5e Dimanche du temps ordinaire. Année C.

peche_miraculeuse

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 5,1-11.
En ce temps-là, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth.
Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets.
Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules.
Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. »
Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. »
Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer.
Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient.
A cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. »
En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ;
et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras.»
Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.

COMMENTAIRE

Frères et sœurs, j’aimerais vous raconter une histoire de pêche. Cela se passe au Rwanda, où j’ai habité en 2009 pendant près d’un an. Alors que je me promenais avec des frères au bord du grand lac Kivu, un lac qui fait un peu plus de cent kilomètres de long par cinquante de large, je vis une flottille de bateaux de pêche se diriger vers le large à la queue leu leu. Il s’agissait de petits chalutiers artisanaux, des pirogues à deux coques, propulsées par une bonne demi-douzaine de pêcheurs, maniant des pagaies au rythme d’un chant à la fois profond et cadencé, quasi-religieux.

C’était à la brunante et la petite flottille composée de quinze bateaux environ appareillait pour la nuit. Chacune des pirogues avait une lampe allumée à sa proue et toutes les dix ou quinze minutes, une nouvelle pirogue quittait le petit port de pêche sous l’acclamation de leurs proches. Comme dans un ballet bien synchronisé, elles s’en allaient toutes dans la même direction afin d’y tendre leurs filets. Un spectacle fascinant qui me parlait de ces hommes partant de nuit, gagner leur vie, espérant faire une pêche abondante afin de nourrir leurs familles.

Tout bon pêcheur le sait, la pêche au filet pour être fructueuse doit se faire de nuit. Pourtant, dans le récit évangélique de ce dimanche, nous retrouvons Simon Pierre et ses compagnons qui rentrent bredouilles de leur nuit de pêche. L’évangéliste Luc nous décrit la scène.

Pierre et ses compagnons sont là sur la plage au petit matin à nettoyer leurs filets. Et voilà que Jésus se tient sur le rivage, entouré par la foule. Nous sommes près de Capharnaüm, là où Jésus a expulsé un démon d’un possédé à la synagogue, là où il a guéri la belle-mère de Pierre, ainsi qu’un grand nombre de malades. Le texte précise que cette foule est là pour écouter Jésus commenter la parole de Dieu. C’est alors que Jésus monte dans une barque qui appartient à Simon Pierre et s’éloigne du rivage pour enseigner à la foule.

La prédication terminée, il invite Pierre à s’avancer au large et à lancer les filets. Avec la foule, nous sommes alors témoins de la puissance créatrice de la parole du Christ. Remarquez que la nuit est terminée.

Comment penser qu’il soit possible de faire mieux en plein jour, si la pêche a été infructueuse de nuit? Mais Pierre fait confiance à Jésus. On retrouve dans ce récit un certain parallèle avec l’attitude de Marie devant l’ange Gabriel : « Qu’il me soit fait selon ta parole » avait-elle répondu. « Puisque tu me le demandes, dit Pierre, je vais lancer les filets ».

Le résultat ne se fait pas attendre. C’est la pêche miraculeuse! Les filets sont pleins à tout rompre et le sens du miracle nous est dévoilé quand Jésus dit à Pierre : « Désormais, ce sont des hommes que tu prendras ».

En grec, le sens du mot employé ici veut dire « prendre vivant » ; quand il s’agit de poissons, c’est les tuer parce que la mer est leur milieu naturel… Mais quand il s’agit des hommes que l’on arrache à la mer, le verbe employé signifie sauver : prendre vivantes des personnes, les arracher à la mer, les empêcher de se noyer, les sauver. (Thabut)

Bien sûr, la mission de l’Église trouve son fondement dans ce récit, et sans cesse, elle est invitée à lancer les filets. Mais n’est-ce pas là la tâche des missionnaires, des évangélisateurs, des catéchètes? Si je ne suis ni missionnaire, ni évangélisateur, ni catéchète, comment vais-je lancer le filet?

Je me souviens, après un long séjour chez les Trappistes à Oka, j’avais fait le constat suivant : me retrouvant à l’église pour la prière de la nuit, les vigiles, qui sont célébrées à 4 h du matin, j’en étais arrivé à cette conclusion que l’église était la véritable demeure des moines. Non pas leur chambre, ni le réfectoire ou les lieux de travail, mais l’église abbatiale. La chambre n’étant qu’une sorte de salle d’attente ou de repos, en attendant de se retrouver dans le seul lieu qui compte pour les moines : l’église. Cette nef m’apparut alors comme le navire du moine, ce marin de la vie spirituelle, dont tout le quotidien est tendu vers ce lieu de la prière communautaire où, ensemble, plusieurs fois par jour, les moines prennent la mer afin d’aller y tendre leurs filets au nom de Dieu, priant, intercédant pour les hommes et les femmes de ce monde.

S’il en est ainsi des moines qui ne quittent pas leur monastère, que dire alors de chacun et chacune de nous ici qui, à chaque jour dans la cité, levons les voiles et prenons la mer? La réponse confiante de Pierre à Jésus n’est-elle pas l’expression la plus achevée de toute remise de soi-même entre les mains de Dieu : « Maître, sur ton ordre, je vais jeter les filets encore aujourd’hui ».

Dans l’épître aux Hébreux, il est écrit : « Jésus Christ, hier et aujourd’hui, est le même, il l’est pour l’éternité » (Heb 13, 8). Sa parole est agissante pour nous aujourd’hui, comme hier, comme elle le sera demain. Telle est notre foi. Et quand nous nous offrons à Dieu, quand nous lui disons comme le prophète Isaïe : « Moi je serai ton messager, envoie-moi », ou encore « fais de moi ton instrument », nous devenons alors des pêcheurs d’hommes, la parole du Christ se réalise alors en nous et il n’y a pas de plus grand bonheur. C’est la joie d’être disciple qui s’accomplit en nous.

Chaque parole bienveillante, chaque encouragement, chaque marque de tendresse et de réconfort; le moindre petit service, le travail quotidien fait consciencieusement, le temps donné gratuitement, l’écoute généreuse et attentive de celui ou de celle qui souffre, ces mille et une manière de signifier ce trop plein d’amour que le Christ a déversé en nos cœurs, c’est cela aussi lancer les filets. La Parole de Dieu ce matin nous invite à la confiance et à l’audace en dépit des vents contraires dans nos vies, des résultats décevants ou même des échecs apparents, car le ressuscité est toujours là sur le rivage de nos vies.

