Devant la croix

basilique oratoire

Étonnant de parler de ma rencontre avec la croix, moi qui suis un chrétien engagé depuis plus de 35 ans maintenant. Cela s’est passé à l’Oratoire Saint-Joseph, à l’occasion d’une visite impromptue, dans ce lieu sans grande beauté à première vue, mais qui demeure un haut lieu spirituel au coeur de Montréal et qui recèle néanmoins de beaux trésors d’art religieux.

Non pas que la croix n’ait pas eût sa place dans ma vie de foi, mais c’était la première fois que j’éprouvais un tel sentiment devant la croix du Christ. Cette belle croix de l’Oratoire, immense et dépouillée, sur laquelle le Christ semble dormir tout en nous contemplant. À ses pieds veillent Marie et l’Apôtre bien-aimé. Un spectacle émouvant qui m’a tout à coup saisi, me détachant de l’immense basilique pour ne plus voir que le Christ crucifié.

C’est en disant le Notre Père que j’ai alors compris, d’une manière nouvelle, pourquoi on l’appelait la prière du Seigneur. Je compris tout à coup que sur la croix ce fut la prière de Jésus : « Notre Père… ». Je le voyais, je l’entendais la dire pour moi, pour nous : « Notre Père ». C’est la prière du Christ en croix : « Notre Père ». Le Fils de Dieu étant venu pour ne plus faire qu’un avec notre humanité, ne parle plus à son Père désormais qu’en nous incluant dans sa propre prière. Il ne dit plus mon père, mais « notre Père ». Il ne dit plus donne-moi mais « donne-nous », « ne nous soumets pas », « délivre-nous ».

Je compris d’une manière plus profonde combien nous étions présents dans la prière du Christ sur la croix, crucifiés avec lui, offerts par lui, comme son bien le plus précieux: « Père, ceux que tu m’as donnés je te les offre, et je m’offre avec eux, pour eux. Notre Père… »

La croix m’est véritablement apparue comme le lieu par excellence de notre filiation avec le Christ. C’est là qu’il nous prend dans son mystère d’amour et qu’il ne fait plus qu’un avec nous. Il est là à cause de nous. Il prend sur lui nos péchés, nos détresses, et il s’associe pour l’éternité à notre pauvre humanité blessée par le péché. Par amour, il se laisse vaincre et il donne sa vie. Désormais sa vie est notre vie, son Père est notre Père et il prie avec nous : « Notre Père… »

La croix devient le cœur de toute prière et je ne vois pas comment il m’est possible désormais de prier sans passer par la croix, sans désirer m’unir à cette croix avec Jésus. Comme elle est belle cette croix quand Jésus la recouvre de sa présence. C’est la vie même qui est clouée au cœur de la mort. Notre humanité peut enfin refleurir. Elle n’est plus orpheline, car elle peut désormais appeler Dieu « notre Père ».

Simone Weil a écrit un texte extraordinaire au sujet de la croix. Le voici :

« Le don plus précieux pour moi, comme vous le savez, c’est la croix. S’il ne m’est pas donné de mériter de participer à la croix du Christ, j’espère au moins de pouvoir y participer en tant que larron repentant. Après le Christ, de toutes les personnes dont il est fait mention dans l’Évangile, le bon larron est celui que j’envie le plus. D’être avec le Christ pendant la crucifixion, à ses côtés et dans la même position que lui, me semble être un privilège encore plus grand et plus enviable que d’être assis à sa droite dans la gloire. » (Lettre du 16 avril 1942).

Mais comme disait Paul Claudel : « il faut savoir porter la croix avant de monter dessus ». C’est la grâce que je te demande Ô mon Seigneur crucifié.

Homélie pour la Vigile pascale

Icône de la Résurrection

Elles étaient trois nous rapporte l’évangéliste Luc. Trois femmes dont l’histoire a retenu le nom : Marie de Magdala, Jeanne, et Marie, la mère de l’apôtre Jacques. Elles étaient trois à l’aube de ce matin qui ressemblait à tous les autres matins, dans la ville sainte ensommeillée. Trois ombres craintives, accablées par la mort de celui qu’elles avaient suivi jusqu’au Calvaire. Mais surtout trois femmes déconcertées par la disparition du corps de celui qu’elles venaient voir une dernière fois afin de l’embaumer.

En soumettant ces faits au jugement de l’histoire ou à l’enquête judiciaire, une conclusion s’impose d’elle-même : le corps ne fut jamais retrouvé, il fut sans doute enlevé par ses partisans. Le dossier est clos ! Pourtant, la suite de l’histoire a de quoi étonner et c’est sans doute ce qui permet d’affirmer que nous sommes devant la disparition la plus spectaculaire de tous les temps.

Alors que Jérusalem cherchait à oublier les événements de la veille, et qui pourtant marqueront à jamais sa destinée; alors que les Apôtres eux-mêmes croyaient que ces femmes radotaient, un constat s’impose : la nouvelle incroyable se répandra avec la vitesse de l’éclair et, bientôt, elle embrasera tout le bassin de la Méditerranée. Il n’y a plus place ici pour l’observateur impartial, le journaliste ou l’historien. De ce matin semblable à tous les autres matins, jaillit l’extraordinaire nouvelle du matin de Pâques.

Pourtant, l’expérience du tombeau vide n’explique en rien la foi des disciples du Christ. Ce serait là un bien faible appui sur lequel miser sa vie. L’événement est d’un autre ordre. Le tombeau vide n’est qu’un signe avant-coureur qui prépare les Apôtres à une rencontre avec le Ressuscité où la foi seule est sollicitée. La résurrection du Seigneur Jésus, qu’annoncent les anges, est la réalisation d’une promesse longtemps attendue, où Dieu affirme que la vie est plus forte que la mort, que le vivant, en commençant par le Christ, n’a pas sa place dans les tombeaux de ce monde, dans le tombeau de la mort.

