Homélie pour le 4e Dimanche du carême (C)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 15, 1-3.11-32)

En ce temps-là,
les publicains et les pécheurs
venaient tous à Jésus pour l’écouter.
Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui :
« Cet homme fait bon accueil aux pécheurs,
et il mange avec eux ! »
Alors Jésus leur dit cette parabole :
« Un homme avait deux fils.
Le plus jeune dit à son père :
‘Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.’
Et le père leur partagea ses biens.
Peu de jours après,
le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait,
et partit pour un pays lointain
où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre.
Il avait tout dépensé,
quand une grande famine survint dans ce pays,
et il commença à se trouver dans le besoin.
Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays,
qui l’envoya dans ses champs garder les porcs.
Il aurait bien voulu se remplir le ventre
avec les gousses que mangeaient les porcs,
mais personne ne lui donnait rien.
Alors il rentra en lui-même et se dit :
‘Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance,
et moi, ici, je meurs de faim !
Je me lèverai, j’irai vers mon père,
et je lui dirai :
Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi.
Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.
Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.’
Il se leva et s’en alla vers son père.
Comme il était encore loin,
son père l’aperçut et fut saisi de compassion ;
il courut se jeter à son cou
et le couvrit de baisers.
Le fils lui dit :
‘Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi.
Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.’
Mais le père dit à ses serviteurs :
‘Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller,
mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds,
allez chercher le veau gras, tuez-le,
mangeons et festoyons,
car mon fils que voilà était mort,
et il est revenu à la vie ;
il était perdu,
et il est retrouvé.’
Et ils commencèrent à festoyer.

Or le fils aîné était aux champs.
Quand il revint et fut près de la maison,
il entendit la musique et les danses.
Appelant un des serviteurs,
il s’informa de ce qui se passait.
Celui-ci répondit :
‘Ton frère est arrivé,
et ton père a tué le veau gras,
parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.’
Alors le fils aîné se mit en colère,
et il refusait d’entrer.
Son père sortit le supplier.
Mais il répliqua à son père :
‘Il y a tant d’années que je suis à ton service
sans avoir jamais transgressé tes ordres,
et jamais tu ne m’as donné un chevreau
pour festoyer avec mes amis.
Mais, quand ton fils que voilà est revenu
après avoir dévoré ton bien avec des prostituées,
tu as fait tuer pour lui le veau gras !’
Le père répondit :
‘Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi,
et tout ce qui est à moi est à toi.
Il fallait festoyer et se réjouir ;
car ton frère que voilà était mort,
et il est revenu à la vie ;
il était perdu,
et il est retrouvé ! »

COMMENTAIRE

Aujourd’hui, Jésus nous raconte une histoire. Une de ses plus belles histoires dont lui seul a le secret. Une histoire comme bien des histoires que l’on raconte aux enfants : « Il était une fois un homme… »

Mais pourquoi Jésus raconte-t-il cette histoire? L’évangéliste Luc nous en donne l’explication suivante : « Les collecteurs d’impôts et les pécheurs s’approchaient tous de Jésus pour l’écouter. Et les pharisiens et les scribes murmuraient; ils disaient : “Cet homme-là fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux !” La parabole de l’enfant prodigue est donc une réplique à la critique des opposants de Jésus.

Comme une pièce de théâtre, elle met en scène différents personnages, mais l’acteur principal, c’est le Père. Cette parabole aurait pu s’intituler “la parabole de la miséricorde du Père”, tellement le visage que Jésus nous dépeint de lui est étonnant, surprenant même. Est-ce que Dieu peut nous aimer à ce point? Les pharisiens et les scribes semblent en douter.

Jésus nous raconte l’histoire d’un jeune homme qui dépouille littéralement le père de son bien quand il quitte la maison avec sa part d‘héritage. Mais le Père le laisse aller. L’agir du fils cadet va aller à l’encontre de toutes les valeurs de sa famille : il s’établit dans un pays païen, il devient le gardien d’un troupeau de porcs, un animal impur pour les Juifs. Il mène une vie dissolue et, d’après son frère, il aurait dépensé tout son argent avec les files. Ici, l’on sent la méchanceté de l’aîné, mais nous y reviendrons…

Le Père lui ne cesse d’attendre son fils devant la maison. Il l’attend sans doute depuis son départ, et quand il le voit revenir, il se jette à son cou. Le fils cadet n’a même pas le temps de dire à son père toute la formule de regret qu’il avait préparé. Le Père le prend dans ses bras, il l’embrasse et il ordonne aux serviteurs de préparer la salle pour la fête.

