Homélie pour le premier dimanche de l’Avent (B)

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Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 13,33-37. 
Prenez garde, restez éveillés : car vous ne savez pas quand ce sera le moment.
C’est comme un homme parti en voyage : en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail, et demandé au portier de veiller.
Veillez donc, car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin ;
s’il arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis.
Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! »

COMMENTAIRE

Le poète Charles Péguy dans un poème sur la fête de Noël met en scène trois personnages qu’il appelle les filles de Dieu, et qui sont la foi, l’espérance et la charité. Il compare la charité à une mère ou à une sœur aînée; la foi à une épouse fidèle; et l’espérance, à une toute petite fille. Péguy a là une intuition des plus intéressante, car les saints et les saintes sont surtout reconnus à cause de leur foi à déplacer les montagnes, de leur charité à toute épreuve, mais l’espérance… Qui a déjà été canonisé parce qu’il ou elle avait espéré? Et pourtant, nous dit Péguy, c’est la petite fille espérance qui entraîne par la main ses deux sœurs aînées, la foi et la charité. Cette vision du poète nous introduit, il me semble, dans une belle compréhension de l’année liturgique que nous inaugurons aujourd’hui.

Faut-il le rappeler, l’année liturgique qui commence avec le premier dimanche de l’Avent, et qui se termine avec la fête du Christ-Roi, est marquée par trois grands mouvements, comme une vaste symphonie, qui correspondent au temps de Noël, de Pâques, et du temps appelé « ordinaire », à défaut d’un qualificatif plus poétique. Quand on y regarde de plus près, chacun de ces trois temps de l’année liturgique semble davantage orienté vers l’une des trois vertus théologales de foi, d’espérance et de charité. Non pas que toutes ces vertus ne soient pas évoquées tout au long de l’année liturgique à travers les lectures bibliques qui nous sont proposées, mais c’est comme s’il y avait une insistance plus soutenue à l’endroit de l’une ou l’autre de ces vertus, selon les grands moments de l’année.

Tout d’abord, le temps ordinaire, celui qui occupe la plus large part de l’année liturgique, est loin d’être « ordinaire ». Je le dirais surtout consacré à la vertu de charité, à la mise en œuvre quotidienne de l’amour, manifesté par les paroles, les gestes et la personne même de Jésus. Le temps ordinaire de la liturgie est une invitation à faire nôtre sa mission, afin que par nos gestes et nos paroles, l’amour et la tendresse du Père soient à nouveau manifestés à notre monde par nos œuvres de justice et de miséricorde. Le temps ordinaire, c’est l’aujourd’hui de Dieu, l’aujourd’hui de l’Évangile et de l’Église. On pourrait l’appeler le temps de la charité de l’Église.

Le Carême et le temps pascal me semblent davantage consacrés à la vertu de foi. C’est un temps qui invite à croire, à croire sans réserve. Une invitation nous y est faite à suivre le Christ dans sa mort-résurrection et à proclamer avec les Apôtres que ce Jésus qui a été crucifié, Dieu l’a ressuscité des morts. Carême et temps pascal sont ces temps de l’année où nous retournons aux sources de notre foi et où, à la fête de Pâques, sommet de l’année liturgique, nous proclamons que ce Jésus, Dieu l’a fait Christ et Seigneur. Et nous faisons nôtre cette béatitude promise par Jésus à ses disciples : « Heureux ceux qui croiront sans avoir vu! » C’est à cette foi audacieuse que nous invitent le Carême et le temps pascal.

Vous l’aurez deviné, le temps de l’Avent lui me semble tout orienté vers l’espérance. L’Avent, première halte dans l’année liturgique, vient dresser sur l’horizon de nos attentes humaines une toute petite lueur. Elle a les dimensions d’un berceau, mais elle est capable d’embraser tout l’univers. Pourtant, elle est toute contenue dans le mystère de cette étable de Bethléem. Mystère de l’humilité et de la petitesse de Dieu, qui se donne sans s’imposer à nous.

Noël, c’est Dieu qui déjà se livre une première fois entre nos mains. En attendant d’être couché sur la croix, il est couché dans une mangeoire, emmailloté, offert à notre contemplation. Et là, dans cette vie humaine naissante, gît, impuissant, donnée à nous, l’espérance du monde, le Christ, le Fils de Dieu. C’est Dieu lui-même qui vient allumer au cœur de notre nuit une soif d’infini et qui nous ouvre le chemin qui y conduit.