Chacun et chacune de nous, nous sommes venus au Christ par des chemins tout aussi différents que nous le sommes les uns des autres. C’est une recherche commune qui nous unit et parce que nous croyons ensemble en Église, nous ne cessons d’approfondir le don que Dieu nous fait en Jésus Christ et nous ne cessons de nous en émerveiller. C’est tout le sens de cette grande veillée pascale.

Mais il y a bien des manières de s’attacher au Christ et si chacun et chacune de nous pouvait prendre la parole ce soir, nous serions émerveillés par la diversité de nos cheminements et de nos raisons de croire. Écoutons quelques témoignages .

« Si je suis ici ce soir, c’est que j’ai trouvé en Jésus un homme qui a vécu et parlé de la vie comme nul autre. Il se dégage une telle force dans sa manière de me montrer le chemin qui mène à Dieu, que je crois en sa parole. »

« Si je crois au Christ, c’est que le témoignage de sa vie s’est imposé à moi. Si la vie a un sens, si elle vaut la peine d’être vécue, c’est de donner sa vie comme Jésus l’a fait. Voilà ce qui me fait vivre, et, pour moi, il n’y a pas de plus grand maître sur cette route que le Seigneur Jésus. »

« Si je suis ici ce soir, c’est peut-être parce qu’à force de méditer les évangiles, et de tenter de les vivre dans mon quotidien, je me suis attaché à cet homme Jésus. Comme si tout à coup, cet inconnu de la Galilée, m’était devenu proche. À travers son message d’amour et de pardon, la vie de cet homme s’est mise à compter pour moi. Je me suis surprise à l’aimer, à être touchée par son combat, comme si sa lutte était devenue la mienne. »

« Si je crois au Christ, c’est qu’en cheminant avec des chrétiennes et des chrétiens, en approfondissant ma vie de prière, en me nourrissant des sacrements, Jésus est devenu une présence vivante en moi, dont je ne pourrais plus me passer. Comme si la foi en Jésus et en sa parole, me faisait vivre à mon tour ce qu’ont vécu tous ceux et celles qui l’ont suivi avant moi : ce sentiment d’être aimé par lui, accueilli avec mes rêves et le poids de mes faiblesses. »

« Si je suis ici ce soir, c’est qu’au cœur de l’épreuve et de la maladie, il était le seul en dernier lieu, vers qui je pouvais me tourner dans mon impuissance; et je n’ai pas été déçu. Mystérieusement, le Dieu de Jésus-Christ était au rendez-vous et dans ma prière j’ai trouvé la paix. En dépit de ma souffrance, j’ai trouvé le courage de porter ma croix avec lui. C’est pourquoi je crois en lui. »

Un philosophe grec (Héraclite) disait, il y a déjà 2, 500 ans : « Si tu ne sais pas espérer, tu ne pourras jamais accueillir l’inespéré. » En cette Sainte Vigile, qui est la mère de toutes les vigiles, de toutes les attentes au cœur de la vie des hommes, nous proclamons que l’inespéré s’est fait chair, que le Fils du Père a habité parmi nous et qu’il a vaincu la mort. La pierre qui retenait la vie a été roulée sur le côté. La vie qui était captive de la mort a été libérée de ses entraves. Et Jésus Christ est devenu notre éternel printemps.

Voilà la foi qui nous rassemble en cette nuit. À la suite de tous ceux et celles qui nous ont précédés dans la foi, nous faisons mémoire de ces trois femmes, à l’aube de ce matin de ce matin de Pâques à Jérusalem, où chantaient tous les matins du monde :

« Pourquoi cherchez vous le vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité ! »

La Vie a pris la clé des champs ! Elle va d’ici, de là, se donnant à quiconque veut marcher librement à la suite de cet homme de Galilée, Jésus, Christ et Seigneur, le premier des vivants !

Réjouissons-nous frères et sœurs ! Célébrons ! Rendons grâce à Dieu en cette nuit sainte! Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! Amen !

Yves Bériault, o.p.

Les Amish et le pardon

Alors qu’une nouvelle tuerie vient de se produireaux États-Unis, faisant 27 victimes dont vingt enfants, j’ai pensé reproduire ce commentaire que j’avais écrit lors d’une tuerie similaires en 2006 dans la communauté Amish.

Sans doute avez-vous pris connaissance des récents événements dramatiques, disons le mot, les tueries, survenues en Amérique du Nord ces dernières semaines. Des tueurs fous qui entrent dans des écoles et qui abattent des élèves, ou des élèves qui assassinent leurs professeurs.Je retiens surtout les événements survenus à Nickel Mines, en Pennsylvanie (É.U.), dans la communauté Amish, où dix jeunes filles ont été abattues par un père de famille sans histoire. L’étonnant, et je dirais ici le lumineux dans cette page sombre de nos passions humaines, c’est à la fois la réaction de l’aînée des élèves tenues en otage (13 ans) et celle de la communauté Amish.

La jeune fille s’est tout d’abord offerte pour demeurer seule comme otage en demandant à l’assassin de laisser partir les autres. Il a refusé. Quant elle a vue qu’il était pour les abattre toutes, elle a demandé à être tuée la première en espérant que cela dissuaderait l’homme de tuer les plus jeunes. Quelle maturité spirituelle et sens de l’abnégation chez une enfant!

Le responsable de la communauté Amish a eu cette réaction en apprenant le comportement de la jeune fille : « là où le péché s’est multiplié la grâce a surabondé » (Rm 5, 20). Une profonde réaction de foi qui ne s’est pas démentie tout au long de ce drame. Les Amish ont tenu à exprimer publiquement leur pardon à l’endroit de l’assassin, « un voisin paisible » de leur communauté, et le jour de ses funérailles, soixante-dix membres de la communauté Amish se sont présentés à l’église afin de prier pour lui et aussi offrir leur soutien et leur sympathie à sa veuve et ses enfants. L’épouse de l’assassin a même pu participer aux funérailles de l’une des jeunes filles à l’invitation de la communauté Amish.

