Homélie pour le 20e Dimanche C

JE SUIS VENU APPORTER UN FEU…

Si l’évangile d’aujourd’hui nous dévoile la hâte de Jésus à voir s’allumer ce feu qu’il est venu apporter, l’on est surtout frappé par l’opposition que va rencontrer l’accomplissement de ce désir chez lui. Ne vous y méprenez pas, nous dit Jésus, « je ne suis pas venu apporter la paix, mais la division ». Ce qui nous amène à nous poser la question suivante : pourquoi la suite du Christ est-elle si difficile ? Après tout, l’évangile n’est-il pas un message de paix et d’amour. En quoi cette annonce peut-elle provoquer autant de divisions ?

D’une part, Jésus compare son action dans le monde à un feu. On pense spontanément à ces langues de feu qui vont descendre sur les apôtres à la Pentecôte. On pense au feu qui réchauffe, au feu qui purifie, au feu qui éclaire et chasse les ténèbres. À n’en pas douter, ce feu qu’apporte Jésus ne peut être que salutaire. 

D’ailleurs, l’image du feu est très évocatrice pour tous les humains puisque le feu remonte à la nuit des temps. Le feu a conduit les êtres humains au travers les millénaires, il leur a permis de survivre aux longs hivers, humanisant leurs relations dans ces maisonnées réunies autour du feu, lors des longues nuits de veille et de palabres, aidant à garder au loin les animaux sauvages, permettant de domestiquer la nature, de travailler le fer, de cuire les aliments, de chauffer la terre et d’en faire des récipients de toutes sortes. Mille et un usages du feu au service de l’Homme. Le feu est sans doute le premier don qui lui est fait pour l’aider à apprivoiser son existence sur terre. Et Jésus adopte cette image du feu. Il est venu sur terre allumer un feu, il est venu nous donner de partager sa vie afin de domestiquer notre vie de tous les jours.

Par ailleurs, ce feu sera en butte à l’incompréhension et au rejet nous dit Jésus. Beaucoup d’entre nous ont fait cette expérience, car il n’est pas inhabituel de rencontrer de l’opposition ou même de l’hostilitéquand on affirme sa foi en Jésus Christ. Mais vivre de la Parole du Christ et connaître la persécution, est-ce simplement lié au fait de professer sa foi ? Bien que cela soit fondamental, l’affirmation de notre foi n’épuise pas ce en quoi consiste le témoignage chrétien. Il ne s’agit pas ici de minimiser ou de taire notre foi, mais je crois que les lieux de rencontre et de confrontation de l’évangile avec le monde dépassent largement la question de l’annonce explicite de notre foi au Christ. Je m’explique.

L’Évangile est avant tout un message de paix, d’amour et de justice, dont les disciples sont porteurs àcause de leur attachement au Christ ressuscité. Comme le souligne la lettre aux Hébreux en ce dimanche, Jésus est « à l’origine et au terme de notre foi ». Nos vies portent la marque du Christ, et parce que nous sommes appelés à nous laisser configurer au Christ, à vivre de sa vie à lui, nous connaîtrons nous aussi la confrontation avec le monde au nom de l’évangile, même avec nos plus proches, même avec nos familles.

Toutes les fois que l’amour est violenté, que la paix est menacée, que la justice est méprisée, chaque fois que les pauvres sont humiliés, que les droits des personnes sont bafoués et que les plus faibles parmi nous sont exploités, il y a confrontation de l’évangile avec le monde. Chaque fois que les riches ne pensent qu’à s’enrichir au détriment des autres, que des dictateurs oppriment des peuples et que les artisans de paix sont persécutés, il y a confrontation de l’évangile avec le monde. Jésus n’a pas fait qu’annoncer la venue du Royaume, il a pris fait et cause pour les pauvres et les exclus, et ses disciples sont donc invités à se tenir en première ligne de ce combat.

C’est ce feu qui doit brûler au cœur des disciples, car vivre de l’évangile c’est de ne pouvoir s’endormir tout bêtement quand le tiers-monde est à notre porte, quand des millions d’hommes, de femmes et d’enfants sont maintenus en esclavage, soumis à la prostitution, spoliés de leurs biens, privés de soins ou d’éducation, alors que des milliers d’autres, dans l’hémisphère sud, meurent de faim tous les jours, tandis que dans l’hémisphère nord on fait bombance et que nos poubelles débordent.

Vivre de l’évangile ça n’a rien de fleur bleue, ça n’a rien à voir avec une piété enfantine où l’on se replierait sur soi et où le prochain serait constamment oublié. Prendre fait et cause pour l’évangile c’est être porteur de ce feu que Jésus est venu allumer, c’est littéralement entrer dans son combat à lui où le but n’est pas d’être les plus forts ou d’imposer notre loi, car ceux et celles qui s’opposent au message évangélique sont tout autant nos frères et nos sœurs. Ce que le Christ demande à ses disciples, c’est de gagner les cœurs un à un au véritable sens de l’amour, de la paix, du partage et de la justice, tout en rappelant au monde l’extraordinaire dignité de toute personne humaine, car tous et toutes sont voulus et aimés de Dieu, car toute vie humaine est une histoire sacrée. Voilà le feu de la Parole de Dieu que Jésus désire voir s’allumer dans tous les cœurs, mais cette bonne nouvelle ne peut que rencontrer beaucoup de résistance et demande donc beaucoup de courage et de confiance de la part des disciples.

