Homélie pour la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens

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La semaine qui commence est une semaine de prière, de rencontres et de réflexions visant à permettre un rapprochement entre les différentes confessions chrétiennes. Parfois, je serais tenté d’appeler cette semaine la Semaine de prière pour l’unité des théologiens et des chefs d’Église, car l’on pourrait très bien dire que nous n’y sommes pour rien si les Églises sont divisées. C’est en haut lieu que ces questions se sont décidées, entre chefs d’Églises, entre les rois et les chefs de guerre. Les peuples n’ont fait que suivre.

Certains pourraient dire que nous ressemblons aux enfants du divorce qui, sans être responsables du divorce de leurs parents, se retrouvent à vivre avec l’un des deux, et qui aujourd’hui, prient afin qu’ils se rapprochent et se réconcilient.

Bien sûr, en rester à une telle vision serait certainement réducteur, car nous avons notre part de responsabilité face à l’avenir, et il faut bien reconnaître que les germes de divisions qui déchirent l’Église sont aussi en nous.

C’est pourquoi la semaine de prière pour l’unité des chrétiens n’est pas tout à fait une fête. On ne peut quand même pas célébrer une blessure, surtout lorsqu’elle atteint le corps du Christ, et qu’elle devient un scandale aux yeux de tous. Cette semaine n’a de sens que si elle est vécue en quelque sorte comme un mini-carême, un temps de pénitence, de prière et de réconciliation, une semaine où l’on prend le temps de se reconnaître divisés, et blessés par cette situation, car l’avenir de l’Église doit nous tenir à coeur.

C’est le bienheureux pape Paul VI qui disait : « L’on ne peut aimer le Christ si l’on n’aime pas l’Église ». Cette semaine de prière est une occasion idéale pour réfléchir non seulement à notre attitude à l’endroit des chrétiens des autres confessions, mais aussi à notre propre appartenance à l’Église.

Est-ce que par notre attitude les gens qui nous entourent sentent chez nous un amour réel de l’Église, un attachement à sa Tradition, un souci affectueux pour ses difficultés, une solidarité avec les défis auxquels elle doit faire face? Ou donnons-nous l’impression d’adolescents en guerre avec leurs parents  qui, à la moindre occasion, en profitent pour les critiquer?

Car je dois vous avouer que j’ai toujours souffert de voir des chrétiens et des chrétiennes dénigrer leur Église sous prétexte qu’ils ne sont pas d’accord, ou parce qu’elle ne prend pas les décisions qu’eux-mêmes prendraient s’ils étaient pape ou évêque. À partir du moment où on ne reconnaît plus ces derniers comme nos frères qui ont la charge de nous conduire, qui font leur possible et donnent habituellement le meilleur d’eux-mêmes, l’on s’engage déjà sur la pente de la division.

Mais ici il faut bien nuancer. Le droit de critique est essentiel. C’est un droit fondamental dans nos sociétés, et il faut bien reconnaître que les baptisés n’ont pas toujours le sentiment d’être entendus dans leur Église. Il y a certainement des progrès à faire sur ce point. Mais cela ne peut justifier le manque d’amour dans les critiques que l’on entend parfois, l’aigreur, sinon l’hostilité, qui laissent croire que ce ne sont pas là des sentiments animés par l’Esprit Saint, car ces attitudes sont trop humaines et relèvent davantage de frustrations que d’un esprit évangélique.

Qui de nous n’a pas été complice de telles attitudes à l’occasion? Rappelons-nous que l’Esprit de Dieu n’est pas un Esprit de rancune, de jalousie ou de haine, et que c’est dans de telles attitudes que commencent les schismes et les divisions qui déchirent le Corps du Christ.

