Homélie pour le 18e Dimanche (B)

Après avoir entendu le récit de la multiplication des pains la semaine dernière, nous en poursuivons la lecture aujourd’hui alors que Jésus se présente à nous comme le Pain de vie. J’aimerais aborder cette affirmation de Jésus à la lumière de l’exhortation de saint Paul : « Revêtez-vous de l’homme nouveau. »

Quand saint Paul fait cette invitation aux Éphésiens, il décrit de manière saisissante ce en quoi consiste la vie nouvelle des baptisés : « Revêtez-vous de l’homme nouveau. » La liturgie du baptême évoque cette réalité spirituelle, alors que le nouveau baptisé est revêtu d’un vêtement blanc et que le ministre lui dit : « En Jésus, par le baptême, tu es renouvelé; ce vêtement blanc en est le signe. Tu as revêtu le Christ. » 

Revêtir l’homme nouveau, c’est revêtir le Christ, c’est entrer dans cette dynamique de transformation de nos vies qui en est une de croissance spirituelle, et qui se vit à travers nos forces et nos faiblesses. Nous sommes tous en cheminement, et nous faisons tous l’expérience de limites dans notre idéal de vie, mais parce que nous avons foi en Dieu et que nous voulons suivre le Christ, nos limites ne peuvent plus avoir le dernier mot dans nos vies.

Il y a un proverbe juif qui affirme cette belle vérité : « Ne te méprise pas, car Dieu lui ne te méprise pas. » Le Seigneur croit en nous, il espère en nous et il nous aime non pas malgré nos limites et nos échecs, mais avec tout ce que nous sommes. Et son amour se déploie en proportion de notre misère, tel l’enfant malade à qui l’on prodigue des soins attentionnés parce qu’il en a davantage besoin. L’amour cherche toujours à faire plus. C’est pourquoi Dieu nous envoie son Fils afin que nous puissions revêtir l’homme nouveau et trouver notre plein épanouissement.

C’est là le sens de notre rassemblement tous les dimanches, alors que nous venons célébrer le repas du Seigneur, participer à ce que les premiers chrétiens appelaient aussi la fraction du pain ou la sainte Cène. Nous le faisons à l’invitation de Jésus qui nous dit : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. »

La faim est un enjeu fondamental pour l’être humain puisqu’elle est liée à sa survie même. C’est la mort si nous nous privons de nourriture et des millions de personnes dans le monde vivent cette tragédie. Les chrétiens et les chrétiennes à travers l’histoire se sont toujours engagés dans cette lutte contre la faim, la pauvreté et la misère. Mais Jésus nous rappelle que la faim la plus importante pour  l’homme n’est pas celle du pain, mais la quête de sens, de savoir que la vie est porteuse d’avenir, qu’elle est voulue et précieuse, car c’est là un enjeu fondamental dans toute vie humaine. 

La faim la plus profonde et la plus significative qui habite le cœur de l’homme, qu’il le veuille ou non, qu’il le sache ou non, c’est la faim de Dieu. Et tout comme nos poumons sont faits pour aspirer l’air dès notre naissance, nous sommes faits pour Dieu. C’est une recherche qui est inscrite au coeur même de la vie. Saint Augustin décrit bien cette réalité quand il dit à Dieu dans sa prière : « Tu nous as fait pour toi et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi. »

C’est pourquoi Jésus dira lors de la tentation au désert : « L’homme ne vit pas seulement de pain… » Ou encore à l’occasion de la multiplication des pains : « Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle. »

C’est dans cette dynamique que nous entrons quand nous célébrons l’eucharistie. Car cette vie ici-bas nous prépare à la vie qui ne finira jamais, alors qu’un jour nous verrons Dieu face à face, ayant revêtu le Christ, pleinement configurés à lui, devenus semblables à lui. Voilà notre destinée!