Par ce pardon accordé, les Amish ont signifié leur refus de se laisser entraîner dans une logique de rancoeur et de vengeance. Leur charité chrétienne a tout simplement désamorcé la spirale du mal. « Ô mort, où donc est ta victoire? », ne voudrait-on pas dire avec eux, et surtout quelle belle leçon de vie évangélique. Le radicalisme évangélique est passé par Nickel Mines ce jour-là.

Vie chrétienne et pauvreté évangélique

Une amie s’interroge quant à la manière de vivre la pauvreté évangélique lorsque l’on est marié. Voici ce que j’ai partagé avec elle.

Je pense bien que celui ou celle qui veut être disciple du Christ n’en fini jamais de creuser cet appel qui l’habite, comme une soif qu’il ne parvient jamais à étancher. Pourtant, le Seigneur nous a promis une eau vive qui enlèverait à tout jamais la soif. Et c’est bien cela que le baptême nous procure, quand cette grâce est accueillie dans une foi engagée et un amour du Seigneur. La soif pour les choses terrestres s’amenuise peu à peu, au point de disparaître, quand on se met à la suite du Seigneur. C’est notre péché personnel, nos duretés, qui laissent parfois de ces espaces en nous qui lorgnent encore du côté des soi-disant « biens », des choses qui ne rassasient pas vraiment.

Pour moi, la pauvreté s’insère ici et elle est un signe de l’Évangile à l’oeuvre dans nos vies. La suite de Jésus nous dépouille peu à peu et il existe dans l’Église certains appels à un dépouillement radical afin d’être entièrement disponible aux autres et à la mission. Afin de témoigner ainsi, par l’action de la grâce en nous, et non par volontarisme, que nous sommes vraiment saisi par cet amour pour le Christ qui nous fait dire: « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant; tu as les Paroles de la vie éternelle; vers qui d’autre irions-nous? »

Cet appel à la pauvreté est un appel au coeur de la vie de tout baptisé, soit sous forme de voeu ou tout simplement dans le quotidien d’une vie chrétienne engagée. Cette pauvreté est le fait même de notre baptême qui nous configure à Jésus, qui nous fait lui ressembler au point de vouloir, je dirais au point de désirer, partager sa faiblesse humaine, son dénuement, par amour pour lui et à cause de son amour pour nos frères et soeurs qu’il nous fait découvrir comme étant nos proches, comme étant d’autres nous-mêmes. Lui, de riche qu’il était, s’est fait pauvre pour nous. Il s’est abaissé jusqu’à nous au point de mourir sur la croix : par amour! C’est ce même amour désormais, par la grâce de notre baptême, qui habite en nous et qui étreint notre coeur endurci, ce coeur que le Seigneur vient guérir.

Pour des laïcs mariés avec des enfants, l’évangile a aussi les mêmes exigences.

Naturellement la première responsabilité des parents est à l’égard de leurs enfants. La pauvreté évangélique évoque une simplicité de vie et nous ouvre au partage. Mais elle nous fait aussi porter un regard autre sur les biens terrestre, sur toutes ces choses qui ne doivent pas nous dominer, nous posséder, mais qui sont là à notre service, mais que nous n’avons pas toujours à utiliser.

Je repense à Nice, où je suis allé il y a quelques années. Un matin, très tôt avant le levé du soleil, je suis allé me promener sur la Promenade des Anglais et je me suis rendu jusqu’au port voir les bateaux. Il y avait des yachts privés, énormes, deux trois étages, avec des équipages, des ponts d’atterrissage pour les hélicoptères privés. Tout cela suintait une telle richesse exagérée que cela me dégoûtait. Je n’enviais pas ces gens, ces millionnaires, milliardaires, utilisant pour eux seuls des biens d’un tel luxe alors que tant de gens n’ont rien. C’est saint Bernard de Clairvaux qui dit : «La nourriture des riches est cuisinée dans la sueur des pauvres».

Je pense que la vie chrétienne nous rend plus sensible à cet écart entre riches et pauvres. La pauvreté évangélique ne cherche pas à faire de la pauvreté une vertu en soi, sinon, pourquoi donner aux pauvres? Afin de les rendre plus riches? Si la pauvreté est une vertu, laissons les pauvres croupir dans leur pauvreté alors. Ainsi ils seront plus proches de l’Évangile! La pauvreté est un mal contre lequel il faut lutter, car tous ont droit à des conditions de vie qui leur permettent de vivre dignement et qui répondent à leurs besoins corporels, intellectuels et sociaux.

Mais la pauvreté évangélique, c’est accepter, à cause du Christ, c’est comprendre, grâce à l’action de l’Esprit Saint en nous, combien les biens terrestres ne sont pas une fin en soi, mais qu’ils sont au service de la vie, au coeur de laquelle nous sommes appelés à reconnaître la présence de notre Dieu Père et Créateur. Les biens terrestres ne sont qu’un moyen et plus on approche de Dieu plus on en arrive à un détachement des biens terrestres. La pauvreté évangélique c’est alors d’user de ces biens comme n’en usant pas. Ne devenant pas tout triste et malheureux parce que ce que j’avais un jour, je ne l’ai plus le lendemain.

La pauvreté évangélique n’est possible que lorsque l’on donne toute la place au Christ ressuscité au coeur de nos vies. S’il en occupe le coeur, tout le reste ne peut alors qu’être ordonné en fonction de ma relation avec lui. Les parents chrétiens vont témoigner à leurs enfants que finalement, dans leur vie, il y a des valeurs fondamentales qui déterminent leur rapport aux choses et au monde, qui les empêchent de vouloir céder à la vanité, à l’orgueil de posséder ou de paraître. À chacun maintenant de déterminer ce que ceci peut vouloir dire dans sa vie familiale chrétienne. Je crois que le fondamental ici c’est l’accord du couple dans la manière de vivre ces valeurs.