Cette semaine vient nous rappeler l’importance d’aimer l’Église et son mystère, car on ne peut aimer l’Église uniquement dans ses institutions. Le grand corps de l’Église, ce sont avant tout ses membres, présents et passés, qu’il s’agisse d’un saint Paul, d’un saint François, d’une sainte Thérèse de Lisieux, de nos défunts, de vous et de moi. Nous sommes tous réunis dans une même communion, grâce à l’Esprit Saint, qui nous fait vivre de la vie du Christ.

Quand je dis qu’il nous faut aimer l’Église et son mystère, c’est de toute cette réalité que je veux parler. J’englobe à la fois le présent, le passé et l’avenir de l’Église. Je pense à tous ceux et celles qui ont mis leur foi en Dieu, depuis notre Père Abraham, jusqu’aux plus modestes témoins d’aujourd’hui, dont la vie et les actions sont marquées par l’évangile.

Le mystère de l’Église s’exprime tout autant chez les moines et les ermites que dans les familles chrétiennes, chez les veufs et les veuves, chez les célibataires, chez les couples qui célèbrent modestement leur foi ensemble à la maison. Ce mystère de l’Église s’exprime tout autant dans la vie des grands saints que dans la vie de tous ces hommes et ces femmes anonymes qui n’ont cessé de se mettre au service de leurs frères et de leurs soeurs en humanité, à cause de cette vie du ressuscité qui les appelle et les fait vivre.

Cette Église, elle est tout aussi présente dans les grandes cathédrales et les monastères du monde, que dans les soupes populaires de nos villes, que dans les taudis de Calcutta ou du Nunavut. Partout nous trouvons des chrétiens et des chrétiennes engagées au nom de leur foi en Jésus-Christ, et ce, indépendamment de leurs confessions chrétiennes.

C’est toute cette Église qu’il nous faut aimer et reconnaître, tout autant sur la place Saint-Pierre de Rome, qu’à la cathédrale de Québec, dans la plus petite des églises de nos villages, chez nos frères et nos soeurs dans la foi que nous appelons « séparés ». Chez eux, comme chez nous, il y a ce même mystère d’une présence qui est à l’oeuvre et qui nous appelle. Il y a cette même présence de Jésus Christ et de son Esprit, car il est fidèle à sa promesse de nous être présent, au fil du temps et des siècles, lui le cœur battant de cette grande maison que nous appelons l’Église, et qui en a fait sa demeure. « Venez et voyez nous dit-il. »

Frères et soeurs, demandons à Dieu, en cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens, de nous aider à grandir dans notre attachement à l’Église, Peuple de Dieu, car comment prétendre aimer le Christ, si nous n’aimons pas l’Église? N’a-t-il pas donné sa vie pour elle?

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour la Semaine de l’unité des chrétiens

3e dimanche du temps ordinaire. Année A.

Je garde un souvenir douloureux de mon enfance, alors que j’avais huit ou neuf ans. C’était un dimanche et la rumeur avait vite circulé dans mon petit quartier tout neuf de banlieue que des témoins de Jéhovah faisaient du porte-à-porte. C’était du jamais vu à cette époque des années cinquante. De bons pères de famille, trois ou quatre, je crois, s’étaient rapidement mobilisés afin de chasser ces intrus. J’ignorais tout des témoins de Jéhovah et j’avais peur. Pourtant en les voyant entourés par ces hommes en colère et hostiles, je me souviens aussi d’avoir éprouvé un sentiment indéfinissable de honte. Sentiment que je n’ai jamais oublié en lien avec cette scène de violence pour le jeune enfant que j’étais.

Pourquoi vous partager ce souvenir? C’est que chaque année, partout dans le monde, la semaine qui vient de passer, et qui se termine avec ce dimanche, est consacrée à l’unité des chrétiens. C’est une semaine de prière, de rencontres et de réflexion visant à permettre un rapprochement entre les chrétiens et les chrétiennes de différentes confessions.