C’est la nature même de notre foi au Christ qui nous permet d’affirmer que notre Dieu est le Dieu de l’Impossible et qu’il nous est demandé à nous, de tout simplement faire confiance et de lancer les filets. De croire que notre prière, nos gestes fraternels, notre vie quotidienne, vécues dans la foi, ont ce pouvoir de transformer le monde, de sauver les hommes et les femmes qui l’habitent.

C’est là l’invitation que nous fait Jésus Christ en son Église : Partir de nuit, comme de jour, nos lampes bien allumées, assumant pleinement et avec courage chacune des journées qui nous est donnée, reconnaissant humblement comme saint Paul, que ce que nous sommes en tant que croyants, nous le sommes par la grâce de Dieu, confiants qu’en nous remettant entre ses mains, nous pourrons nous aussi dire comme Paul : « la grâce dont il m’a comblé n’a pas été stérile ».

À nous maintenant, après une semaine en mer depuis notre dernier rassemblement dominicale, de tirer nos filets vers le rivage de cette eucharistie où le Christ nous attend. Amen.

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le 28e Dimanche du temps ordinaire. Année B.

suis-moi

VIENS SUIS-MOI

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 10,17-30.
En ce temps-là, Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? »
Jésus lui dit : « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul.
Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. »
L’homme répondit : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. »
Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. »
Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.
Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! »
Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit : « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu !
Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. »
De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « Mais alors, qui peut être sauvé ? »
Jésus les regarde et dit : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »

COMMENTAIRE

La parole de Dieu en ce dimanche nous fait entendre l’invitation de Jésus qui vaut pour toutes les époques : « Viens, suis-moi. Marche courageusement avec moi. » Cette invitation est plus que jamais d’actualité alors que plusieurs ont la foi triste devant le paysage désolé de bon nombre de nos paroisses. Ce à quoi certains répondent que ce n’est pas là le réflexe de vrais chrétiens. Il faudrait plutôt être joyeux et optimistes, comme si les déconvenues de l’Église ne nous concernaient pas, que c’était avant tout l’affaire du Seigneur.

Il ne faudrait pas confondre optimisme béat et espérance, car nous ne sommes pas des êtres désincarnés. Jésus lui-même dans l’évangile aujourd’hui n’est pas indifférent au départ du jeune homme riche. L’évangéliste Marc prend la peine de noter que Jésus aima ce jeune homme en le voyant et, qu’à la suite de son incapacité à le suivre, Jésus exprima sa grande déception à ses disciples. C’est ce même Jésus qui va se lamenter sur le sort de Jérusalem et ses habitants, qui va pleurer devant le tombeau de son ami Lazare. Comment pourrait-il en être autrement pour nous ? Notre vie de foi ne peut se vivre en vase clos, comme si nous pouvions être indifférents aux soubresauts du monde autour de nous.

Nous vivons souvent des situations de vie qui nous blessent, qui nous déçoivent, ou qui nous désespèrent et, comme l’affirment les psychologues, il est constructif de pouvoir le reconnaître. La guérison commence toujours par la prise de conscience de ce qui nous heurte, de ce qui nous fait souffrir. C’est pourquoi il nous faut sans cesse remettre sur le métier la trame de nos vies à la lumière de l’évangile, avec ses joies et ses peines, laissant la puissance de résurrection du Christ agir en nous. Rien de plus thérapeutique !

Voyez Jésus dans sa rencontre avec le jeune homme riche. Il n’en reste pas à sa déception. « Tout est possible à Dieu », dit-il, quand ses disciples lui demandent « qui donc peut bien être sauvé ». C’est avec ce même regard de foi et d’espérance qu’il nous faut regarder la situation actuelle de l’Église et de notre monde. Tristes, nous devons l’être quand nous constatons que l’amour n’est pas aimé, comme le notait un moine du Moyen-Âge, quand nous constatons que l’amour est bafoué, mais adopter une attitude de désespoir, jamais ! Jamais, puisque le Christ est vainqueur ! C’est sur ce roc que nous devons grandir et appuyer notre foi.

De nos jours, les personnes que nous voyons aux eucharisties dominicales sont pour la plupart des survivants, qui ont traversé la grande épreuve de la sécularisation. Beaucoup sont des anciens, comme on les appelait dans les premiers temps de l’Église, c.-à-d. des aînés, mais avant tout des aînés dans la foi, qui par leur fidélité et leur persévérance, sont des porteurs et des gardiens de la bonne nouvelle de Jésus Christ.

C’est surtout cela qui me frappe quand je vois des fidèles rassemblés pour l’eucharistie. Fidèles ! On ne peut trouver de mot plus beau pour décrire ce qui habite le cœur des disciples du Christ. Elle est belle cette fidélité qui semble à toute épreuve, et où des parents et des grands-parents persévèrent dans leur foi, tout en portant le souci, parfois douloureux, de leurs enfants et de leurs petits-enfants, priant sans cesse pour eux. Elle est belle la fidélité de ces célibataires qui poursuivent leurs engagements dans leurs milieux de travail et dans la Cité, au nom même de leur amour du Christ et du prochain.

C’est cette même fidélité qui s’exprime quand nous portons douloureusement le monde avec ses souffrances et ses violences, car la foi en Dieu transforme notre cœur et notre regard sur le monde. Quand l’évangile prend racine en nous, il nous rend responsables, et il fait de nous des hommes et des femmes qui prennent au sérieux l’appel du Christ, qui savent tendre l’oreille et le cœur aux cris de détresse des plus proches comme des plus lointains.

C’est à ce radicalisme que nous sommes invités quand Jésus dit : « Viens suis-moi ».  Car le danger qui toujours nous guette, est soit de nous enfermer dans l’attitude du jeune homme riche, pour qui le défi évangélique semble trop coûteux, alors que c’est la vie même qui lui est proposée, ou encore, de ressembler à ces chrétiens qui, comme les deux disciples sur la route d’Emmaüs, ne savent plus parler de leur Seigneur qu’au passé, comme s’il n’était jamais ressuscité, comme s’il ne marchait pas avec nous.

Un évêque que j’ai eu la chance d’entendre prêcher un jour proclamait d’une voix forte dans son homélie : « Je suis fils de Dieu ! Avant même que le monde soit créé, Dieu pensait à moi. Il m’aimait déjà et il voulait me créer. Et ce monde avec ses galaxies a été fait pour MOI, car JE suis fils de Dieu. Et il me demande de m’y engager avec tout cet amour qu’il a mis en moi, car JE suis fils de Dieu ! »

Frères et sœurs, notre vocation personnelle, mystérieusement, était gravée dans le cœur de Dieu avant même que nous ne soyons nés. Dieu nous voyait déjà avant même la création du monde. Il se penchait avec amour sur le rêve en devenir que nous étions, posant son regard bienveillant sur chacun de ses enfants, encore à l’état de rêve, mettant en chacun d’eux un dynamisme de vie capable de regarder vers l’infini, capable de le reconnaître Lui pour qui il est : Dieu, notre Père.

