Homélie pour le 3e Dimanche (B)

Un jour, non sans une certaine gêne, un de mes amis me confia l’anecdote suivante. Le fils de son voisin, qui avait alors une douzaine d’années, était allé faire une course pour lui. À son retour, il avait aperçu sur l’un des murs de la cuisine un objet qu’il n’avait décidément jamais vu, un crucifix. Il demanda à mon ami Pierre qui était cet homme accroché sur son mur. Ce dernier, n’étant pas disposé à s’engager dans une longue catéchèse, balbutia tout simplement : «Ah! C’est un homme qui a été exécuté parce qu’il faisait de la politique.» Et le garçon de lui demander : «Et toi, est-ce que tu en fais de la politique?»

Ce jeune garçon avait compris qu’on ne peut impunément se revendiquer d’une grande figure de l’Histoire sans que cela ait des conséquences sur notre manière de vivre et de penser. Je me permets donc de nous relayer sa question : «Et toi, est-ce que tu en fais de la politique?» Si nous nous signons régulièrement de cette croix, croix que nous affichons dans nos églises, dans nos maisons et même autour de nos cous, cela veut sans doute dire que notre adhésion au Christ et à sa croix compte beaucoup pour nous, et a donc des conséquences sur nos vies. 

Comment alors interpréter pour nous-mêmes dans l’Évangile, l’invitation que fait Jésus à ses disciples de tout laisser et devenir des pêcheurs d’homme? Il est bien sûr question ici d’annonce de la bonne nouvelle, une mission qui concerne toute l’Église. Mais parfois, les moyens pour l’accomplir nous échappent, nous ne savons plus trop par où commencer pour faire connaître le Christ et son Évangile autour de nous. Mais peut-être n’avons-nous pas bien compris quelle est la nature première de l’invitation que nous fait Jésus à devenir pêcheur d’hommes avec lui.

Je dois avouer que cette question de l’évangélisation me taraude depuis bien des années alors que régulièrement les responsables de Église nous invitent à être missionnaires, à devenir des disciples engagés dans l’annonce de l’Évangile, à porter le souci du renouvellement de nos communautés chrétiennes, et surtout de faire connaître la bonne nouvelle du Christ ressuscité. Le pape François lui-même insiste pour que nous devenions une Église en sortie. Il emploie même l’image de Jésus qui se tient à la porte et qui frappe, non pas pour entrer dans l’Église, dit-il, mais pour en sortir!

Mais s’il nous faut devenir des disciples-missionnaires, lancer le filet avec le Christ, je garde en moi cette conviction que l’Évangile doit tout d’abord se transmettre par le filet de la contagion, avant même celui de la persuasion; par le filet de la bienveillance et de la compassion du Christ, avant même l’annonce du mystère qui nous habite et nous fait vivre. C’est pourquoi la mission qui s’impose à nous, en tout premier lieu, sera toujours celle de l’amour qui va jusqu’au bout, l’amour qui ne garde rien pour lui-même, qui donne tout, comme Jésus en a témoigné. Les programmes missionnaires et catéchétiques viendront bien ensuite avec la grâce de Dieu et notre créativité.

Mais ces programmes resteront lettre morte si nous ne prenons pas au sérieux l’imitation de celui que nous contemplons sur la croix et en qui nous avons mis notre foi. Non seulement le monde doit pouvoir reconnaître entre nous chrétiens, le «voyez comme ils s’aiment», comme l’observaient les païens au sujet des premiers chrétiens, mais le monde a aussi besoin d’expérimenter à notre contact le «voyez comme ils nous aiment.» Si on a pu le dire du Christ tout au long de sa mission, il faudrait bien qu’on puisse le dire aussi de ses amis, n’est-ce pas.

C’est le frère dominicain Pierre Claverie, évêque d’Oran en Algérie et martyr, qui disait dans une homélie donnée aux moniales dominicaines de Prouilhe en France, quelques mois avant sa mort tragique : «Je crois que l’Église meurt de ne pas être assez proche de la Croix de son Seigneur. Si paradoxal que cela puisse paraître, […] sa vitalité, son espérance et sa fécondité, lui viennent de là. Pas d’ailleurs, ni autrement. Tout, tout le reste, disait-il, n’est que poudre aux yeux, illusion mondaine. Elle se trompe elle-même et elle trompe le monde lorsqu’elle se situe comme une puissance parmi d’autres, comme une organisation humanitaire ou même comme un mouvement évangélique à grand spectacle. Elle peut briller, elle ne brille pas du feu de l’amour “fort comme la mort”, comme le dit le Cantique des Cantiques. Car il s’agit bien ici d’amour, d’amour d’abord et d’amour seul. Une passion dont Jésus nous a donné le goût et tracé le chemin : (Quand il disait) “Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis”.»

Frères et sœurs, la mission de l’Église trouve son fondement dans ce récit où Jésus invite ses disciples à lancer le filet avec lui, mais elle trouve sa raison d’être au pied de sa croix. Si la mission de l’Église est de conduire les hommes et les femmes de ce monde à la pleine lumière de qui est Jésus Christ, notre marche avec lui nous engage tout d’abord en une présence au monde faite de respect et de douceur, de patience et d’amour, présence d’accompagnement qui a sa source dans les gestes, les enseignements et la vie même de notre Seigneur.

Notre mission à nous se vivra donc dans la cité, là où nous levons les voiles chaque matin. Où chaque parole bienveillante, chaque mot d’encouragement, chaque marque de tendresse et de réconfort, tout geste de réconciliation, le moindre petit service, le travail quotidien fait consciencieusement, le temps donné gratuitement, l’écoute généreuse et attentive de celui ou de celle qui souffre, sont là mille et une manières de signifier ce trop-plein d’amour que l’esprit du Christ déverse en nos cœurs. Et ce sont là des semences du Royaume, n’en doutons pas.

L’Évangile de ce jour nous invite donc à avancer vers le large avec Jésus, acceptant de partir de nuit comme de jour, avec nos lampes bien allumées, la prière chevillée au cœur, assumant avec courage chacune des journées qui nous sont confiées, nous donnant à ceux et celles qui en ont le plus besoin, à cause du Christ. Et c’est cela aussi se faire pêcheurs d’hommes, ou pour reprendre l’expression de mon ami Pierre, faire de la politique comme le Christ!

fr. Yves Bériault, o.p.

3 Réponses

  1. Bien dit, merci

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  2. Merci Valérie pour ton commentaire. Voilà longtemps que nous ne nous sommes vus. J’espère que tu vas bien.

  3. C’était merveilleux de vous entendre dimanche dernier; ce l’est encore plus de vous lire puisque car le texte facilite la méditation.

    Merci de publier, c’est un cadeau du ciel.

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