est plus forte que la mort, que le vivant, en commençant par le Christ, n’a pas sa place dans les tombeaux du monde.

Les évangiles synoptiques ne manquent pas de détails pour évoquer la dimension dramatique, cataclysmique même, de la mort de Jésus. C’est un drame au retentissement cosmique qui se joue dans les évangiles : du ciel qui s’obscurcit, au soleil qui disparaît, du voile du Temple qui se déchire en deux, au tremblement de terre qu’évoque Matthieu, les évangélistes veulent surtout nous faire comprendre combien la mort de Jésus revêt une dimension universelle. La Terre vacille sur son socle, le voile du Temple se déchire, ouvrant ce dernier aux quatre vents, alors qu’un monde nouveau est en train de naître.

Combien cette image d’enfantement est à-propos face à cette crise universelle et humanitaire que nous traversons, où toutes nos certitudes sont ébranlées, nous amenant à nous demander quels seront les lendemains qui nous attendent. Un monde nouveau ? De nouvelles relations entre les nations où tout le monde sera gentil et généreux ? Rien n’est impossible, bien sûr, mais quelle conversion extraordinaire cela demanderait ?  C’est pourquoi il nous faut vraiment prendre la mesure du défi qui se présente à nous et du remède à y apporter.

Je ne crois pas en ces grands lendemains où « tout va changer ce soir » comme le chantait la chanson. Je crois toutefois que le grand changement est déjà survenu un certain matin de Pâques à Jérusalem, et qu’il nous revient à nous de faire nôtre cette victoire. « Éveille-toi ô toi qui dors », comme le chante une hymne antique, ouvre ton cœur à Celui qui seul est capable de le guérir en profondeur. C’est là la seule réponse qui convient devant l’énorme défi de notre vivre ensemble sur cette terre et où nous découvrons combien nous avons besoin les uns des autres.

Ayant mis comme vous, ma foi en Dieu, j’ai cette ferme conviction qu’un appel se fait entendre à travers cette crise, comme un doux murmure printanier, à travers tous ces gestes de solidarité, d’amour, et d’entraide. Doux murmure qui est la voix de l’Esprit de Dieu à l’œuvre, voix de cet unique Amour qui s’est fait entendre au matin de Pâque, et qui nous appelle à la Vie.

C’est à cette révolution spirituelle et universelle que cette nuit sainte nous invite. Pas de recette magique ! Pas de pensée magique, mais un profond travail d’enfantement chez tous ceux et celles qui veulent bien ouvrir leur cœur en ces temps qui sont les nôtres et qui ressemblent à s’y méprendre à un chemin de croix pour notre humanité, mais où notre foi nous dit que Dieu est avec nous.

Un philosophe grec[1] disait, il y a déjà 2, 500 ans : « Si tu ne sais pas espérer, tu ne pourras jamais accueillir l’inespéré. » En cette Sainte Vigile, qui est la mère de toutes les vigiles, de toutes les attentes au cœur de notre monde, nous proclamons que l’inespéré s’est fait chair, que le Fils du Père a habité parmi nous, qu’il a vaincu la mort, et qu’il est devenu notre éternel printemps.

Alors, réjouissons-nous frères et sœurs ! Célébrons ! Christ est ressuscité ! Lui, le premier des vivants qui nous accompagne même dans nos nuits les plus profondes !

fr. Yves Bériault, o.p.

[1] (Héraclite, Fragment 18)

Le lion qui dort

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Dans un texte très ancien, Éphrem le Syrien, diacre, qui écrivait dans son deuxième nocturne du Vendredi Saint :

« Dans une grande douceur, Jésus est conduit à sa Passion, bénissant ses douleurs à toute heure. Il est conduit au jugement de Pilate qui siège au prétoire, à la sixième heure on le raille, jusqu’à la neuvième heure Il supporte la douleur des clous, puis sa mort met fin à sa passion, à la douzième heure. Il est déposé de la croix : on dirait un lion qui dort. »

On dirait un lion qui dort! Comme cette image est puissante et évocatrice dans cette représentation du Seigneur Jésus face à sa mort. Elle nous aide à entrer dans le secret du silence qui enveloppe le cœur de l’Église en ce samedi saint.
Cette image du « lion qui dort » ne se retrouve pas dans les évangiles, bien sûr, et pourtant n’est-ce pas cette tranquille assurance, cette imperturbable confiance qu’évoque la scène de la tempête apaisée où l’on nous présente Jésus qui dort au milieu d’une mer déchaînée (Marc 4, 35 et ss.).