C’est ce regard d’amour que pose Jésus sur le jeune homme riche, et sur chacune de nos vies, nous invitant à le suivre en laissant tout ce qui peut nous détourner de Dieu, car nos vies ne peuvent véritablement s’épanouir et s’accomplir si elles ne répondent pas à cet appel. Mais gloire soit rendue à notre Dieu, car l’assurance qui est la nôtre, et qui fonde notre espérance, est que rien n’est impossible à Dieu. C’est là la promesse qu’il nous fait en son Fils Jésus Christ.

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour la solennité de Sainte Marie Mère de Dieu

Sainte Marie Mère de Dieu

C’est à l’initiative du pape Paul VI, en 1968, que le premier janvier fut consacré Journée mondiale de la Paix. Si l’on s’arrête à cette époque, la crise de Cuba avec ses ogives nucléaires avait conduit le monde au seuil d’un conflit international; la Guerre froide était toujours à l’ordre du jour de l’échiquier mondial; la guerre du Vietnam faisait rage, et il faudra attendre encore une vingtaine d’années avant l’écroulement du Mur de Berlin et le démantèlement de l’Union Soviétique. Paul VI était convaincu que le monde avait besoin de consacrer la première journée de la nouvelle année à la paix, afin de rappeler à l’humanité que la paix est notre défi le plus fondamental. Il en va de notre survie.

Depuis le début de son pontificat, le pape François ne cesse de nous rappeler les énormes défis que le monde doit affronter s’il veut véritablement bâtir une paix durable. Dans son message au monde pour le 1er janvier 2015, il démasque les multiples visages de l’esclavage d’hier et d’aujourd’hui et nous invite à « résister à la tentation de nous comporter de manière indigne de notre humanité ». Dans son message qui a pour titre « non plus esclaves, mais frères », il dénonce à la fois les guerres, la corruption, la violence faite aux enfants, le trafic humain, les dérives de la mondialisation et le mépris des pauvres.

Mais le cœur de son message vise à rappeler au monde que, tous autant que nous sommes sur cette terre, nous sommes tous frères et sœurs, avant d’être des ennemis. Et s’il y a une mondialisation que nous devons réaliser au nom de l’évangile, c’est celle de la solidarité, de la justice et de la fraternité.

Quand le péché corrompt le cœur de l’homme, dit le pape François, et l’éloigne de son Créateur et de ses semblables, ces derniers ne sont plus perçus comme des êtres d’égale dignité, comme frères et sœurs en humanité, mais sont vus comme des objets, ce qui justifie alors tous les esclavages. On oublie alors que : « Tous sont aimés de Dieu, tous ont été rachetés par le sang du Christ, mort et ressuscité pour chacun. » Voilà ce que l’Église proclame sans cesse au monde.

La liturgie d’aujourd’hui, dans le prolongement de la fête de Noël, nous fait voir cette nécessité de la paix en notre monde dans une perspective beaucoup plus large que la simple absence de conflit. L’évangile nous enseigne que la véritable paix est un don de Dieu, et que cette paix trouve son fondement dans ce don unique au monde du Prince de la Paix, Jésus Christ.

Le deuxième point central de notre célébration, en ce premier Jour de l’An, est la fête en l’honneur de la Vierge Marie, alors que se termine l’octave de Noël. Si notre attention à Noël était tout orientée vers la naissance du Sauveur, aujourd’hui nous contemplons sa mère à qui nous avons donné le titre de Sainte Mère de Dieu. L’affirmation est plus qu’audacieuse. Marie Mère de Dieu! Comment cela est-il possible? Comment Dieu peut-il avoir une mère?

Ce titre, « Sainte Marie Mère de Dieu », a été proclamé solennellement lors du grand Concile d’Éphèse en l’an 431, et repris au Concile de Chalcédoine, vingt ans plus tard, afin d’affirmer la doctrine chrétienne concernant la divinité de Jésus. Une grave crise sévissait alors dans l’Église où certains remettaient en question que Jésus soit à la fois vrai Dieu et vrai homme. La formule « Sainte Marie Mère de Dieu », a alors été énoncé non pas tant pour glorifier la Vierge Marie, que pour affirmer la véritable nature de celui qu’elle a donné au monde : Jésus Christ qui tout en étant vrai homme, est vraiment Dieu.

En cette fête de Sainte Marie, Mère de Dieu, nous sommes invités à contempler à la fois la bénédiction qui nous est faite en Jésus Christ, l’Emmanuel, Dieu parmi nous, le Prince de la paix, ainsi que celle qui a reçu une telle bénédiction de concevoir l’Homme-Dieu. Lorsque l’ange Gabriel salut Marie, il lui dit « Je te salue, pleine de grâce », c’est-à-dire comblée de la grâce de Dieu; elle est par excellence celle sur qui le nom de Dieu a été prononcé. C’est pourquoi elle est « bénie entre toutes les femmes… »

Sa cousine Élisabeth dira de Marie « bienheureuse celle qui a cru! » Avant d’être une maternité physique, ce qui se vit en Marie c’est une maternité spirituelle : « Elle conçoit le Christ dans son cœur avant de le concevoir dans son sein. » Augustin dira « qu’il est plus grand pour Marie d’avoir été disciple du Christ que d’avoir été mère du Christ. » Ce mystère nous concerne en tout premier lieu.

Car comme le veut le vieil adage : « Telle mère, telles filles, et tels fils », car nous aussi nous sommes disciples du Christ, participant au même mystère que Marie, notre Mère.

En honorant la maternité de Marie aujourd’hui, nos regards se portent à la fois sur elle en tant que modèle de foi et, surtout, sur l’extraordinaire mystère de sa maternité où Dieu se donne au monde. C’est cette bénédiction sur notre humanité, que nous célébrons au début de chaque nouvelle année, car Dieu s’est fait l’un des nôtres, il y a deux mille ans, il nous a bénis et comblé de sa présence.

Marie, par sa maternité, est Parole de Dieu en acte, elle porte le Verbe de Dieu, elle est « enceinte de la Parole de Dieu », et elle la donne au monde sans rien retenir pour elle-même.

C’est pourquoi Marie se retrouvera au cœur de l’assemblée des Apôtres à la Pentecôte. Elle poursuit sa tâche de Mère, car les disciples du Christ lui deviennent des fils et des filles qu’elle va accompagner à leur tour de sa foi et de sa prière maternelle.

En ce début d’année 2015, alors que la paix demeure toujours quelque chose de précaire et de fragile en notre monde, nous nous confions à Dieu. Nous lui confions nos familles, ceux et celles que nous aimons, nous lui confions notre monde dans sa recherche du bonheur, nous prions pour les pays en guerre, pour ceux et celles qui sont persécutés, et nous invoquons la prière de notre Mère du ciel sur nous : Sainte Marie Mère de Dieu, Mère de l’Église, Mère des disciples, priez pour nous ! Amen.

Yves Bériault, o.p.

[1] Augustin. Sermons 215, 4, PL 38, 1074.

Homélie pour la fête de saint Thomas d’Aquin

Image

« J’ai prié et l’intelligence m’a été donnée. J’ai supplié et l’esprit de la sagesse est venue en moi ». Cet extrait du livre de la Sagesse (Sg 7, 7) nous situe sans doute au cœur même de la vie de frère Thomas d’Aquin. Lui qui a si bien parlé du mystère de la foi tout au long de sa vie et qui pourtant, au terme de son parcours sur terre, considère ses enseignements comme de la paille. Frère Thomas se voit alors comme le plus humble des frères et il ne peut que se taire devant le mystère qu’il a tellement cherché à comprendre.

Frère Thomas était un mystique, qui donnait toute sa valeur à cette affirmation d’un Père de l’Église qui affirmait que « le théologien est quelqu’un qui prie, et celui qui prie est un théologien ». Avant d’être un théologien, frère Thomas était un simple croyant, un priant, un amant de Dieu. D’ailleurs, l’on n’est pas étonnés de voir des femmes comme Catherine de Sienne ou Thérèse de Lisieux, des femmes sans beaucoup d’instruction,  porter le même titre que ce grand intellectuel, soit celui de docteur de l’Église. Dieu se donne à tous ceux et celles qui le cherchent et il nous rend capables de le trouver.

Thomas l’affirmait : la grâce agit en nous comme une (sur) nature, comme un mouvement intérieur qui nous soutien et nous fait rechercher le bien, le vrai, l’amour, qui nous fait trouver Dieu! Cette grâce est un dynamisme qui nous rend capables d’une véritable communion avec Dieu et qui est offerte à tous, sans distinction, ou s’il fallait en faire une, il faudrait dire qu’elle est offerte aux plus petits et aux plus humbles.

Cette grâce n’est pas une question d’intelligence. Elle est avant tout affaire de volonté. Notre volonté de nous attacher à Dieu afin de mieux le connaître et ainsi mieux l’aimer. C’est cette attitude de désir qui permet à Dieu d’agir en nous et de faire de nous, des docteurs de l’Église, des saints et des saintes, de ces «priants théologiens », de ces croyants bien ordinaires, qui cheminent avec leurs doutes et leurs luttes, et dont Dieu se fait tout proche.

« J’ai prié et l’intelligence m’a été donnée. J’ai supplié et l’esprit de la sagesse est venu en moi ».  Saint Thomas, le premier, était conscient que la contemplation à laquelle il se livrait, par le biais du travail intellectuel et de la prière, avait comme principe de connaissance, l’amour de Dieu. D’ailleurs, il l’affirmait dans l’un de ses sermons : « Manifestement, tous ne peuvent passer leur temps en de laborieuses études. Aussi le Christ nous a donné une loi que sa brièveté rend accessible à tous et qu’ainsi, nul n’a le droit d’ignorer : c’est la loi de l’amour divin ». C’est de cette loi dont ont vécu les grands docteurs de l’Église, et qui est la source même de toute vie spirituelle.

L’Église nous propose comme modèle un personnage qui est très important pour l’Ordre des Prêcheurs et pour l’Église. Et bien sûr, nous sommes fiers de son génie et de son œuvre. En invoquant Thomas d’Aquin, on ne peut oublier à quel point la recherche de Dieu et de la vérité demande un travail acharné, où, sans cesse, l’intelligence doit se mettre au service de la foi. Mais l’on n’aurait rien saisi du mystère de ce docteur de l’Église, et lui même nous le reprocherait, si l’on ne voyait pas tout d’abord en lui l’homme de foi, l’humble frère qui, un jour, attacha ses pas à ceux du Christ et consacra toute sa vie à la recherche de la vérité. 

Homélie pour le 3e Dimanche du Temps Ordinaire. Année C.

> 1ère lecture : Le peuple de Dieu redécouvre la Parole (Ne 8, 1-4a.5-6.8-10)
> Psaume : Ps 18, 8, 9, 10, 15 R/ La joie du Seigneur est notre rempart
> Evangile : Prologue de Saint Luc — « Aujourd’hui, s’accomplit la Parole » (Lc 1, 1-4; 4, 14-21)

Mise en situation

Imaginez une vieille maison à la campagne. Vous êtes chez vos grands-parents. Vous montez au grenier et là il y a le vieux coffre à souvenirs. Vous l’ouvrez et vous en faites l’inventaire. Photos de mariage du grand-père et de la grand-mère, photos des enfants, une généalogie, des lettres d’amour que grand-père et grand-mère s’écrivaient secrètement pendant leurs fiançailles, le sermon de leur mariage, quelques prières composées pour les grands moments de leur vie, un ancien bail, des souvenirs de voyages, cartes postales, photos de familles, les plans de la première maison, un voile de mariée,  un poème offert par les enfants lors de leur cinquantième anniversaire, etc. Vous découvrez dans ce coffre l’histoire d’un couple, c’est le coffre à trésor d’une belle histoire d’amour qui en dépit du temps semble garder toute sa fraîcheur.

 En ce dimanche, la liturgie à sa façon nous invite à ouvrir notre propre coffre. Nous aussi en tant qu’Église nous vivons une histoire d’amour et notre coffre à souvenir c’est le livre de la Parole, c’est la Bible. C’est une bibliothèque de 73 livres qui raconte la merveilleuse histoire de nos ancêtres dans la foi : il y a là des livres d’histoires, des poèmes, les plans de construction du Temple, des paroles de Sagesse, les messages des prophètes et enfin le témoignage de ceux qui ont connu Jésus-Christ. Ces livres sacrés, qui n’en forment plus qu’un seul pour nous, doivent sans cesse être redécouverts par les chrétiens. C’est pourquoi chaque dimanche ils sont proclamés dans notre assemblée.

La Parole de Dieu est centrale dans notre vie de foi. Mais alors pourquoi nous laisse-t-elle si souvent indifférentes ? Souvent, l’on quitte l’assemblée du dimanche sans trop nous rappeler ce qui a été lu. L’habitude? Sans doute. D’où l’importance de nous rappeler de temps en temps le sens de cette Parole de Dieu que nous proclamons afin de mieux nous l’approprier, de mieux l’entendre. Il y a des conditions objectives pour l’accueillir. Il faut avoir les oreilles et le cœur bien ouvert. Savoir l’accueillir dans une attitude de respect et d’écoute. Savoir demander à Dieu que cette Parole m’atteigne au plus profond de moi-même, car c’est lui qui me parle.

Notre Dieu Parle

La Parole de Dieu est avant tout un fait d’expérience dans la Bible. Dieu parle, il parle directement à des personnes privilégiées. L’on songe ici à Abraham, à Moïse, aux divers prophètes. À la charnière de l’A.T et du N.T. il y a Marie, les Apôtres, saint Paul et si l’on fait un saut dans le temps, il y a nous tous ici rassemblés. La manière dont Dieu s’adresse à nous peut varier, elle est adaptée à chacun. Dans la Bible, l’on nous rapporte que Dieu s’est adressé à des personnes par des visions ou des songes, par une inspiration intérieure, ou encore bouche à bouche comme pour Moïse. Parfois cette parole se manifeste sous forme de préceptes, d’enseignement de sagesses. Mais une chose est certaine, tous les prophètes ont conscience que Dieu leur parle.

Notre Dieu veut se faire connaître

Ces considérations nous amènent à dégager une deuxième caractéristique de notre Dieu. Notre Dieu est un Dieu qui veut se faire connaître. Si notre Dieu parle, c’est qu’il veut se faire connaître. N’est-ce pas là l’expérience fondamentale de tout parent avec son enfant. S’il cherche à lui apprendre à parler, bien que ce soit là une nécessité de la vie, le père et la mère qui laborieusement veulent amener leur enfant chéri à balbutier ses premiers mots, souhaitent surtout entendre de la bouche de leur enfant : maman, papa. Dans cette expérience de reconnaissance de l’autre est ancrée la nature même de l’expérience de la famille qui est de se situer dans un réseau de vie où les enfants apprennent à devenir humain dans la mesure où ils reconnaissent leurs parents comme des êtres différenciés, des autres par qui passent leur croissance physique, affective et morale. Et Dieu aussi veut se faire connaître, il veut que nous l’appelions Père, car cette vie humaine qui est la nôtre s’enracine dans la sienne, elle vient de lui et elle va vers lui. Donc, Dieu parle pour se faire connaître, pour que grandissent entre lui et nous, l’amour, la communion; pour que nous atteignions notre pleine stature d’enfants de Dieu, que nous devenions des hommes et des femmes responsables!

Serviteurs de la Parole

Pour la tradition judéo-chrétienne, la Parole est action, elle est Verbe, elle fait, elle agit et cette Parole a pour centre la personne de Jésus-Christ. Jésus est le Verbe de Dieu. Et en tant que Verbe, en tant que Fils, il existe dès le commencement. C’est par Lui, Parole créatrice, que tout a été fait ; il est la lumière qui luit dans les ténèbres pour apporter la connaissance de Dieu. Il est la parole de sagesse dans l’A.T. Et ce Verbe entre ouvertement dans l’histoire humaine en prenant notre chair, en devenant l’un des nôtres.

La Parole de Dieu nous transforme, elle suscite une nouvelle relation à nous-mêmes et aux autres. Car la Parole de Dieu apporte le salut de Dieu et ce salut de Dieu, c’est la victoire sur le mal. Si la vie vous intéresse, Dieu, en Jésus-Christ, propose à l’humanité un projet de vie, un regard sur notre vie personnelle qui dépasse les espérances humaines les plus folles. C’est pourquoi il faut constamment se nourrir de la Parole de Dieu, car Dieu a beau nous parler dans notre quotidien, dans notre prière, à travers les autres, il nous parle avant tout dans ces pages qui sont une nourriture spirituelle qui vient éclairer notre quotidien, notre prière, nos engagements.

Sois un serviteur de la Parole. Le besoin croît avec l’usage. 

Pour conclure la Semaine de l’unité des chrétiens

Jésus disait à ses Apôtres : « Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi. »

Nous sommes de ceux-là. Nous sommes les héritiers de la prédication des Apôtres de Jésus. Nous croyons à cause de leurs paroles, à cause du témoignage de leurs vies, ainsi que de tous ceux qui leur ont succédé. Nous croyons surtout parce que l’Esprit de vérité a été répandu dans nos cœurs à notre baptême, et il nous a amenés à reconnaître que Jésus a vraiment les paroles de la vie éternelle.

Jésus est le parfait adorateur du Père et seul le Fils de Dieu pouvait nous montrer ce qu’est le cœur de la véritable prière, le sens profond de l’amour de Dieu et du prochain. C’est pourquoi nous proclamons sans cesse en Église, et à la face du monde, que Jésus est véritablement le « resplendissement de la gloire du Père, l’expression parfaite de son être. » Vrai homme, mais aussi vrai Dieu, son amour pour nous ne pouvait pas être un amour de demi-mesure. C’est pourquoi il demande pour nous au Père : « Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. »

Voilà de désir profond de Jésus, et qui est le désir profond du Père. Jésus est allé au bout du don de lui-même afin que les enfants du Père soient un avec Lui et le Père, uni dans une même communion, uni dans un même amour, uni dans un même Esprit. Comme il est grand le don que Jésus nous fait de lui-même dans son obéissance au Père. Comme il est beau!

C’est pourquoi saint Augustin célèbre le Christ en disant de lui : « Il est beau, le Verbe auprès de Dieu […]. Il est beau dans le ciel, beau sur la terre […]; beau dans ses miracles, beau dans le supplice; beau quand il appelle à la vie et beau quand il ne s’inquiète pas de la mort […]; beau sur la Croix, beau dans le tombeau, beau dans le ciel […].» Oui, le Père se complaît en son Fils, lui en qui il a mis tout son amour, lui qu’il a glorifié en le ressuscitant des morts.

