Sommes‑nous les derniers des chrétiens? Nous sommes certainement les derniers de tout un style de christianisme. Nous ne sommes pas les derniers des chrétiens. (…)
Il existe, dans la flore de Saint Pierre et Miquelon où je suis né, une plante dont tout le monde là‑bas connaît le nom latin au singulier comme au pluriel, un polygonium, des polygonia. Pourquoi? Parce que c’est une plante étrange. Bel arbuste ornemental, aux larges feuilles d’un vert très tendre et aux tiges d’un rouge proche de celui de Vlaminck, il joue un important rôle écologique: certains oiseaux des rivages y font leur nid, les insectes l’habitent, les petits rongeurs logent dans ses racines. Mais voilà: c’est une plante têtue. Si vous avez planté un polygonium dans votre jardin ou votre cour, jamais vous ne pourrez vous en débarrasser. Vous aurez beau le déraciner en allant jusqu’à la plus extrême des radicelles, verser du poison, trois ou quatre ans plus tard vous verrez une timide pousse réapparaître au beau milieu de votre framboisier ou entre les pavés de votre cour. Il suffit d’un infime morceau de rhizome demeuré en terre pour que tout repousse. S’interrogeant sur cette vitalité, les spécialistes parlent d’une secrète connivence avec le sol qui est purifié et enrichi par les sels minéraux dont regorgent les racines du polygonium, et qui semble tout faire pour favoriser sa survie.
Quand je pense à l’avenir de l’Église je pense aux polygonia de mon enfance. Cent fois je les ai vus arrachés; cent fois j’ai entendu les jardiniers se dire l’un à l’autre par‑dessus leurs clôtures « je suis venu à bout de mon polygonium »; cent fois j’ai cueilli des framboises ou des groseilles là où j’allais autrefois admirer les araignées tissant leur toile; mais… cent fois j’ai constaté que le polygonium resurgissait. La terre de mon île, pauvre et balayée par les vents de l’Atlantique qui la malmènent, a comme fait alliance avec lui parce qu’elle refuse de devenir un sol stérile.
Ainsi dans le plus profond de son désir l’humanité a fait alliance avec l’Évangile. Arrachez‑le, il repoussera un jour, alors que vous ne vous y attendiez plus. Car l’humanité refusera toujours d’être sans Espérance…
(J.‑M.R. TILLARD, o.p., « Sommes‑nous les derniers des chrétiens? », conférence donnée au Collège Dominicain de Philosophie et de Théologie d’Ottawa, le 25 novembre 1995.)
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bonjour moine ruminant
Très intéressé par ce que vous dites de Thomas d’Aquin, le chercheur de Dieu. Mais pourquoi in fine faites-vous de l’intelligence la servante de la foi? S’agit-il de la foi telle que la définit l’institution écclésiastique, avec ses dogmes et ses certitudes? Pourquoi l’intelligence ne pourrait-elle s’aventurer hors des sentiers battus? Pourquoi redouter ainsi la liberté du chercheur?
« Ce que Dieu est en réalité nous demeure caché. Et la plus haute connaissance de Dieu que nous puissions atteindre… c’est de savoir qu’il est au-delà de toute pensée que l’on puisse entretenir à son sujet »
Comment concilier cette citation magnifique avec l’attitude constante de l’Eglise, qui enferme Dieu dans ses dogmes, se privant elle-même absurdement de la possibilité d’affiner toujours son expérience du Divin et le langage pour dire cette expérience?