« Le lion qui dort » c’est à la fois le Fils de Dieu dans sa toute-puissance invincible, et c’est aussi le Fils de l’Homme, Jésus, qui s’en remet complètement au Père et qui nous invite à cette même confiance.

Comment ne pas entendre ici le psaume 131, où la figure du psalmiste évoque celle de Jésus dans sa parfaite obéissance au Père:

« Seigneur je n’ai pas le cœur fier…
Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse;
mon âme est en moi comme un enfant,
l’enfant sevré contre sa mère. »

« Pourquoi avez-vous si peur? Vous n’avez pas encore de foi? », dit Jésus à ses disciples apeurés dans la barque. Encore aujourd’hui, en cette veille de Pâques, la question nous est posée à nous aussi. Trop souvent nous avons peur en tant que chrétiens. Nous sommes inquiets, incapables de vivre notre foi dans cette assurance tranquille qui était celle du Christ. En ce Samedi Saint laissons donc monter cette prière vers lui:

« Seigneur, viens au secours de notre manque de foi. En cette veille de la fête de ta glorieuse résurrection, regarde non pas notre foi, mais la foi de ton Église, et accorde-nous cette grâce pascale d’en vivre toujours, avec l’assurance du lion qui dort! »

Yves Bériault, o.p.

 

Mourir avec le Christ

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 » Je suis gêné pour respirer. Je ne pensais pas que ça viendrait si vite. Sans doute que je n’arriverai plus à dormir aucune nuit.

Jésus, dans la nuit du Jeudi au Vendredi Saint, je te contemple. Tu sais que ce sera fini pour 15 heures. Tu sais par quoi il te faudra encore passer avant d’arriver ver à la fin et au but. Moi, je ne sais ni l’heure ni ce par quoi il me faudra encore passer.

J’ai peur. Et, tout à l’heure, en essayant encore de me rendormir, j’étais dans l’angoisse, et des rêves d’étouffement hantaient mon imagination. Veux-tu m’aider. Donne-moi la main.

Permets que je m’unisse aux derniers moments de ta vie, que les derniers moments de mon existence unis aux tiens servent à réparer mes péchés et les péchés de ton église; qu’ils soient source de salut pour tous mes frères et qu’ils permettent à tous de te mieux connaître et mieux aimer.

Donne-moi ta paix. Que l’angoisse et la souffrance n’empêchent pas la joie. Que ma solitude éclairée par la solitude de ta nuit du Jeudi au Vendredi Saint, soit remplie de ta présence et de ton amour.  »

Un prêtre (anonyme)

Homélie pour le Jeudi Saint

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Je sais que vous aimez les histoires, et ce que je vais vous raconter est une histoire vraie. Un jour, une enseignante à l’école a demandé à ses élèves de raconter ce que Dieu faisait dans la vie ! Le petit Danny âgé de huit ans a répondu ceci :

« Le travail principal de Dieu, dit-il, c’est de faire des personnes afin de remplacer celles qui nous quittent, pour qu’il y ait toujours du monde sur la terre pour faire rouler les autobus scolaires, faire des bonbons et du chocolat. Dieu, dit Danny, ne fait pas de grandes personnes, seulement des bébés. Je pense, dit-il, que c’est parce que les bébés sont plus petits et plus faciles à faire. Le temps de Dieu est précieux vous savez, il n’a pas le temps de leur apprendre à marcher et à parler. Il laisse ce travail aux papas et aux mamans ! »

Ainsi donc, chers parents, vous comprenez maintenant d’où vous viennent toutes ces responsabilités à l’égard de vos enfants ! Vous voilà informés ! Et je ne vous apprendrai rien si je vous dis que vos enfants sont votre bien le plus précieux, arrivés dans vos vies comme ces petits crocus au printemps qui lèvent la tête pour la première fois. Nous, les prêtres et les agents de pastorale, nous sommes des témoins privilégiés de l’amour que vous leur portez. Nous le voyons bien quand vous les présentez au baptême, quand vous les accompagnez à leur première communion, à leur confirmation, à leur mariage. Combien d’amour donné et reçu !