Parfois, je serais tenté d’appeler cette semaine la Semaine de prière pour l’unité des théologiens, des chefs d’Église. Car d’une certaine manière, on pourrait très bien dire que nous n’y sommes pour rien si les Églises sont séparées; c’est en haut lieu que ces questions se sont décidées, entre chefs d’Églises, entre les rois, entre les chefs de guerre. Les peuples n’ont eu d’autre choix que de les suivre. Nous ressemblons un peu aux enfants du divorce qui sans être responsables du divorce de leurs parents se retrouvent à vivre avec l’un des deux, et nous sommes invités à prier afin qu’ils se rapprochent et se réconcilient.

Je fais un peu d’humour ici et vous conviendrez avec moi qu’en rester à une telle vision serait un peu simpliste, car nous avons nous aussi notre part de responsabilité face à l’avenir; et les germes de divisions qui déchirent l’Église sont aussi présents en nous.

Cette semaine de l’unité des chrétiens qui s’achève n’est pas vraiment une fête : division avec l’Église orthodoxe, division avec les Églises de la Réforme protestante, division avec l’Église anglicane, divisions à l’intérieur même de ces Églises et de la nôtre. On ne peut quand même pas célébrer une blessure, surtout lorsqu’elle atteint le Corps du Christ et qu’elle devient un scandale pour plusieurs, que l’on soit chrétiens, incroyants ou d’une autre religion.

Tout cela est bien humain, et il n’y a pas de quoi se réjouir. C’est pourquoi cette semaine de l’unité des chrétiens n’a de sens que si elle est vécue en quelque sorte comme un mini-carême, un temps de pénitence et de réconciliation, une semaine où les chrétiens et les chrétiennes prennent le temps de se reconnaître pécheurs, et qui, en tant que membres solidaires de leurs Églises respectives, reconnaissent aussi qu’ils sont blessés par cette situation. La semaine de l’unité des chrétiens vient nous rappeler que nous sommes divisés, que c’est là une situation intolérable et scandaleuse, une situation qui devrait nous faire souffrir si nous aimons l’Église de Dieu.

Mais par où commencer ce travail de guérison? Jean-Paul II avait fait cette remarque étonnante, un jour, au sujet de nos différends avec les protestants. Il avait affirmé qu’il y avait aussi des sources d’enrichissement réciproque suite à ces divisions. L’Esprit Saint ne se laisse pas arrêter par nos différends. Seuls le dialogue et l’amitié peuvent nous amener à la rencontre de nos frères et sœurs chrétiens séparés, mais disciples du Christ eux aussi. Et ensemble nous pouvons enrichir et approfondir notre connaissance de Dieu, malgré nos divisions. À preuve, les liens d’amitié des papes récents avec des pasteurs ou des rabbins.

Par ailleurs, c’est le pape Paul VI qui affirmait : « On ne peut aimer le Christ si l’on n’aime pas l’Église ». Et il me semble que cette semaine de l’unité est un temps idéal pour réfléchir aussi à notre propre appartenance à l’Église. Nous demander comment nous faisons Église en tant que catholiques. Car les divisions prennent leur source au coeur même de l’Église, lorsque nous oublions que nous sommes appelés à vivre ensemble l’évangile dans l’unité.

Comme le demande saint Paul aujourd’hui dans sa lettre aux Corinthiens : « Le Christ est-il donc divisé? » Il ne peut y avoir de divisions entre nous, car nul n’est croyant pour lui-même. Ce n’est pas uniquement à titre d’individus que nous sommes venus à la foi, mais avant tout à titre de membres du peuple de Dieu.

C’est pourquoi la semaine de l’unité des chrétiens nous invite aussi à réfléchir à notre rapport à l’Église, et qui ne peut être dissocié de l’Église visible, et de tout ce qu’elle porte avec son pape, ses évêques, ses instituts religieux, ses théologiens, ses communautés chrétiennes, ses fidèles, ses missionnaires, ses forces, ses faiblesses et même ses scandales. Est-ce que par notre attitude les gens qui nous entourent reconnaissent chez nous cet amour de l’Église dont parle Paul VI, un attachement véritable à sa Tradition, un souci affectueux pour ses difficultés, une solidarité réelle avec les défis auxquels elle doit répondre et qui sont aussi les nôtres? Ou encore donnons-nous l’impression d’adolescents en guerre perpétuelle avec leurs parents et qui à la moindre occasion en profitent pour les dénigrer.