Tous les rites liturgiques, tous les sacrements que nous célébrons en Église, nous insèrent dans une démarche de transformation de nos vies, et l’eucharistie en est l’expression la plus forte. Tout comme le pain et le vin sont transformés en corps et en sang du Christ, nous aussi nous sommes transformés. C’est le moine bénédictin Anselm Grün qui affirme ce qui suit dans son livre Réussir la transformation de soi

« Dans toute eucharistie, nous célébrons la métamorphose de notre vie. Dans le don du pain et du vin, nous nous en remettons à Dieu avec nos déchirements, avec tout ce qui nous blesse et nous broie, avec nos pensées et nos sentiments, nos besoins et nos passions, notre conscience et notre inconscient. Et nous faisons confiance à Dieu : il va accepter nos dons et les transformer, de sorte que peu à peu, imperceptiblement, quelque chose va changer en nous au fil des Eucharisties, de la même manière que le levain va se mêler à la farine pour donner toute sa saveur à la pâte. » 

Frères et soeurs, c’est cela vivre spirituellement, revêtir l’homme nouveau : « c’est se transformer de plus en plus, jusqu’à ce que le visage du Christ soit visible en nous. »

C’est pourquoi chaque dimanche nous sommes invités à participer à l’eucharistie, non par obligation, mais par fidélité, non par habitude mais par amour, parce que c’est là que Dieu a choisi de se donner à nous de la manière la plus inattendue, la plus absolue qui soit, en se faisant nourriture pour nous.

Yves Bériault, o.p.

Dominicain. Ordre des prêcheurs.

Homélie pour le 17e Dimanche (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 6,1-15. 
En ce temps-là, Jésus passa de l’autre côté de la mer de Galilée, le lac de Tibériade.
Une grande foule le suivait, parce qu’elle avait vu les signes qu’il accomplissait sur les malades.
Jésus gravit la montagne, et là, il était assis avec ses disciples.
Or, la Pâque, la fête des Juifs, était proche.
Jésus leva les yeux et vit qu’une foule nombreuse venait à lui. Il dit à Philippe : « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? »
Il disait cela pour le mettre à l’épreuve, car il savait bien, lui, ce qu’il allait faire.
Philippe lui répondit : « Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun reçoive un peu de pain. »
Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit :
« Il y a là un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons, mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ! »
Jésus dit : « Faites asseoir les gens. » Il y avait beaucoup d’herbe à cet endroit. Ils s’assirent donc, au nombre d’environ cinq mille hommes.
Alors Jésus prit les pains et, après avoir rendu grâce, il les distribua aux convives ; il leur donna aussi du poisson, autant qu’ils en voulaient.
Quand ils eurent mangé à leur faim, il dit à ses disciples : « Rassemblez les morceaux en surplus, pour que rien ne se perde. »
Ils les rassemblèrent, et ils remplirent douze paniers avec les morceaux des cinq pains d’orge, restés en surplus pour ceux qui prenaient cette nourriture.
À la vue du signe que Jésus avait accompli, les gens disaient : « C’est vraiment lui le Prophète annoncé, celui qui vient dans le monde. »
Mais Jésus savait qu’ils allaient venir l’enlever pour faire de lui leur roi ; alors de nouveau il se retira dans la montagne, lui seul.

COMMENTAIRE

Nous commençons aujourd’hui avec l’évangéliste Jean une suite de cinq dimanches où nous ferons la lecture de son récit sur le Pain de vie. Il s’agit en fait d’une méditation sur l’eucharistie et sur la foi. Par ailleurs, la mention de la venue prochaine de la Pâque juive dans l’évangile aujourd’hui nous donne déjà une clé de lecture pour la compréhension de la multiplication des pains. Jean veut nous dire que Jésus est l’accomplissement de cette Pâque, l’accomplissement de toutes les promesses de Dieu faites à son peuple à travers l’histoire.

Il est nécessaire de souligner d’entrée de jeu que la tradition évangélique accorde une grande importance à la multiplication des pains, car c’est le seul miracle de Jésus que nous retrouvons dans les quatre évangiles, et il y est mentionné à six reprises, ce qui est tout à fait exceptionnel.

Tout l’évangile de Jean est une invitation à contempler la personne de Jésus, et la multiplication des pains survient dans son évangile comme un sommet de l’action de Jésus, une synthèse de son ministère et une profonde révélation de son identité, qui va se déployer tout au long de son discours sur le Pain de vie.

Par ailleurs, la multiplication des pains est la réalisation de l’un des signes majeurs qui devaient accompagner la venue du Messie. Les Juifs attendaient pour les temps messianiques le renouvellement du miracle de la manne au désert et c’est pourquoi, à la suite de ce miracle de Jésus, la foule veut l’enlever et le faire roi. Mais comme il le dira lui-même, sa royauté n’est pas de ce monde, et il va fuir cette foule.