Le couple va souvent ressembler à la communauté religieuse où, tous, ne voient pas la pauvreté de la même manière, mais où, ensemble, on essaie de s’entendre au moins sur un minimum. Dans le couple c’est encore plus délicat. C’est pourquoi, le premier fondement à la pauvreté évangélique est dans le coeur, dans un attachement toujours plus recherché au Christ, car lui seul, peut faire de nous des pauvres selon l’esprit des béatitudes: « bienheureux les pauvres, le Royaume des Cieux est à eux. »

« Vous avez dit résurrection ?… »

Voici un article de circonstance, en date du 23 mars 2008, tiré du Journal La Croix.

Cœur du mystère de la foi chrétienne, la résurrection déroute les non-croyants, mais aussi les croyants. Enquête sur une notion qui soulève la perplexité

C’est la pierre d’angle de la foi chrétienne, un mot déroutant et dérangeant, un concept difficile à escalader, impossible à dominer… La résurrection, Élisabeth Molla, 37 ans, préfère en parler par images.

« Avec le mot résurrection, ce qui me vient spontanément à l’esprit, c’est la pierre du tombeau qui roule, qui a été roulée, et du soleil à côté. C’est la vie qui éclate. » Pour cette chrétienne, la conviction que « notre vie ne s’arrête pas avec notre mort terrestre » cohabite avec nombre de questions. « Ce n’est pas tant croire à la résurrection du Christ qui est difficile, c’est croire à la résurrection dans ma propre vie », précise-t-elle.

Martine Delvallez, 53 ans, ressent les mêmes difficultés. « En disant le Credo, je ressens parfois un malaise, confie-t-elle. Je dis que je crois à la résurrection des morts mais je pense : “Oui, mais pas pour moi.” » Revenue à la foi après des années d’éloignement, elle évoque volontiers ses difficultés devant les représentations de l’Ancien Testament, les images de l’Apocalypse, le langage de la culture sémite sur le corps et l’esprit qui « ne font pas partie de (sa) façon de penser ».

« Au fond, je reste dans un état de confusion. Si je crois à la résurrection du Christ, la résurrection des morts – et plus encore la mienne – demeure confuse ! » Sa fille Virginie, 34 ans, a de son côté trouvé une manière d’habiter sa propre perplexité : «Quand je dis le Credo, je ne prononce pas la phrase concernant la résurrection de la chair… Pour moi, cela relève complètement de l’imaginaire. Cela fait trop obstacle à mon cheminement. »

Perplexité partagée autour de la résurrection

Cette perplexité autour de la résurrection, il est peu de dire qu’elle est partagée. Selon un sondage CSA-Le Monde des religions réalisé en 2006 auprès de personnes se déclarant catholiques, seulement 10 % des personnes interrogées disent y croire.

Quant à la croyance des Européens en une vie après la mort – seul item utilisé par les « enquêtes européennes sur les valeurs» –, elle demeure stable (autour de 45 %) sur les trente dernières années, mais dissimule, de l’avis des sociologues, un grand flou.

« La croyance en une vie après la mort peut être tenue aussi bien par des croyants traditionnels que par des croyants “recomposés”, bricolés, “à la carte”, dont le système de croyance est plutôt sur le mode du probable que de l’affirmation nette », note le sociologue grenoblois Pierre Bréchon.

De nouvelles difficultés se sont accumulées

Comment expliquer les difficultés à croire en la résurrection ? «La foi en la résurrection n’a jamais été une chose évidente. Jésus lui-même avait mesuré à quel point son auditoire aurait du mal à comprendre », indique le P. Michel Deneken (1).

Avec la modernité, ce théologien strasbourgeois souligne cependant que des difficultés nouvelles se sont accumulées : difficulté à croire en un Dieu créateur, à son intervention possible dans l’histoire – « Ce qui ne posait pas de problème aux Pères de l’Église », relève-t-il –, mais aussi défiance vis-à-vis de l’Église.

« On ne peut avoir foi en la résurrection qu’en adhérant au témoignage des Apôtres, ce qui suppose de faire confiance à la prédication de l’Église, souligne Michel Deneken. Or, pour nos contemporains, l’Église institution est objet de méfiance. »

« Une initiation qui permette de comprendre les images « 

C’est du côté des symboles et des représentations de la résurrection que le P. Louis-Marie Chauvet, de l’Institut catholique de Paris, entend de son côté débusquer les difficultés contemporaines. « À cause des représentations artistiques, souvent inspirées du Livre d’Ézékiel, on se figure la résurrection comme une réalité concernant nos cellules biologiques, les ossements qui se rabouteraient les uns aux autres dans un joli cliquetis, la peau et les cheveux qui repousseraient… La confusion entre l’image et le réel est alors totale, et la résurrection devient incroyable. »

S’il est impossible d’abandonner le langage du symbole et de la métaphore pour évoquer la résurrection, le P. Chauvet insiste sur l’importance d’« une initiation qui permette de dépasser les obstacles, de comprendre les images » : « Pour celui qui ne possède pas le code, le langage chrétien apparaît comme du chinois ! »

À Taizé, la communauté œcuménique qui accueille chaque année des milliers de jeunes Européens a bien conscience de leur difficulté face à cette notion : « La résurrection est entourée de méfiance chez les jeunes, témoigne Frère Émile. Ils se disent que c’est peut-être trop beau. Ils ne veulent pas être victimes d’illusion, ni d’un optimisme forcé. Leur question est au fond : est-ce que les chrétiens ne forcent pas les choses ? »

Ce frère de Taizé traduit le désarroi des jeunes devant la résurrection en citant le théologien orthodoxe Olivier Clément : «Il disait que notre époque avait gardé le sens de la personne, de l’unique, de l’irrépétable, mais qu’elle avait perdu celui de la résurrection. Mais alors, c’est le sens de la personne qui devient difficile à vivre, car quand on perd la personne aimée pour toujours, l’absurde s’accroît. » C’est seulement peu à peu que méfiances et réticences ont une chance de s’alléger, les jeunes pouvant alors « prendre appui sur le sens qu’ils ont de la personne pour saisir que chacun compte pour Dieu ».

