Homélie pour le 4e Dimanche (B)

Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 1,21-28. 
Jésus et ses disciples entrèrent à Capharnaüm. Aussitôt, le jour du sabbat, Jésus se rendit à la synagogue, et là, il enseignait.
On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes.
Or, il y avait dans leur synagogue un homme tourmenté par un esprit impur, qui se mit à crier :
« Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu. »
Jésus l’interpella vivement : « Tais-toi ! Sors de cet homme. »
L’esprit impur le fit entrer en convulsions, puis, poussant un grand cri, sortit de lui.
Ils furent tous frappés de stupeur et se demandaient entre eux : « Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité ! Il commande même aux esprits impurs, et ils lui obéissent. »
Sa renommée se répandit aussitôt partout, dans toute la région de la Galilée.

COMMENTAIRE

D’entrée de jeu, Jésus nous est présenté dans l’évangile de Marc comme un homme qui parle et agit avec autorité. On est frappé par son enseignement que ses auditeurs qualifient de « nouveau », car cet enseignement se distingue de celui des scribes. Jésus ne fait pas que répéter les préceptes de la loi juive, mais il en élargit l’application au point où sa parole a le pouvoir de libérer, de transformer ceux et celles qui l’écoutent. Elle a le pouvoir de donner le goût de Dieu !

Un peu plus loin dans ce même évangile, Jésus va appeler les Douze et les inviter à participer à sa mission. Cet appel nous concerne tous. Nous sommes à la fois les premiers bénéficiaires de cette action de Jésus en nos vies, et nous sommes invités, nous aussi, à prêcher l’évangile et à chasser les démons avec lui. Mais pour bien comprendre ce que cela signifie, il nous faut regarder comment ces deux réalités s’expriment dans le ministère de Jésus.

Revenons à l’évangile d’aujourd’hui. Alors que Jésus vient d’appeler ses premiers disciples, saint Marc nous présente le premier acte public de Jésus alors qu’il enseigne dans la synagogue de Capharnaüm. L’évangéliste ne nous dit pas en quoi consiste cet enseignement. Ce qui lui importe, ce sont ses conséquences. La prédication de Jésus est existentielle, c’est une parole agissante qui change les cœurs, et c’est ainsi qu’un homme qui se trouve dans l’assemblée est rejoint au plus profond de son être. C’est un possédé. C’est-à-dire un homme divisé, partagé et qui est membre de la synagogue.

L’évangéliste nous dit qu’il est possédé par un esprit impur. Il est important de savoir que « dans la tradition juive, l’impureté se caractérise par le mélange. Par exemple, la loi juive interdisait, dans le travail des champs, d’accoupler deux espèces différentes de bétail, ou de porter un vêtement dont l’étoffe était tissée de deux fibres différentes. » (Bernard Mourou)

Ce possédé porte en lui-même un tel mélange, il est impur car c’est un homme divisé, un homme habité par une grande détresse, par des conflits intérieurs que personne dans la synagogue n’a encore perçus. Mais la parole de Jésus va ouvrir une brèche dans le cœur de cet homme possédé, et c’est alors que surgissent au grand jour les sentiments contradictoires qui l’habitent, où il reconnaît à la fois que Jésus vient de Dieu, tout en refusant de se laisser toucher par lui. Mais Jésus va mettre à nue cette division, et il libère l’homme par la toute-puissance de sa parole, cette parole qui a le pouvoir de transformer le monde, un cœur à la fois, et que Jésus confie à son Église.

L’Évangile de Marc est un Évangile de l’action. Il nous montre un Jésus agissant. Et au cœur de son action, il y a sa prédication. Mais cette prédication est rarement développée dans les évangiles. De quoi était-elle faite au juste ? Les évangélistes nous racontent que Jésus parlait surtout en paraboles. Sa prédication s’enracinait dans la vie quotidienne de ses auditeurs à travers des images familières évoquant la pêche, la vigne, l’agriculture, la fête et le prochain.

Jésus s’adressait à ses auditeurs à partir de leur réalité, de ce qui meublait leurs journées et leurs rapports les uns aux autres, les tirant en quelque sorte vers le haut, afin qu’ils découvrent toute la profondeur, la largeur et la hauteur de leurs vies d’enfants de Dieu. Jésus, par ses récits et ses actions, nous dévoile le mystère de nos vies et sa parole est une parole qui libère, qui guérit, qui pardonne, et qui investit celui ou celle qui l’accueille d’un souffle nouveau, car la parole de Jésus témoigne qu’il est véritable lDieu. Après l’avoir écoutée, on n’est plus le même!

Ce ministère de la parole et de la guérison, Jésus le confie à son Église. Et ce ministère va bien au-delà d’une prédication stéréotypée, bien au-delà de l’annonce de préceptes ou de lois, du permis et de l’interdit, car ce serait alors retomber dans les mêmes pièges, la même stérilité que Jésus reprochait aux scribes et aux pharisiens.

Comme Jésus, nous sommes appelés à être présents à tous ceux et celles que nous rencontrons, appelés à marcher avec eux, en n’ayant par peur de ce que ces personnes peuvent portent en elles-mêmes de blessures et de divisions, de douleurs, de révoltes ou de peines.

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Je crois que le pape François nous en donne un bel exemple à travers son ministère de pasteur et de frère dans la foi. Comme lui, nous avons pour mission non seulement d’annoncer Jésus-Christ à notre monde, mais nous sommes appelés aussi à élargir sans cesse notre compréhension de l’évangile du Christ, car c’est une Parole vivante qu’on ne peut ni enfermer, ni aseptiser, car l’Esprit Saint nous précède toujours dans la Galilée des nations, et nous ne sommes pas au bout de nos surprises, car la Parole de Dieu fait toujours du neuf. C’est ce que l’on voit dans l’évangile de ce jour, et c’est ce dont l’Église doit témoigner sans cesse dans son ouverture au monde. Le pape François nous en donne un témoignage des plus interpellant, il me semble.