Le fils cadet n’est pas dépouillé de sa dignité aux yeux du Père parce qu’il a péché. Au contraire, le Père s’écrie : “Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller. Mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds.”

Le père revêt son fils des habits de l’élection, de la bénédiction. Le fils est choisi à nouveau par son père. Il est revêtu des sandales de l’homme libre, de la bague des fiançailles, et il est invité au banquet des noces. “Allez chercher le veau gras, tuez-le; mangeons et festoyons. Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie; il était perdu, et il est retrouvé.”

Par cette parabole Jésus veut nous révéler ce visage trop souvent méconnu de Dieu, pour qui il n’y a pas de pays, aussi lointains soient-ils, de situations, aussi désespérées soient-elles, dont on ne peut revenir. Jésus raconte cette parabole parce qu’on l’accuse de faire bon accueil aux pécheurs. Elle met en scène un fils aîné qui représente ces pharisiens et ces scribes qui critiquent Jésus. Le fils cadet lui représente les pécheurs qui ont besoin de guérison, et qui, dans leur exil, ont entendu la Bonne Nouvelle du Christ, et ont repris le chemin vers la maison du Père.

Maintenant, il est important de souligner l’attitude du Père à l’endroit du fils aîné, lui qui refuse d’entrer dans la salle du festin. Le père va même sortir pour aller lui parler. Une invitation lui est faite à prendre part au grand pardon de Dieu. “Mon enfant, lui dit-il, toi tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi.”

Voyez comme le père l’aime lui aussi, alors que le fils aîné semble tout ignorer de cet amour du Père pour lui. Le Père prend même la peine de s’expliquer : “Mais il fallait festoyer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et il est vivant, il était perdu et il est retrouvé.” Remarquez que le père ne dit pas “mon fils que voici était perdu…”, mais plutôt “ton frère que voici”. Le fils cadet n’est pas seulement un fils pour son Père, mais il est aussi un frère pour le frère aîné et tous les deux sont aimés tout autant.

Jésus nous enseigne aujourd’hui que notre Père du ciel est un Dieu d’amour et de miséricorde, et que dans son pardon nous trouvons la guérison. Les paroles du Père pour le fils aîné sont tout aussi empreintes de tendresse que pour le fils cadet, car Dieu aime tous ses enfants. Dans nos vies, l’on peut être tour à tour fils cadet et fils aîné, fille cadette et fille aînée, mais Jésus dans cette parabole nous invite à aller plus loin. Il nous invite à devenir comme le Père.

Vous connaissez l’expression “tel père, tel fils”, “telle mère, telle fille”. La parabole de l’enfant prodigue nous est racontée pour nous dévoiler le vrai visage de Dieu, et pour nous inviter à devenir comme Lui, à porter avec Lui le souci du monde, à aimer avec Lui tous nos frères et sœurs où qu’ils soient, quelles que soient leurs situations.

Tous ensemble, nous avons la charge de tous les humains, d’ici et d’ailleurs, chacun et chacune de nous, selon nos possibilités, nos talents, nos ressources. Nous avons tous un rôle à jouer dans ce ministère de la réconciliation qui nous est confié en Église. Comme nous le rappelle saint Paul, nous sommes tous des ambassadeurs du Christ, et le premier pas qui mène vers l’autre, est tout d’abord de porter le souci de cet autre, de ne pas vivre dans l’indifférence, dans l’ignorance de l’autre, surtout les plus pauvres. Nous devenons des reflets du visage du Père quand nous avons le souci des plus malheureux. Voilà ce à quoi Jésus nous invite dans la parabole de l’enfant prodigue.

Je me souviens de cette jeune infirmière qui revenait d’Haïti et qui pleurait en me racontant la misère qu’elle avait vue là-bas, et qui m’avait dit : “Il me semble, que le bon Dieu doit avoir honte de nous.” En dépit du propos, je la trouvais belle dans son indignation et dans sa tristesse. Je me disais : “voilà vraiment la fille de son père, son Père du ciel. Comme il doit se reconnaître en elle”. Que ce soit là notre indignation à nous aussi.

Vivre les valeurs évangéliques, refléter le visage de Dieu, est un long et patient travail sur nous-mêmes, et qui est rendu possible si nous marchons avec Jésus. Ce matin, il vient nous rappeler que Dieu nous aime d’un amour fou, déraisonnable, parce que nous sommes ses enfants bien-aimés et qu’Il nous attend au festin du Royaume. Il guette notre arrivée. N’est-ce pas là un motif suffisant pour nous inciter à participer à la grande fête de Dieu avec l’humanité?

D’ailleurs, cette fête est déjà commencée. Nous la célébrons en chacune de nos eucharisties en attendant la grande fête du ciel. Amen.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 3e Dimanche de carême (C)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 13, 1-9)

Un jour, des gens rapportèrent à Jésus l’affaire des Galiléens
que Pilate avait fait massacrer,
mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient.
Jésus leur répondit :
« Pensez-vous que ces Galiléens
étaient de plus grands pécheurs
que tous les autres Galiléens,
pour avoir subi un tel sort ?
Eh bien, je vous dis : pas du tout !
Mais si vous ne vous convertissez pas,
vous périrez tous de même.
Et ces dix-huit personnes
tuées par la chute de la tour de Siloé,
pensez-vous qu’elles étaient plus coupables
que tous les autres habitants de Jérusalem ?
Eh bien, je vous dis : pas du tout !
Mais si vous ne vous convertissez pas,
vous périrez tous de même. »
Jésus disait encore cette parabole :
« Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne.
Il vint chercher du fruit sur ce figuier,
et n’en trouva pas.
Il dit alors à son vigneron :
‘Voilà trois ans que je viens
chercher du fruit sur ce figuier,
et je n’en trouve pas.
Coupe-le. À quoi bon le laisser épuiser le sol ?’
Mais le vigneron lui répondit :
‘Maître, laisse-le encore cette année,
le temps que je bêche autour
pour y mettre du fumier.
Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir.
Sinon, tu le couperas.’ »

COMMENTAIRE

Les deux tragédies évoquées dans l’évangile nous renvoient à tous ces accidents et ces massacres qui arrivent aujourd’hui encore, dont nous sommes informés presqu’en temps réel. Si Jésus nous parle des évènements malheureux du premier siècle, et du coup aussi des nôtres, ce n’est pas pour nous faire peur, mais pour nous faire réfléchir. Il écarte tout de suite l’idée que Dieu puisse en être responsable dans une volonté de vengeance et de punition pour nos fautes. Nos malheurs ne viennent pas de lui. Dieu s’en attriste avec nous. Nous savons qu’il en a souffert en son Fils, lui qui a pris chair de notre chair.

La souffrance et la mort physiques sont inévitables dans notre condition présente. Nous pouvons bien travailler à rendre notre monde plus paisible et plus sécuritaire, à mieux connaître les lois de la nature et à prévenir les accidents, nous sommes tous et toujours vulnérables et fragiles. Nous vivons dans un monde dangereux où tout peut arriver, Il nous faut donc faire attention!

Mais au lieu d’avoir peur, ou de nous décourager, ou de tomber dans le cynisme ou la méfiance, Jésus nous invite à nous convertir, à changer nos attitudes et nos mentalités, à nous responsabiliser pour sauver ultimement nos vies. La parole en ce dimanche nous parle au cœur et à l’intelligence. Elle nous redit comment nos choix et nos décisions peuvent assurer notre avenir véritable, donner sens et inspiration et fécondité à notre vie présente.