La multiplication des pains évoque bien le miracle de la manne au désert, mais il y a bien plus que Moïse ici, car dans le désert c’est Dieu qui fait tomber la manne du ciel suite à la prière de Moïse, alors que dans le récit évangélique, c’est Jésus lui-même qui multiplie les pains et les poissons, et qui les distribue à la foule. De plus, alors que la manne ne pouvait se conserver au-delà d’une journée, ici, à la demande de Jésus, l’on garde tout ce qui reste du pain afin que rien ne soit perdu, évocation à mots couverts du caractère sacré que prendra ce pain après la résurrection. Le miracle est évocateur de l’eucharistie.

Rappelons-nous que chez l’évangéliste Marc, c’est la compassion de Jésus pour la foule qui entraîne la multiplication des pains, alors que chez Jean ce miracle a pour but de dévoiler l’identité de Jésus. Il est le nouveau Moïse qui nous entraîne dans un nouvel exode vers la terre promise, et de même qu’il est capable de donner de la nourriture matérielle, il est capable de donner de la nourriture spirituelle.

Voilà pour une brève explication de ce passage évangélique. Mais quelles sont les leçons de ce récit pour notre vie de foi de tous les jours? Peut-être nous faut-il réentendre l’histoire en modifiant légèrement l’angle de notre lecture. Écoutons à nouveau…

Il était une fois un jeune garçon qui avait cinq pains et deux poissons, au milieu d’une foule de cinq mille personnes venue entendre Jésus. Cette foule commençait à avoir faim et Jésus mit alors à l’épreuve la foi de Philippe, l’un de ses disciples, en lui demandant comment nourrir une telle foule. Ce dernier avoua son impuissance, le défi lui paraissant insurmontable à vue humaine.

C’est alors que le jeune garçon s’avança et offrit à Jésus le peu qu’il avait, soit ses cinq pains et ses deux poissons, ce qui suscita l’incrédulité d’André, le frère de Simon-Pierre, qui dit à Jésus : « Mais qu’est-ce que cela pour tant de monde? » Mais Jésus, posant un regard admiratif sur le jeune garçon, fit asseoir la foule, là où il y avait beaucoup d’herbe nous précise l’évangéliste, évoquant ainsi l’image du Bon pasteur conduisant son troupeau sur de verts pâturages. Prenant alors dans ses mains les cinq pains et les deux poissons, Jésus rendit grâce au Père et il les distribua à la foule. Après que tout le monde eût mangé, il en resta assez pour emplir douze corbeilles, évocation des douze apôtres, des douze tribus d’Israël, mais surtout signe de plénitude et de salut, annonçant l’Église à venir.

Quant au jeune garçon, dont on ne connaît ni le nom ni la provenance, il est un personnage central dans cette histoire. Alors que les Apôtres sont incapables de s’en remettre au Christ, Jésus a sans doute voulu leur faire voir en ce garçon, un modèle de la présence des disciples au monde, nous rappelant que le fruit de nos travaux et de nos luttes reste toujours fondamentalement un don de Dieu.

Le geste de ce garçon nous rappelle que tout ce que nous donnons de nous-mêmes dans la foi, malgré la pauvreté de nos moyens, Dieu est capable de transformer ce don en nourriture pour la multitude. Et c’est ainsi qu’aujourd’hui encore, Jésus nous associe à sa mission de nourrir les foules avec lui et ainsi participer à la surabondante générosité de Dieu pour notre monde.

À travers les siècles, les chrétiens et les chrétiennes ont toujours reconnu le Christ à la fois dans le service du prochain et dans la fraction du pain. C’est pourquoi, à la fin de chacune de nos eucharisties, nourris du Pain de vie, nous sommes envoyés en mission, mais pas avant de nous être unis au Christ dans son offrande au Père, présentant nos cinq pains et nos deux poissons, et nous en remettant à lui quant à la portée de ce don, lui qui est capable de transformer le pauvre pain auquel nous communions en nourriture pour la vie éternelle. C’est ce mystère qui s’offre à nous maintenant au moment de célébrer notre eucharistie. Amen.

Yves Bériault, o.p.

Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 16e Dimanche (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 6 30-34

En ce temps-là,
après leur première mission,
    les Apôtres se réunirent auprès de Jésus, 
et lui annoncèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné. 
Il leur dit : 
« Venez à l’écart dans un endroit désert, 
et reposez-vous un peu. » 
De fait, ceux qui arrivaient et ceux qui partaient étaient nombreux, 
et l’on n’avait même pas le temps de manger. 
    Alors, ils partirent en barque 
pour un endroit désert, à l’écart. 
    Les gens les virent s’éloigner, 
et beaucoup comprirent leur intention. 
Alors, à pied, de toutes les villes, 
ils coururent là-bas 
et arrivèrent avant eux. 
    En débarquant, Jésus vit une grande foule. 
Il fut saisi de compassion envers eux, 
parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. 