Ainsi, alors que l’Église a connu bien des conflits avec l’islam, n’a-t-on pas vu le pape François revenir d’un voyage dans les camps de réfugiés en Grèce accompagné de quelques familles musulmanes, afin de leur offrir un refuge au Vatican? N’a-t-il pas tendu la main à nos frères et sœurs protestants à l’occasion du 500e anniversaire de la Réforme de Luther, leur rendant même visite en Suède à l’occasion de cette commémoration ? N’a-t-il pas porté un regard neuf sur le drame des divorcés remariés, choisissant la miséricorde avant la loi ? N’est-il pas celui qui a dit : « Qui suis-je pour juger ? » nous rappelant, comme l’exprimait un théologien dominicain, que «  la doctrine ne verrouille pas la miséricorde. » (fr. Garrigues).

Dès l’annonce officielle de son programme, le 23 novembre 2013 dans l’exhortation sur « la joie de l’Évangile », le pape François faisait cet acte de foi : « Je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort qui consiste à s’accrocher à ses propres sécurités… L’Église, écrivait-il, est comme un hôpital de campagne qui a pour caractéristique de naître là où on se bat ». Voilà un pape qui, en ses propres mots, nous invite à « l’intranquillité ». Les contemporains de Jésus diraient certainement en l’écoutant : « Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité ! »

Quant à nous, tout ce que nous pouvons demander, c’est d’être là où le Christ nous appelle, afin que, par nos actions, nos paroles et nos prières, ce soit véritablement sa puissance à lui ainsi que sa miséricorde qui se déploient à travers le rayonnement de nos vies.

Ce langage nouveau de Jésus dans la synagogue de Capharnaüm, c’est la nouveauté de l’évangile, c’est la Parole de Dieu qui fera toujours du neuf, qui nous surprendra toujours et qui nous est maintenant confiée. À nous de voir maintenant jusqu’où elle nous entraînera avec la grâce de Dieu.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour la fête de saint Thomas d’Aquin

« J’ai prié et l’intelligence m’a été donnée. J’ai supplié et l’esprit de la sagesse est venue en moi ». Cet extrait du livre de la Sagesse nous situe sans doute au coeur même de la vie de frère Thomas d’Aquin. Lui qui a si bien parlé du mystère de la foi et de Dieu tout au long de sa vie et qui pourtant, au terme de son parcours sur terre, considère ses enseignements comme de la paille. Frère Thomas se voit alors comme le plus humble des frères et il ne peut que se taire devant le mystère qu’il a tellement cherché à comprendre. 

Thomas d’Aquin était un mystique qui donnait toute sa valeur à cette affirmation d’un Père de l’Église qui disait que « le théologien est quelqu’un qui prie, et celui qui prie est un théologien ». Avant d’être un théologien, frère Thomas était un simple croyant, un priant, un amant de Dieu. C’est pourquoi nous ne sommes pas étonnés de voir des personnes comme Catherine de Sienne ou Thérèse de Lisieux, sans formation théologique,  porter le même titre que ce grand intellectuel, soit celui de docteur de l’Église. Dieu se donne à tous ceux et celles qui le cherchent et il nous rend capable de le trouver. 

En cette fête de saint Thomas d’Aquin, la liturgie nous propose comme modèle un personnage qui est très important pour l’Ordre des Prêcheurs et pour l’Église. Nous somme fiers de son génie et de son oeuvre, bien sûr.

Et en la fête d’un tel saint on ne peut oublier à quel point la recherche de Dieu et de la vérité demande un travail acharné, où, sans cesse, l’intelligence doit se mettre au service de la foi. C’est pourquoi cette fête est l’occasion de rendre hommage à tous ces frères et soeurs dans l’Ordre des Prêcheurs et dans l’Église toute entière qui se consacrent à ce ministère de la vérité. Mais l’on aurait rien saisit du mystère de ce docteur de l’Église si l’on ne célébrait pas tout d’abord l’homme de foi, l’humble frère qui, un jour, attacha ses pas à ceux du Christ et consacra toute sa vie à se faire proche de Dieu.

Yves Bériault, o.p.

Prière avant l’étude – de St Thomas d’Aquin

Créateur ineffable, Vous êtes la vraie source de la lumière et de la sagesse. Daignez répandre Votre clarté sur l’obscurité de mon intelligence ; chassez de moi les ténèbres du péché et de l’ignorance.

Donnez-moi : La pénétration pour comprendre, La mémoire pour retenir, La méthode et la facilité pour apprendre, La lucidité pour interpréter, Une grâce abondante pour m’exprimer, Aidez le commencement de mon travail, Dirigez en le progrès, Couronnez en la fin, Par Jésus Christ Notre Seigneur.

Homélie pour la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens

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Rencontre entre le pape François et le patriarche Bartholomée Ier de Constantinople

 

Il est bon de rappeler en cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens que dès les tout débuts de l’Église, cette dernière a souffert de conflits et de divisions internes. On le voit déjà dans les Actes des Apôtres et dans les lettres de Paul. Mais les plus grandes divisions remontent vers l’an mille de notre ère avec le grand schisme d’Orient, soit les divergences théologiques entre l’Église romaine et les orthodoxes de Byzance, et qui conduisirent à une première rupture. Le XVIe siècle lui sera le témoin du grand schisme de l’Occident, avec Luther et la réforme protestante, affrontement qui blessera profondément l’Église. Ce schisme sera suivi quelques années plus tard par celui de l’anglicanisme, sous Henri VIII, qui marquera la séparation de l’Église d’Angleterre avec de celle de Rome.

Voilà, en quelques lignes, un bref survol de l’histoire des divisions dans l’Église, divisions qui se poursuivent encore aujourd’hui. C’est pourquoi, il nous faut toujours prier pour l’unité des chrétiens. Mais je serais tenté d’appeler cette semaine de prière, la Semaine de prière pour l’unité des théologiens et des chefs d’Église, car l’on pourrait très bien dire que nous n’y sommes pour rien si les Églises sont divisées. C’est en haut lieu que ces questions se sont décidées, entre chefs d’Églises, entre les rois et les chefs de guerre. Les peuples ne faisant que suivre leurs chefs religieux ou leurs princes.