Rappelons-nous la 1ère lecture, au livre de l’Exode, où Dieu prend l’initiative de se manifester à Moïse au désert. Dans le buisson ardent, il se révèle en son mystère de vie, de feu et de lumière, un Dieu personnel, fidèle à une alliance scellée autrefois avec Abraham. Dieu qui a vu et entendu la détresse de son peuple en Égypte et qui a résolu de le libérer. Le récit nous fait bien voir la compassion de Dieu. Sa puissance d’amour, de vie et de liberté, Dieu veut la communiquer à son serviteur Moïse et à tout le peuple.

Or ce peuple libéré de l’esclavage, Saint Paul nous le rappelait en 2e lecture, n’a pas le comportement attendu. Eux, ils se sont montrés distraits et rebelles. Ils n’ont pas respecté l’Alliance, ils n’ont pas bien profité des avantages mis à leur disposition; ils ont ainsi couru à leur perte. Tout ce qui leur est arrivé, écrit l’Apôtre, est là pour nous instruire. En fait nous sommes, nous les croyants, dans une situation analogue à celle d’Israël au désert. Sauf, qu’eux ils vivaient en figure ce qu’il nous est donné de vivre dans la réalité pascale. Déjà le baptême et la confirmation nous ont spirituellement libérés. Nous avons passé la mer et nous marchons sous la nuée, guidés par l’Esprit. Notre foi dans le Christ ressuscité des morts nous fait vivre de l’amour vainqueur de notre Dieu et Père. Le salut de Dieu nous habite et nous travaille pour la fécondité de notre vie.

Mais voilà que notre marche est souvent entravée. Notre fidélité est mise à l’épreuve. Nombreux sont les pièges, les influences, les mirages qui nous trompent et nous engourdissent; ils nous retiennent dans l’élan de notre foi, de notre espérance, de notre amour. Nous perdons le sens de notre appel à une vie de communion avec Dieu et entre nous. Il faut nous convertir, revenir à la parole de Dieu, resserrer nos liens fraternels, pratiquer la justice à tous égards et la miséricorde envers le prochain.

Comme Israël autrefois nous sommes libres, sortis d’Égypte, mais notre marche au désert reste un défi et c’est à nous d’y voir pour tenir la main de notre Dieu et Père et trouver en son Fils Jésus le chemin du Salut.

fr. Jacques Marcotte, o.p.

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SUIVEZ CE LIEN…

Homélie pour le 1er Dimanche du Carême. Année C

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 4, 1-13) 
En ce temps-là,
après son baptême,
Jésus, rempli d’Esprit Saint,
quitta les bords du Jourdain ;
dans l’Esprit, il fut conduit à travers le désert
où, pendant quarante jours, il fut tenté par le diable.
Il ne mangea rien durant ces jours-là,
et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim.
Le diable lui dit alors :
« Si tu es Fils de Dieu,
ordonne à cette pierre de devenir du pain. »
Jésus répondit :
« Il est écrit :
L’homme ne vit pas seulement de pain. »

Alors le diable l’emmena plus haut
et lui montra en un instant tous les royaumes de la terre.
Il lui dit :
« Je te donnerai tout ce pouvoir
et la gloire de ces royaumes,
car cela m’a été remis et je le donne à qui je veux.
Toi donc, si tu te prosternes devant moi,
tu auras tout cela. »
Jésus lui répondit :
« Il est écrit :
C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras,
à lui seul tu rendras un culte.
 »

Puis le diable le conduisit à Jérusalem,
il le plaça au sommet du Temple
et lui dit :
« Si tu es Fils de Dieu, d’ici jette-toi en bas ;
car il est écrit :
Il donnera pour toi, à ses anges,
l’ordre de te garder
 ;
et encore :
Ils te porteront sur leurs mains,
de peur que ton pied ne heurte une pierre.
 »
Jésus lui fit cette réponse :
« Il est dit :
Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations,
le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé.