COMMENTAIRE

Voilà un évangile qui arrive à point nommé au cœur de notre été avec un récit qui s’apparente en quelque sorte à une parabole pour nos vies de baptisés.

Si cet évangile sert de prélude au miracle de la multiplication des pains, récit qui est repris par les quatre évangélistes, la version que nous présente saint Marc est sans doute la plus intimiste, la plus touchante. Tout d’abord on y voit Jésus dans toute son humanité à travers son attachement à ses disciples. Ainsi, la joie des retrouvailles est bien tangible quand les Douze reviennent de mission et racontent à Jésus le détail de ce qu’ils ont vécu. Après les avoir écoutés longuement sans doute, l’amitié de Jésus pour eux se fait encore plus tangible alors que sensible à leur fatigue, il les invite à se retirer à l’écart, afin de se reposer dans un endroit désert, loin des foules.

Mais aussitôt arrivé à destination, Jésus lui-même ne peut bénéficier de ce repos puisqu’une grande foule les a rejoints. Bien loin d’être exaspéré, Jésus est saisi de compassion. L’expression «saisi de compassion ou de pitié» est très forte ici dans la version grecque de l’évangile de Marc. Littéralement le texte dit ceci : «Ses entrailles se sont émues», comme celle de Dieu à l’égard de son peuple danscertains passages de l’Ancien Testament (Os 11,8). Cette sollicitude de Jésus est comparée à celle du berger pour ses brebis perdues, brebis qui sont le bien le plus précieux du berger . Cet évangile, à n’en pas douter, nous rappelle combien nous avons du prix aux yeux de Dieu.

Cet épisode de la vie des disciples avec le Christ est très interpellant en cet été de liberté retrouvée, alors que les vacances redeviennent possibles après un long hiver sanitaire. Tout d’abord, cet évangile nous rappel que le repos est quelque chose de tout à fait souhaitable et légitime pour Jésus. Ce n’est pas un caprice, ce n’est pas de l’égoïsme. Tout comme notre corps a besoin de sommeil, nos vies ont besoin de se refaire, de marquer une pause face à nos engagements et nos soucis.

D’ailleurs, le repos est un thème important dans la bible. C’est ainsi que dans le récit de la création, Dieu lui-même se repose le septième jour. Le véritable repos dans la Bible prend tout son sens en ce qu’il est tourné vers Dieu. Il devient action de grâce pour sa création, pour la vie qu’il nous donne, pour les personnes qui nous entourent. Et c’est ainsi que le psalmiste dira : «Je n’ai de repos qu’en Dieu seul». 

C’est Dieu qui donne le véritable repos, la joie intérieure devant tous ses bienfaits. Et c’est ainsi que les vacances deviennent un moment tout à fait béni pour entrer dans cette dynamique de l’action de grâce, pour laisser s’élever en nous un grand merci vers Dieu pour tous ses bienfaits dans nos vies, et célébrer ainsi cette vie avec nos proches et nos amis-ies.

Maintenant, Jésus n’abandonne pas les disciples sur le rivage alors qu’il les invite à se reposer. Il part avec eux, tout comme il part avec nous. Mais comme nous le révèle notre récit, Jésus n’est pas un compagnon de voyage de tout repos. Car lorsque l’on marche avec le Christ, nous voyons alors le monde avec ses yeux à lui, nous sommes invités à mettre nos cœurs en diapason avec le cœur de Dieu.

Je me souviens de mon père qui était un homme aux opinions bien arrêtées, et qui avait parfois des réactions très vives quand il était témoin d’injustices ou de misère humaine. Mon père était un homme qui savait s’indigner, et cela me gênait parfois quand j’étais enfant de le voir faire une «sainte colère». Ce n’est que plus tard, bien plus tard après mon adolescence, que j’ai compris et qu’a grandi en moi un sentiment de fierté pour l’intégrité de mon père et son sens de la justice. Et c’est alors que j’ai réalisé qu’il avait profondément marqué mon regard sur la vie et sur les personnes.