Pas étonnant qu’en ce temps de l’année, plus qu’à n’importe quel autre, les gens aient le goût de décorer, de revêtir les villes et les villages de lumières et de couleurs flamboyantes. Ils ont envie de donner d’eux-mêmes sans compter, d’être une fois pour toutes bonté et générosité, comme si leur cœur saisissait à l’approche de Noël, comme l’espace d’un instant, sa véritable vocation, même dans les sociétés les plus sécularisées. Non, les indices ne trompent pas. C’est la petite vertu espérance qui se fraie son chemin depuis cette étable de Bethléem et qui illumine la nuit des temps.

Nous le savons, la Parole de Dieu ne nous propose pas une espérance à la petite semaine, une espérance facile et béate. Non, elle est de tous les combats, de toutes les luttes, et c’est elle qui nous rend capables de nous engager, de nous aimer les uns les autres, de changer nos cœurs, de recommencer quand tout s’écroule. C’est cette espérance, têtue et obstinée, que nous demandons au Prince de la paix de renouveler en nous alors que nous nous préparons à célébrer la fête de Noël, afin qu’il nous trouve fidèles et en tenues de service quand il viendra, de telle sorte que cette espérance qui nous habite puisse soulever le monde avec lui, chacun et chacune à notre mesure, dans le quotidien qui est le nôtre.

En terminant, écoutons Charles Péguy :

Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance.
Et je n’en reviens pas.
Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout.
Cette petite fille espérance.
Immortelle.
Car mes trois vertus, dit Dieu.
Les trois vertus mes créatures.
Mes filles, mes enfants.
Sont elles-mêmes comme mes autres créatures.
De la race des hommes.
La Foi est une Épouse fidèle.
La Charité est une Mère.
Une mère ardente, pleine de cœur.
Ou une sœur aînée qui est comme une mère.
L’Espérance est une petite fille de rien du tout.
Qui est venue au monde le jour de Noël de l’année dernière.
Qui joue encore avec le bonhomme Janvier.
Avec ses petits sapins en bois d’Allemagne couverts de givre peint.
Et avec son bœuf et son âne en bois d’Allemagne. Peints.
Et avec sa crèche pleine de paille que les bêtes ne mangent pas.
Puisqu’elles sont en bois.

C’est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes.
Cette petite fille de rien du tout.
Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus.
Comme l’étoile a conduit les trois rois du fin fond de l’Orient.
Vers le berceau de mon fils.
Ainsi une flamme tremblante.
Elle seule conduira les Vertus et les mondes.
Une flamme percera des ténèbres éternelles.


CHARLES PÉGUY, tiré de «Le porche du mystère de la deuxième vertu. pp. 26-27

fr. Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour la fête du Christ-Roi (A)

constantinople

Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 25,31-46. 
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire.
Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs :
il placera les brebis à sa droite, et les boucs à gauche.
Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : “Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde.
Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ;
j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !”
Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ?
tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ?
tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?”
Et le Roi leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”
Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : “Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges.
Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ;
j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.”
Alors ils répondront, eux aussi : “Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?”
Il leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.”
Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »

COMMENTAIRE

La liturgie de la Parole en ce dimanche du Christ-Roi de l’univers s’ouvre sur une prophétie d’Ézéchiel qui, au-delà de son contexte historique où le peuple hébreu est en exil, nous parle plus largement du drame de notre humanité aux prises avec le péché et le mal, et de la promesse que Dieu nous fait de nous venir en aide. C’est ainsi que Dieu prend la parole dans cette prophétie et raconte que par un jour de nuages et de sombres nuées les brebis ont été dispersées, mais que lui-même s’engage à les chercher et à les rassembler : « La brebis perdue, dit-il, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la panserai. Celle qui est malade, je lui rendrai des forces. »

Et c’est ainsi que le psalmiste, fort de cette promesse de Dieu, peut chanter : « Le Seigneur est mon berger : rien ne saurait me manquer. » Ces promesses vont trouver leur achèvement en Jésus-Christ, celui qui se présente à nous comme le bon pasteur, à qui tout a été soumis, et dont saint Paul affirme dans notre deuxième lecture, que c’est par lui le vainqueur de la mort que tous recevront la vie. Ces textes sacrés nous préparent à entendre l’évangile choisi pour cette fête du Christ-Roi.