Pour certains d’entre vous, vos enfants sont encore très jeunes, et c’est une histoire extraordinaire qui commence à s’écrire dans vos familles, comme un film qui n’en est qu’à ses premières séquences, et qui va vous conduire de découverte en découverte, où tout n’est pas toujours rose ou facile bien sûr. Mais quand l’amour est là, il peut nous faire franchir tous les obstacles.

Ce soir, alors que nous célébrons le dernier repas de Jésus avec ses amis, il est justement question d’amour, où Jésus nous livre son secret afin de bien vivre cette aventure humaine et d’y trouver le bonheur. Et ce qu’il fait est vraiment étonnant : Jésus s’agenouille devant ses amis et se met à leur laver les pieds ! « Vraiment, me direz-vous. C’est ça sa recette du bonheur ! »

Mais regardez bien. Qu’est-ce que ce geste de Jésus nous dit au sujet de nos vies ? Dès la naissance de vos enfants, et ce, pendant plusieurs années, n’êtes-vous pas à genoux devant eux à leur laver les pieds et tout le reste ? À veiller sur eux quand ils sont malades ou tristes. À les encourager, à les valoriser, à les consoler, à les aimer beaucoup !

Et remarquez le renversement qui se produit quand on vieillit. L’enfant plus tard devient lui-même le gardien de ses parents, va souvent s’occuper d’eux jusque dans leur vieil âge, les chouchouter, les caresser, les encourager, les laver même. Je me souviens lorsque ma mère était à l’hôpital, dans les dernières années de sa vie, c’est moi qui lui lavais les cheveux, comme elle l’avait fait pour moi quand j’étais petit.

On voit aussi cette dynamique entre conjoints où parfois c’est l’un des deux qui porte l’autre quand l’un ne va pas, quand l’épreuve ou la maladie frappe à la porte. Dans toutes ces situations, vous prenez la tenue de service, vous vous mettez au pied les uns des autres, comme Jésus nous invite à le faire. Et mystérieusement, dans ce don de vous-mêmes, vos vies gagnent en profondeur dans cette fidélité quotidienne à l’autre, dans la patience généreuse, et le don de soi.

C’est cette porte que nous ouvre Jésus dans le récit de la dernière Cène ce soir. L’on n’y voit pas Jésus bénir du pain et du vin, contrairement aux autres évangélistes. L’évangéliste Jean met plutôt l’accent sur un geste bien particulier de Jésus pendant le repas, geste qui a pour but de nous dévoiler ce que la communion à sa vie de ressuscité peut accomplir dans nos vies.

Car elles sont parfois compliquées nos vies, ce n’est pas toujours facile d’être bons. Et c’est ici que Dieu vient à notre aide en nous donnant son Fils. L’évangéliste Jean, dans le récit du lavement des pieds, nous montre comment Dieu lui-même se met à nos pieds, et il le fait parce que nous sommes son bien le plus précieux, parce que nous sommes ses enfants ! Et si nous, nous aimons nos enfants, que dire de l’amour de Dieu pour nous ? Voilà ce que Jésus est venu nous révéler : jusqu’où nous étions aimés.

Tout comme l’amour des parents pour leurs enfants façonne ces derniers, les aide à grandir et prépare les hommes et les femmes de demain, l’amour de Dieu pour nous vient donner toute sa profondeur et sa direction à nos vies. Et c’est là le sens de l’eucharistie que Jean veut nous faire découvrir en retenant cette image du lavement des pieds. Il tient à nous dire combien Jésus Christ est une présence vivante auprès de nous, se tenant à nos pieds, et combien l’Eucharistie, ce que nous appelons la messe, est un lieu privilégié où il s’offre à nous, un lieu où il refait nos forces, où il lave nos blessures, où il nous enracine dans la vie et nous rend capables d’aimer comme lui.