Nous avons sans doute tous vécu quelque chose de semblable, soit au contact de nos parents ou de personnes signifiantes dans nos vies, et qui sont devenues pour nous des modèles. S’il en est ainsi dans nos relations humaines, que dire alors de cette émulation quand nous sommes disciples du Christ et que nous affirmons vouloir le suivre? Car nous ne pouvons isoler cette sollicitude dont témoigne leSeigneur dans l’évangile, avec l’invitation qu’il nous fait de nous mettre à son école et ainsi apprendre de lui. Car il n’y a pas de force transformatrice plus grande que la présence de son esprit au cœur de nos vies, ce qui explique pourquoi Jésus Christ et son évangile ne sont pas des compagnons de voyage de tout repos! Et pourtant, il n’y a pas de plus beau voyage!

Car si nous voulons vraiment vivre la vie évangélique, nous assumer pleinement comme enfants de Dieu, nous ne pouvons plus porter le même regard sur notre monde. Nous ne pouvons pas rester indifférents face à la misère humaine, même quand on est en vacances. Et c’est là qu’il nous faut opérer une jonction : un disciple en vacances n’est pas en vacance de l’évangile. Il n’est ni en vacances de son prochain, de sa famille ou de ses amis. 

Il est certainement important pour notre bien-être de pouvoir nous retirer à l’écart et nous reposer, maisil nous faut accepter aussi de nous laisser interpeller, déranger même, par ceux et celles qui nousattendent sur l’autre rive de nos vacances. C’est là le témoignage que nous donne le Seigneur dans l’évangile aujourd’hui.

Oui, frères et sœurs, vivement les vacances! Mais n’oublions pas de partir avec le Christ bon pasteur, qui saura bien nous garder les yeux et le cœur ouverts tout au long de nos rencontres et de nos découvertes cet été. C’est peut-être là que nous attend le véritable repos réparateur. Bon été et bonnes vacances!

fr. Yves Bériault, o.p.

Dominicains. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 14e Dimanche (B)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Marc (Mc 6, 1-6)

En ce temps-là,
Jésus se rendit dans son lieu d’origine,
et ses disciples le suivirent.
Le jour du sabbat,
il se mit à enseigner dans la synagogue.
De nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, disaient :
« D’où cela lui vient-il ?
Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée,
et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ?
N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie,
et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ?
Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? »
Et ils étaient profondément choqués à son sujet.
Jésus leur disait :
« Un prophète n’est méprisé que dans son pays,
sa parenté et sa maison. »
Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ;
il guérit seulement quelques malades
en leur imposant les mains.
Et il s’étonna de leur manque de foi.
Alors, Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant.

COMMENTAIRE

Ce récit évangélique est comme un miroir de l’expérience que nous faisons à l’occasion quand nous souhaitons partager notre foi. Nous voyons Jésus qui n’est pas accueilli dans son village natal, et qui s’étonne devant le manque de foi de ses auditeurs.

Comme le dit Jésus, le disciple n’est pas au-dessus de son maître, et il nous arrive à nous aussi de ne pas être accueillis, d’être confrontés au refus de croire en Dieu ou encore à un désintéressement complet vis-à-vis de cette question. Comment évangéliser aujourd’hui alors que nous vivons maintenant dans un monde désenchanté, c’est-à-dire un monde où il n’y a plus ni mystère, ni merveilleux. Dans ce monde, l’Homme est devenu majeur, et son histoire et sa destinée, pense-t-il, n’appartiennent qu’à lui seul.

Comment Jésus réagirait-il à notre place ? L’évangéliste aujourd’hui nous dit qu’il  a seulement guéri quelques malades à Nazareth, et qu’il a ensuite poursuivi sa route en enseignant de village en village, poursuivant sa mission. Cette attitude de Jésus est rassurante en ce qu’elle nous rappelle que Dieu ne désespère jamais de nous, de même qu’il ne saurait se désintéresser de sa création. C’est à cette attitude que nous sommes appelés nous aussi quand nous parlons d’évangélisation.

Beaucoup parmi nous s’inquiètent de leurs enfants et de leurs petits enfants, et se demandent en quoi ils ont failli parce qu’ils ne viennent pas à l’église, ou parce qu’ils n’ont pas la foi, ou qu’ils ne sont pas baptisés. Ils se demandent ce qu’ils pourraient bien faire de plus pour leur transmettre la foi en Dieu, et la seule réponse adéquate, il me semble, est souvent celle du témoignage discret, silencieux même. 

Cette préoccupation du salut de l’autre est déjà en quelque sorte une prière, et c’est là la première chose qu’il nous faut faire. Prier. Prier avec ardeur pour notre monde et ceux et celles que nous aimons. Les porter tendrement, nous en inquiéter, les offrir au Père tout comme le faisait Jésus.