La résurrection déroute autant qu’elle attire

Il n’y a pourtant pas que chez les plus jeunes que la résurrection déroute autant qu’elle attire. Il est possible désormais de remplir une église en proposant des conférences sur ce thème. C’est ce qui s’est passé par exemple, durant ce Carême, à l’église Saint-Ignace de Paris, comble chaque semaine pour les conférences du jésuite Joseph Moingt sur « La foi en la résurrection de Jésus ».

Un succès qui montre l’attente d’une manière nouvelle de parler de la résurrection, une manière qui fasse sens pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui pour lesquels « le sens de la vie ne peut jaillir que du dedans d’elle-même », estime le théologien.

Pour le P. Moingt, la condition moderne n’interdit pas que « ce sens s’achève en Dieu, qu’il conduise au-delà des limites de la vie terrestre, grâce à une aide qui ne peut venir que de Dieu ». Mais les hommes d’aujourd’hui exigent que ce sens « prenne naissance là même et là seulement où l’homme peut en faire l’expérience, sous peine de n’être le sens de rien du tout ».

Et d’inviter à parler de la résurrection, non comme d’une chose extérieure à la vie, mais « dans un langage de la foi accordé au sens pressenti de la vie ».

Elodie MAUROT

(1) Auteur de La Foi pascale. Rendre compte de la résurrection de Jésus aujourd’hui, Cerf, 640 p., 47,30 €.

La conversion. Un texte de Fernand Ouellette

« Quand l’Esprit fait un don, il l’enracine. Il nous fait passer dans le feu de son attraction puissante, en nous laissant pressentir, mais le mot est sûrement trop fort, la Lumière souveraine de la Trinité. Comme le pensait Joubert : « La lumière et le feu seront notre éternel partage : la lumière de Dieu, le feu de son amour ». Nous sommes tous destinés à la lumière et au feu. Appelés à devenir des êtres de lumière et de feu. En somme, la conversion nous fait changer de champ de gravitation.Conversio veut bien dire « action de se tourner». Prendre une autre direction. Être déraciné pour mieux être ré enraciné. Décoller d’un passé sans présence, des pièges du sommeil. Soumettre son âme aux repeints patients, dirait un peintre. Entrer dans l’attraction puissante de l’Astre unique…

On a dit que la conversion religieuse est « une chute dans l’autre monde de l’amour ». Ce n’est plus l’heure de tergiverser, c’est l’heure d’une réponse, d’un fiat profond, d’un début d’exode, d’un abandon, d’un don total : « Que Ta volonté soit faite! » C’est ce que Thérèse de Lisieux avait ressenti au moment de sa propre conversion. Elle avait retrouvé sa force et s’était donnée entièrement à Jésus Christ.

Il n’est plus question dès lors du danger de la conversion, mais du risque terrible de ne pas l’ac­cepter, de ne pas correspondre au don de Dieu, c’est-à-dire au don de Celui qui par essence par­donne et se donne. « Si tu savais le don de Dieu ».  »

(Ouellette, Fernand. Le danger du divin. Fides, 2002. pp. 119-120).

La force du pardon

Le philosophe Jankélévitch affirme dans l’un de ses livres, que le pardon est mort dans les camps. Il fait allusion au drame de la Shoah, le génocide des juifs dans les camps de la mort pendant la Deuxième Guerre mondiale. Selon cet auteur, il y a des situations où le pardon est impossible sinon il devient obscène. Quotidiennement, des drames humains semblent donner raison à Jankélévitch et pourtant l’Évangile nous interpelle…

Comment concilier l’impardonnable avec la prescription de Jésus à ses disciples qui les invite à aimer leurs ennemis, à prier pour ceux qui les persécutent, à pardonner soixante-dix fois sept fois ? Non seulement l’enseignement de Jésus est-il explicite sur ce point, mais il met en garde ses disciples, les avertissant que Dieu ne saurait leur pardonner leurs torts si eux-mêmes ne pardonnent pas à leur prochain : « C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère de tout son coeur ».

Pourtant, le visage de la violence peut se faire tellement hideux qu’humainement parlant il ne mérite qu’une justice impitoyable, le moindre geste de pardon semblant suspect sinon condamnable. Cette problématique est vieille comme le monde et Dieu sait combien notre histoire n’est souvent qu’un long tissu de guerres, de vengeances et d’exactions commises au nom de cette justice visant à redresser les torts commis, tentant vainement de réparer l’irréparable.

Sans se substituer à la justice humaine, qui est un fondement nécessaire à nos organisations sociétaires, le pardon évangélique que propose Jésus nous invite à porter un regard neuf sur celui qui offense, qui blesse ou qui tue. Un regard de compassion où même la recherche de justice ne saurait être motivée par la haine. Un regard sur l’autre tel que vu par les yeux de Dieu. Un regard où le désir de vengeance ne saurait avoir le dernier mot.

Ce thème de la vengeance se retrouve dès les origines de notre histoire. Déjà au livre de la Genèse Dieu anticipe que l’on cherchera à se venger de Caïn pour le meurtre de son frère Abel. Il le marque d’un signe afin de le protéger. Et ce n’est que le début d’un cycle infernal. Un descendant de Caïn, Lamek, exprime bien dans son chant sauvage comment évolue cette spirale de la vengeance et de la violence : « Entendez ma voix, femmes de Lamek écoutez ma parole : J’ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. C’est que Caïn sera vengé sept fois, mais Lamek, septante-sept fois ! » (Gen 4, 23-24).

La loi du Talion, l’« oeil pour oeil et dent pour dent », apparaîtra un peu plus tardivement dans l’histoire d’Israël et viendra témoigner d’un effort réel pour endiguer l’esprit de vengeance, en tentant de limiter les représailles en proportion du mal occasionné par l’adversaire. Mais les pages de la Bible témoignent éloquemment que la spirale de la violence ne saurait être freinée par des lois ou des codes moraux. Elle prend sa source dans le coeur de l’homme et les Sages et les prophètes d’Israël ne peuvent que rappeler à leurs compatriotes que « colère et rancune sont abominables aux yeux de Dieu » (Ben Sirac 27, 30).

Jésus s’inspire de cet enseignement dans sa prédication, mais il le pousse à un extrême jamais atteint lorsqu’il prêche l’amour des ennemis, ou encore, lorsque s’inspirant du chant de Lamek, il invite Pierre à pardonner à son prochain soixante-dix fois sept fois, soit autant de fois que celui-ci viendra demander pardon. Non seulement cet enseignement de Jésus est-il radical par rapport aux enseignements antérieurs, mais pour lui notre volonté de pardonner à notre prochain et la miséricorde de Dieu à notre endroit sont intimement liées. Si tu ne pardonnes pas à ton frère ou à ta soeur de tout coeur, à toi non plus il ne sera pas fait miséricorde.

Pour Jésus celui qui ne pardonne pas ne peut espérer être pardonné en retour. Il devra rembourser jusqu’au dernier sou sa dette. Mais à celui qui pardonne, il sera fait pardon. A celui qui fait miséricorde, il sera fait miséricorde. Cet enseignement jette un nouvel éclairage sur les enjeux de notre salut. Bien que la suite de Jésus soit une voie de perfection, ce n’est pas tant sur les oeuvres que nous serons jugés, mais sur l’amour que nous aurons eu les uns à l’endroit des autres. Quel défi et quelle exigence! Mais en même temps, il y a dans cet enseignement un souffle libérateur qui nous rappelle que Dieu nous accueille tels que nous sommes, avec nos grandeurs et nos misères. Et tout ce qu’il nous demande en retour, c’est d’agir les uns à l’endroit des autres comme lui agit envers nous.

Trop de fois pourtant l’épreuve de la réalité vient nous rappeler combien le mal peut nous blesser et combien trop souvent le pardon peut nous échapper. Combien de situations où nous avons envie de crier à Dieu : « Tu nous en demandes trop. Pardonner, jamais » ! Et de refus en refus, la vie s’étiole et dépérit en nous. Le drame humain poursuit sa course folle, nul salut en vue…

Jésus dans son évangile nous propose une voie inédite dans la lutte contre le mal et la violence, une arme insoupçonnée dans la rencontre du frère ou de la soeur qui se dresse en ennemi. C’est la force du pardon. Non pas le pardon qui est démission ou qui fait fi de la justice et de la vérité, mais le pardon évangélique qui est capable de porter un regard lucide à la fois sur soi et sur l’autre, qui est capable de voir en cet autre, en dépit de ses fautes, le frère ou la soeur qui s’est égaré.

Utopique? Bien sûr! Comme tout l’évangile d’ailleurs. Mais parce que notre Dieu est le Dieu de l’impossible, ses paroles deviennent promesses pour nous. S’il nous invite à nous pardonner, s’il nous commande de nous aimer les uns les autres jusqu’à aimer nos ennemis, c’est qu’il nous sait capables d’un tel dépassement. Puisque nous sommes capables de Dieu (capax Dei), nous sommes capables d’aimer et de pardonner. C’est à cela que nous sommes appelés, c’est le coeur de notre vocation de fils et de filles de Dieu.

Jésus nous enseigne une voie de perfection pour accueillir le Règne de Dieu : le don réciproque les uns aux autres de cet amour prodigué si généreusement par Dieu et qui, dans sa pointe extrême, devient pardon, ce pardon total et inconditionnel dont témoigne Jésus sur la croix. En Jésus nos yeux ont contemplé l’Amour à l’oeuvre et nous savons désormais que seul l’amour qui sait pardonner est vrai et digne de ce nom. C’est dans cette vie imitée et contemplée que le pardon prend tout son sens pour les chrétiens et les chrétiennes, où il apparaît comme la seule force capable de soulever le monde et de transformer les coeurs.

Frère Yves Bériault, o.p.

Un rabbin parle avec Jésus

Jacob Neusner

Je suis à lire le livre de Jacob Neusner, « Un rabbin parle avec Jésus ». On présente cet homme comme « le théologien juif » préféré de Benoît XVI, homme avec lequel il a eu des échanges alors qu’il était préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.

D’ailleurs, Benoît XVI tente de répondre à certaines des objections de Neusner dans son livre « Jésus de Nazareth ». Le livre de Jacob Neusner est un livre passionnant, ne serait-ce que par la découverte du judaïsme dans laquelle il nous entraîne. Voici ce qu’on peut lire sur le site des éditions du Cerf qui publie le livre de Neusner :

« J. Neusner s’imagine en rabbi, nourri de Torah, présent au pied de la montagne où Jésus délivre son enseignement. Comment aurait-il reçu les affirmations vigoureuses de ce jeune maître, tour à tour séduisantes et scandaleuses ? À partir de l’évangile de Matthieu, il les affronte l’une après l’autre et les évalue au nom de la Torah que le prédicateur prétend ne pas vouloir abolir mais accomplir. J. Neusner « ne l’aurait pas suivi pour de bonnes et substantielles raisons. »

Aucun livre n’a jamais aussi nettement honoré l’enracinement juif du message de Jésus mais, en même temps, dégagé les points de rupture profonde entre judaïsme et christianisme. La singularité de Jésus y apparaît de façon impressionnante, mais tout autant les convictions majeures de la foi juive. Ce qui est en cause, ce n’est pas tant le contenu de l’enseignement de Jésus que sa prétention de parler de son propre chef avec l’autorité qui revient à Dieu seul, de demander qu’on le suive, lui. »

« Mon but est d’aider les chrétiens à mieux identifier leurs convictions et à être de meilleurs chrétiens, et les juifs à devenir de meilleurs juifs en réalisant que la Torah est le chemin pour aimer et adorer Dieu. »

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Neusner, Jacob. Un rabbin discute avec Jésus. Cerf, 2008. 208 pages.

La joie chrétienne

Je comprends que ce Christ souriant puisse nous interroger lorsque nous-mêmes nous souffrons. Le sourire du Christ n’est pas le sourire béat des »Roger-bon-temps. »Il renvoi à une certitude intérieure qui se fonde sur cet amour du Père qui le soutient. La joie chrétienne est de l’ordre d’une présence intime qui donne force et courage dans la nuit de l’épreuve et qui a sa source dans le Christ ressuscité. C’est Paul VI qui affirmait :

« La joie pascale est la marque de la spiritualité chrétienne. Ce n’est pas de l’insouciance, mais une sagesse alimentée par les trois vertus théologales. Il ne s’agit pas d’une joie extérieure et bruyante, mais d’une joie née de raisons intérieures profondes. Elle n’est pas abandon au plaisir des passions instinctives et incontrôlées, mais vigueur de l’esprit qui sait, qui veut, qui aime. C’est le tressaillement de joie pour la vie nouvelle, qui saisit à la fois le monde et l’âme. »

Tandis que Jean-Paul II, lors de son Angelus du 14 décembre 2003, disait ceci:

« Une caractéristique incomparable de la joie chrétienne est que celle-ci peut coexister avec la souffrance, car elle est entièrement basée sur l’amour. En effet, le Seigneur qui »est proche »de nous, au point de devenir un homme, vient nous communiquer sa joie, la joie d’aimer. Ce n’est qu’ainsi que l’on comprend la joie sereine des martyrs même dans l’épreuve, ou le sourire des saints de la charité face à celui qui est dans la peine: un sourire qui ne blesse pas, mais qui console. »

C’est cette joie que je demande quand se présente à moi la coupe amère de l’épreuve.

« Ce qui m’étonne », dit Dieu…

Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance.
Et je n’en reviens pas.
Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout.
Cette petite fille espérance.
Immortelle.
Car mes trois vertus, dit Dieu.
Les trois vertus mes créatures.
Mes filles mes enfants.
Sont elles-mêmes comme mes autres créatures.
De la race des hommes.
La Foi est une épouse fidèle.
La Charité est une Mère.
Une mère ardente, pleine de coeur.
Ou une soeur aînée qui est comme une mère.
L’Espérance est une petite fille de rien du tout.
Qui est venue au monde le jour de Noël de l’année dernière.
Qui joue encore avec le bonhomme Janvier.
Avec ses petits sapins en bois d’Allemagne couverts de givre peint.
Et avec son boeuf et son âne en bois d’Allemagne.
Peints.
Et avec sa crèche pleine de paille que les bêtes ne mangent pas.
Puisqu’elles sont en bois.
C’est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes.
Cette petite fille de rien du tout.
Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus.
Comme l’étoile a conduit les trois rois du fin fond de l’Orient.
Vers le berceau de mon fils.
Ainsi une flamme tremblante.
Elle seule conduira les Vertus et les mondes.
Une flamme percera des ténèbres éternelles.

Un texte de Charles Péguy.

Un chrétien ne croit pas en n’importe quel Dieu

Jacques Couture, prêtre et ancien ministre du travail pour le gouvernement du Québec, exprime ainsi sa foi en Dieu :

« Je ne connais pas ce Dieu qui trône dans les cieux, au milieu des archanges, des chérubins et des puissances… Le Dieu que je connais est impuissant, silencieux et terriblement gênant. Il m’empêche de dormir tranquille. Il hante mes nuits paisibles. Il dit qu’il a faim, qu’il a soif, qu’il est nu, qu’il est étranger, qu’il est prisonnier. Il crie sur le bord de la route. Il gémit abandonné, rejeté, il étale sans pudeur ses os décharnés, son corps meurtri.. Le Dieu que je connais s’appelle Jésus-Christ. Il se tient à l’ombre de chez moi… »

(Extrait de Aux frontières de la foi. Entre l’athéisme et le mystère, de Jean-Guy Saint-Arnaud. Médiaspaul, Montréal, 2007, 200 pages.)

La leçon de Nickel Mines

Jésus dans son évangile nous propose une voie inédite dans la lutte contre le mal et la violence, une arme insoupçonnée dans la rencontre du frère ou de la soeur qui se dresse en ennemi. C’est la force du pardon. Non pas le pardon qui est démission ou qui fait fi de la justice et de la vérité, mais le pardon évangélique qui est capable de porter un regard lucide à la fois sur soi et sur l’autre, qui est capable de voir en cet autre, en dépit de ses fautes, le frère ou la soeur qui s’est égaré.Utopique ? Bien sûr ! Comme tout l’évangile d’ailleurs. Mais parce que notre Dieu est le Dieu de l’impossible, ses paroles deviennent promesses pour nous. S’il nous invite à nous pardonner, s’il nous commande de nous aimer les uns les autres jusqu’à aimer nos ennemis, c’est qu’il nous sait capable d’un tel dépassement. Puisque nous sommes capables de Dieu (capax Dei), nous sommes capableS d’aimer et de pardonner. C’est à cela que nous sommes appelés, c’est le coeur de notre vocation de fils et de filles de Dieu.