Oui, Jésus s’est fait eucharistie, c’est-à-dire qu’il s’est offert au Père pour nous dans un immense élan d’amour, nous prenant avec lui et nous donnant de vivre de sa vie à lui. Mais il est important de rappeler en ce temps de confinement et de privation eucharistique, que ce don que fait Jésus de lui-même n’est pas confiné à la table eucharistique ou à l’enceinte de nos églises. Il saura toujours traverser les murs de nos maisons et de nos doutes afin de nous rejoindre. Le Christ se donne à tous ceux et celles qui ont soif d’être aimé en vérité et qui veulent bien ouvrir leur cœur à la présence de Dieu dans leur vie.

Et vous tous qui vous joignez à nous ce soir via les médias sociaux, dans une grande communion spirituelle, dans un acte de foi incroyable, comment le Christ ne se donneraient-ils pas totalement à ceux et celles qui l’aiment autant !

Fr. Yves Bériault, o.p.

 

Homélie pour le Dimanche des Rameaux

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C’est la Semaine Sainte qui commence et la liturgie d’aujourd’hui peut nous paraître paradoxale, sinon contradictoire. La preuve en est que nous avons deux noms pour désigner ce dimanche : le dimanche des Rameaux, qui rappelle l’entrée messianique de Jésus à Jérusalem, et le dimanche de la Passion du Seigneur.

Dans la procession d’entrée, solennellement, rameaux à la main, nous avons acclamé le Christ en tant que Roi triomphant, mais dans la préface eucharistique, nous dirons qu’il a été jugé comme un criminel. En entrant dans l’église nous avons chanté : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur », mais lors du récit de la Passion nous avons crié « crucifie-le! » avec la foule.

Le dimanche des Rameaux est un rappel brutal de la fin tragique de Jésus, qui met en lumière nos propres contradictions, nos compromissions avec le mal. Ce dimanche vient nous rappeler que nous ne pouvons séparer la gloire et la divinité de notre Sauveur, de l’offrande qu’il fait de lui-même en son humanité. Alors que nous avançons ensemble vers l’aube de Pâques, où nous serons illuminés de la joie pascale, il nous faut aussi nous engager sur le chemin qui y conduit : la passion et la mort de Jésus, afin de nous rappeler qu’il a donné sa vie afin de nous la partager et ainsi nous sauver. Ce ne sont pas les clous qui retiennent le Christ sur la croix, comme l’écrivait Catherine de Sienne, mais l’amour.

C’est la Semaine Sainte, et celle-ci ne consiste pas en un retour nostalgique sur des événements du passé, ni en des fabulations dont sont faits les contes pour enfants. La croix du Christ est trop rude et trop lourde pour nos épaules pour qu’un auteur en mal d’imagination l’ait inventée. Tout dans ce récit était de nature à décourager d’éventuels disciples. En somme, les évangélistes rapportaient ce qui aurait dû empêcher la naissance et l’expansion du christianisme (Fernand Ouellette). Et pourtant, deux mille ans plus tard, nous prêchons toujours un Messie crucifié.

Paradoxalement, c’est là notre honte, parce que cette Croix est l’expression même de notre péché, mais elle est aussi notre fierté, parce qu’elle est le lieu de notre relèvement. C’est pourquoi la Semaine Sainte ne saurait prendre tout son sens qu’à la lumière de la Résurrection. Elle nous parle à la fois du présent et de l’avenir, de notre présent et de notre avenir. Elle nous parle d’une histoire dramatique entre Dieu et notre humanité, où le Fils de Dieu « s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix » (Phil 2, 8).

Écoutons le témoignage émouvant d’une philosophe juive, Simone Weil, qui s’est approchée de la croix du Christ :

« Le don le plus précieux pour moi… c’est la croix. S’il ne m’est pas donné de mériter de participer à la croix du Christ, j’espère au moins de pouvoir y participer en tant que larron repentant. Après le Christ, de toutes les personnes dont il est fait mention dans l’Évangile, le bon larron est celui que j’envie le plus. D’être avec le Christ pendant la crucifixion, à ses côtés et dans la même position que lui, me semble être un privilège encore plus grand et plus enviable que d’être assis à sa droite dans la gloire. » (Lettre du 16 avril 1942).

Frères et sœurs, c’est la Semaine Sainte. Marchons avec le Christ vers sa croix en ce temps de pandémie où notre foi en Dieu est peut être mise à l’épreuve. Ouvrons nos cœurs au mystère du plus grand amour qui soit.

Yves Bériault, o.p.