Ma prière (5)

Je n’ai pas parlé de l’eucharistie, « source et sommet de la vie de l’Église », que je suis appelé à vivre et à célébrer quotidiennement en tant que prêtre. D’ailleurs, j’allais presque oublier d’en parler. Curieux n’est-ce pas? Pourtant la célébration de l’eucharistie est toujours un moment intense pour moi, un moment solennel qu’il m’est difficile d’identifier comme étant « ma prière ». Il serait juste de dire que « je suis un autre » lorsque je célèbre. Je suis le ministre de la communauté. Je ne prie plus seulement en mon nom, mais je prie au nom de la communauté dont je préside l’eucharistie, l’eucharistie de la communauté. De plus, ce n’est pas moi théologiquement qui préside mais c’est le Seigneur ressuscité!Donc, mon rapport à l’eucharistie est ambigu quand j’essaie de l’analyser. Il y a en moi comme une incapacité d’en parler. J’y entre avec tout le sérieux dont je suis capable et, en même temps, ce mystère me dépasse tellement que parfois je sens que je n’ai pas la capacité de le vivre avec toute l’intensité que requiert la célébration d’un tel mystère. C’est donc avec une grande pauvreté que je célèbre l’eucharistie et, en même temps, dans un esprit de service pour la communauté. Il m’est difficile d’y entrer comme j’entre dans ma prière personnelle, car l’eucharistie m’impose un rythme, des règles liturgiques, une attention de tous les instants à la communauté avec qui je célèbre.

Je suis un peu comme ces disciples lors de la multiplication des pains qui doivent nourrir la foule, pendant que Jésus continue sans doute de s’entretenir avec elle. La tâche prend un peu le dessus. Ce n’est qu’après, et je ne veux pas dire immédiatement après car cela, habituellement, est impossible, mais après, bien après… dans la prière personnelle, dans un seul à seul avec moi-même à l’occasion d’une promenade, que cette eucharistie se prolonge et me nourrit. Et pourtant j’ai conscience que cette eucharistie quotidienne est le lieu de ma prière le plus importante de la journée. On touche là le mystère, un mystère qui demande toute notre attention, mais où il est si facile d’être distrait. Mais toujours c’est une grâce inouïe… (à suivre)

Ma prière (4)

Si je m’en tiens à mon expérience, en conclusion, je vois trois dimensions principales dans la prière chrétienne:1. La prière d’abandon devant le Seigneur, dans laquelle je me tiens dépouillée et pauvre. Une prière où je ne demande rien, sinon que d’être là à veiller en silence. C’est une prière difficile, sans doute la plus difficile, mais qu’il faut savoir tenir. Mais cette forme de prière vient qu’après des années je crois.

2. Il y a la prière joyeuse, enthousiaste, qui jaillit spontanément, soit à la chapelle, en ballade, en contemplant un paysage, ou suite à des rencontres. C’est la prière où l’on exulte de joie, où l’on veut chanter des louanges au Seigneur pour tout ce qu’Il fait. C’est la prière qui m’a toujours été la plus facile. C’est la prière telle que la décrit Charles de Foucauld : « C’est penser à Dieu en l’aimant. »

3. Et, enfin, il y a la prière au pied de la Croix. La prière de Gethsémani, qui demeure pour moi, la plus importante, parce qu’elle est la plus engageante. C’est la prière du combat de Dieu. Et par cette prière, l’on affirme vouloir se tenir là où Dieu se tient, parmi les hommes et les femmes de ce monde. Par cette prière, l’on dit à Dieu que l’on veut se tenir là où il nous veut, c’est-à-dire là où ses enfants souffrent.

Il n’y a pas de chronologie dans ces formes de prière. Elles sont toutes importantes, elles se recoupent sans que l’on puisse toujours les départager. Mais ces trois formes me rappellent tout simplement que la prière:

a) est le lieu où j’apprends à grandir dans l’espérance, c’est la prière d’intercession; intercession à la fois pour moi et pour les autres.

b) elle est aussi le lieu où j’apprends à grandir dans l’amour, c’est la prière d’adoration et d’action de grâce;

c) elle est enfin le lieu où j’apprends à grandir dans la foi, et c’est la prière où je me tiens « humble et silencieux » devant le Seigneur, comme le dit le psalmiste, confiant que Dieu est là même si aucun mot n’est murmuré, aucun sentiment évoqué. Cette prière est comme un grand « Je crois » lancée vers Dieu, au coeur de sa présence.

Je dirais que toutes ces formes de prières rendent possible ce que les auteurs spirituels appellent la contemplation. Ici, les mots, qu’ils soient des paroles de supplication, de demande ou d’action de grâce, cèdent la place à un silence plein, à une joie profonde, qui nous enlèvent les mots de la bouche et remplissent notre coeur d’un sentiment de présence et de plénitude. C’est vraiment le sentiment d’un face-à-face avec Dieu, qui se tient tout proche. C’est une expérience de sa Présence ou, encore, une expérience d’amour qui peut se vivre sans parole, tellement l’on se sent aimé, comblé. C’est une expérience occasionnelle ou rare, c’est selon chacun.

Ce n’est pas quelque chose à rechercher comme un bien à consommer. Cela nous est parfois donné comme une consolation ou comme un signe de la présence du Seigneur, afin de nous encourager à persévérer dans la foi. Mais vient un temps où l’on ne doit plus attendre de telles consolations, bien qu’elles nous soient encore données parfois.

C’est le temps de la maturité dans la prière, le temps de la relation « adulte » avec Dieu, si je puis m’exprimer ainsi. C’est le temps où l’union au Seigneur se vit tout simplement dans une présence fidèle et aimante au Seigneur, dans l’action du quotidien, comme dans le silence d’une chapelle. La foi alors est assez grande pour nous porter et nous donner cette assurance que le Seigneur est présent. Le reste, émotions, sentiments, lui appartient et il nous conduit tous et chacun par des chemins uniques, propres à chacun et chacune de nous, selon sa grande bienveillance. Nul n’est négligé, mis de côté. A chacun de ses enfants Dieu donne, selon le temps de la vie, le pain qui est nécessaire et qui nourrit ou, encore, le désert inévitable qui purifie. (à suivre)

Ma prière (3)

Suite d’une correspondance avec une amie lors d’un séjour récent à Rome.

Je ne me souviens plus très bien du type de prière qui a suivi cette expérience, sinon que j’étais très exalté et que ma prière en était une de grande louange. Elle ne tarderait pas à devenir un lieu de combat, car il me fallait retrouver le chemin de l’Église, et je portais une foule de questions avec lesquelles je harcelais Dieu sans cesse. Tout comme je le ferais quand viendrait le moment de choisir ou non de répondre à l’appel vers le sacerdoce. Je portais une prière enthousiaste, mais inquiète aussi, et donc fragile. J’avais peur de perdre ce que je venais de découvrir, je demandais souvent à Dieu de ne pas m’abandonner et surtout, de ne pas me laisser l’abandonner. D’ailleurs, cette demande me paraît toujours aussi importante aujourd’hui, mais je la porte avec moins d’inquiétude.

Cette recherche de ma voie allait durer sept à huit ans. Pourtant je n’ai pas le souvenir d’une prière inquiète, mais d’une grande joie à prier le Seigneur. Mais dès les débuts, ma relation retrouvée avec le Seigneur m’incita à vouloir changer de vie. Tout à coup, ce qui allait contre l’Évangile me devenait plus évident. Comme si un guide intérieur me conduisait et m’apprenait à devenir disciple peu à peu.

Cette étape de purification, comme l’appellerait les mystiques, est toujours présente. La conversion ne cesse jamais puisque la chute et l’homme pécheur demeurent. Mais parallèlement, j’ai toujours aimé me retirer dans le silence afin de louer le Seigneur, l’adorer ou, encore, afin d’intercéder pour d’autres, afin de me tenir aux pieds de la Croix et prendre au sérieux la souffrance du monde, la souffrance de ceux et celles qui se recommandent à ma prière.

