Journal de la Trappe (10)

(janvier 18) Présentement, nous sommes en retraite à la Trappe. Elle est donnée par un moine bénédictin belge, Benoît Sandaert. Il est exégète de métier et ses propos sont d’une grande profondeur. J’admire la beauté de sa voix, son calme intérieur et sa simplicité. Tout ceci, en même temps que ses propos, font appellent à un très grande érudition. Cela me rend envieux, je m’en confesse et, surtout, c’est là une de ces nombreuses situations, depuis mon entrée en année sabbatique, qui vient me rappeler tout le sérieux que je dois mettre à l’étude, la prière. Retourner aux sources, faire lectio, goûter les textes, les prier, entrer dans l’intelligence de la Parole de Dieu. Je réalise à quel point nous avons perdu le sens de cette contemplation du mystère dans notre Province. Non pas chez tous les frères qui prêchent, bien sûr. Mais très peu seraient capables de prêcher avec cette profondeur du Père Sandaert, moi le premier. Quelle honte pour nous les frères prêcheurs! Le Père Sandaert nous rappelait hier, fête de Saint Antoine, une anecdote au sujet de ce dernier. Il est seul dans sa grotte, au désert, là où il s’est retirer pour finir ses jours. Il est nu comme un ver, comme se doit de l’être tout bon ermite. Il se frappe le corps, gémit et prie devant le Seigneur. Alors il entend une voix qui l’appelle. C’est le Seigneur. Ce dernier lui demande s’il lui a tout donné. Antoine affirme que si, « tu vois bien, je n’ai plus rien, je suis nu ». Mais le Seigneur insiste: « M’as-tu tout donné Antoine? », et Il finit par lui révéler qu’il ne lui a pas tout donné, il ne lui a pas donné ses péchés!

Le prédicateur n’a pas développé le sens de cette anecdote. Mais moi j’y vois un bel exemple pour une prédication sur le pardon des péchés. Il faut savoir non seulement s’accuser de ses fautes, mais être capable aussi d’en déposer le fardeau au pieds du Seigneur. Tout lui donner, c’est non seulement accepter son pardon et sa miséricorde, mais aussi accepter de ne plus regarder en arrière. « M’as-tu tout donné? »

Une autre belle anecdote de notre prédicateur. Il y a ce prêtre à la sacristie qui se prépare à présider l’eucharistie et sur le mur il y a cette affiche qui comporte un mot de mère Térésa : « Dis ta messe comme si c’était ta première; dis ta messe comme si c’était ta dernière; dis ta messe comme si c’était ton unique. »

Journal de la Trappe (9)

(janvier 16 – suite) Je réalise que je ne connais rien de la vie monastique et de son histoire. Je découvre ici la figure de saint Bernard de Clairvaux! Quel personnage, quel homme inspiré. Voici un exemple de ses écrits, tiré d’une homélie sur le Cantique des cantiques: « L’amour se suffit à lui-même, il plaît par lui-même et pour lui-même. Il est a lui-même son mérite, à lui-même sa récompense. L’amour ne cherche hors de lui-même ni sa raison d’être, ni son fruit. Son fruit, c’est l’amour même. J’aime parce que j’aime, j’aime pour aimer.

Quelle grande chose que l’amour, si du moins il remonte à Dieu son principe, s’il retourne à son origine, s’il reflue vers sa source, pour y puiser toujours son jaillissement.

De tous les mouvements de l’âme, de ses sentiments, de ses affections, seul l’amour permet à la créature de répondre à son Créateur, non pas certes d’égal à égal, mais tout de même dans une réciprocité de ressemblance.

Dans son amour, Dieu ne veut rien d’autre que d’être aimé. Il n’aime que pour qu’on L’aime; car Il le sait: ceux qui L’aimeront trouveront précisément dans cet amour la plénitude de la joie. Quelle grande chose que d’aimer! » (Extrait de : André Philbée. Saint Bernard. Cerf. 1990.)