Certains pourraient dire que nous ressemblons aux enfants du divorce qui, sans être responsables de la séparation de leurs parents, se retrouvent à vivre avec l’un des deux, et qui, aujourd’hui, prient afin qu’ils se rapprochent et se réconcilient. Bien sûr, en rester à une telle vision des choses serait certainement réducteur, car nous avons notre part de responsabilité face à l’avenir, et il faut bien avouer que les germes de divisions qui déchirent l’Église, sont aussi en nous, divisions à plus petite échelle bien sûr, mais qui n’en blessent pas moins nos Églises locales et nos communautés chrétiennes.

La semaine de prière pour l’unité des chrétiens n’est pas tout à fait une fête, vous en conviendrez. On ne peut quand même pas célébrer une blessure, surtout lorsqu’elle atteint le Corps du Christ, et devient un scandale aux yeux de tous. Cette semaine n’a de sens que si elle est vécue en quelque sorte comme un mini-carême, un temps de pénitence, de prière et de réconciliation, une semaine où l’on prend le temps de se reconnaitre divisés et blessés, car l’avenir de l’Église doit nous tenir à cœur.

C’est le bienheureux pape Paul VI qui disait : « L’on ne peut aimer le Christ si l’on n’aime pas l’Église ». Cette semaine de prière est une occasion idéale pour réfléchir non seulement à notre attitude à l’endroit des chrétiens des autres confessions, mais aussi à notre propre attachement à l’Église. Est-ce que par notre attitude les gens qui nous entourent sentent chez nous un amour réel de l’Église, un attachement à sa Tradition, un souci affectueux pour ses difficultés, une solidarité avec les défis auxquels elle doit faire face, ou profitons-nous de la moindre occasion pour la critiquer?

Il n’est pas question ici de remettre en question de droit de critiquer. C’est un droit fondamental dans nos sociétés, et il faut bien reconnaître que les catholiques n’ont pas toujours eu le sentiment d’être entendus dans leur Église. Il y a certainement des progrès à faire sur ce point. Mais cela ne peut justifier le manque d’amour dans les critiques que l’on entend parfois, sinon l’hostilité, qui laissent croire que ce ne sont pas là des sentiments animés par l’Esprit Saint.

Qui de nous n’a pas été complice de telles attitudes à l’occasion? Rappelons-nous, comme l’écrit saint Paul, que l’Esprit de Dieu n’est pas un Esprit de rancune, de jalousie ou de haine, car c’est par de telles attitudes que commencent les schismes et les divisions qui déchirent le Corps du Christ.

Cette semaine vient nous rappeler l’importance d’aimer l’Église et son mystère, car on ne peut aimer l’Église uniquement dans ses institutions. Le grand Corps de l’Église, ce sont avant tout ses membres, présents et passés, qu’il s’agisse d’un saint Paul, d’un saint François, d’une sainte Thérèse de Lisieux, de nos défunts, de vous et de moi. Nous sommes tous unis dans une même communion, grâce à l’Esprit Saint qui nous fait vivre de la vie même du Christ.

Quand je dis qu’il nous faut aimer l’Église et son mystère, c’est de toute cette réalité que je veux parler. J’englobe à la fois le présent, le passé, et l’avenir de l’Église. Je pense à tous ceux et celles qui ont mis leur foi en Dieu, depuis notre père Abraham, jusqu’aux plus modestes témoins d’aujourd’hui, dont la vie et les actions sont marquées par l’évangile.

Le mystère de l’Église s’exprime tout autant dans les familles chrétiennes que chez les moines et les ermites, il se vit chez les veufs et les veuves, chez les célibataires et les couples chrétiens. Ce mystère de l’Église s’exprime tout autant dans la vie des grands saints que dans la vie de tous ces hommes et ces femmes anonymes, qui n’ont cessé de se mettre au service de leurs frères et de leurs sœurs en humanité, à cause de cette vie du ressuscité qui les appelle et qui les fait vivre, et ce, dans toutes les Églises.

L’Église du Christ est tout aussi présente dans les grandes cathédrales et les monastères du monde, que dans les soupes populaires de nos villes ou dans les taudis de Calcutta ou du Nunavut. Partout nous trouvons des chrétiens et des chrétiennes engagées au nom de leur foi, et ce, indépendamment de leurs confessions chrétiennes.

C’est toute cette Église qu’il nous faut aimer et faire nôtre, tout autant celle de la place Saint-Pierre de Rome que la plus petite des églises de nos villages, tout comme celle qui est à l’œuvre chez nos frères et nos sœurs dans la foi, et que nous désignons avec la formule maladroite « nos frères et nos soeurs séparés ». Chez eux, comme chez nous, il y a ce même mystère d’une présence d’amour qui laboure cette terre et qui nous interpelle. Il y a cette même présence de Jésus Christ et de son Esprit, car il est fidèle à sa promesse d’être présent à ses disciples, au fil du temps et des siècles, lui le cœur battant de cette grande maison que nous appelons l’Église universelle.

Frères et sœurs, demandons à Dieu, en cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens, de nous rapprocher les uns des autres, d’aplanir nos différences, et de nous aider à grandir dans notre amour de l’Église, car comment pourrions-nous prétendre aimer le Christ, si nous ne portons pas le souci de l’Église et de son unité? N’a-t-il pas donné sa vie pour elle?

Yves Bériault, o.p.

Dominicain. Ordre des prêcheurs

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Homélie pour le 3e Dimanche (B)

Un jour, non sans une certaine gêne, un de mes amis me confia l’anecdote suivante. Le fils de son voisin, qui avait alors une douzaine d’années, était allé faire une course pour lui. À son retour, il avait aperçu sur l’un des murs de la cuisine un objet qu’il n’avait décidément jamais vu, un crucifix. Il demanda à mon ami Pierre qui était cet homme accroché sur son mur. Ce dernier, n’étant pas disposé à s’engager dans une longue catéchèse, balbutia tout simplement : «Ah! C’est un homme qui a été exécuté parce qu’il faisait de la politique.» Et le garçon de lui demander : «Et toi, est-ce que tu en fais de la politique?»