Comme plusieurs d’entre vous, je dois avouer que je souffre de voir tant de chrétiens et de chrétiennes s’en prendre à l’Église, au pape et aux évêques, sous prétexte qu’ils ne sont pas d’accord avec eux, sous prétexte qu’ils n’agissent pas comme eux le feraient, ou parce qu’ils ne prennent pas les décisions qu’eux-mêmes prendraient s’ils étaient en position d’autorité. À partir du moment où on ne les reconnaît plus comme des frères qui ont la responsabilité de conduire le peuple de Dieu, l’on s’engage déjà sur la pente des divisions.

Mais il faut bien nuancer ici. Nous avons le droit d’avoir des opinions et d’être en désaccord. Le droit de critique est essentiel dans l’Église. Les institutions et leurs traditions sont des outils qu’il faut savoir remettre en question, à l’écoute des signes des temps comme le soulignait le concile Vatican II. Mais là où le bât blesse, c’est le manque d’amour que l’on constate souvent dans ces critiques, l’aigreur, sinon l’hostilité, l’esprit de division et de moquerie. Ce ne sont pas là des attitudes inspirées par l’Esprit Saint, car l’Esprit de Dieu n’est pas un esprit de rancune, de jalousie ou de haine. Et souvent c’est par de telles attitudes que commencent les schismes qui déchirent le Corps du Christ.

C’est saint Jean qui écrit dans sa première lettre : « Puisque Dieu nous a tant aimés, nous devons aussi nous aimer les uns les autres… car si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour atteint en nous la perfection ». Cette semaine de l’unité nous rappelle que ce défi est aussi à vivre entre nous, dans notre paroisse, dans notre diocèse, dans notre Église universelle, car comme l’affirme le pape François en cette semaine de l’unité : « il y a un espace pour grandir dans la communion et l’unité entre nous, […] qui vient directement du commandement de l’amour laissé par Jésus à ses disciples ».

Nous le savons, l’amour de Dieu est loin d’avoir atteint sa perfection en nous. C’est un long travail en chantier, et cet idéal nous échappera toujours un peu, car nous sommes pécheurs, et nous marchons sur un chemin de conversion. Mais il ne faut pas nous décourager, car nous ne sommes pas seuls ni laissés à nous-mêmes, et la victoire du Christ nous le savons est assurée.

C’est pourquoi au terme de cette semaine de l’unité des chrétiens, nous nous tournons vers Dieu avec nos frères et nos soeurs de toutes les Églises, afin de nous rappeler que c’est par Lui que se fera notre unité définitive, et que tout ce qu’Il nous demande, c’est d’avoir un cœur volontaire, de devenir des instruments dociles entre ses mains au service de la paix, de la réconciliation et de l’unité. Amen.

Yves Bériault, o.p.

Pour conclure la Semaine de l’unité des chrétiens

Jésus disait à ses Apôtres : « Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi. »

Nous sommes de ceux-là. Nous sommes les héritiers de la prédication des Apôtres de Jésus. Nous croyons à cause de leurs paroles, à cause du témoignage de leurs vies, ainsi que de tous ceux qui leur ont succédé. Nous croyons surtout parce que l’Esprit de vérité a été répandu dans nos cœurs à notre baptême, et il nous a amenés à reconnaître que Jésus a vraiment les paroles de la vie éternelle.