COMMENTAIRE

J’aimerais aborder ce carême qui commence avec un passage du livre du Petit Princede Saint-Exupéry. Dans ce conte, le Petit Prince, seul sur son astre, s’est lié d’amitié avec un renard. Il vient lui rendre visite un jour, mais sans le prévenir. Le renard lui en fait alors le reproche :

Il eût mieux valu, revenir à la même heure, dit le renard. Si tu viens, par exemple, à quatre heures de l’après-midi, dès trois heures je commencerai d’être heureux. Plus l’heure avancera, plus je me sentirai heureux. À quatre heures, déjà, je m’agiterai et m’inquiéterai ; je découvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens n’importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m’habiller le cœur… Il faut des rites. 

Il faut des rites ! Voilà qui décrit bien la démarche dans laquelle nous nous engageons en Église, année après année, et qui s’appelle le carême. Il faut des rites pour s’habiller le cœur, afin de redécouvrir et affirmer encore une fois, combien notre foi en Jésus Christ nous importe, combien elle a ce pouvoir de transformer nos vies. Il nous faut des rites pour nous préparer à la grande fête de l’amour, la fête de Pâques, où Dieu donne sa dernière et sa plus belle parole pour notre monde en son Fils Jésus-Christ.

Il y a deux ans décédait le dominicain français Claude Geffré, un théologien de grande envergure, qui décrivait avec des mots tout simples, le mystère d’amour au cœur de sa vie de croyant : « Désirer Dieu, disait-il, c’est désirer d’abord que Dieu soit Dieu dans ma vie, parce qu’il est mon tout, mon bonheur et ma fin ».

Frères et sœurs, c’est en marche vers ce bonheur que le temps du carême nous entraîne, et nous invite à nous habiller le cœur. Mais, n’en doutons pas, il s’agit aussi d’un combat à mener, car il nous arrive de perdre ce désir que Dieu soit Dieu dans nos vies. Et c’est ainsi que le rite du carême vient nous inviter à nous remettre en marche et à prendre au sérieux, le sérieux de notre foi, ainsi que le sérieux de nos vies.

L’évangile de ce premier dimanche du carême illustre bien le combat qui doit être le nôtre. Nous y voyons Jésus entrer dans le drame de l’existence humaine, alors qu’il est tenté par Satan. Les trois tentations que Jésus doit affronter sont l’expression de la tentation d’un monde sans Dieu, qui ne croit qu’en lui-même, qui se construit en dehors de tout principe de vie capable de fonder son existence, et de lui donner sens. De là, toutes les dérives, tous les abus qui deviennent possibles, quand l’homme devient la mesure absolue de son emprise sur le monde.

L’attitude de Jésus devant ces tentations nous entraîne dans une autre direction et sa victoire s’affirmera définitivement le matin de Pâques. Mais il nous faut nous préparer le cœur à ce rendez-vous de notre foi. C’est pourquoi pendant quarante jours, évocation du séjour de Jésus au désert, l’Église nous propose un itinéraire de foi où nous sommes invités à nous mettre à l’écoute de la Parole de Dieu, à nous reconnaître dans le cheminement du peuple hébreu au désert, dans celui d’Abraham qui renonça à ses certitudes pour avancer dans la foi en réponse à l’appel de ce Dieu unique, dont le visage demeurait encore caché, et qui invitait Abraham à tout quitter pour un pays nouveau, d’où coulent le lait et le miel selon la belle formule biblique. C’est là, la surabondance qui nous est promise au terme de ce voyage, mais nous savons désormais qu’il ne s’agit plus d’un pays, ni d’une terre bénie comme destination, mais d’un Royaume où Dieu sera tout en tous, et ce, dès maintenant.

Il s’agit bien sûr d’un voyage vers la vie éternelle, le plus beau et le plus grand des voyages, mais ce voyage ne saurait se vivre en-dehors de nos vies d’hommes et de femmes, créés à l’image de Dieu, appelés à aimer comme Lui. C’est pourquoi le récit de la tentation de Jésus au désert récapitule tous ces voyages dans la foi que nous sommes appelés à vivre alors qu’il est souvent si facile de se perdre de vue, de perdre de vue le prochain, d’oublier Dieu et ses promesses de bonheur pour nous.

Le carême est donc une invitation à entrer dans le combat de Jésus, à marcher avec lui dans ce désert d’un monde sans Dieu où l’amour est si souvent bafoué. Car nous pouvons bien prétendre aimer Dieu de tout notre cœur, mais nos vies chrétiennes n’ont de sens que dans la mesure où elles nous font ressentir comme des blessures personnelles les malheurs de ce monde, les souffrances et les injustices que les humains se font subir, car c’est là la douleur même de Dieu que Jésus prendra sur ses épaules afin de nous ouvrir le chemin du véritable bonheur.

Je revois cette jeune infirmière, de retour d’un stage en Haïti, me confiant les larmes aux yeux, suite à la misère qu’elle y avait vue : « Il me semble que le Bon Dieu doit avoir honte de nous, disait-elle. » Et je me disais en me rappelant son indignation, « voilà bien la fille de son Père, son Père des cieux. » N’est-ce pas là la passion même du Christ pour notre monde qui doit nous animer ?

Alors, frères et sœurs, habillons-nous le cœur en ce temps de Carême qui s’ouvre devant nous, puisque le Christ nous y attend et nous entraîne à sa suite. Notre combat, ce sera celui de la disponibilité du cœur, afin d’accueillir les fruits de sa victoire en nos vies. Voilà le mouvement de conversion dans lequel nous nous engageons et qui nous conduira jusqu’au matin de Pâques, le cœur à la joie ! Amen.

fr. Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

 

Homélie pour le Mercredi des Cendres

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En entrant en carême, nous sommes invités à aller au désert. Ce désert pour le peuple hébreu va devenir le lieu de l’épreuve, de la tentation, mais avant tout le lieu de la présence de Dieu. Un temps de passage où Dieu accompagne, nourrit, désaltère, conduit. Le désert est un lieu où l’on vit l’expérience de se situer devant Dieu comme seul guide, c’est le temps de la confiance et de la fidélité, c’est un retour à l’essentiel, d’où l’importance de ce temps de dépouillement qu’est le carême.

Entrer au désert, c’est se rappeler chaque année que l’essence même de la vie de foi se vit dans abandon entre les mains de Dieu, dans cette attitude du Fils, qu’est Jésus, qui se laisse conduire par l’Esprit Saint. Ce désert évoque aussi la tentation, la présence de forces adverses en nous qui veulent nous faire renoncer à notre vie d’enfant de Dieu. Et souvent nous tombons, nous cédons… C’est pourquoi le désert est aussi une expérience de conversion, un appel à renoncer à nos façons de faire qui sont parfois un refus de l’amour de Dieu et un refus de l’autre.

Le carême est un appel à la conversion qui vient nous rappeler qu’il nous il faut coopérer à la grâce que Dieu nous donne afin d’être des signes lumineux dans le monde. L’Église, fidèle à l’évangile, nous propose trois chemins de conversion en cette montée vers Pâques : la prière, l’aumône et le jeûne.

Ces trois observances viennent mettre l’accent sur trois lieux de rencontre en nos vies : Dieu et la prière, l’aumône et le prochain, le jeûne et nous-mêmes.

Le carême nous invite à un renouvellement de notre vie de prière afin de renouer avec cette intimité, cette proximité que Dieu veut établir avec nous à travers notre quotidien.

Le carême nous invite aussi à redécouvrir l’importance du prochain, car l’on ne peut aimer Dieu sans aimer le prochain, car le prochain est le seul chemin vers Dieu. L’Église nous propose d’adopter le prochain comme une part de nous-mêmes en ce temps de conversion.

Enfin, le jeûne et nous-mêmes. Il est là pour creuser la faim et la soif en nous, et ainsi comprendre que seul Dieu peut véritablement nous rassasier.

Frères et soeurs, ne doutons pas que ce Carême qui s’ouvre devant nous, le Christ nous y précède. Et nous n’avons pas à avoir peur de le suivre puisqu’il est déjà vainqueur. Notre combat, ce sera celui de la disponibilité du coeur afin de pouvoir accueillir les fruits de sa victoire. Voilà le mouvement de conversion dans lequel nous nous engageons à l’aube de ce Carême qui nous conduira jusqu’au matin de Pâques.

fr. Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs