Porta Fidei : un témoignage en l’Année de la Foi

Benoit XVI a engagé l’Eglise dans une Année de la Foi du 11 octobre 2012 à la fête du Christ Roi, le 24 novembre 2013. Répondant à l’appel du Pape, des chrétiens confient en quelques mots comment ils ont franchi  » la porte de la Foi  » (Ac 14,27) pour entrer dans l’Eglise. Fidèles laïcs, prêtres, religieux ou religieuses : ils incarnent la diversité des croyants. Par leurs témoignages explicites de foi et leurs engagements au quotidien, ils manifestent la joie de croire et la richesse que cela représente pour notre société.

Coup de coeur argentin

Sofia Rei nous livre ici une chanson à la fois jazz et latino d’une qualité exceptionnelle. Agrandissez la vidéo et n’hésitez pas à monter le volume! Bonne écoute!

L’Annonciation à Joseph

La tradition tardive n’a pas erré quand elle a reconnu un grand saint en Joseph, époux de Marie, père nourricier de Jésus… Joseph le juste peut être comparé à Jean le Précurseur. Jean annonce et désigne le Messie; Joseph accueille le Sauveur d’Israël. Jean est la voix qui se fait l’écho de la tradition prophétique; Joseph est le fils de David qui adopte le Fils de Dieu. Par sa proclamation officielle, Jean est Élie, le grand prophète; par l’humble accueil qu’il fait de l’Emmanuel dans sa lignée, Joseph est le juste par excellence. Comme tous les justes, il attend le Messie, mais lui seul reçoit l’ordre de jeter un pont entre les deux Testaments; bien plus que Syméon recevant Jésus dans ses bras, il accueille le Sauveur dans sa propre lignée. Joseph réagit comme les justes de la Bible devant Dieu qui intervient dans leur histoire : comme Moïse ôtant ses sandales, comme Isaïe terrifié par l’apparition du Dieu trois fois saint, comme Élisabeth demandant pourquoi la mère de son Seigneur vient à elle, comme le centurion de l’Évangile, comme Pierre enfin, disant: « Éloignez-vous de moi, Seigneur, car je suis un pécheur ».

Xavier Léon-Dufour: Études d’Évangiles., p. 79 et 81

Homélie pour le troisième Dimanche de l’Avent 2012

Entre la préparation de cette homélie pour le troisième dimanche de l’Avent et notre rassemblement de ce matin, est survenue la terrible tragédie de Newtown au Connecticut où vingt enfants de six ans tout au plus, ainsi que dix adultes, ont été assassinés. Ils s’ajoutent à la longue liste des crimes contre l’enfance et la jeunesse de la terre. On se souvient de la Norvège l’année dernière, de Beslan en Tchétchénie, de la bande de Gaza, des écoles bombardées en Syrie, à l’attaque d’hier en Chine contre une école. C’est le massacre des saints innocents. Et que l’on ne nous dise pas que cette évocation dans les récits de l’enfance de Jésus n’est que fabulation. Notre actualité est la preuve vivante que de telles horreurs ont toujours existées.

Comprenons-nous maintenant pourquoi nos eucharisties insistent autant sur le péché, sur le pardon? Seigneur prend pitié. Ainsi, commençons-nous chacune de nos eucharisties, car nous sommes aux prises avec le mal et nous sommes engagés dans une lutte à finit avec lui, où nous savons que Dieu aura le dernier mot. Mais comment parler de joie chrétienne ce matin sans tenir compte du contexte où nous la célébrons.

Je ne puis que reprendre les mots que j’adressais aux étudiants et étudiantes rassemblés pour l’eucharistie après la terrible tragédie de Polytechnique (Montréal 1989) où 14 jeunes femmes avaient été assassinées. À leur question : « Mais où était Dieu? », je ne pouvais que répondre qu’en dépit du fait que notre espérance semblait se tenir au-dessus d’un abime, que Dieu était avec nous dans cette épreuve. Qu’il pleurait avec nous comme l’a fait Jésus devant la ruine éminente de Jérusalem, devant le tombeau de son ami Lazare, lors de sa nuit de veille à Gethsémanie. Dieu pleure avec nous quand ses enfants s’entretuent car nous sommes son bien le plus cher.

Et pourtant, malgré cette tragédie de Newtown, il nous faut parler plus que jamais de la joie chrétienne à laquelle nous invite notre liturgie aujourd’hui.

C’est Paul VI dans son encyclique sur la joie chrétienne qui écrivait que la joie chrétienne ce n’est pas de l’insouciance, mais une sagesse alimentée par les trois vertus théologales. Une assurance ferme que Dieu est avec nous et qu’il aura le dernier mot.

La joie chrétienne, c’est le bonheur de croire, parce que cette foi vient changer nos vies. Joseph Ratzinger dans son denier livre L’enfance de Jésus écrit ceci : « Jésus assume en lui toute l’humanité, toute l’histoire de l’humanité, et lui fait prendre un tournant décisif, vers une nouvelle façon d’être une personne humaine. »

Bien plus qu’une philosophie, être « Chrétien », c’est être « Du Christ », c’est appartenir au Christ, et donc être rempli de la joie même du Christ qui est capable de transfigurer une existence humaine jusque dans les situations les plus tragiques. 

Un jour Jésus a dit à ses apôtres après un enseignement : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. » (Jn 15, 11). C’est à cette joie que nous sommes appelés.

La joie chrétienne est de l’ordre d’une présence intime à nos vies qui donne force et courage dans la nuit de l’épreuve, dans la vie de tous les jours, et qui a sa source dans le Christ ressuscité.

C’est Jean-Paul II, moins de trois ans avant sa mort, lors de son Angelus du 14 décembre 2003, qui disait ceci:

« Une caractéristique incomparable de la joie chrétienne est que celle-ci peut coexister avec la souffrance, car elle est entièrement basée sur l’amour. En effet, le Seigneur qui ”est proche” de nous, au point de devenir un homme, vient nous communiquer sa joie, la joie d’aimer. Ce n’est qu’ainsi que l’on comprend la joie sereine des martyrs même dans l’épreuve, ou le sourire des saints de la charité face à celui qui est dans la peine : un sourire qui ne blesse pas, mais qui console. »

Bien sûr il est difficile de parler de joie à ceux et celles qui souffrent dans leur corps et dans leur âme. Pourtant, la joie est au rendez-vous dans l’Évangile. Elle frappe à la porte de nos souffrances physiques, morales et spirituelles, et elle nous invite au rendez-vous de Dieu. Cette joie transforme toute vie qui l’accueille.

Cette joie, c’est la foi qui nous fait goûter à l’amour du Père pour nous, qui vient nous redire en Jésus combien notre vie est précieuse et combien elle a du sens. Cette joie en fin de compte, est cette assurance ferme que Dieu aura le dernier mot en dépit des apparences trompeuses, des échecs et des violences subies.

Alors, comment cacherions-nous cette joie qui nous habite? Il faut nous la redire, la chanter, la célébrer, la proclamer; c’est tout le sens de nos liturgies. Et il faut surtout la rendre active, la partager avec tous ceux et celles qui souffrent, ou qui sont accablés parce qu’ils ne trouvent aucun sens à leur vie.

La joie chrétienne s’enracine dans un bonheur profond qui n’a pas peur des combats, qui n’a pas peur de se salir les mains, de se compromettre et de lutter comme l’a fait Jésus. Car tout bonheur n’a de sens que lorsqu’il est partagé.

 Alors relevons la tête, car notre salut est proche, il s’appelle l’Emmanuel, Dieu avec nous.

Yves Bériault, o.p.

Paroisse Saint-Dominique de Québec

Les Amish et le pardon

Alors qu’une nouvelle tuerie vient de se produireaux États-Unis, faisant 27 victimes dont vingt enfants, j’ai pensé reproduire ce commentaire que j’avais écrit lors d’une tuerie similaires en 2006 dans la communauté Amish.

Sans doute avez-vous pris connaissance des récents événements dramatiques, disons le mot, les tueries, survenues en Amérique du Nord ces dernières semaines. Des tueurs fous qui entrent dans des écoles et qui abattent des élèves, ou des élèves qui assassinent leurs professeurs.Je retiens surtout les événements survenus à Nickel Mines, en Pennsylvanie (É.U.), dans la communauté Amish, où dix jeunes filles ont été abattues par un père de famille sans histoire. L’étonnant, et je dirais ici le lumineux dans cette page sombre de nos passions humaines, c’est à la fois la réaction de l’aînée des élèves tenues en otage (13 ans) et celle de la communauté Amish.

La jeune fille s’est tout d’abord offerte pour demeurer seule comme otage en demandant à l’assassin de laisser partir les autres. Il a refusé. Quant elle a vue qu’il était pour les abattre toutes, elle a demandé à être tuée la première en espérant que cela dissuaderait l’homme de tuer les plus jeunes. Quelle maturité spirituelle et sens de l’abnégation chez une enfant!

Le responsable de la communauté Amish a eu cette réaction en apprenant le comportement de la jeune fille : « là où le péché s’est multiplié la grâce a surabondé » (Rm 5, 20). Une profonde réaction de foi qui ne s’est pas démentie tout au long de ce drame. Les Amish ont tenu à exprimer publiquement leur pardon à l’endroit de l’assassin, « un voisin paisible » de leur communauté, et le jour de ses funérailles, soixante-dix membres de la communauté Amish se sont présentés à l’église afin de prier pour lui et aussi offrir leur soutien et leur sympathie à sa veuve et ses enfants. L’épouse de l’assassin a même pu participer aux funérailles de l’une des jeunes filles à l’invitation de la communauté Amish.

Par ce pardon accordé, les Amish ont signifié leur refus de se laisser entraîner dans une logique de rancoeur et de vengeance. Leur charité chrétienne a tout simplement désamorcé la spirale du mal. « Ô mort, où donc est ta victoire? », ne voudrait-on pas dire avec eux, et surtout quelle belle leçon de vie évangélique. Le radicalisme évangélique est passé par Nickel Mines ce jour-là.

Noël, un chemin d’humilité

christmas-mangerIl est bon de se rappeler qu’il y a dans l’année liturgique une pédagogie de la foi, un cheminement qui est proposée à toute l’Église. Elle nous propose tout d’abord une démarche annuelle, où se déploie le grand mystère de la foi de l’Église, et qui va de l’Avent à la fête du Christ-Roi que nous avons célébrée la semaine dernière. L’année liturgique nous propose aussi une approche cyclique sur trois années, qui nous amène, année après année, à repasser par les mêmes sentiers de foi, nous laissant ainsi apprivoiser par Dieu.

Si l’on tente maintenant de décortiquer l’année liturgique, l’on y discerne spontanément trois grands mouvements qui correspondent aux temps de Noël, de Pâques et du Temps Ordinaire. Mais quand on y regarde de plus près, ces trois temps de l’année liturgique semblent correspondre, à s’y méprendre, aux trois vertus théologales de la foi, l’espérance et la charité. Non pas que toutes ces vertus ne soient pas mises en évidence tout au long de l’année liturgique, mais les grands temps de l’année liturgique semblent insister davantage sur l’une ou sur l’autre de ces vertus, toutes étant bien sûr nécessaires pour entrer pleinement dans le mystère de la vie chrétienne.

Le temps ordinaire, celui qui occupe la plus large part de l’année liturgique, est loin d’être « ordinaire ». Je le dirais consacré à la charité, à la mise en oeuvre quotidienne de l’amour, manifestée par les paroles, les gestes et la personne même de Jésus, Lui qui accomplit les œuvres du Père et qui nous révèle son visage : « Qui m’a vu a vu le Père » , dit Jésus. Le temps ordinaire de la liturgie est une invitation à faire nôtre sa mission, afin que par nos gestes et nos paroles, l’amour et la tendresse du Père soient à nouveau manifestés en notre monde. Le temps ordinaire, c’est l’aujourd’hui de Dieu, l’aujourd’hui de l’Évangile et de l’Église.

Le Carême et le temps pascal eux me semblent davantage consacrés à la vertu de foi. C’est un temps qui invite à croire, à croire sans réserve. Une invitation à suivre le Christ dans sa mort-résurrection et à proclamer avec les Apôtres que ce Jésus qui a été crucifié, Dieu l’a ressuscité des morts. Carême et temps pascal sont ces temps de l’année où nous retournons aux sources de notre foi et où, à la fête de Pâques, sommet de l’année liturgique, nous proclamons que ce Jésus, Dieu l’a fait Christ et Seigneur. « Heureux ceux qui croiront sans avoir vu! » dit Jésus. C’est à cette foi audacieuse que nous invitent le Carême et le temps pascal.

Le temps de l’Avent lui, ce temps que nous inaugurons aujourd’hui, est tout entier consacré, il me semble, à l’espérance. Cette vertu que le poète Péguy appelait la plus petite des trois vertus, mais dont il disait aussi que c’est elle qui entraîne ses deux grandes soeurs, la foi et la charité, et qui, sans l’espérance, ne seraient rien. Car c’est l’espérance qui mène le monde et qui rend les humains capables de s’ouvrir au Mystère de leur existence. C’est le philosophe Héraclite d’Éphèse qui disait « Sans l’espérance jamais vous ne rencontrerez l’inespéré ».

