À celle qui est Marie

Il y a des jours où les patrons et les saints ne suffisent pas.
Alors il faut prendre son courage à deux mains.
Et s’adresser directement à celle qui est au-dessus de tout.
Être hardi. Une fois.
S’adresser hardiment à celle qui est infiniment belle.
Parce qu’aussi elle est infiniment bonne.

À celle qui intercède.
La seule qui puisse parler de l’autorité d’une mère.

S’adresser hardiment à celle qui est infiniment pure.
Parce qu’aussi elle est infiniment douce.
(…)

À celle qui est infiniment riche.
Parce qu’aussi elle est infiniment pauvre.

À celle qui est infiniment haute.
Parce qu’aussi elle est infiniment descendante.

À celle qui est infiniment grande.
Parce qu’aussi elle est infiniment petite.
Infiniment humble.
Une jeune mère.

À celle qui est infiniment jeune.
Parce qu’aussi elle est infiniment mère.
(…)

À celle qui est infiniment joyeuse.
Parce qu’aussi elle est infiniment douloureuse.
(…)

À celle qui est infiniment touchante.
Parce qu’aussi elle est infiniment touchée.

À celle qui est toute Grandeur et toute Foi.
Parce qu’aussi elle est toute Charité.
(…)

À celle qui est Marie.
Parce qu’elle est pleine de grâce.

À celle qui est pleine de grâce.
Parce qu’elle est avec nous.

À celle qui est avec nous.
Parce que le Seigneur est avec elle.

CHARLES PÉGUY

(Le Porche du Mystère de la Deuxième Vertu, extraits.)

Le grand départ

Je reviens tout juste de prêcher une retraite dans une communauté où se trouvent près de 250 soeurs malades, en fin de parcours après une longue vie missionnaire. Tout d’abord, ce fut le choc, car c’est la première fois que je prêchais littéralement dans un hôpital. La majorité des retraitantes suivaient la retraite de leur chambre. Les soeurs et le personnel pouvaient suivre les entretiens via un interphone. Tout au long de cette semaine très intense, j’ai côtoyé ces soeurs, certaines ayant même plus de cent ans.C’est un contexte de retraite qui m’a mis littéralement face à la mort, prêchant à des soeurs confrontées à ce destin inéluctable qui nous concerne tous. Mais pour plusieurs d’entre elles, la proximité de la mort n’était plus une possibilité, mais une certitude, certaines n’ayant que quelques mois à vivre. J’ai rencontré pendant cette semaine toutes sortes d’attitudes face à la mort : de la hâte de partir vers la maison du Père, au refus le plus total de la mort, en passant par la révolte ou la négation.

Quand j’ai quitté ces soeurs, je n’ai pu m’empêcher de ressentir un étrange sentiment d’abandon à leur endroit, comme si je les abandonnais à leur sort. Je sais bien qu’il était temps de partir et que je ne pouvais plus rien faire pour elles, mais l’on se sent responsable de ceux et celles que l’on apprivoise, comme le dit le renard au Petit Prince. Je pense bien que nous nous sommes apprivoisés mutuellement pendant cette retraite, dont le thème était « Ce Dieu qui nous cherche ».

Je pense encore à elles et j’espère que mes chères soeurs se laisseront toutes trouvées et apprivoisées à l’heure du grand départ. En attendant, je prie pour elles et je vous les confie.

Mon ami Clovis

Clovis a été pour moi un père spirituel et je me souviens avec plaisir et nostalgie, de ces longues heures passées en sa compagnie, soit dans la cuisine familiale ou dans son beau jardin, qu’il entretenait avec tant de soin et où, tous les étés, une place d’honneur était réservée à une statue de la Vierge Marie. Nous discutions de théologie, de l’histoire de l’Eglise, de la vie des saints et des saintes, qui étaient des familiers pour lui. Et jamais je ne me lassais de ces heures passées ensemble.À 78 ans Clovis a été hospitalisé. Son diabète devenait incontrôlable. Il lui restait peu de temps à vivre. J’étais allé le voir à l’hôpital de Joliette. Je vis là, un homme diminué, épuisé par la maladie, mais toujours aussi lucide. Un homme qui savait qu’il ne pourrait pas retourner dans sa maison, qu’il ne reverrait plus son beau jardin où il passait la plus belle partie de ses étés. Sa santé ne lui permettait plus de vivre seul à la maison. Et dès qu’il aurait reçu son congé de l’hôpital, il irait rejoindre « sa » Thérèse qui vivait dans un Centre d’accueil depuis plus d’un an, maman Thérèse que j’aimais beaucoup.

Clovis était un homme de foi, et lorsque je suis allé lui rendre visite, il est vite allé à l’essentiel. Il m’a parlé de Dieu, de sa foi en ce moment d’épreuve. Il m’a parlé de la mort, de sa mort prochaine, me disant que sans vouloir être prétentieux, cette mort ne lui faisait pas vraiment peur. Que l’idée de rencontrer Dieu n’éveillait pas vraiment de crainte en lui. « Je n’ai pas peur de Dieu » me dit-il. « Peut-être devrai-je avoir une certaine crainte », a-t-il poursuivi, « mais Dieu est avant tout un ami pour moi. Je me sens en confiance, il va m’accueillir tel que je suis ».