Jésus est le parfait adorateur du Père et seul le Fils de Dieu pouvait nous montrer ce qu’est le cœur de la véritable prière, le sens profond de l’amour de Dieu et du prochain. C’est pourquoi nous proclamons sans cesse en Église, et à la face du monde, que Jésus est véritablement le « resplendissement de la gloire du Père, l’expression parfaite de son être. » Vrai homme, mais aussi vrai Dieu, son amour pour nous ne pouvait pas être un amour de demi-mesure. C’est pourquoi il demande pour nous au Père : « Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. »

Voilà de désir profond de Jésus, et qui est le désir profond du Père. Jésus est allé au bout du don de lui-même afin que les enfants du Père soient un avec Lui et le Père, uni dans une même communion, uni dans un même amour, uni dans un même Esprit. Comme il est grand le don que Jésus nous fait de lui-même dans son obéissance au Père. Comme il est beau!

C’est pourquoi saint Augustin célèbre le Christ en disant de lui : « Il est beau, le Verbe auprès de Dieu […]. Il est beau dans le ciel, beau sur la terre […]; beau dans ses miracles, beau dans le supplice; beau quand il appelle à la vie et beau quand il ne s’inquiète pas de la mort […]; beau sur la Croix, beau dans le tombeau, beau dans le ciel […].» Oui, le Père se complaît en son Fils, lui en qui il a mis tout son amour, lui qu’il a glorifié en le ressuscitant des morts.

Cette gloire de Jésus, les Apôtres en ont été les témoins privilégiés le matin de Pâques, afin qu’ils parviennent ainsi à cette unité dans la foi et la charité, et qu’ils vivent ainsi dans cette communion qui existe entre le Père et le Fils, et ce pour l’éternité. C’est là l’héritage que Jésus vient nous léguer au nom du Père. L’unité des disciples rend témoignage à cette action puissante de Jésus sur les cœurs, et atteste ainsi qu’il est vraiment l’envoyé de Dieu. « Que leur unité soit parfaite, demande Jésus; ainsi, le monde saura que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. »

Voilà le rêve de Dieu pour nous, un rêve qui comporte bien sûr des exigences, mais surtout une grande joie, car c’est là que se trouve la véritable liberté, puisque cet amour de Dieu est la source de toutes les joies et sur cet amour nous pouvons construire nos vies avec assurance, puisque Jésus lui-même nous y invite. Il nous invite à être un reflet de sa gloire pour notre monde. Comme l’écrivait l’auteur Jacques Breault : « Vivre jusqu’au bout l’Évangile. Rien n’apparaît aujourd’hui plus généreux, et plus inventif ». 

« Qu’ils soient un! »

Le mouvement oecuménique, est une réalité toute récente dans l’histoire de l’Église. Non pas qu’à travers les siècles, il n’y ait pas eu de tentatives de rapprochement entre les parties divisées du Corps du Christ, mais l’oecuménisme est un mouvement qui s’est développé en-dehors d’une décision d’autorité ou de rencontres entre chefs d’Églises. C’est un mouvement qui a ses racines dans le peuple de Dieu. Il s’est imposé comme une nécessité aux yeux d’un grand nombre de chrétiens et de chrétiennes, pour qui l’oecuménisme est un fruit de l’Esprit. Ce mouvement vise à rendre actuelle la prière que Jésus faisait à son Père, peu de temps avant sa passion :  » Qu’ils soient un comme nous nous sommes un ! »Bien sûr, il y a encore loin de la coupe aux lèvres et l’idéal de l’unité dans l’Église demeurera toujours un défi, et ce, jusqu’à la fin des temps. Mais Jean-Paul II lui-même a fixé l’arrivée du troisième millénaire comme un moment privilégié à saisir pour l’Église, afin qu’elle s’engage plus résolument sur la voie de la communion. Cette recherche est un devoir moral qui incombe non seulement à toutes les Églises, mais à tous les chrétiens et chrétiennes. Comme le soulignait Mgr Pezeril :  » Il n’y aura jamais de désaveu plus sévère par Dieu de nos désunions que cette grâce, répandue en nous tous par son Esprit, de l’invoquer, de le chanter, de l’aimer, de nous perdre en lui.  » (tiré de Congar, Yves. Je crois en l’Esprit Saint. Tome II. Cerf, 1979. p. 261).