Cette fête, faut-il le dire, est assez récente dans l’histoire de l’Église puisqu’elle a été instituée il y a moins d’un siècle, soit en 1925, avec une visée assez polémique, quoi qu’on en dise. Les gouvernements de l’époque en Europe, que l’on pense à l’Allemagne, à l’Italie, sans oublier bien sûr l’Union soviétique communiste, se montraient de plus en plus anticléricaux et l’Église voulait affirmer avec cette fête du Christ-Roi que les puissants de ce monde ne sont en fait que des roitelets en comparaison du Seigneur Jésus-Christ et du règne qu’il vient instaurer, lui le véritable roi de l’univers.

Bien sûr, existe toujours le danger pour l’Église de vouloir s’imposer comme un contre-pouvoir politique dans nos sociétés. D’ailleurs, elle n’a pas toujours échappé à ce piège à travers les siècles, et c’est ainsi qu’un auteur critique de l’Église et de ses prétentions au début du XXe siècle (Loisy) écrivait : « On attendait le Royaume de Dieu et c’est l’Église qui est venue. » Bien sûr, cette tentation demeurera toujours présente jusqu’à la fin des temps, car l’Église, tout en étant d’origine divine, est aussi humaine, mais quand nous célébrons la fête du Christ-Roi, nous les chrétiens et les chrétiennes nous affirmons ce qui suit : « On attendait le Royaume de Dieu et c’est Jésus qui est venu! »

En cette fin d’année liturgique, cette fête survient comme un point d’orgue, comme l’aboutissement de tout ce que nous avons célébré ensemble depuis un an, alors que nous affirmons à la face du monde, que Jésus-Christ est le Seigneur de l’univers, notre roi, qui vient vers nous drapé du vêtement du bon pasteur, portant sur lui la bonne odeur de ses brebis qu’il porte sur ses épaules, qu’il soigne et qu’il accompagne vers ces verts pâturages que chante le psalmiste aujourd’hui.

Maintenant, l’évangile de ce jour nous ouvre des perspectives incroyables et insoupçonnées quant aux conditions d’appartenance au troupeau de ce roi berger, et nous permet de jeter un regard neuf sur le rôle de l’Église que nous formons en ce monde. Un théologien peut nous aider ici à mieux comprendre ce rôle.

Il y a trois ans décédait un éminent théologien à Montréal du nom de Gregory Baum, un Juif converti au catholicisme qui, pendant plusieurs années, a enseigné à l’Université McGill. Dans son dernier livre, publié i à l’âge de 95 ans, il écrivait un texte à propos de l’Église qui peut ébranler certaines de nos conceptions à son sujet, mais une réflexion qui s’impose il me semble à la lumière de notre évangile aujourd’hui. Il écrivait ceci : « L’Église n’est pas une oasis de salut dans un désert de perdition; le salut est offert partout dans le monde, par l’entremise des traditions religieuses, des cultures humanistes et de l’expérience commune de la solidarité. Le premier outil de la grâce, écrivait-il, c’est la vie humaine. »

Mais alors, me direz-vous, que reste-t-il de l’Église dans une telle perspective? Et bien, je dirais tout d’abord que l’Église est cette communauté de foi qui célèbre cette vie donnée qui est la nôtre et qui est commune à toute l’humanité. Notre mission est de nous y engager passionnément dans cette vie, reconnaissant qu’elle a sa source en Dieu lui-même et dans le don de son Fils à notre humanité. J’ajouterais que notre mission en Église, c’est à la fois de célébrer cette grâce d’un amour infini qui nous est faite et de partager cette joie qui est la nôtre, de donner le goût de Dieu au monde quand ce dernier est méconnu ou bafoué, oeuvrant ensemble, solidaires des joies et des peines de cette terre, n’oubliant jamais que l’Esprit du Christ nous précède dans cette Galilée des nations.

Et c’est ainsi que dans l’évangile de ce jour, la seule condition posée pour être reconnus parmi les brebis du Seigneur, ce n’est pas de dire « Seigneur, Seigneur! », mais de témoigner d’une charité active en ce monde, car le Christ s’attache tellement à chacun de nos pas qu’il est le premier touché quand une vie humaine est aimée ou méprisée. Et c’est parmi des hommes et des femmes de toutes races, de toutes cultures, de toutes religions que le Royaume se fraie son chemin, comme la semence jetée en terre. Cet évangile nous rappelle que nous n’avons pas le monopole de l’amour, et il n’est pas mauvais de nous l’entendre dire ! »