En écoutant mon ami Clovis, il me venait en mémoire ce passage de la seconde lettre de Paul à Timothée où il lui dit:

« Me voici déjà offert en sacrifice, le moment est venu. Je me suis bien battu, j’ai tenu jusqu’au bout de la course, je suis resté fidèle. Je n’ai plus qu’à recevoir la récompense du vainqueur: dans sa justice, le Seigneur, le juge impartial, me la remettra en ce jour-là, comme à tous ceux qui auront désiré avec amour sa manifestation dans la gloire ».

Tout en me remémorant ce texte, je voyais en cet homme alité, la figure du vieil apôtre Paul, terminant sa course, et moi, j’étais Timothée, poursuivant sa course, écoutant les réflexions et les recommandations d’un homme au terme de sa vie, contemplant déjà le destin qui serait le mien. Je me sentais comme rassuré de me tenir auprès d’un homme qui semblait aussi serein à l’idée de la mort. Avant de le quitter il me demanda de le bénir. Je le bénis avec émotion et je sortis de la chambre, jetant un dernier regard vers lui et il m’envoya tout simplement la main, comme un voyageur sur le quai d’une gare qui s’apprête à prendre le train. Le train pour l’éternité…

Une semaine plus tard avaient lieu les funérailles et la famille me demanda de prêcher à cette occasion. Je rappelai essentiellement ce qu’avait été ma relation avec Clovis, sa grande dignité, sa grande paix face à la mort et je me souviens que j’avais partagé un sentiment qui m’habitait avec l’assemblée, en leur disant que, pour la première fois de ma vie, j’avais vraiment l’impression d’assister aux funérailles d’un chrétien. Non pas que je n’aie vécu cette expérience auparavant. Mais c’était la première fois que je perdais un ami dans la foi, et où j’étais convaincu de l’attachement profond du défunt pour le Christ. Un chrétien venait de mourir et nous célébrions son départ vers la maison du Père en l’accompagnant de nos prières.

À la fin de la célébration, après l’aspersion de l’eau bénite sur le cercueil, les porteurs s’avancèrent, prirent le cercueil et se dirigèrent vers la sortie de la cathédrale, alors que tous les participants demeuraient dans leurs bancs. J’étais donc l’un des seuls à voir s’éloigner la dépouille de mon ami Clovis, me tenant debout face à l’allée centrale. Nous étions au mois de janvier, et je me souviens que l’intérieur de la cathédrale était plus ou moins bien éclairé à cause du peu de fenêtres. Lorsque les porteurs arrivèrent à l’arrière de la cathédrale, ils ouvrirent les portes et là, une lumière aveuglante m’éblouie et envahie tout le hall arrière de la cathédrale. C’était le soleil d’hiver sur une neige fraîchement tombée qui brillait de tous ses feux. Je vis alors le cercueil disparaître dans cette blancheur éclatante. Mon ami Clovis était parti. Il ne restait plus que ce puits de lumière ouvert sur l’infini…

La leçon de Nickel Mines

Jésus dans son évangile nous propose une voie inédite dans la lutte contre le mal et la violence, une arme insoupçonnée dans la rencontre du frère ou de la soeur qui se dresse en ennemi. C’est la force du pardon. Non pas le pardon qui est démission ou qui fait fi de la justice et de la vérité, mais le pardon évangélique qui est capable de porter un regard lucide à la fois sur soi et sur l’autre, qui est capable de voir en cet autre, en dépit de ses fautes, le frère ou la soeur qui s’est égaré.Utopique ? Bien sûr ! Comme tout l’évangile d’ailleurs. Mais parce que notre Dieu est le Dieu de l’impossible, ses paroles deviennent promesses pour nous. S’il nous invite à nous pardonner, s’il nous commande de nous aimer les uns les autres jusqu’à aimer nos ennemis, c’est qu’il nous sait capable d’un tel dépassement. Puisque nous sommes capables de Dieu (capax Dei), nous sommes capableS d’aimer et de pardonner. C’est à cela que nous sommes appelés, c’est le coeur de notre vocation de fils et de filles de Dieu.

Jésus nous enseigne une voie de perfection pour accueillir le Règne de Dieu : le don réciproque les uns aux autres de cet amour prodigué si généreusement par Dieu et qui, dans sa pointe extrême, devient pardon, ce pardon total et inconditionnel dont témoigne Jésus sur la croix. En Jésus nos yeux ont contemplé l’Amour à l’oeuvre et nous savons désormais que seul l’amour qui sait pardonner est vrai et digne de ce nom. C’est dans cette vie imitée et contemplée que le pardon prend tout son sens pour les chrétiens et les chrétiennes, où il apparaît comme la seule force capable de soulever le monde et de transformer les coeurs. Pour moi c’est la leçon de Nickel Mines.