C’est Mgr Tutu de l’Afrique du Sud qui disait un jour dans une homélie : « Quand les Européens sont venus en Afrique du Sud, ils nous ont mis dans les chaînes, mais ils nous ont aussi donné la Bible, ne se doutant pas que le don de cette Bible entraînerait leur perte. Ils étaient finis. En effet ! Les Hollandais et les Anglais nous apportaient la Bible afin de nous éclairer, nous les sauvages, afin de nous libérer de notre ignorance et de notre péché, mais cette Bible devint la clé de notre libération de l’esclavage de l’apartheid. Car cette Bible nous appris que Dieu est miséricorde, que Dieu est à l’œuvre, que Dieu entend les cris de ceux et celles qui sont perdus ou opprimés, que Dieu soutient ceux et celles qui luttent pour la justice, et que Dieu va vaincre, parce qu’il est vainqueur. »

Mgr Tutu nous rappelle que cette Parole vivante qui habite le cœur des disciples agit comme un feu dans le monde quand elle est prise au sérieux et qu’elle est vécue. Écoutons un autre témoin, un autre frère dans la foi, Dom Helder Camara, évêque de Recife au Brésil, décédé en 1998 : 

« Un jour, écrit-il, une délégation est venue me voir, ici, à Recife : « Vous savez, Dom Helder, il y a un voleur qui a réussi à pénétrer dans l’église. Il a ouvert le tabernacle. Comme il ne s’intéressait qu’au ciboire, il a jeté les hosties par terre, dans la boue… Vous entendez, Dom Helder : le Seigneur vivant jeté dans la boue !… Nous avons recueilli ces hosties et les avons portées en procession jusqu’àl’église, mais il faut faire une grande cérémonie de réparation !… » — « Oui, je suis d’accord. On va préparer une procession eucharistique. On va réunir tout le monde. On va vraiment faire un acte de réparation. » Le jour de la cérémonie, quand tout le monde était là, j’ai dit : « Seigneur, au nom de mon frère le voleur, je te demande pardon. Il ne savait pas ce qu’il faisait. Il ne savait pas que tu es vraiment présent et vivant dans l’Eucharistie. Ce qu’il a fait nous touche profondément. Mais mes amis, mes frères, comme nous sommes tous aveugles ! Nous sommes choqués parce que notre frère, ce pauvre voleur, a jeté les hosties, le Christ eucharistique dans la boue, mais dans la boue vit le Christ tous les jours, chez nous, au Nordeste ! Il nous faut ouvrir les yeux ! »« Je suis venu apporter un feu sur la terre, nous dit Jésus, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » Ce profond désir a trouvé son accomplissement avec sa mort et sa résurrection, et il a traversé les siècles jusqu’à nous. Depuis lors, ce sont des millions d’hommes et de femmes qui ont porté et témoigné de ce feu. Puissions-nous être de ceux-là nous aussi. 

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain.

« Comment fait-on pour entendre la voix de Dieu? » (19e dimanche. Année C)

« Comment fait-on pour entendre la voix de Dieu? » Voilà la question que me posait la petite Mia, six ans, accompagnée de sa mère, alors qu’elle tenait un cornet de crème glacée dans sa main. Les deux s’étaient approchées de moi alors que j’étais dans le jardin du couvent de Québec, et la maman m’avait tout simplement dit : « Ma fille aurait une question à vous poser. » Cette question m’habite depuis cette rencontre il y a quelques semaines. C’est comme si un ange m’était apparu afin de me demander de répondre à cette question pour moi-même, comme s’il me disait : « Devant les responsabilités qui sont les tiennes, comment vas-tu t’y prendre pour entendre la voix de Dieu? »

L’auteur de la lettre aux Hébreux affirme que « la foi est une façon de posséder ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas. » Cette affirmation est très forte, car il est question ici de posséder et de connaître l’objet même de notre foi. 

Cette possession, c’est goûter à la présence de Dieu en nos vies, même si on ne le voit pas. Les comparaisons sont toujours boiteuses, mais l’on pourrait évoquer ici la communion avec l’être aimé, parti pour un long voyage, mais dont le souvenir et l’affection nous habitent toujours, malgré l’absence. Il s’agit d’une présence vivante en nous.

Mystérieusement, la foi en Dieu nous donne de posséder ce que l’on espère, une espérance qui trouvera sa pleine réalisation dans la vie éternelle, mais qui déjà nous fait vivre. Il est question ici de relation à un autre, de communion. L’auteur de la lettre aux Hébreux affirme que cette communion d’amour avec Dieu nous le fait connaître et nous fait entrer dans une vie « conversante » avec lui, une vie de dialogue avec lui.