Comme l’affirme le Pape François dans son exhortation apostolique « La joie de l’Évangile », il nous faut apprendre à « ôter nos sandales devant la terre sacrée de l’autre », puisque tous sont aimés de Dieu et que ce dernier nous en confie tout particulièrement la responsabilité à nous son Église. C’est pourquoi Jésus nous invite à accueillir notre prochain comme s’il s’agissait de lui-même. Il vient ainsi ouvrir des perspectives nouvelles à nos amours, à nos amitiés, à nos relations entre nous. C’est comme s’il nous disait : « Si tu savais le don de Dieu, si tu savais qui s’adresse à toi à travers ce prochain. Si tu savais tout ce dont sont porteurs tes actes de charité, même les plus modestes, tu t’empresserais alors d’aller vers les plus pauvres, les plus malheureux et les plus démunis, parce qu’en eux c’est Dieu qui se tient à ta porte, qui t’espère et qui t’attend. »

Frères et sœurs, en cette fête du Christ-Roi, au terme de cette année liturgique, nous demandons à Dieu de nous aider à grandir et à persévérer dans l’amour du prochain, nous rappelant que le Christ, notre roi et notre pasteur, vient vers nous avec douceur et humilité, non pas pour dominer nos vies, mais pour les transfigurer et nous rendre semblables à lui, afin que nous puissions aimer comme lui et ainsi nous faire bons pasteurs avec lui. Tel est le sens de sa royauté que nous célébrons aujourd’hui.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

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Homélie pour le 32e Dimanche (A)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 25, 1-13

    En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples cette parabole :
    « Le royaume des Cieux sera comparable
à dix jeunes filles invitées à des noces,
qui prirent leur lampe
pour sortir à la rencontre de l’époux.
    Cinq d’entre elles étaient insouciantes,
et cinq étaient prévoyantes :
    les insouciantes avaient pris leur lampe sans emporter d’huile,
    tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leurs lampes,
des flacons d’huile.
    Comme l’époux tardait,
elles s’assoupirent toutes et s’endormirent.
    Au milieu de la nuit, il y eut un cri :
‘Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.’
    Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent
et se mirent à préparer leur lampe.
    Les insouciantes demandèrent aux prévoyantes :
‘Donnez-nous de votre huile,
car nos lampes s’éteignent.’
    Les prévoyantes leur répondirent :
‘Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous,
allez plutôt chez les marchands vous en acheter.’
    Pendant qu’elles allaient en acheter,
l’époux arriva.
Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces,
et la porte fut fermée.
    Plus tard, les autres jeunes filles arrivèrent à leur tour et dirent :
‘Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !’
    Il leur répondit :
‘Amen, je vous le dis :
je ne vous connais pas.’

    Veillez donc,
car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »

COMMENTAIRE

La semaine dernière, j’ai été témoin d’un spectacle plutôt inusité. Un petit écureuil, indifférent à ma présence, travaillait d’arrachepied à préparer son nid pour l’hiver. Il allait deçà delà sur le gazon engouffrant dans sa petite gueule autant de feuilles séchées qu’il le pouvait, pour ensuite repartir à la course vers son nid, y déposer ses feuilles, et revenir aussitôt répéter le même manège. Je me faisais la réflexion suivante : que voilà un petit animal vigilant et prévoyant. 

En cet automne de notre pays, la nature est en mode d’hyperactivité devant le froid qui vient. Les oies sauvages et les sarcelles descendent vers le Sud, les renards et les ours préparent leur tanière, les écureuils entassent des provisions pour passer l’hiver. Grand remue-ménage afin de traverser la saison froide dans l’espoir d’accueillir le prochain printemps et ses promesses de renouveau.

Si la prévoyance et la vigilance sont inscrites dans l’ADN de nos amis du règne animal, il en va autrement chez nous les humains. Car il ne s’agit plus tout à fait d’un réflexe chez nous. Nous sommes passés à un autre stade de l’évolution où la prévoyance requiert de notre part une décision ferme et volontaire. Et cela est encore plus vrai au plan spirituel. Tel est le sens de la parabole des dix jeunes filles qui attendent la venue de l’Époux.

L’invitation à veiller que nous fait Jésus aujourd’hui revient souvent sur ses lèvres. C’est là un thème majeur de sa prédication. Veillez sur vous-mêmes, nous dit-il, nourrissez votre vie de prière, ne laissez pas votre charité s’affadir, ne vous lassez pas de faire le bien, et, surtout, ne perdez pas de vue la saison qui vient, cet éternel printemps, que Jésus compare à des noces éternelles, et dont il est l’Époux.