Mais de manière plus générale, l’évangélisation porte en elle-même une exigence d’amour pour notre monde, malgré ses refus et ses rejets. Il nous faut apprendre à porter un regard sur l’autre où notre cœur peut aller plus loin que les apparences, car toute personne cherche le bonheur, malgré les égarements que cela entraîne parfois. Et malgré le flot de mauvaises nouvelles qui nous arrivent à travers les médias, la vie des personnes qui vivent sur cette terre est habituellement marquée par des gestes quotidiens d’affection, de dépassement de soi, de vies données au nom même de l’amour.

Chaque jour des parents commencent leur journée en pensant à leurs enfants, parfois même à leur survie. Je pense en particulier à ces familles se retrouvant dans des camps de réfugiées, victimes de la guerre, d’exactions de toutes sortes. Dans beaucoup de ces histoires, l’amour et l’entraide occupent souvent la première place, malgré la détresse où se retrouvent ces personnes. 

Impossible de compter tous les gestes de générosité qui sont posés quotidiennement sur cette terre. Et c’est avec ce regard qu’il nous faut aller au-devant de notre monde, là où vivent des hommes et des femmes qui ont souvent le cœur plein d’une espérance qu’ils n’arrivent pas toujours à nommer, et qui ont besoin d’une présence fraternelle et désintéressée auprès d’eux. Comment reconnaîtrons-nous Dieu dans nos villes qui semblent le rejeter ou l’ignorer, si notre cœur ne va pas plus loin que les apparences ? Car tout homme, toute femme est une histoire sacrée et seul l’amour peut ouvrir les cœurs à la présence de Dieu. L’évangile nous invite donc à un long travail de patience et de présence fraternelle à notre monde où l’on ne saurait désespérer de quiconque.

Voici un exemple pour illustrer mon propos. La scène se passe sur le Chemin de la Côte-des-Neiges à Montréal. Quel beau nom évocateur en ces temps de canicule ! Je venais donc d’y présider l’eucharistie et j’avais remarqué une vieille dame avant la messe qui avait monté péniblement les marches qui mènent à l’église. Au moment de quitter l’église, je me suis retrouvé avec elle sur le trottoir et nous avons marché ensemble. Il faut préciser que le quartier est largement un quartier d’immigrants, où 60 nationalités et plus de 100 langues maternelles et dialectes se côtoient.

Je revois cette dame haïtienne dans sa belle robe bleue fleurie, s’appuyant sur sa canne et avançant très lentement. À un moment donné, je lui ai demandé si cette marche n’était pas trop difficile pour elle, car elle me disait habiter à plusieurs rues de l’église. « Oh non, me dit-elle en riant, j’en ai l’habitude mon Père ! » Elle était fière de me dire qu’elle avait subi un accident cérébro-vasculaire l’année précédente et que depuis elle avait fait beaucoup de progrès ! 

Au même moment, une jeune femme s’approcha de nous et salua la vieille dame avec beaucoup de chaleur, lui demandant si elle pouvait passer la voir en soirée. Je comprenais qu’elle avait besoin d’un service. En même temps, la plus jeune se tourna vers moi et me dit d’un ton rieur et fier, à propos de ma compagne de route : « Vous savez, elle est infirmière ! » Je n’ai pas pris la peine de lui demander si ça ne la fatiguait pas trop de soigner ainsi les gens chez elle, car elle m’aurait sans doute répondu en riant : « Oh non, j’en ai l’habitude mon Père ! »

En la regardant s’éloigner, je me disais que Jésus venait de passer sur la Côte-des-Neiges, et je rendais grâce à Dieu d’avoir mis sur ma route cette femme passionnée, dont toute la vie prenait sa source dans sa foi au Christ, et dont le témoignage d’engagement et d’affection ne pouvait qu’être contagieux pour tous ceux et celles qui la côtoyaient. Et c’est cela aussi évangéliser !

La suite du Christ est un long compagnonnage sur les routes du monde. Il s’agit d’une route sinueuse et étroite qui traverse la Galilée des Nations et que Jésus et ses disciples continuent d’emprunter courageusement, jour après jour, parcourant bourgs et villages, annonçant la bonne nouvelle de l’évangile, guérissant les malades, chacun selon le don qui nous est fait, mais un don qui a toujours sa source dans l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Voilà ce qui nous donne la force d’avancer et de persévérer même quand nous ne sommes pas toujours accueillis. Et c’est cela évangéliser !

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs