Noël, un chemin d’humilité

christmas-mangerIl est bon de se rappeler qu’il y a dans l’année liturgique une pédagogie de la foi, un cheminement qui est proposée à toute l’Église. Elle nous propose tout d’abord une démarche annuelle, où se déploie le grand mystère de la foi de l’Église, et qui va de l’Avent à la fête du Christ-Roi que nous avons célébrée la semaine dernière. L’année liturgique nous propose aussi une approche cyclique sur trois années, qui nous amène, année après année, à repasser par les mêmes sentiers de foi, nous laissant ainsi apprivoiser par Dieu.

Si l’on tente maintenant de décortiquer l’année liturgique, l’on y discerne spontanément trois grands mouvements qui correspondent aux temps de Noël, de Pâques et du Temps Ordinaire. Mais quand on y regarde de plus près, ces trois temps de l’année liturgique semblent correspondre, à s’y méprendre, aux trois vertus théologales de la foi, l’espérance et la charité. Non pas que toutes ces vertus ne soient pas mises en évidence tout au long de l’année liturgique, mais les grands temps de l’année liturgique semblent insister davantage sur l’une ou sur l’autre de ces vertus, toutes étant bien sûr nécessaires pour entrer pleinement dans le mystère de la vie chrétienne.

Le temps ordinaire, celui qui occupe la plus large part de l’année liturgique, est loin d’être « ordinaire ». Je le dirais consacré à la charité, à la mise en oeuvre quotidienne de l’amour, manifestée par les paroles, les gestes et la personne même de Jésus, Lui qui accomplit les œuvres du Père et qui nous révèle son visage : « Qui m’a vu a vu le Père » , dit Jésus. Le temps ordinaire de la liturgie est une invitation à faire nôtre sa mission, afin que par nos gestes et nos paroles, l’amour et la tendresse du Père soient à nouveau manifestés en notre monde. Le temps ordinaire, c’est l’aujourd’hui de Dieu, l’aujourd’hui de l’Évangile et de l’Église.

Le Carême et le temps pascal eux me semblent davantage consacrés à la vertu de foi. C’est un temps qui invite à croire, à croire sans réserve. Une invitation à suivre le Christ dans sa mort-résurrection et à proclamer avec les Apôtres que ce Jésus qui a été crucifié, Dieu l’a ressuscité des morts. Carême et temps pascal sont ces temps de l’année où nous retournons aux sources de notre foi et où, à la fête de Pâques, sommet de l’année liturgique, nous proclamons que ce Jésus, Dieu l’a fait Christ et Seigneur. « Heureux ceux qui croiront sans avoir vu! » dit Jésus. C’est à cette foi audacieuse que nous invitent le Carême et le temps pascal.

Le temps de l’Avent lui, ce temps que nous inaugurons aujourd’hui, est tout entier consacré, il me semble, à l’espérance. Cette vertu que le poète Péguy appelait la plus petite des trois vertus, mais dont il disait aussi que c’est elle qui entraîne ses deux grandes soeurs, la foi et la charité, et qui, sans l’espérance, ne seraient rien. Car c’est l’espérance qui mène le monde et qui rend les humains capables de s’ouvrir au Mystère de leur existence. C’est le philosophe Héraclite d’Éphèse qui disait « Sans l’espérance jamais vous ne rencontrerez l’inespéré ».

C’est pourquoi le temps de l’Avent, première halte dans l’année liturgique, vient dresser sur l’horizon de nos attentes humaines une toute petite lueur. Elle a les dimensions d’un berceau, mais elle est capable d’embraser tout l’univers. Et pourtant, elle est toute contenue dans le mystère de cette étable de Bethléem vers laquelle nous nous mettons en marche aujourd’hui. Mystère de l’humilité et de la petitesse de Dieu qui se donne sans jamais s’imposer à nous. C’est le jésuite Jean-François Varillon qui écrivait : « L’humilité, est vraiment l’aspect le plus radical de l’amour. »

Et c’est quand l’être humain est capable de reconnaître sa fragilité qu’il peut s’ouvrir au mystère de la vie qui l’entoure. Car, nous le savons, notre chair est humiliée. Humiliée parce que la vie est éphémère, sans cesse menacée dans ses bonheurs fragiles, ses bonheurs d’occasions. Menacée par la haine, par les guerres et la violence, par la maladie et par la mort. Et pourtant la vie est le don le plus précieux que nous ayons, et parfois on voudrait pleurer de joie tellement la vie est belle, tellement son soleil est radieux. Certains moments de la vie, nous font parfois entrevoir, l’espace d’un instant, comme un sentiment d’éternel printemps, dans lequel on voudrait s’arrêter pour toujours. Des poètes en ont parlé, des mystiques aussi…

La vie appelle vers un ailleurs, qui semble caché au plus profond d’elle-même. C’est ce que le Père a voulu nous révéler en nous envoyant son Fils. Que Dieu se soit fait homme en son Fils, qu’il ait prit notre chair afin de marcher sur nos routes, endurant comme nous la chaleur du jour, ne jouant pas à l’homme, mais assumant pleinement notre condition humaine jusque dans ses derniers retranchements, la mort, tout cela annonce une nouvelle présence de Dieu à notre monde. C’est le mystère de Noël.

Le mystère de Noël, c’est Dieu déjà qui se livre une première fois entre nos mains. En attendant la croix, il est couché dans une mangeoire, emmailloté, offert à notre contemplation. Et là, dans cette vie humaine naissante, fragile et vulnérable, s’offre à nous l’espérance du monde présent et à venir, le Christ, le Fils de Dieu, Dieu lui-même, qui vient allumer au coeur de notre nuit une soif d’infini et qui nous ouvre le chemin qui y conduit.

Pas étonnant qu’en ce temps de l’année, plus qu’à n’importe quel autre, les gens aient le goût de décorer, de revêtir les villes et les villages de lumières et de couleurs flamboyantes. Ils ont envie de donner d’eux-mêmes sans compter, d’être une fois pour toutes, bonté et générosité, comme si leur coeur saisissait à l’approche de Noël sa véritable vocation. Non, les indices ne trompent pas. C’est la petite vertu espérance qui fraie son chemin depuis cette étable de Bethléem et qui illumine la nuit des temps et qui nous rassemble aujourd’hui en cette église.

Écoutons Charles Péguy :

Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance.
Et je n’en reviens pas.
Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout.
Cette petite fille espérance.
Immortelle.
Car mes trois vertus, dit Dieu.
Les trois vertus mes créatures.
Mes filles mes enfants.
Sont elles-mêmes comme mes autres créatures.
De la race des hommes.
La Foi est une épouse fidèle.
La Charité est une Mère.
Une mère ardente, pleine de coeur.
Ou une soeur aînée qui est comme une mère.
L’Espérance est une petite fille de rien du tout.
Qui est venue au monde le jour de Noël de l’année dernière.
Qui joue encore avec le bonhomme Janvier.
Avec ses petits sapins en bois d’Allemagne couverts de givre peint.
Et avec son boeuf et son âne en bois d’Allemagne.
Peints.
Et avec sa crèche pleine de paille que les bêtes ne mangent pas.
Puisqu’elles sont en bois.
C’est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes.
Cette petite fille de rien du tout.
Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus.
Comme l’étoile a conduit les trois rois du fin fond de l’Orient.
Vers le berceau de mon fils.
Ainsi une flamme tremblante.
Elle seule conduira les Vertus et les mondes.
Une flamme percera des ténèbres éternelles.

Le Porche du mystère de la deuxième vertu, 1917, Paris, Gallimard, 1929

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