Frères et sœurs, je crois que Dieu nous parle à travers tous les événements de nos vies, qu’il nous parle dans la prière, dans les sacrements, à travers les complicités et les amitiés que nous tissons entre nous, dans les demandes de discernement lors des grandes décisions de nos vies. Dieu nous parle aussi beaucoup à travers les souffrances et les violences de notre monde qui blessent son amour et doivent éveiller notre indignation ! 

Je crois que Dieu remet sans cesse son amour entre nos mains et que c’est cet amour qui nous inspire, qui nous guide et qui nous donne de nous dépasser au nom de cet amour, qui nous donne de revêtir le tablier de service qu’évoque l’Évangile aujourd’hui.

Frères et sœurs, je crois avec l’Église que Dieu nous appelle à une vie plus grande que nous, et qu’il nous appelle à poursuivre avec lui ce périple d’une naissance à ce monde vers un ailleurs qu’on appelle la vie éternelle. Et pourtant, je n’ai pas la foi parce que je tiens à tout prix à vivre éternellement. Parfois une vie éternelle, ça peut paraître bien long ! Mais il s’agit d’une promesse du Christ lui-même, où nos vies sont appelées à se déployer pleinement avec lui après la mort. Et c’est ainsi que Jésus fait cette promesse extraordinaire à ses disciples qui l’auront servi fidèlement. Il leur promet de les faire assoir à sa table et de les servir lui-même quand il reviendra. 

Frères et sœurs, cette promesse trouve déjà son accomplissement quand le Christ nous rassemble autour de son eucharistie, un avant-goût des biens qu’il nous donnera dans le monde à venir.

Yves Bériault, o.p. Dominicain.

Homélie pour le 19e Dimanche (C)

Veilleurs pour Dieu!

Les lectures de ce dimanche sont assez longues, notamment la 2e lecture et l’évangile. Cela nous justifie d’y aller brièvement avec l’homélie, et de vous proposer de nous arrêter sur quelques vérités plus simples qui nous sont dites, plus d’une fois d’ailleurs, au long de ce parcours impressionnant.

Le Seigneur nous demande de veiller, d’être en état d’alerte et de service, de rester dans la lumière jusque tard dans la nuit. Comme des serviteurs dévoués, responsables. Comme des gens qui attendent son retour, dans la confiance, dans la certitude qu’il viendra, dans la complicité d’une foi active, dans la générosité du partage.

La 1ère lecture nous parlait de la nuit pascale dont le rappel est l’occasion de rendre grâce à Dieu et d’exprimer la ferté collective et la solidarité du peuple de Dieu, d’année en année, de siècle en siècle. C’est comme si la victoire de l’Exode, la sortie d’Égypte d’autrefois, était garante d’un avenir, de l’engagement divin pour la suite, victoire promise pour aujourd’hui et pour demain.

 La 2ème lecture faisait l’éloge des croyants de toujours, nous rappelant la foi des patriarches qui ont pris Dieu au sérieux et qui par leur confiance ont comme forcé la main au Bon Dieu pour qu’il réalise ses promesses. Grâce à leur foi, Sara et Abraham ont fait que des choses leur arrivent, les promesses trouvant à s’accomplir en eux, à se réaliser à cause de leur entêtement à y croire.

Et nous retrouvons tout ça dans l’évangile du jour. Jésus compte sur notre vigilance pour hâter le règne de son Père, la venue du Royaume. Notre attente sera donc une veille active, responsable, le service d’une fidélité, d’un amour indispensable. Comme croyants nous sommes au service d’un Dieu d’alliance et d’amour qui veut faire advenir de grandes choses pour l’humanité. Mais il ne va pas le faire sans notre accord, sans notre désir, sans notre prière. Dieu ne va pas agir sans l’acceptation par nous de ses promesses. Savons-nous que nous travaillons à leur accomplissement quand nous prenons nos responsabilités, en vivant bien humblement et de notre mieux les valeurs du Royaume, quand nous marchons dans la foi, quand nous mettons « pratiquement » sur pied notre espérance?

Nous avons tout un défi à relever dans la grâce de notre Dieu. À une époque où nous avons bien des raisons de pleurer peut-être, de nous lamenter sur tout ce que nous avons perdu, sur tous nos deuils, nos erreurs passées, nos manques actuels, nos peurs. Il nous reste la foi, l’espérance et l’amour! Il nous reste Dieu, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob! Le Dieu de Moïse et des Prophètes! Le Christ, le Fils de Dieu et notre frère, grand vainqueur du mal et de la mort! L’Esprit saint, l’Esprit de Pentecôte, Esprit de force et de lumière! 

Ce n’est pas rien tout ce qu’il nous reste… Toutes ces promesses à réaliser! Pensons qu’elles se réaliseront avec l’accord de notre bonne volonté, de notre prière. Telle est la puissance de notre foi! Parce qu’elle s’appuie sur les promesses d’un Dieu qui est fidèle et qui ne saurait nous décevoir. Le meilleur est en avant de nous. Allons-y de notre foi et de l’ardeur de notre prière. Le Seigneur donne raison à ceux qui veillent pour lui, à tous ceux qui de leurs lampes allumées lui font signe dans la Nuit.

fr. Jacques Marcotte, o.p. Dominicain.