Cette dimension de la prière s’est peu à peu affirmée avec les années. Comme si ma prière avait évoluée vers une sorte de dépouillement où la joie intérieure ou l’échec, ne sont plus des pré-requis pour la prière. Parfois ce sera une prière dite avec le chapelet, ce que j’ai toujours aimé faire, d’autres fois ce sera une prière dépouillée, dans laquelle, à la limite, j’essaie tout simplement de me tenir silencieux devant le Seigneur, répétant parfois intérieurement son nom: Jésus ou Seigneur Jésus, ou Seigneur prends pitié! C’est la prière la plus difficile et je ne puis m’y tenir bien longtemps. Mais l’important ce n’est pas la durée de la prière, mais son intensité, sa sincérité.

Je constate qu’avec les années, ma prière est devenue plus pauvre je crois. Une prière où je compte moins sur l’élan de ma foi ou de ma ferveur, que sur l’accueil que m’y fait le Seigneur. C’est un peu la prière à l’exemple du couple fidèle qui, après des années, n’a pas toujours besoin de beaucoup de mots pour se comprendre et où le silence peut être tout aussi signifiant que les paroles les plus tendres. C’est peut-être cette nuit là dont parle saint Jean de la Croix, dans laquelle on ne cherche à s’accrocher à rien, sinon qu’à se tenir disponible et abandonné à la volonté du Seigneur. (à suivre)

Ma prière (2)

D’entrée de jeu, je dois dire que je me suis toujours méfié des systèmes, des techniques, des trucs. J’étais ainsi en psychologie. C’est pourquoi je n’ai pu appartenir pleinement à aucune école de psychothérapie. Et cela explique sans doute pourquoi je suis dominicain plutôt que jésuite. Ici je ne veux pas porter de jugements, les jésuites ayant réussi mieux que nous les dominicains dans bien des domaines. Mais il faut des auberges pour tout le monde dans la vigne du Seigneur. Donc, m’a prière ne s’enracine pas dans une école de spiritualité. Elle a poussée telle que le Seigneur a bien voulu me la donner.Mais il y a quand même ma responsabilité face à cette prière, et je me demande toujours si je ne pourrais pas la faire grandir davantage, et c’est là, quand j’ai de telles préoccupations, que je me demande si je ne risque pas de tomber dans les trucs et les recettes. Il n’y a rien à faire, je préfère vivre ma prière un peu comme l’on respire. Ce qui explique que ma prière n’est pas toujours régulière. Elle l’est seulement quand j’ai le soutien d’une communauté, car laissé à moi-même, je ne suis pas porté à ponctuer mes journées par des temps bien précis. Si je suis en vacance, j’essaie tant bien que mal d’y faire une place, mais je vais parfois sauter un office ou deux, ou même toute une journée sans que cela ne m’incommode, ne vous en déplaise. Par ailleurs, je tiens à préciser que Dieu ne sera pas absent pour autant de ma journée. Il sera mon compagnon de marche, mon compagnon de lecture, mais… ce n’est pas classique comme prière. Je n’aime pas la mettre dans une moule, l’encadrer, la structurer, la visser au plancher, quoi!

La prière qui est la mienne, et dans laquelle je crois, puisqu’elle me fait vivre, est une prière de compagnonnage et d’intimité, une prière qui aime bien prendre la clé des champs à l’occasion, mais qui est tout à fait à l’aise dans un choeur de monastère ou dans l’oraison silencieuse.

Ma prière a commencé cette nuit là, vous vous en souvenez, alors que je revenais d’une soirée de prière, déçu de ne pas croire, de ne pas être capable de croire. Déçu de ne pas avoir un dieu dans ma vie semblable à celui dont me parlaient des amis chrétiens. Ce soir là, en rentrant chez moi en voiture, j’ai pleuré. Des pleurs ou plutôt des sanglots, ce qui est plus douloureux encore, à travers lesquels j’ai demandé à Dieu de croire en lui, s’il existait.

Ainsi donc, la première forme de prière qui s’est imposée à moi fut une prière de supplication, une prière de détresse, à laquelle Dieu ne tarderait pas à répondre et dont la réponse remplirait mon coeur d’une joie ineffable et durable jusqu’à ce jour. (à suivre)

Ma prière (1)

Correspondance avec une amie lors d’un séjour récent à Rome

J’écris ces lignes au moment où, de ma fenêtre, j’entends la foule et ses klaxons dans les rues de Rome, qui célèbre une victoire quelconque. Sans doute la victoire d’une équipe de soccer, Roma ou Lazzio. Cela dure depuis environ cinq heures et ne semble pas vouloir s’arrêter. Et je reste toujours étonné devant la passion, l’enthousiasme, que l’homme peut manifester devant une victoire sportive. Comme si le sport devenait le lieu de toutes ses victoires et de toutes ses défaites, l’absolu jamais atteint, et qui provoque une telle soif chez l’amateur. Une soif qui peut devenir jubilatoire ou violente, c’est selon!

Et je me dis combien l’homme est un aveugle qui cherche à tâtons le sens de son existence et qui est prêt à s’attacher à toute forme de victoire où il fait nombre; où il n’est plus seul dans son combat, mais vainqueur à plusieurs. Dans cette recherche, il est encore bien loin de l’absolu. Car il ne s’agit là que de simulacres de victoires qui ne le font pas vraiment grandir, mais qui peuvent quand même être l’occasion pour lui de réfléchir sur la soif qui l’habite et le besoin qu’il a de l’étancher avec quelque chose de durable et d’éternel.

Ce préambule ou cette digression, m’amène à parler de ma prière, dans laquelle j’ai trouvé la première expression de ma quête de sens et qui, depuis, m’a amené beaucoup plus loin que je ne l’aurais imaginé, beaucoup plus loin que les victoires éphémères et les « absolus » de passage que nous proposent nos contemporains. Si je m’engage dans cet exercice, c’est que je cherche à identifier le chemin par lequel le Seigneur m’a conduit. Car je dois reconnaître que je ne suis pas un fin analyste quand il s’agit de décortiquer mon expérience. Et pourtant les grands spirituels, saint Jean de la Croix par exemple, parlent d’étapes qui nous engagent de plus en plus dans cette rencontre avec le Dieu vivant, Père, Fils, Esprit Saint! Je vais donc tenter l’expérience d’un retour sur cet apprentissage de la vie de prière dans laquelle m’a conduit le Seigneur. (à suivre)

Ma prière (6)

J’aimerais terminer en parlant du silence, le silence qui fait grandir les saints, comme disait un Père du désert. S’il y a un élément de changement bien concret que je puis identifier depuis que j’ai retrouvé ma foi catholique, c’est l’importance croissante du silence. Je vous avais dit, je crois, à quel point mon séjour à la Trappe avait confirmé cela. Et j’en suis tout étonné, émerveillé je dirais. Car c’est là pour moi comme un fruit tangible qu’apporte la vie spirituelle: un besoin d’être seul avec soi-même, un besoin d’être à l’écoute, sans se sentir menacé, sans avoir peur. La solitude devient alors un lieu d’accueil et de repos. Le silence nous parle alors de Dieu et de notre vie en Lui, et la prière y trouve tout naturellement sa source. Le silence est sans doute l’expérience la plus tangible que nous puissions faire de la présence de Dieu. Car dans le silence nous sommes mis à nu, dans une attitude d’accueil et de don de soi. Mais naturellement, il faut que ce silence soit recherché pour lui-même et non pas imposé. Et c’est là une des fonctions de la prière personnelle et de la prière en Église, de nous conduire peu à peu dans cette ouverture au silence où Dieu se dit.Dieu, « nul ne l’a jamais vu, sinon le fils de Dieu et ceux à qui il veut bien se révéler ». Et nous avons cette promesse sûre et ferme, que ceux et celles qui accueillent Jésus comme Fils et Révélateur de Dieu, il leur sera donné cette connaissance et cette expérience de Dieu, comme l’a vécue Jésus de Nazareth. Entrer dans le silence de la prière, c’est se faire tout disponible et abandonné à l’action du Seigneur: « Parle Seigneur, ton serviteur écoute! » (fin du texte)