Ce jeune garçon avait compris qu’on ne peut impunément se revendiquer d’une grande figure de l’Histoire sans que cela ait des conséquences sur notre manière de vivre et de penser. Je me permets donc de nous relayer sa question : «Et toi, est-ce que tu en fais de la politique?» Si nous nous signons régulièrement de cette croix, croix que nous affichons dans nos églises, dans nos maisons et même autour de nos cous, cela veut sans doute dire que notre adhésion au Christ et à sa croix compte beaucoup pour nous, et a donc des conséquences sur nos vies. 

Comment alors interpréter pour nous-mêmes dans l’Évangile, l’invitation que fait Jésus à ses disciples de tout laisser et devenir des pêcheurs d’homme? Il est bien sûr question ici d’annonce de la bonne nouvelle, une mission qui concerne toute l’Église. Mais parfois, les moyens pour l’accomplir nous échappent, nous ne savons plus trop par où commencer pour faire connaître le Christ et son Évangile autour de nous. Mais peut-être n’avons-nous pas bien compris quelle est la nature première de l’invitation que nous fait Jésus à devenir pêcheur d’hommes avec lui.

Je dois avouer que cette question de l’évangélisation me taraude depuis bien des années alors que régulièrement les responsables de Église nous invitent à être missionnaires, à devenir des disciples engagés dans l’annonce de l’Évangile, à porter le souci du renouvellement de nos communautés chrétiennes, et surtout de faire connaître la bonne nouvelle du Christ ressuscité. Le pape François lui-même insiste pour que nous devenions une Église en sortie. Il emploie même l’image de Jésus qui se tient à la porte et qui frappe, non pas pour entrer dans l’Église, dit-il, mais pour en sortir!

Mais s’il nous faut devenir des disciples-missionnaires, lancer le filet avec le Christ, je garde en moi cette conviction que l’Évangile doit tout d’abord se transmettre par le filet de la contagion, avant même celui de la persuasion; par le filet de la bienveillance et de la compassion du Christ, avant même l’annonce du mystère qui nous habite et nous fait vivre. C’est pourquoi la mission qui s’impose à nous, en tout premier lieu, sera toujours celle de l’amour qui va jusqu’au bout, l’amour qui ne garde rien pour lui-même, qui donne tout, comme Jésus en a témoigné. Les programmes missionnaires et catéchétiques viendront bien ensuite avec la grâce de Dieu et notre créativité.

Mais ces programmes resteront lettre morte si nous ne prenons pas au sérieux l’imitation de celui que nous contemplons sur la croix et en qui nous avons mis notre foi. Non seulement le monde doit pouvoir reconnaître entre nous chrétiens, le «voyez comme ils s’aiment», comme l’observaient les païens au sujet des premiers chrétiens, mais le monde a aussi besoin d’expérimenter à notre contact le «voyez comme ils nous aiment.» Si on a pu le dire du Christ tout au long de sa mission, il faudrait bien qu’on puisse le dire aussi de ses amis, n’est-ce pas.

C’est le frère dominicain Pierre Claverie, évêque d’Oran en Algérie et martyr, qui disait dans une homélie donnée aux moniales dominicaines de Prouilhe en France, quelques mois avant sa mort tragique : «Je crois que l’Église meurt de ne pas être assez proche de la Croix de son Seigneur. Si paradoxal que cela puisse paraître, […] sa vitalité, son espérance et sa fécondité, lui viennent de là. Pas d’ailleurs, ni autrement. Tout, tout le reste, disait-il, n’est que poudre aux yeux, illusion mondaine. Elle se trompe elle-même et elle trompe le monde lorsqu’elle se situe comme une puissance parmi d’autres, comme une organisation humanitaire ou même comme un mouvement évangélique à grand spectacle. Elle peut briller, elle ne brille pas du feu de l’amour “fort comme la mort”, comme le dit le Cantique des Cantiques. Car il s’agit bien ici d’amour, d’amour d’abord et d’amour seul. Une passion dont Jésus nous a donné le goût et tracé le chemin : (Quand il disait) “Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis”.»

Frères et sœurs, la mission de l’Église trouve son fondement dans ce récit où Jésus invite ses disciples à lancer le filet avec lui, mais elle trouve sa raison d’être au pied de sa croix. Si la mission de l’Église est de conduire les hommes et les femmes de ce monde à la pleine lumière de qui est Jésus Christ, notre marche avec lui nous engage tout d’abord en une présence au monde faite de respect et de douceur, de patience et d’amour, présence d’accompagnement qui a sa source dans les gestes, les enseignements et la vie même de notre Seigneur.

Notre mission à nous se vivra donc dans la cité, là où nous levons les voiles chaque matin. Où chaque parole bienveillante, chaque mot d’encouragement, chaque marque de tendresse et de réconfort, tout geste de réconciliation, le moindre petit service, le travail quotidien fait consciencieusement, le temps donné gratuitement, l’écoute généreuse et attentive de celui ou de celle qui souffre, sont là mille et une manières de signifier ce trop-plein d’amour que l’esprit du Christ déverse en nos cœurs. Et ce sont là des semences du Royaume, n’en doutons pas.

L’Évangile de ce jour nous invite donc à avancer vers le large avec Jésus, acceptant de partir de nuit comme de jour, avec nos lampes bien allumées, la prière chevillée au cœur, assumant avec courage chacune des journées qui nous sont confiées, nous donnant à ceux et celles qui en ont le plus besoin, à cause du Christ. Et c’est cela aussi se faire pêcheurs d’hommes, ou pour reprendre l’expression de mon ami Pierre, faire de la politique comme le Christ!

fr. Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le 2e Dimanche (B)

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OÙ DEMEURES-TU ?

Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 1,35-42. 
En ce temps-là, Jean le Baptiste se trouvait avec deux de ses disciples.
Posant son regard sur Jésus qui allait et venait, il dit : « Voici l’Agneau de Dieu. »
Les deux disciples entendirent ce qu’il disait, et ils suivirent Jésus.
Se retournant, Jésus vit qu’ils le suivaient, et leur dit : « Que cherchez-vous ? » Ils lui répondirent : « Rabbi – ce qui veut dire : Maître –, où demeures-tu ? »
Il leur dit : « Venez, et vous verrez. » Ils allèrent donc, ils virent où il demeurait, et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. C’était vers la dixième heure (environ quatre heures de l’après-midi).
André, le frère de Simon-Pierre, était l’un des deux disciples qui avaient entendu la parole de Jean et qui avaient suivi Jésus.
Il trouve d’abord Simon, son propre frère, et lui dit : « Nous avons trouvé le Messie » – ce qui veut dire : Christ.
André amena son frère à Jésus. Jésus posa son regard sur lui et dit : « Tu es Simon, fils de Jean ; tu t’appelleras Kèphas » – ce qui veut dire : Pierre.

COMMENTAIRE

Alors que nous reprenons le cycle du temps ordinaire de la liturgie, l’évangéliste Jean nous raconte l’appel des premiers disciples. Mais au-delà de cet appel, l’évangéliste nous aide aussi à comprendre que nos vies se construisent essentiellement sur une quête de sens où nous interrogeons à la fois le présent et l’avenir. Pour l’évangéliste, Jésus est la réponse à cette quête, lui en qui Dieu se manifeste et dont la rencontre ne peut que transformer nos vies. « Venez et voyez ! » Et c’est ainsi que les disciples laisseront tout pour suivre Jésus et ainsi découvrir ce lieu secret où il habite.

En accord avec la grande tradition spirituelle de l’Église, nous croyons que c’est Dieu qui a mis en nous le désir de le chercher et de l’aimer. Saint Basile de Césarée, l’un des grands fondateurs de la vie monastique, écrit déjà dans sa règle de vie au IVe siècle que : « L’amour envers Dieu n’est pas matière d’enseignement. Car personne ne nous a enseigné à jouir de la lumière, à aimer la vie, à chérir ceux qui nous ont mis au monde ou qui nous ont élevés. De même, ou plutôt à plus forte raison, écrit-il, le désir de Dieu ne s’apprend pas par un enseignement venu de l’extérieur; dès que cet être vivant que nous sommes commence à exister, une sorte de germe est déposé en nous qui possède en lui-même le principe interne de l’amour. » Principe qui fait de nous des chercheurs de Dieu, qui dépose au plus profond de nous cette question lancinante des disciples : « Où demeures-tu? » « Où es-tu ? »

Sans cesse, cette question nous monte au cœur au cours de notre existence. N’est-ce pas là l’interrogation de ceux et celles qui cherchent dans la nuit un sens à leur vie? Mais à son tour, et c’est là la perspective que nous présente l’évangéliste aujourd’hui, Dieu est en droit de nous questionner. « Que cherchez-vous », nous demande-t-il?

L’être humain a besoin de se situer face à son existence, il a besoin de bien cerner son univers et de se l’expliquer. Des premières migrations humaines aux longues caravanes parcourant les continents; des caravelles qui traversèrent les océans aux satellites de toutes sortes qu’on lance dans l’espace, nous voulons découvrir et comprendre, nous voulons fonder notre existence sur des vérités et des valeurs durables.

La Parole de Dieu aujourd’hui nous révèle en quelque sorte notre condition d’Homme. L’être humain est quelqu’un qui cherche et dont la quête, sans qu’il le sache toujours, est guidée vers ce lieu où Dieu habite. Le jeune Samuel qui sert le prophète Élie, et qui sera lui-même prophète de Dieu auprès du roi David, il fait l’expérience d’un appel dans sa vie. Dans un premier temps, il n’en mesure pas toute la profondeur. Il a besoin d’être guidé afin d’apprendre à reconnaître la voix de Dieu. Il lui faut apprendre à écouter.

Les disciples de Jean qui sont envoyés auprès de Jésus seront eux invités à venir voir, car il faut aussi apprendre à regarder autour de nous et à nous interroger. Et c’est ainsi que les disciples sont invités à entrer dans la demeure du Christ.  Et quelle est cette demeure ? N’est-il pas dit dans l’évangile que le Fils de l’homme n’avait pas de pierre où reposer la tête. Il faut donc chercher la véritable demeure de Jésus ailleurs que dans un lieu physique.

Rappelons ici que le verbe « DEMEURER » chez l’évangéliste Jean est très évocateur et qu’il revient souvent dans les paroles de Jésus. En voici quelques exemples :

  • Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là produira du fruit en abondance.
  • Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi je demeure en lui.
  • Demeurez dans mon amour.

On pourrait faire un rapprochement ici avec l’expérience qui est évoquée dans le livre Le Petit Prince où le renard dit au Petit Prince « qu’on ne voit bien qu’avec les yeux du cœur ». Découvrir la demeure de Jésus, c’est tout d’abord faire l’expérience de sa demeure spirituelle, de sa profonde communion avec le Père. C’est découvrir en lui que Dieu est amour et qu’il nous aime d’un amour infini. C’est faire l’expérience de Jésus comme Fils de Dieu qui nous appelle à une communion de destin avec lui, qui nous appelle à partager son amour pour le Père et pour le monde.

En ces temps parfois difficiles et angoissants où nous vivons, avec les bruits de guerres et de violences autour de nous, cette pandémie qui ne semble pas vouloir lâcher prise, la question des disciples à Jésus revêt une grande acuité : « Où demeures-tu? » Car s’il vient faire sa demeure en nous,  les disciples doivent aussi chercher la demeure du Christ parmi les hommes et les femmes de ce monde. Cette demeure ne sera jamais un lieu physique, on le comprend bien maintenant. La demeure du Christ est au cœur des humains, des villes et des métros, des champs de bataille et des lits d’hôpitaux, auprès des réfugiés et des enfants abandonnés, auprès de tous ceux et celles qui souffrent et sont persécutés.

Et c’est ainsi que ceux et celles qui vivent de la résurrection du Christ sont appelés à transformer la question naïve des disciples en une prière! Où demeures-tu Seigneur au cœur de mon existence et au cœur de ce monde? En quel lieu m’appelles-tu à te suivre, à faire l’expérience du pardon et de la réconciliation. Où m’appelles-tu à soigner, à visiter, à consoler, à engager toute mon existence au risque même d’y laisser ma vie? Où m’appelles-tu à aimer et à donner comme toi aujourd’hui?