L’on dit que le plus long des voyages commence par un pas.

Semaine de l’unité des chrétiens

A chaque année, partout dans le monde, cette semaine est consacrée à l’unité des chrétiens. C’est une semaine de prière, de rencontres et de réflexions, visant à permettre un rapprochement entre les différentes confessions chrétiennes. Il serait tentant d’appeler cette semaine « la Semaine de prière » pour l’unité des théologiens et des chefs d’Église. Car il serait aisé d’affirmer que nous n’y sommes pour rien si les Églises sont séparées et que c’est en haut lieu que ces questions se sont décidées, entre chefs d’Églises, entre rois et chefs de guerre. Les peuples ont tout simplement suivi. L’on pourrait nous comparer aux enfants du divorce qui, sans être responsables du divorce de leurs parents, doivent continuer à vivre avec l’un des deux, entre les deux. Naturellement, en rester à une telle vision serait un peu simpliste, car nous avons un rôle à jouer vis-à-vis l’avenir, et ce serait s’illusionner que de penser que les germes de divisions qui déchirent l’Église ne sont pas aussi en nous.Cette semaine de l’Unité des chrétiens n’est donc pas tout à fait une fête. On ne peut quand même pas célébrer une blessure, surtout lorsqu’elle atteint tout le corps du Christ et qu’elle devient un scandale pour plusieurs, qu’ils soient chrétiens, incroyants ou membres d’une autre religion. Mais nous pouvons quand même à l’occasion de cette semaine prendre la mesure de la distance parcourue sur le chemin de l’unité et constater à quel point le XXe siècle a marqué un tournant majeur et irréversible dans cette recherche de l’unité perdue. La détermination d’un Jean-Paul II ou d’un Benoît XVI ne fait qu’illustrer à quel point l’Église prend au sérieux ce défi de retrouver la pleine communion avec nos frères et sœurs dans le Christ.

Cette semaine de l’unité est paradoxale puisqu’elle nous invite à nous ouvrir davantage au dialogue avec les autres confessions chrétiennes, ce qui est réjouissant, et, en même temps, cette semaine n’a de sens que si elle est vécue en quelque sorte comme un mini-Carême, un temps de pénitence et de prière pour l’unité, un temps pour se reconnaître à la fois pécheurs et blessés par cette situation. Le manque d’unité entre les chrétiens ne peut que nous faire souffrir si nous aimons véritablement l’Église.

Paul VI disait : »L’on ne peut aimer le Christ si l’on n’aime pas l’Église ». Et il me semble que cette semaine de l’Unité est une semaine idéale pour réfléchir non seulement sur notre attitude à l’endroit des chrétiens des autres confessions, mais aussi sur notre manière d’appartenir à l’Église. Car les divisions ont leur source au coeur même des hommes et des femmes qui forment l’Église, et qui oublient trop souvent que d’être appelés Peuple de Dieu veut dire aussi être membres d’un seul Corps qui est le Christ.

Nul n’est croyant pour lui-même. Ce n’est pas uniquement à titre d’individus que nous sommes croyants, mais c’est avant tout à titre de Peuple de Dieu, dont chacun de nous est un membre essentiel et indispensable. Le croyons-nous vraiment que nous sommes une part indispensable du Corps du Christ ? Et si nous le croyons, il nous faut en arriver à la même conclusion pour tous nos frères et sœurs du monde entier.

Cet idéal nous échappera toujours ici-bas dans sa pleine réalisation, car nous sommes pécheurs. Mais en cette semaine de l’Unité, nous nous tournons vers Dieu, vers son Christ, afin de nous rappeler que c’est en lui et par lui que se fera notre unité définitive en Église, une Église une et universelle. Car comment pourrions-nous aimer le Christ si nous n’aimons pas l’Église et tous ceux et celles qui en sont les membres.