Jésus nous enseigne une voie de perfection pour accueillir le Règne de Dieu : le don réciproque les uns aux autres de cet amour prodigué si généreusement par Dieu et qui, dans sa pointe extrême, devient pardon, ce pardon total et inconditionnel dont témoigne Jésus sur la croix. En Jésus nos yeux ont contemplé l’Amour à l’oeuvre et nous savons désormais que seul l’amour qui sait pardonner est vrai et digne de ce nom. C’est dans cette vie imitée et contemplée que le pardon prend tout son sens pour les chrétiens et les chrétiennes, où il apparaît comme la seule force capable de soulever le monde et de transformer les coeurs. Pour moi c’est la leçon de Nickel Mines.

La prunelle de Jésus

Trop souvent nous oublions que Jésus était Juif. Marie sa mère était Juive, ainsi que les apôtres. Tous des Juifs! Et pourtant le rapport entre les chrétiens et les Juifs a toujours été pour le moins problématique. La Shoah n’est pas survenue sans qu’il n’y ait une grande part de responsabilité de la part de l’Église, ou du moins ses membres et représentants. Non pas en tant qu’acteur direct de la Shoah, de nombreux chrétiens ont oeuvré à sauver des Juifs, mais à cause du poids de l’Histoire où sans cesse les Juifs ont été marginalisés par les autorités de l’Église et les Princes chrétiens.

Prenons par exemple le IVe Concile du Latran en 1215, présidé par Innocent III, qui rassemble 412 évêques et 800 abbés de toute la chrétienté. Pour la première fois depuis cinq siècles, un concile général vilipendait « la perfidie des juifs qui s’est implantée en pays chrétiens. » Les règles canoniques votées par l’assemblée déclaraient : « Les juifs doivent porter de façon ostensible des habits différents de ceux des chrétiens, afin d’éviter que des mariages mixtes soient contractés par erreur. Ils doivent cesser leurs pratiques abusives d’usuriers. Il leur est interdit d’exercer toutes fonctions publiques. Dans les jours où les chrétiens célèbrent la passion du Rédempteur, ils ne doivent pas sortir de leur maison, afin d’éviter toutes railleries et conflits. » (p.116)

Cet ostracisme des Juifs au cours des siècles fut clairement reconnu par l’Église en l’an 2000 lors du Jubilé et Jean-Paul II a demandé pardon au nom de l’Église en se rendant prier à Jérusalem devant le Mur occidental du Temple, anciennement appelé le Mur des Lamentations.

Mais il y eut aussi des hommes et des femmes pour s’indigner au fil des siècles du traitement fait aux Juifs. C’est Bernard de Clairvaux qui disait : « toucher aux juifs, c’est toucher à la prunelle de Jésus; car ils sont ses os et sa chair. »

Saint Bernard écrira deux lettres pour condamner les « pogroms » de Rhénanie en 1148. Il parcourra même ces régions pour apaiser les esprits. Il écrit alors :

« Ce peuple a reçu jadis le dépôt de la loi et des Promesses; il a eu les patriarches pour Pères; c’est de lui que le Christ, le Messie béni dans les siècles des siècles, descend selon la chair. » Il poursuit : « Les juifs ne sont-ils pas pour nous le souvenir vivant et le témoignage de la passion de Notre-Seigneur? Dispersés et humiliés […] réduits à un pénible esclavage sous les princes chrétiens […] il viendra un temps où le Seigneur abaissera sur eux un regard propice. Quand les nations païennes seront entrées dans l’Église, à son tour Israël sera sauvé ainsi que dit l’Apôtre (Rm 11, 21). »

Aussi, dans sa longue épître du De consideratione au pape Eugène III en 1150: « Aucune servitude n’est plus ignominieuse et plus pesante que celle des juifs, qui, en quelque endroit qu’ils aillent, la traînent derrière eux et en tout lieu trouvent leurs maîtres! » (Consid. I, 4) (Philbée, André. Saint Bernard. Cerf. 1990.)

Voilà le prolongement de ma réflexion pour faire suite au blogue sur la synagogue. Encore récemment j’ai entendu des chrétiens émettre des propos antisémites et j’en ai eu honte. C’est là une honte pour le Corps du Christ tout entier. Tout homme, toute femme est digne de respect et d’amour. Dieu ne fait pas de distinction entre les races et les peuples. Pourquoi en ferions-nous?

Et les spirituels maintenant…

« L’unité de deux saints qui ne se connaissent pas est plus réelle et plus intime, incommensurablement, que celle d’une branche à une autre branche du même arbre nourrie de la même sève… » (Jules Montchanin, Écrits spirituels, Paris, 1965, p.120). »…la prière personnelle, même accomplie dans les secret, n’est pas un acte purement privé. Cette démarche que personne ne peut faire à ma place, n’est absolument pas celle d’un isolé; elle s’enracine et s’épanouit dans la communion. Quand je dis à Dieu : « Père », je me situe en fils, mais quand je dis : « Notre Père », je me situe aussi et du même coup en frère de tous ceux qui le disent également – et même de ceux qui ne savent peut-être pas le dire. « Il y a beaucoup d’âmes, disait Paul Claudel, mais il n’y en a pas une seule avec qui je ne sois en communion par ce point sacré en elle qui dit Pater Noster » (Paul Claudel. Cantique de Palmyre, Conversation dans le Loir-et-Cher, éd. Pléiade, p.9).

« L’on ne se sauve pas tout seul. Nul ne retourne seul à la maison du Père. L’un donne la main à l’autre. Le pécheur tient la main du saint et le saint tient la main de Jésus » (Charles Péguy).