Quand Jésus répond à ses disciples : « Venez et voyez ! » Il nous invite à entrer dans le mystère de sa mort et de sa résurrection, mystère d’amour qui nous invite à jeter un regard neuf sur notre monde, là où le mal et la mort n’auront jamais le dernier mot, puisque le Christ est ressuscité.

Venez et voyez ! C’est ce mystère de mort et de vie que nous célébrons en chacune de nos eucharisties.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour la fête du Baptême du Seigneur (B)

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Le baptême de Jésus marque le début de son ministère public, alors que la voix du Père se fait entendre et nous dévoile sa véritable identité : « C’est toi mon Fils bien-aimé; en toi j’ai mis tout mon amour ».

Il est important de préciser que ce baptême qu’il reçoit, ce n’est pas encore le baptême chrétien. Il s’agit d’une démarche de pénitence et de conversion, qui est propre à Jean Baptiste, et qui survient alors qu’il y a une grande effervescence dans toute la Judée. De plus en plus, des voix se font entendre pour dire que le messie va bientôt venir, que Dieu va enfin accomplir sa promesse de salut.

Alors que certains se demandent si Jean Baptiste n’est pas le Messie tant attendu, ce dernier annonce la venue d’un plus puissant que lui. Quand il le reconnaît en la personne de Jésus, il s’étonne de sa présence dans les eaux du Jourdain. Il est décontenancé par ce Messie qui prend place parmi les pécheurs, et qui vient se faire baptiser par lui. Mais pourquoi Jésus se fait-il baptiser?

Faut-il le rappeler, le Fils de Dieu, en se faisant homme, assume pleinement notre condition humaine. Il la prend sur lui avec son poids de péché et il marche avec nous. Il se fait solidaire de tous ceux qui se présentent à Jean-Baptiste en quête de pardon. Son baptême est l’expression de son amour pour nous, un amour qui se donnera jusqu’à la mort. Par ce baptême qu’il reçoit, Jésus nous prend sur ses épaules, comme il a pris sa croix, comme le berger prend sur lui la brebis blessée. Il prend sur lui nos péchés et il se fait baptiser avec tout le peuple, solidaire de lui, solidaire de nous.

L’iconographie orientale a bien saisi ce mystère du Baptême de Jésus, le représentant se faisant baptiser dans un tombeau rempli d’eau. Ces eaux symbolisent à la fois la mort et le shéol, le lieu où sont en attente tous les défunts depuis Adam et Ève, et que Jésus va aller chercher. Elles symbolisent aussi la vie, ces eaux vives que le Christ va offrir à la Samaritaine, ces eaux qu’il va transformer en vin des noces, comme à Cana.

Les icônes du baptême de Jésus sont très semblables à celles de sa résurrection des morts, et dans cette vision du Christ qui se fait baptiser, c’est déjà le Christ victorieux qui nous est présenté au début des évangiles. Plongé dans l’eau de la mort, il en ressort victorieux, et il nous entraine avec lui vers l’autre rive, où nous attend le Père. Voilà le mystère que contemple l’Église en cette fête du Baptême du Seigneur.

Par ailleurs, ce qui se produit au baptême de Jésus est une anticipation de notre propre baptême dans le Christ. Chacun et chacune de nous avons été marqué par le don de l’Esprit Saint à notre baptême et, depuis ce jour, jusqu’à notre entrée dans l’éternité de Dieu, se fait entendre cette voix intérieure qui nous dit : « Tu es ma fille bien aimée, tu es mon fils bien-aimé, en toi j’ai mis tout mon amour. »

Mais quelles sont les conséquences de ce baptême pour nous et pour ce monde où nous vivons? C’est là une question pressante et difficile, en ces jours où la violence semble se faire omniprésente autour de nous.

Il est clair que lorsque la violence est légitimée, quand elle est perçue comme la voie normale pour affirmer sa personne ou ses idées, comme à Paris ces derniers jours, nous sommes alors confrontés à un lamentable échec de notre humanité. C’est le mal qui triomphe, c’est Caïn qui tue Abel encore une fois. Par ailleurs, si les sociétés sont en droit de se protéger, elles ont aussi le devoir de s’interroger quant aux causes de ces violences, tout en évitant de diaboliser l’adversaire, car il y a là un piège.

Parfois la violence est inévitable, lors d’une guerre ou en cas de légitime défense, mais la violence qui est le fruit de la haine ou du désir de vengeance, ne peut qu’alimenter de nouvelles violences. C’est Sylvie Germain, écrivaine française catholique, qui dégage cette analyse de la pensée d’Etty Hillesum sur la haine, cette jeune juive tuée à Auschwitz en 1943 :

« La haine n’est pas seulement la voie la plus facile […]; la haine est aussi la voie la plus dangereuse, la plus trompeuse, elle est sans issue. Là où se lève la haine en réaction à une violence, à un outrage, à une injustice subie, le mal triomphe, car la victime, aussi innocente soit-elle, se laisse alors atteindre au plus intime de son être […] par la maladie du mal. »

Quand nous cédons à la haine et à la vengeance, nous devenons complices du mal, et nous alimentons à notre tour cette bête insatiable en nous. En tant que disciples du Christ, il est de notre devoir de préserver en nous notre humanité à tout prix. C’est ce que notre vie baptismale exige de nous et rend possible en nous. Etty Hillesum écrivait dans son journal :

“Si la paix s’installe un jour, elle ne pourra être authentique que si chaque individu fait d’abord la Paix en soi-même, extirpe tout sentiment de haine pour quelque race ou quelque peuple que ce soit. » (Juin 1942)

Bien sûr, c’est là un grand défi, mais il est possible de le relever, car Jésus lui-même nous y invite. Faut-il le rappeler : notre baptême nous configure au Christ, et nous rend vainqueurs du mal avec lui. Bien sûr, c’est un long travail d’enfantement qui se fait en nous, un patient travail de guérison, où nous connaitrons des échecs, mais Jésus nous a ouvert le chemin du pardon et de l’amour du prochain. Il faut accepter de nous y engager courageusement avec lui. Telle est notre foi. Et quand des frères et des soeurs deviennent nos ennemis, plutôt que de les haïr, Jésus nous apprend à pleurer avec lui sur notre pauvre monde, à pardonner avec lui, à prier avec lui, afin que l’amour ne s’éteigne pas en nous.