Cette gloire de Jésus, les Apôtres en ont été les témoins privilégiés le matin de Pâques, afin qu’ils parviennent ainsi à cette unité dans la foi et la charité, et qu’ils vivent ainsi dans cette communion qui existe entre le Père et le Fils, et ce pour l’éternité. C’est là l’héritage que Jésus vient nous léguer au nom du Père. L’unité des disciples rend témoignage à cette action puissante de Jésus sur les cœurs, et atteste ainsi qu’il est vraiment l’envoyé de Dieu. « Que leur unité soit parfaite, demande Jésus; ainsi, le monde saura que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. »

Voilà le rêve de Dieu pour nous, un rêve qui comporte bien sûr des exigences, mais surtout une grande joie, car c’est là que se trouve la véritable liberté, puisque cet amour de Dieu est la source de toutes les joies et sur cet amour nous pouvons construire nos vies avec assurance, puisque Jésus lui-même nous y invite. Il nous invite à être un reflet de sa gloire pour notre monde. Comme l’écrivait l’auteur Jacques Breault : « Vivre jusqu’au bout l’Évangile. Rien n’apparaît aujourd’hui plus généreux, et plus inventif ». 

La fête du Baptême du Seigneur

Image

Le baptême de Jésus marque le début de son ministère public, alors que la voix du Père se fait entendre et nous dévoile sa véritable identité : « C’est toi mon Fils bien-aimé; en toi j’ai mis tout mon amour ».

Il est important de préciser que ce baptême qu’il reçoit, ce n’est pas encore le baptême chrétien. Il s’agit d’une démarche de pénitence et de conversion, qui est propre à Jean Baptiste, et qui survient alors qu’il y a une grande effervescence dans toute la Judée. De plus en plus, des voix se font entendre pour dire que le messie va bientôt venir, que Dieu va enfin accomplir sa promesse de salut.

Alors que certains se demandent si Jean Baptiste n’est pas le Messie tant attendu, ce dernier annonce la venue d’un plus puissant que lui. Quand il le reconnaît en la personne de Jésus, il s’étonne de sa présence dans les eaux du Jourdain. Il est décontenancé par ce Messie qui prend place parmi les pécheurs, et qui vient se faire baptiser par lui. Mais pourquoi Jésus se fait-il baptiser?

Faut-il le rappeler, le Fils de Dieu, en se faisant homme, assume pleinement notre condition humaine. Il la prend sur lui avec son poids de péché et il marche avec nous. Il se fait solidaire de tous ceux qui se présentent à Jean-Baptiste en quête de pardon. Son baptême est l’expression de son amour pour nous, un amour qui se donnera jusqu’à la mort. Par ce baptême qu’il reçoit, Jésus nous prend sur ses épaules, comme il a pris sa croix, comme le berger prend sur lui la brebis blessée. Il prend sur lui nos péchés et il se fait baptiser avec tout le peuple, solidaire de lui, solidaire de nous.

L’iconographie orientale a bien saisi ce mystère du Baptême de Jésus, le représentant se faisant baptiser dans un tombeau rempli d’eau. Ces eaux symbolisent à la fois la mort et le shéol, le lieu où sont en attente tous les défunts depuis Adam et Ève, et que Jésus va aller chercher. Elles symbolisent aussi la vie, ces eaux vives que le Christ va offrir à la Samaritaine, ces eaux qu’il va transformer en vin des noces, comme à Cana.

Les icônes du baptême de Jésus sont très semblables à celles de sa résurrection des morts, et dans cette vision du Christ qui se fait baptiser, c’est déjà le Christ victorieux qui nous est présenté au début des évangiles. Plongé dans l’eau de la mort, il en ressort victorieux, et il nous entraine avec lui vers l’autre rive, où nous attend le Père. Voilà le mystère que contemple l’Église en cette fête du Baptême du Seigneur.

Par ailleurs, ce qui se produit au baptême de Jésus est une anticipation de notre propre baptême dans le Christ. Chacun et chacune de nous avons été marqué par le don de l’Esprit Saint à notre baptême et, depuis ce jour, jusqu’à notre entrée dans l’éternité de Dieu, se fait entendre cette voix intérieure qui nous dit : « Tu es ma fille bien aimée, tu es mon fils bien-aimé, en toi j’ai mis tout mon amour. »

Mais quelles sont les conséquences de ce baptême pour nous et pour ce monde où nous vivons? C’est là une question pressante et difficile, en ces jours où la violence semble se faire omniprésente autour de nous.

Il est clair que lorsque la violence est légitimée, quand elle est perçue comme la voie normale pour affirmer sa personne ou ses idées, comme à Paris ces derniers jours, nous sommes alors confrontés à un lamentable échec de notre humanité. C’est le mal qui triomphe, c’est Caïn qui tue Abel encore une fois. Par ailleurs, si les sociétés sont en droit de se protéger, elles ont aussi le devoir de s’interroger quant aux causes de ces violences, tout en évitant de diaboliser l’adversaire, car il y a là un piège.

Parfois la violence est inévitable, lors d’une guerre ou en cas de légitime défense, mais la violence qui est le fruit de la haine ou du désir de vengeance, ne peut qu’alimenter de nouvelles violences. C’est Sylvie Germain, écrivaine française catholique, qui dégage cette analyse de la pensée d’Etty Hillesum sur la haine, cette jeune juive tuée à Auschwitz en 1943 :

« La haine n’est pas seulement la voie la plus facile […]; la haine est aussi la voie la plus dangereuse, la plus trompeuse, elle est sans issue. Là où se lève la haine en réaction à une violence, à un outrage, à une injustice subie, le mal triomphe, car la victime, aussi innocente soit-elle, se laisse alors atteindre au plus intime de son être […] par la maladie du mal. »

Quand nous cédons à la haine et à la vengeance, nous devenons complices du mal, et nous alimentons à notre tour cette bête insatiable en nous. En tant que disciples du Christ, il est de notre devoir de préserver en nous notre humanité à tout prix. C’est ce que notre vie baptismale exige de nous et rend possible en nous. Etty Hillesum écrivait dans son journal :

“Si la paix s’installe un jour, elle ne pourra être authentique que si chaque individu fait d’abord la Paix en soi-même, extirpe tout sentiment de haine pour quelque race ou quelque peuple que ce soit. » (Juin 1942)

Bien sûr, c’est là un grand défi, mais il est possible de le relever, car Jésus lui-même nous y invite. Faut-il le rappeler : notre baptême nous configure au Christ, et nous rend vainqueurs du mal avec lui. Bien sûr, c’est un long travail d’enfantement qui se fait en nous, un patient travail de guérison, où nous connaitrons des échecs, mais Jésus nous a ouvert le chemin du pardon et de l’amour du prochain. Il faut accepter de nous y engager courageusement avec lui. Telle est notre foi. Et quand des frères et des soeurs deviennent nos ennemis, plutôt que de les haïr, Jésus nous apprend à pleurer avec lui sur notre pauvre monde, à pardonner avec lui, à prier avec lui, afin que l’amour ne s’éteigne pas en nous.

En cette fête du baptême du Seigneur, demandons-lui la grâce de vivre pleinement notre baptême, et ainsi rendre témoignage de l’évangile au coeur de notre monde. La paix véritable est à ce prix.

Yves Bériault o.p.

Homélie pour le troisième Dimanche de l’Avent 2012

Entre la préparation de cette homélie pour le troisième dimanche de l’Avent et notre rassemblement de ce matin, est survenue la terrible tragédie de Newtown au Connecticut où vingt enfants de six ans tout au plus, ainsi que dix adultes, ont été assassinés. Ils s’ajoutent à la longue liste des crimes contre l’enfance et la jeunesse de la terre. On se souvient de la Norvège l’année dernière, de Beslan en Tchétchénie, de la bande de Gaza, des écoles bombardées en Syrie, à l’attaque d’hier en Chine contre une école. C’est le massacre des saints innocents. Et que l’on ne nous dise pas que cette évocation dans les récits de l’enfance de Jésus n’est que fabulation. Notre actualité est la preuve vivante que de telles horreurs ont toujours existées.

Comprenons-nous maintenant pourquoi nos eucharisties insistent autant sur le péché, sur le pardon? Seigneur prend pitié. Ainsi, commençons-nous chacune de nos eucharisties, car nous sommes aux prises avec le mal et nous sommes engagés dans une lutte à finit avec lui, où nous savons que Dieu aura le dernier mot. Mais comment parler de joie chrétienne ce matin sans tenir compte du contexte où nous la célébrons.

Je ne puis que reprendre les mots que j’adressais aux étudiants et étudiantes rassemblés pour l’eucharistie après la terrible tragédie de Polytechnique (Montréal 1989) où 14 jeunes femmes avaient été assassinées. À leur question : « Mais où était Dieu? », je ne pouvais que répondre qu’en dépit du fait que notre espérance semblait se tenir au-dessus d’un abime, que Dieu était avec nous dans cette épreuve. Qu’il pleurait avec nous comme l’a fait Jésus devant la ruine éminente de Jérusalem, devant le tombeau de son ami Lazare, lors de sa nuit de veille à Gethsémanie. Dieu pleure avec nous quand ses enfants s’entretuent car nous sommes son bien le plus cher.

Et pourtant, malgré cette tragédie de Newtown, il nous faut parler plus que jamais de la joie chrétienne à laquelle nous invite notre liturgie aujourd’hui.

C’est Paul VI dans son encyclique sur la joie chrétienne qui écrivait que la joie chrétienne ce n’est pas de l’insouciance, mais une sagesse alimentée par les trois vertus théologales. Une assurance ferme que Dieu est avec nous et qu’il aura le dernier mot.

La joie chrétienne, c’est le bonheur de croire, parce que cette foi vient changer nos vies. Joseph Ratzinger dans son denier livre L’enfance de Jésus écrit ceci : « Jésus assume en lui toute l’humanité, toute l’histoire de l’humanité, et lui fait prendre un tournant décisif, vers une nouvelle façon d’être une personne humaine. »

Bien plus qu’une philosophie, être « Chrétien », c’est être « Du Christ », c’est appartenir au Christ, et donc être rempli de la joie même du Christ qui est capable de transfigurer une existence humaine jusque dans les situations les plus tragiques. 

Un jour Jésus a dit à ses apôtres après un enseignement : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. » (Jn 15, 11). C’est à cette joie que nous sommes appelés.

La joie chrétienne est de l’ordre d’une présence intime à nos vies qui donne force et courage dans la nuit de l’épreuve, dans la vie de tous les jours, et qui a sa source dans le Christ ressuscité.

C’est Jean-Paul II, moins de trois ans avant sa mort, lors de son Angelus du 14 décembre 2003, qui disait ceci:

« Une caractéristique incomparable de la joie chrétienne est que celle-ci peut coexister avec la souffrance, car elle est entièrement basée sur l’amour. En effet, le Seigneur qui ”est proche” de nous, au point de devenir un homme, vient nous communiquer sa joie, la joie d’aimer. Ce n’est qu’ainsi que l’on comprend la joie sereine des martyrs même dans l’épreuve, ou le sourire des saints de la charité face à celui qui est dans la peine : un sourire qui ne blesse pas, mais qui console. »

Bien sûr il est difficile de parler de joie à ceux et celles qui souffrent dans leur corps et dans leur âme. Pourtant, la joie est au rendez-vous dans l’Évangile. Elle frappe à la porte de nos souffrances physiques, morales et spirituelles, et elle nous invite au rendez-vous de Dieu. Cette joie transforme toute vie qui l’accueille.

Cette joie, c’est la foi qui nous fait goûter à l’amour du Père pour nous, qui vient nous redire en Jésus combien notre vie est précieuse et combien elle a du sens. Cette joie en fin de compte, est cette assurance ferme que Dieu aura le dernier mot en dépit des apparences trompeuses, des échecs et des violences subies.

Alors, comment cacherions-nous cette joie qui nous habite? Il faut nous la redire, la chanter, la célébrer, la proclamer; c’est tout le sens de nos liturgies. Et il faut surtout la rendre active, la partager avec tous ceux et celles qui souffrent, ou qui sont accablés parce qu’ils ne trouvent aucun sens à leur vie.

La joie chrétienne s’enracine dans un bonheur profond qui n’a pas peur des combats, qui n’a pas peur de se salir les mains, de se compromettre et de lutter comme l’a fait Jésus. Car tout bonheur n’a de sens que lorsqu’il est partagé.

 Alors relevons la tête, car notre salut est proche, il s’appelle l’Emmanuel, Dieu avec nous.

Yves Bériault, o.p.

Paroisse Saint-Dominique de Québec

Noël, un chemin d’humilité

christmas-mangerIl est bon de se rappeler qu’il y a dans l’année liturgique une pédagogie de la foi, un cheminement qui est proposée à toute l’Église. Elle nous propose tout d’abord une démarche annuelle, où se déploie le grand mystère de la foi de l’Église, et qui va de l’Avent à la fête du Christ-Roi que nous avons célébrée la semaine dernière. L’année liturgique nous propose aussi une approche cyclique sur trois années, qui nous amène, année après année, à repasser par les mêmes sentiers de foi, nous laissant ainsi apprivoiser par Dieu.

Si l’on tente maintenant de décortiquer l’année liturgique, l’on y discerne spontanément trois grands mouvements qui correspondent aux temps de Noël, de Pâques et du Temps Ordinaire. Mais quand on y regarde de plus près, ces trois temps de l’année liturgique semblent correspondre, à s’y méprendre, aux trois vertus théologales de la foi, l’espérance et la charité. Non pas que toutes ces vertus ne soient pas mises en évidence tout au long de l’année liturgique, mais les grands temps de l’année liturgique semblent insister davantage sur l’une ou sur l’autre de ces vertus, toutes étant bien sûr nécessaires pour entrer pleinement dans le mystère de la vie chrétienne.

Le temps ordinaire, celui qui occupe la plus large part de l’année liturgique, est loin d’être « ordinaire ». Je le dirais consacré à la charité, à la mise en oeuvre quotidienne de l’amour, manifestée par les paroles, les gestes et la personne même de Jésus, Lui qui accomplit les œuvres du Père et qui nous révèle son visage : « Qui m’a vu a vu le Père » , dit Jésus. Le temps ordinaire de la liturgie est une invitation à faire nôtre sa mission, afin que par nos gestes et nos paroles, l’amour et la tendresse du Père soient à nouveau manifestés en notre monde. Le temps ordinaire, c’est l’aujourd’hui de Dieu, l’aujourd’hui de l’Évangile et de l’Église.

Le Carême et le temps pascal eux me semblent davantage consacrés à la vertu de foi. C’est un temps qui invite à croire, à croire sans réserve. Une invitation à suivre le Christ dans sa mort-résurrection et à proclamer avec les Apôtres que ce Jésus qui a été crucifié, Dieu l’a ressuscité des morts. Carême et temps pascal sont ces temps de l’année où nous retournons aux sources de notre foi et où, à la fête de Pâques, sommet de l’année liturgique, nous proclamons que ce Jésus, Dieu l’a fait Christ et Seigneur. « Heureux ceux qui croiront sans avoir vu! » dit Jésus. C’est à cette foi audacieuse que nous invitent le Carême et le temps pascal.

Le temps de l’Avent lui, ce temps que nous inaugurons aujourd’hui, est tout entier consacré, il me semble, à l’espérance. Cette vertu que le poète Péguy appelait la plus petite des trois vertus, mais dont il disait aussi que c’est elle qui entraîne ses deux grandes soeurs, la foi et la charité, et qui, sans l’espérance, ne seraient rien. Car c’est l’espérance qui mène le monde et qui rend les humains capables de s’ouvrir au Mystère de leur existence. C’est le philosophe Héraclite d’Éphèse qui disait « Sans l’espérance jamais vous ne rencontrerez l’inespéré ».

C’est pourquoi le temps de l’Avent, première halte dans l’année liturgique, vient dresser sur l’horizon de nos attentes humaines une toute petite lueur. Elle a les dimensions d’un berceau, mais elle est capable d’embraser tout l’univers. Et pourtant, elle est toute contenue dans le mystère de cette étable de Bethléem vers laquelle nous nous mettons en marche aujourd’hui. Mystère de l’humilité et de la petitesse de Dieu qui se donne sans jamais s’imposer à nous. C’est le jésuite Jean-François Varillon qui écrivait : « L’humilité, est vraiment l’aspect le plus radical de l’amour. »

Et c’est quand l’être humain est capable de reconnaître sa fragilité qu’il peut s’ouvrir au mystère de la vie qui l’entoure. Car, nous le savons, notre chair est humiliée. Humiliée parce que la vie est éphémère, sans cesse menacée dans ses bonheurs fragiles, ses bonheurs d’occasions. Menacée par la haine, par les guerres et la violence, par la maladie et par la mort. Et pourtant la vie est le don le plus précieux que nous ayons, et parfois on voudrait pleurer de joie tellement la vie est belle, tellement son soleil est radieux. Certains moments de la vie, nous font parfois entrevoir, l’espace d’un instant, comme un sentiment d’éternel printemps, dans lequel on voudrait s’arrêter pour toujours. Des poètes en ont parlé, des mystiques aussi…

La vie appelle vers un ailleurs, qui semble caché au plus profond d’elle-même. C’est ce que le Père a voulu nous révéler en nous envoyant son Fils. Que Dieu se soit fait homme en son Fils, qu’il ait prit notre chair afin de marcher sur nos routes, endurant comme nous la chaleur du jour, ne jouant pas à l’homme, mais assumant pleinement notre condition humaine jusque dans ses derniers retranchements, la mort, tout cela annonce une nouvelle présence de Dieu à notre monde. C’est le mystère de Noël.

Le mystère de Noël, c’est Dieu déjà qui se livre une première fois entre nos mains. En attendant la croix, il est couché dans une mangeoire, emmailloté, offert à notre contemplation. Et là, dans cette vie humaine naissante, fragile et vulnérable, s’offre à nous l’espérance du monde présent et à venir, le Christ, le Fils de Dieu, Dieu lui-même, qui vient allumer au coeur de notre nuit une soif d’infini et qui nous ouvre le chemin qui y conduit.

Pas étonnant qu’en ce temps de l’année, plus qu’à n’importe quel autre, les gens aient le goût de décorer, de revêtir les villes et les villages de lumières et de couleurs flamboyantes. Ils ont envie de donner d’eux-mêmes sans compter, d’être une fois pour toutes, bonté et générosité, comme si leur coeur saisissait à l’approche de Noël sa véritable vocation. Non, les indices ne trompent pas. C’est la petite vertu espérance qui fraie son chemin depuis cette étable de Bethléem et qui illumine la nuit des temps et qui nous rassemble aujourd’hui en cette église.

Écoutons Charles Péguy :

Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance.
Et je n’en reviens pas.
Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout.
Cette petite fille espérance.
Immortelle.
Car mes trois vertus, dit Dieu.
Les trois vertus mes créatures.
Mes filles mes enfants.
Sont elles-mêmes comme mes autres créatures.
De la race des hommes.
La Foi est une épouse fidèle.
La Charité est une Mère.
Une mère ardente, pleine de coeur.
Ou une soeur aînée qui est comme une mère.
L’Espérance est une petite fille de rien du tout.
Qui est venue au monde le jour de Noël de l’année dernière.
Qui joue encore avec le bonhomme Janvier.
Avec ses petits sapins en bois d’Allemagne couverts de givre peint.
Et avec son boeuf et son âne en bois d’Allemagne.
Peints.
Et avec sa crèche pleine de paille que les bêtes ne mangent pas.
Puisqu’elles sont en bois.
C’est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes.
Cette petite fille de rien du tout.
Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus.
Comme l’étoile a conduit les trois rois du fin fond de l’Orient.
Vers le berceau de mon fils.
Ainsi une flamme tremblante.
Elle seule conduira les Vertus et les mondes.
Une flamme percera des ténèbres éternelles.

Le Porche du mystère de la deuxième vertu, 1917, Paris, Gallimard, 1929