Quand nous arrivons au terme de l’année liturgique, la liturgie insiste beaucoup sur la fin des temps et le jugement dernier. Des images qui ne sont pas toujours rassurantes, j’en conviens, et dans l’évangile de ce dimanche, il y a des paroles terribles de la part de l’époux à l’endroit des jeunes filles insouciantes : « Je ne vous connais pas, leur dit-il. » Alors que nous faut-il faire pour être reconnus ? 

Déjà, quand des personnes vivent dans l’amour et le souci des autres, je suis sûr que le Seigneur se reconnaît en ces personnes, même chez celles qui ne sont pas chrétiennes ou qui sont loin de l’Église. Mais ce que l’amitié avec Jésus Christ offre de nouveau à l’humanité, c’est l’expérience intérieure de découvrir peu à peu celui qui nous appelle, afin que nous puissions l’attendre et le reconnaître lors de sa venue, et pouvoir ainsi nous écrier : « Ah ! Te voilà Seigneur. Je t’ai tellement attendu ! » 

Oui, c’est là la plus belle rencontre qui soit, mais elle se prépare au fil des jours et des années de nos vies, alors que Dieu se tient à la porte et qu’il frappe. Il nous faut donc apprendre à veiller et lui ouvrir quand il vient à l’improviste au cœur de nos journées, attentifs à ses pas et au son de sa voix, comme l’être aimé que l’on attend et dont on apprend peu à peu à deviner la présence. 

Voici une expérience personnelle. Tout juste avant de venir à Ottawa, j’accompagnais une personne malade qui m’était très chère à la paroisse où j’étais. Alors que cet homme voyait venir le moment de sa mort, lui qui était un chrétien convaincu, il m’avait confié ceci : « Tu sais, je n’ai pas peur ; j’ai fait mon possible dans la vie, et bien que je ne sois pas parfait, je sais que je peux m’en remettre à la grande miséricorde de mon Dieu que j’aime ». Quelques semaines plus tard, il partit rejoindre son Seigneur, et j’ai gardé ses dernières paroles comme un testament éloquent de ce qu’est la foi en Dieu.

Car l’évangile de ce jour peut nous amener à nous demander si nous devons avoir peur de Dieu. Ce Dieu à qui nous avons confié nos vies, et dont Jésus nous a parlé avec tellement d’amour ? Pour répondre à cette question, j’aime bien tempérer les passages de l’Évangile qui sont parfois difficiles à comprendre, avec ceux où Jésus se révèle en pleine lumière, sans ambiguïté. Par exemple, alors que le regard de l’époux dans la parabole paraît sévère, voyez l’attitude de Jésus sur la croix avec celui qu’on appelle « le bon larron », et que Jésus semble reconnaître au premier coup d’œil.

Après tout, ce larron était un brigand, et les paroles de Jésus à son endroit ont toujours interrogé les croyants, quand il lui déclara : « Aujourd’hui même, tu seras avec moi dans le paradis ! » Dans une homélie, saint Augustin s’interroge au sujet de ce larron, il engage alors le dialogue avec lui et il lui demande : comment il a reconnu le Messie sous l’apparence du crucifié, lui l’ignorant de la Loi et des Prophètes, lui qui n’avait probablement jamais beaucoup prié, alors que les scribes et les docteurs de la Loi n’avaient rien compris, alors que ses disciples les plus proches avaient pris la fuite, en se laissant gagner par le désespoir, alors qu’il n’y avait rien à voir sur cette croix ? Et, le bon larron de répondre à Augustin : « Il m’a regardé, et dans ce regard, j’ai tout compris.[1] »

Frères et sœurs, veiller finalement, n’est-ce pas placer nos vies sous le regard bienveillant du Seigneur et nous confier à sa miséricorde malgré nos faiblesses ? Et si ce désir nous habite, une chose est certaine : jamais nous ne manquerons d’huile pour notre lampe, jamais la grâce ne nous fera défaut, toujours le Seigneur saura nous reconnaître, car il est fidèle celui qui nous invite au festin des noces. N’en doutons pas.

Yves Bériault, o.p.


[1] Adrien Candiart, Quand tu étais sous le figuier…, Paris, Cerf, 2017, pp. 32-33.