En cette fête du baptême du Seigneur, demandons-lui la grâce de vivre pleinement notre baptême, et ainsi rendre témoignage de l’évangile au coeur de notre monde. La paix véritable est à ce prix.

Yves Bériault o.p.

Homélie pour l’Épiphanie du Seigneur

Frères et sœurs, la Parole de Dieu forme une vraiment belle unité en cette fête de l’Épiphanie. Elle commence avec cette proclamation solennelle du prophète Isaïe qui s’écrie : Debout, Jérusalem, resplendis! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi. Une annonce que reprendra Zacharie, le père de Jean Baptiste dans son cantique, où à son tour il affirmera que : l’astre d’en-haut s’est levé pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin de la paix. 

Pour l’Apôtre Paul, dans notre deuxième lecture, il découle de sa méditation des Écritures à la lumière de la venue du Messie, que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus. Oui, comme le chante le prophète Isaïe, un jour tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront.

Même si cette espérance est loin d’être réalisée, nous proclamons en cette fête que du plus profond de nos nuits, il y a deux mille ans, une lumière s’est levée sur le monde, afin d’accompagner l’humanité dans sa quête de bonheur. C’est l’Épiphanie du Seigneur, la manifestation de Dieu parmi nous, qui, en cette fête, est adoré par les mages qui symbolisent les nations. C’est un avenir en dévoilement que nous célébrons et qui n’a pas fini de nous surprendre!

L’évangéliste Matthieu lui nous décrit les tensions que soulève la naissance de cet enfant, et ce chassé-croisé entre Jérusalem, les rois mages et l’étoile, où s’expriment à la fois les peurs et les espoirs de notre monde, ainsi que la tentation toujours présente de refuser d’accueillir le Prince de la paix quand son message de vie semble menacer nos fausses sécurités, nos soifs égoïstes de bonheur, ou encore nos rêves orgueilleux de construire un monde sans Dieu et sans amour. C’est là le drame d’Hérode et de tous les despotes de ce monde.

L’Épiphanie! C’est la toute-puissance de Dieu qui se livre à nous, dépouillée et pauvre, quémandant en quelque sorte notre amour, nous invitant à déposer les armes, et à mettre à ses pieds ce que nous avons de plus précieux, notre besoin d’aimer et d’être aimés, vraiment aimés.

Ce qui est à l’œuvre au cœur de ce mystère qui nous est dévoilé, c’est qu’en Jésus Christ nous assistons ni plus ni moins aux débuts d’une re-création du monde. Dieu, qui créa l’homme et la femme à son image, vient en quelque sorte parfaire son œuvre en prenant lui-même notre image. Il se revêt de notre humanité, afin de nous apprendre à aimer, et ainsi libérer l’amour en nous.

Cette œuvre de salut n’est pas seulement pour demain, pour la Vie après la vie, mais c’est une œuvre qui nous engage dès maintenant. Car la Parole de Dieu est sans équivoque : seul l’amour, qui a sa source en Dieu, est capable de sauver notre monde, de lui donner de vivre dans le respect et le souci de chacun, dans un amour responsable pour la création, capable de surmonter les égoïsmes nationaux pour qui les pauvres, les réfugiés et les exclus de toutes sortes n’existent pas, comme s’ils ne faisaient pas partie de la famille humaine. D’ailleurs, l’indifférence écologique qui secoue la planète ou encore le chacun pour soi des pays riches dans leur appropriation des vaccins contre la covid ou encore des ressources mêmes des pays pauvres, en sont des exemples criants et scandaleux.

L’Épiphanie célèbre le mystère d’un Dieu qui vient nous sauver de nous-mêmes en se livrant à nous déjà dans la crèche de Noël, mystère d’Incarnation que les mages viennent contempler, et nous avec eux en cette fête. Oui, ça dépasse l’entendement, et pourtant, c’est bien cette bonne nouvelle qui nous soulève et nous fait vivre, nous les amis du Christ, lui qui nous appelle à concevoir notre vie en Église comme un don de Dieu pour le monde, et où nous ne pouvons absolument pas vivre repliés sur nous-mêmes.

C’est le moine martyr, Christian de Chergé, qui décrit de manière très imagée cette réalité de l’Église dans le monde d’aujourd’hui à l’occasion d’une homélie pour de la fête de la Trinité : 

Ainsi, nous souffle le frère Christian, le chrétien ne peut jamais camper à l’aise dans sa différence, dres­ser sa tente sur la montagne de la séparation. Son temple est ouvert. Sa tente est en plein vent. Sa différence le voue à la multitude. Le voici en marche vers l’autre, vers tous les autres, au nom même du mystère de Dieu qui est communion des Personnes… (1)

Frères et sœurs, c’est ce mystère de communion que nous contemplons en cette fête de l’Épiphanie. C’est Dieu avec nous, et nous avec Lui, qui vient se donner à toutes les nations, à tous ceux et celles qui cherchent la lumière dans les nuits obscures de leur vie, à tous ceux et celles qui foulent cette Terre et qui ont pour mission d’édifier ensemble la grande famille des enfants de Dieu, où pas un seul ne doit être laissé en chemin, car nul ne va au ciel tout seul. 

Bonne fête de l’Épiphanie! Et le Paradis à la fin de vos jours!

fr. Yves Bériault, o.p.

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  1. DE CHERGÉ, Christian. L’Autre que nous attendons. Homélies de Père Christian de Chergé (1970-1996). Abbaye Notre-Dame d’Aiguebelle, coll. « Cahiers de Tibhirine », no 2, 2006, p. 132

Sainte Marie Mère de Dieu

C’est à l’initiative du pape Paul VI, en 1968, que le premier janvier fut consacré Journée mondiale de la Paix. Si l’on s’arrête à cette époque, la crise de Cuba avec ses ogives nucléaires avait conduit le monde au seuil d’un conflit international; la Guerre froide était toujours à l’ordre du jour de l’échiquier mondial; la guerre du Vietnam faisait rage, et il faudra attendre encore une vingtaine d’années avant l’écroulement du Mur de Berlin et le démantèlement de l’Union Soviétique. Paul VI était convaincu que le monde avait besoin de consacrer la première journée de la nouvelle année à la paix, afin de rappeler à l’humanité que la paix est notre défi le plus fondamental. Il en va de notre survie.

Depuis le début de son pontificat, le pape François ne cesse de nous rappeler les énormes défis que le monde doit affronter s’il veut véritablement bâtir une paix durable. Dans son message au monde pour le 1er janvier 2015, il démasque les multiples visages de l’esclavage d’hier et d’aujourd’hui et nous invite à « résister à la tentation de nous comporter de manière indigne de notre humanité ». Dans son message qui a pour titre « non plus esclaves, mais frères », il dénonce à la fois les guerres, la corruption, la violence faite aux enfants, le trafic humain, les dérives de la mondialisation et le mépris des pauvres.

Mais le cœur de son message vise à rappeler au monde que, tous autant que nous sommes sur cette terre, nous sommes tous frères et sœurs, avant d’être des ennemis. Et s’il y a une mondialisation que nous devons réaliser au nom de l’évangile, c’est celle de la solidarité, de la justice et de la fraternité.

Quand le péché corrompt le cœur de l’homme, dit le pape François, et l’éloigne de son Créateur et de ses semblables, ces derniers ne sont plus perçus comme des êtres d’égale dignité, comme frères et sœurs en humanité, mais sont vus comme des objets, ce qui justifie alors tous les esclavages. On oublie alors que : « Tous sont aimés de Dieu, tous ont été rachetés par le sang du Christ, mort et ressuscité pour chacun. » Voilà ce que l’Église proclame sans cesse au monde.

La liturgie d’aujourd’hui, dans le prolongement de la fête de Noël, nous fait voir cette nécessité de la paix en notre monde dans une perspective beaucoup plus large que la simple absence de conflit. L’évangile nous enseigne que la véritable paix est un don de Dieu, et que cette paix trouve son fondement dans ce don unique au monde du Prince de la Paix, Jésus Christ.

Le deuxième point central de notre célébration, en ce premier Jour de l’An, est la fête en l’honneur de la Vierge Marie, alors que se termine l’octave de Noël. Si notre attention à Noël était tout orientée vers la naissance du Sauveur, aujourd’hui nous contemplons sa mère à qui nous avons donné le titre de Sainte Mère de Dieu. L’affirmation est plus qu’audacieuse. Marie Mère de Dieu! Comment cela est-il possible? Comment Dieu peut-il avoir une mère?

Ce titre, « Sainte Marie Mère de Dieu », a été proclamé solennellement lors du grand Concile d’Éphèse en l’an 431, et repris au Concile de Chalcédoine, vingt ans plus tard, afin d’affirmer la doctrine chrétienne concernant la divinité de Jésus. Une grave crise sévissait alors dans l’Église où certains remettaient en question que Jésus soit à la fois vrai Dieu et vrai homme. La formule « Sainte Marie Mère de Dieu », a alors été énoncé non pas tant pour glorifier la Vierge Marie, que pour affirmer la véritable nature de celui qu’elle a donné au monde : Jésus Christ qui tout en étant vrai homme, est vraiment Dieu.

En cette fête de Sainte Marie, Mère de Dieu, nous sommes invités à contempler à la fois la bénédiction qui nous est faite en Jésus Christ, l’Emmanuel, Dieu parmi nous, le Prince de la paix, ainsi que celle qui a reçu une telle bénédiction de concevoir l’Homme-Dieu. Lorsque l’ange Gabriel salut Marie, il lui dit « Je te salue, pleine de grâce », c’est-à-dire comblée de la grâce de Dieu; elle est par excellence celle sur qui le nom de Dieu a été prononcé. C’est pourquoi elle est « bénie entre toutes les femmes… »

Sa cousine Élisabeth dira de Marie « bienheureuse celle qui a cru! » Avant d’être une maternité physique, ce qui se vit en Marie c’est une maternité spirituelle : « Elle conçoit le Christ dans son cœur avant de le concevoir dans son sein. » Augustin dira « qu’il est plus grand pour Marie d’avoir été disciple du Christ que d’avoir été mère du Christ. » Ce mystère nous concerne en tout premier lieu.

Car comme le veut le vieil adage : « Telle mère, telles filles, et tels fils », car nous aussi nous sommes disciples du Christ, participant au même mystère que Marie, notre Mère.

En honorant la maternité de Marie aujourd’hui, nos regards se portent à la fois sur elle en tant que modèle de foi et, surtout, sur l’extraordinaire mystère de sa maternité où Dieu se donne au monde. C’est cette bénédiction sur notre humanité, que nous célébrons au début de chaque nouvelle année, car Dieu s’est fait l’un des nôtres, il y a deux mille ans, il nous a bénis et comblé de sa présence.

Marie, par sa maternité, est Parole de Dieu en acte, elle porte le Verbe de Dieu, elle est « enceinte de la Parole de Dieu », et elle la donne au monde sans rien retenir pour elle-même.

C’est pourquoi Marie se retrouvera au cœur de l’assemblée des Apôtres à la Pentecôte. Elle poursuit sa tâche de Mère, car les disciples du Christ lui deviennent des fils et des filles qu’elle va accompagner à leur tour de sa foi et de sa prière maternelle.

En ce début d’année 2021, alors que la paix demeure toujours quelque chose de précaire et de fragile en notre monde, que la pandémie poursuit sa course, nous nous confions à Dieu. Nous lui confions nos familles, ceux et celles que nous aimons, nous lui confions notre monde dans sa recherche du bonheur, nous prions pour les pays en guerre, pour ceux et celles qui sont persécutés, et nous invoquons la prière de notre Mère du ciel sur nous : Sainte Marie Mère de Dieu, Mère de l’Église, Mère des disciples, priez pour nous ! Amen.

Yves Bériault, o.p.

[1] Augustin. Sermons 215, 4, PL 38, 1074.