La rencontre de l’autre

François Varillon, dans son livre : « Un chrétien devant les grandes religions », pose la question suivante : « Qu’est-ce que le christianisme m’apporte d’absolument unique et irremplaçable? Il est vrai que, lorsque les chrétiens ne sont pas capables de répondre à cette question, on peut se demander s’ils sont vraiment chrétien et pourquoi ils le sont » (p. 26). Le jugement de Varillon ici est sévère, surtout à une époque où tant de choses sont relativisées. Mais fondamentalement, il a raison. La suite du Christ ne peut pas être ramené tout simplement à un style de vie parmi d’autres, ou à une question de culture ou d’habitude. Qu’est-ce qui me fait vivre comme chrétien? That is the question , comme dirait Shakespeare. “To be or not to be.”Naturellement, à une époque où la notion de tolérance a fait des gains considérables, où l’oecuménisme a donné naissance en quelque sorte au dialogue inter-religieux (pensons à la première rencontre inter-religieuse d’Assise en 1984), l’on constate que le contre-coup de cette ouverture à l’autre semble être la tentation de relativiser ce qui fait la spécificité de chacun. Cette tentation est grande dans le dialogue oecuménique et inter-religieux, tant au niveau des intervenants, qu’au niveau du grand public, du croyant ordinaire, qui en arrivent à penser que toute croyance renvoie à la même réalité, que tout se vaut. Cela entraîne alors un certain relativisme qui tend à dévaluer la spécificité de l’expérience spirituelle chrétienne. Un intellectuel Hindou, Ananda K. Coomarasvamy affirme, face à ce courant contemporain : « La tolérance moderne est dans une large mesure le symptôme, soit de l’indifférence envers la vérité ou l’erreur spirituelle, soit de la conviction que la vérité ne pourra jamais être connue. » (Cité in F. Varillon, p.22)

Voyage de Benoît XVI en Turquie

Le 28 novembre prochain Benoît XVI entreprendra son voyage historique en Turquie, voyage dont le fait saillant sera sans doute sa rencontre avec le Patriarche oecuménique Barthélémy Ier de Constantinople. Un pas de plus dans ce long dialogue qui vise à rapprocher les Églises d’Occident et d’Orient.Le mouvement oecuménique est une réalité toute récente dans l’histoire de l’Église. Non pas qu’à travers les siècles il n’y ait pas eu de tentatives de rapprochement entre les parties divisées du Corps du Christ, mais l’oecuménisme est un mouvement qui s’est développé en-dehors d’une décision d’autorité ou de rencontres entre chefs d’Églises. C’est un mouvement qui a ses racines dans le peuple de Dieu. Il s’est imposé comme une nécessité aux yeux d’un grand nombre de chrétiens et chrétiennes. L’oecuménisme est un fruit de l’Esprit. Ce mouvement vise à rendre actuelle la prière que Jésus faisait à son Père, peu de temps avant sa passion : « Qu’ils soient un comme nous nous sommes un!»

Bien sûr, il y a encore loin de la coupe aux lèvres et l’idéal de l’unité dans l’Église demeurera toujours un défi, et ce, jusqu’à la fin des temps. Mais Jean-Paul II lui-même avait fixé l’arrivée du troisième millénaire comme un moment privilégié à saisir pour l’Église, afin qu’elle s’engage plus résolument sur la voie de la communion. Et Benoît XVI semble poursuivre le rêve de son prédécesseur.

Cette recherche de l’unité est un devoir moral qui incombe non seulement à toutes les Églises, mais à tous les chrétiens et chrétiennes. Comme le soulignait Mgr Pezeril, « il n’y aura jamais de désaveu plus sévère par Dieu de nos désunions que cette grâce, répandue en nous tous par son Esprit, de l’invoquer, de le chanter, de l’aimer, de nous perdre en lui.»

L’on dit que le plus long des voyages commence par un pas. Puisse ce voyage nous aider à faire un pas de plus sur le chemin de l’unité.