À la synagogue

Il y a quelques années, lors d’un voyage en Europe, j’ai eu l’occasion de visiter la très ancienne synagogue de Rome. Ce qui me frappa d’entrée de jeu c’est la ressemblance avec nos églises. Lorsque nous visitons une synagogue nous ne sommes pas vraiment en terrain inconnu bien qu’il n’y ait pas d’autel.Il y a bien sûr la disposition des bancs qui est familière, avec la place réservée pour les livres de prières, il y a aussi un lieu pour la proclamation de la Parole, mais ce qui surprend le plus c’est le lieu où sont déposé les textes de la Torah, i.e. la Parole de Dieu. Ce lieu s’appelle « arche sainte ».

L’arche sainte ressemble à un immense tabernacle avec un magnifique voile brodé d’or placé devant afin d’en cacher la porte métallique, qui est elle-même magnifiquement ornée. Il s’agit bel et bien d’un lieu sacré. L’on pense ici au voile du Temple de Jérusalem derrière lequel seul le grand prêtre pouvait entrer, et qui cachait aux regards le lieu de la présence de Dieu.

L’arche sainte est le lieu le plus vénéré de la synagogue. À côté y brûle perpétuellement une lampe (ner tamid), comme la lampe du sanctuaire de nos églises, qui montre que la parole de Dieu, contenue dans la Torah, est lumière. En visitant une synagogue l’on saisit à quel point le peuple Juif est le peuple de la Parole.

Une église catholique reprend sensiblement les mêmes dispositions physiques que celles de la synagogue avec son ambon où la Parole de Dieu sera proclamée, mais derrière le voile du tabernacle, ce n’est plus le livre de la Parole que l’on dépose mais le Corps du Christ. Dans le tabernacle l’on dépose et vénère la Parole vivante faite chair, le Verbe de Vie, et une lampe est perpétuellement allumée afin d’en indiquer la présence. Oui, « le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ». Voilà ce que nous rappelle sans cesse cette lampe du sanctuaire.

Comme le souligne Jacques de Bourbon-Musset : « l’Absolu s’est incarné et porte un visage, le visage de Jésus-Christ ! ». Le Verbe de Dieu s’est fait pain pour la route, accomplissant ainsi la vision du prophète Ezéchiel, où l’ange lui tendait le rouleau de la Parole de Dieu en lui disant « prends et mange ». Cette vision atteint sa pleine réalisation en Jésus-Christ, lui qui nous donne sa vie en partage: « Prenez et mangez, prenez et buvez… ». C’est le mystère de l’Eucharistie, «…la suprême offrande de la charité divine à la charité humaine et comme la suprême action de grâces de la charité humaine à la charité divine » (Maurice Zundel).

« Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous, » voilà le mystère que recèle pous nous, catholiques, le tabernacle de nos églises, ce lieu sacré qui trouve son impulsion première dans le Temple de Jérusalem et ensuite à la synagogue. Il y a là un lien étroit qui nous rappelle combien nous devons chérir cette foi commune qui nous rattache au peuple d’Israël, aux enfants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.

Il est midi à Rome

Il est midi à Rome. Les cloches sonnent un peu partout au-dessus de la ville. C’est l’heure de l’Angelus. L’Église se souvient à midi de la rencontre de l’ange Gabriel avec Marie, la mère du Seigneur : « L’Ange du Seigneur annonça à Marie, et elle conçue du Saint Esprit. »Je rentre à peine de ma promenade dans le jardin ensoleillé avec un vieux sage dominicain. Je voulais lui partager mes préoccupations au sujet la vie dominicaine, mes pistes de recherche, et je voulais, surtout, l’entendre parler de son espérance en tant que dominicain. Une rencontre très riche, marquée par la grâce, par cette paix et cette joie qui ne peuvent venir que de Dieu.

« Jusqu’à la mort! » C’est ainsi que se termine notre formule de profession religieuse dans l’Ordre des Prêcheurs. Nous nous engageons jusqu’à la mort à être obéissants à Dieu, à saint Dominique et à ses successeurs. Personnellement, je n’ai jamais eu l’ombre d’une volonté de quitter la vie religieuse depuis ma première profession il y a 15 ans maintenant. Des lassitudes liées à l’état de la vie religieuse, oui! Des découragements occasionnels, certainement! Des luttes, des combats, rien ne m’a été épargné, et c’est normal. Mais j’ai toujours été heureux dans mon engagement de religieux et de prêtre. Je n’ai jamais regretté mon choix de vie.

Ma reconnaissance a toujours été vive et enthousiaste, car j’ai vraiment trouvé dans la vie religieuse ma vocation. Et quand je regarde mon cheminement, quand je pense à tous ceux et celles que le Seigneur a mis sur ma route depuis mon engagement dans l’Ordre, c’est un immense cri de reconnaissance qui monte en moi. Je me sens un peu comme une mère qui regarde ses enfants quand ils dorment et qui ne peut que désirer être la mère de ses enfants. C’est ainsi que je vis ma mission de pasteur et de prêcheur en Église. Cette grâce, je la vis de différentes manières. Je dirais de mille et une façons. Et plus j’y réfléchis, plus je prends conscience à quel point cette grâce qui m’habite est dominicaine.

Aujourd’hui, dernier dimanche avant le Carême, c’est vraiment la fête des enfants à Rome. Je vous avais dit ma joie de rencontrer, les dimanches précédents, des familles avec leurs enfants costumés, se lançant des confettis dans la rue. Mais je n’avais rien vu encore! Aujourd’hui, la circulation était interdite au centre de Rome. Toutes les familles et tous les enfants semblaient s’être donné le mot pour envahir les rues de Rome, déambulant sous le soleil, se lançant des serpentins et des confettis. Sur la Via Nationale, près du couvent, sur près d’un kilomètre, on aurait dit qu’il avait neigé, tellement il y avait de confettis sur le sol. J’en étais ému de joie. Et ce que je vivais, en me promenant seul au milieu de la foule joyeuse et animée, c’était un immense bonheur comme je n’avais pas connu depuis longtemps. Je dirais que j’éprouvais la joie de Dieu devant ses enfants qui s’amusent et qui rient. Je goûtais le bonheur de Dieu devant ces parents qui adorent leurs enfants, qui les caressent, qui s’émerveillent de les voir vivre et s’animer, qui se réjouissent tout simplement de leur joie. Il y avait tellement de gratuité dans cette fête que je me disais : comme Dieu doit être heureux!

Ce n’est qu’en réfléchissant, après coup, à cette expérience, que je prenais davantage conscience du Dominicain en moi. Car au milieu de cette foule, où je rendais grâce à Dieu pour sa vie, où je le priais et le louais, j’avais le sentiment de vivre à la foi une communion parfaite avec Dieu et avec les hommes. Il y avait dans cette expérience une véritable rencontre des deux. Et en montant à la basilique de Sainte-Sabine, me dirigeant vers la chapelle de saint Dominique pour une eucharistie, je réalisais que s’accomplissait en moi la consigne de saint Dominique à ses frères : que le frère prêcheur doit en tout temps, parler à Dieu ou parler de Dieu. Soit prêcher quand l’occasion se présente, sinon s’unir à Dieu par la prière et l’étude contemplative.

Il s’agit d’une attitude de tout l’être, en communion avec le Seigneur lui-même, et qui exprime son infinie tendresse pour les hommes, les femmes et les enfants de ce monde. Nous l’appelons un charisme de compassion et de solidarité qui fait monter en nous comme un immense désir pour le bonheur de l’humanité. Et nous savons que ce bonheur ne peut véritablement se réaliser que dans la rencontre du Christ ressuscité, lui qui marchait aujourd’hui sous cette pluie de confettis. Je suis sûr même de l’avoir vu!