C’est pourquoi le temps de l’Avent, première halte dans l’année liturgique, vient dresser sur l’horizon de nos attentes humaines une toute petite lueur. Elle a les dimensions d’un berceau, mais elle est capable d’embraser tout l’univers. Et pourtant, elle est toute contenue dans le mystère de cette étable de Bethléem vers laquelle nous nous mettons en marche aujourd’hui. Mystère de l’humilité et de la petitesse de Dieu qui se donne sans jamais s’imposer à nous. C’est le jésuite Jean-François Varillon qui écrivait : « L’humilité, est vraiment l’aspect le plus radical de l’amour. »

Et c’est quand l’être humain est capable de reconnaître sa fragilité qu’il peut s’ouvrir au mystère de la vie qui l’entoure. Car, nous le savons, notre chair est humiliée. Humiliée parce que la vie est éphémère, sans cesse menacée dans ses bonheurs fragiles, ses bonheurs d’occasions. Menacée par la haine, par les guerres et la violence, par la maladie et par la mort. Et pourtant la vie est le don le plus précieux que nous ayons, et parfois on voudrait pleurer de joie tellement la vie est belle, tellement son soleil est radieux. Certains moments de la vie, nous font parfois entrevoir, l’espace d’un instant, comme un sentiment d’éternel printemps, dans lequel on voudrait s’arrêter pour toujours. Des poètes en ont parlé, des mystiques aussi…

La vie appelle vers un ailleurs, qui semble caché au plus profond d’elle-même. C’est ce que le Père a voulu nous révéler en nous envoyant son Fils. Que Dieu se soit fait homme en son Fils, qu’il ait prit notre chair afin de marcher sur nos routes, endurant comme nous la chaleur du jour, ne jouant pas à l’homme, mais assumant pleinement notre condition humaine jusque dans ses derniers retranchements, la mort, tout cela annonce une nouvelle présence de Dieu à notre monde. C’est le mystère de Noël.

Le mystère de Noël, c’est Dieu déjà qui se livre une première fois entre nos mains. En attendant la croix, il est couché dans une mangeoire, emmailloté, offert à notre contemplation. Et là, dans cette vie humaine naissante, fragile et vulnérable, s’offre à nous l’espérance du monde présent et à venir, le Christ, le Fils de Dieu, Dieu lui-même, qui vient allumer au coeur de notre nuit une soif d’infini et qui nous ouvre le chemin qui y conduit.

Pas étonnant qu’en ce temps de l’année, plus qu’à n’importe quel autre, les gens aient le goût de décorer, de revêtir les villes et les villages de lumières et de couleurs flamboyantes. Ils ont envie de donner d’eux-mêmes sans compter, d’être une fois pour toutes, bonté et générosité, comme si leur coeur saisissait à l’approche de Noël sa véritable vocation. Non, les indices ne trompent pas. C’est la petite vertu espérance qui fraie son chemin depuis cette étable de Bethléem et qui illumine la nuit des temps et qui nous rassemble aujourd’hui en cette église.

Écoutons Charles Péguy :

Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance.
Et je n’en reviens pas.
Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout.
Cette petite fille espérance.
Immortelle.
Car mes trois vertus, dit Dieu.
Les trois vertus mes créatures.
Mes filles mes enfants.
Sont elles-mêmes comme mes autres créatures.
De la race des hommes.
La Foi est une épouse fidèle.
La Charité est une Mère.
Une mère ardente, pleine de coeur.
Ou une soeur aînée qui est comme une mère.
L’Espérance est une petite fille de rien du tout.
Qui est venue au monde le jour de Noël de l’année dernière.
Qui joue encore avec le bonhomme Janvier.
Avec ses petits sapins en bois d’Allemagne couverts de givre peint.
Et avec son boeuf et son âne en bois d’Allemagne.
Peints.
Et avec sa crèche pleine de paille que les bêtes ne mangent pas.
Puisqu’elles sont en bois.
C’est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes.
Cette petite fille de rien du tout.
Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus.
Comme l’étoile a conduit les trois rois du fin fond de l’Orient.
Vers le berceau de mon fils.
Ainsi une flamme tremblante.
Elle seule conduira les Vertus et les mondes.
Une flamme percera des ténèbres éternelles.

Le Porche du mystère de la deuxième vertu, 1917, Paris, Gallimard, 1929