30e Dimanche du temps ordinaire. Année A.

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 22,34-40.

Les pharisiens, apprenant que Jésus avait fermé la bouche aux sadducéens, se réunirent,
et l’un d’entre eux, un docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l’épreuve :
« Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? »
Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit.
Voilà le grand, le premier commandement.
Et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Tout ce qu’il y a dans l’Écriture – dans la Loi et les Prophètes – dépend de ces deux commandements. »

COMMENTAIRE

« Tout ce qu’il y a dans l’Écriture – dans la Loi et les Prophètes – dépend de ces deux commandements ». Nous sommes au coeur de l’enseignement de Jésus dans cette controverse avec les Pharisiens qui lui demande : « Quel est le plus grand commandement ? »

C’est une question piège et les adversaires de Jésus le savent bien. Mais où est le piège ? Il faut savoir qu’à l’époque de Jésus la tradition juive a répertorié 613 préceptes : 365 d’entre eux sont des interdits et correspondent aux 365 jours de l’année, car le Seigneur doit être présent dans nos vies chaque jour de l’année. Et il y a 248 propositions, les choses qu’il faut faire et qui correspondent aux 248 composants du corps humain tels que répertoriés à cette époque, car c’est la totalité de la personne qui doit être saisie par Dieu.

Cette multitude de préceptes donnait lieu à de vifs débats dans les écoles rabbiniques. Certains avançaient que le plus grand commandement était le sabbat, alors que, peu de temps avant Jésus, Hillel, un rabbin célèbre, donnait la réponse suivante à la question du plus grand commandement : « Ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse, ne le fais pas non plus à ton prochain. C’est là toute la Loi. Le reste n’est que commentaire. »

La position que choisit Jésus est originale. Non pas que les deux commandements soient nouveaux. Ils sont connus et ils sont considérés comme fondamentaux. Mais Jésus les relie ensemble au point où l’on ne peut plus les détacher l’un de l’autre. Pourtant l’amour de Dieu et du prochain étaient clairement affirmés dans la tradition juive et trois fois par jour l’on répétait dans la prière le premier commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de tout ton être et de tout ton esprit ». Ce qui est nouveau dans la réponse de Jésus, c’est sa manière de relier les deux commandements qui apporte du neuf.

Tout d’abord, Jésus nous parle bien d’un premier commandement et d’un second commandement. Il ne dit pas qu’il y a deux commandements d’égale importance. Mais il dit qu’il y a un premier commandement, le plus grand, et qu’il y en a un second, qui lui est semblable. Et c’est cette insistance qui nous importe ici. Car le point d’affrontement que rencontre Jésus avec ses adversaires ne porte pas tant sur l’amour pour Dieu, mais sur la place qu’il faut faire au prochain.

Jésus, que l’on accuse de se faire proche des pécheurs et des publicains, répond à ses adversaires que le commandement de l’amour du prochain n’est pas à mettre dans le catalogue général des 613 préceptes, mais que ce commandement vient tout juste à la suite du premier et grand commandement, qu’il lui est semblable et donc indissociable. C’est là une rebuffade à tous ces docteurs de la Loi, qui prétendent dicter aux autres comment vivre leur foi en Dieu, tout en ne cessant d’inventer des préceptes d’exclusion qu’ils font peser sur les épaules des gens. À cela, Jésus répond que l’amour est premier. De l’amour de Dieu, qui est le fondement de toute vie, découle nécessairement l’amour du prochain.

Si Jésus rattache ces deux commandements l’un à l’autre, c’est qu’il sait combien il nous est facile de les détacher l’un de l’autre. Certains vont préférer l’amour de Dieu à l’amour du prochain et l’on sait combien le Nouveau Testament porte un dur jugement sur cette attitude, saint Jean allant même jusqu’à traiter de menteurs ceux et celles qui disent aimer Dieu et qui n’aiment pas leur prochain.

Quant à ceux qui reconnaissent comme prioritaire dans leur vie l’amour du prochain, et pour qui l’amour de Dieu leur semble quelque chose d’abstrait ou secondaire, l’on serait tenté de croire qu’ils sont déjà plus près de l’Évangile, que c’est sûrement là une façon d’aimer Dieu, et ce n’est pas faux, car les chrétiens et les chrétiennes prennent au sérieux l’affirmation de saint Jean qui dit que « Dieu est amour ». Mais plusieurs inversent la proposition et croient que « l’amour c’est Dieu », qu’il suffit d’aimer pour être croyants. À ces personnes Jésus dirait : « tu n’es pas loin du Royaume, mais il te manque encore quelque chose pour être véritablement croyant, la rencontre du Dieu Vivant! »

L’expérience spirituelle à laquelle Jésus nous invite, en accord avec toute la Bible, c’est à la fois l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Jamais l’un sans l’autre. Car l’amour du prochain a sa source en Dieu, et l’amour de Dieu, l’amitié avec Dieu, ne peuvent que nous faire grandir dans l’amour. C’est là le chemin royal qui nous ouvre à l’amour du prochain.

Cela me peine toujours quand je rencontre des personnes qui disent vouloir croire, mais qui n’y parviennent pas. Tout ce que je peux leur répondre c’est que l’expérience de la foi en Dieu implique un saut dans l’inconnu, de la même manière que nous n’hésiterions pas à appeler au secours si l’on se perdait en forêt, espérant que quelqu’un nous entende. La vie n’est-elle pas suffisamment porteuse de sens pour qu’une personne ose prendre ce risque de demander à Dieu de se faire connaître?

Il y a bien des cheminements dans la vie de foi et chacun est unique, comme le sont chacun et chacune d’entre nous. Mais il nous faut bien admettre que si certaines personnes semblent être tombées dans l’eau bénite dès leur tendre enfance, pour qui la foi ne semble jamais avoir fait défaut, la plupart d’entre nous doivent chercher de manière plus laborieuse, la foi en Dieu n’étant jamais quelque chose d’évident ou de facile. Non pas que Dieu se refuse à nous, mais parfois notre histoire personnelle, nos difficultés ou nos échecs nous font fermer la porte à ce Dieu qui sans cesse nous visite. Pourtant, tous sont appelés à le connaître et à l’aimer. Dieu n’est pas chiche et il n’a pas de préférés. Ou s’il en a, comme nous le voyons dans les évangiles, ce sont toujours ceux et celles qui sont les plus loin de lui. Voilà une bonne nouvelle n’est-ce pas.

La foi en Dieu est une richesse incomparable dans une vie, mais il est facile aussi de la perdre si l’on n’en prend pas soin. C’est pourquoi il nous faut toujours demander à Dieu la grâce de le connaître et de l’aimer, de tout son coeur, de toute son âme et de tout son esprit, ainsi que la grâce d’aimer le prochain comme soi même. C’est dans un tel acte de foi que Dieu peut mystérieusement se révéler à nous, et ouvrir nos coeurs à la grande réconciliation avec nos frères et nos soeurs en humanité. Car aimer Dieu et aimer le prochain comme soi-même, voilà l’essentiel de notre vie sur terre. C’est là que se trouve le véritable bonheur

Frères et soeurs, en nous rassemblant pour cette eucharistie nous faisons acte de foi, mais aussi nous demandons à Dieu de nous maintenir dans cette foi et de nous y faire grandir. Car on ne peut se donner la foi à soi-même, on ne peut que la désirer toujours, la demander, l’espérer humblement avec confiance quand elle nous échappe. Et toujours, Dieu qui est fidèle répondra ! Telle est notre foi en Lui. Amen.

Yves Bériault, o.p.

Le discours de clôture du Synode du Pape en intégralité

1583209_Articolo(RV) Le 18 octobre 2014, le Pape François a prononcé un discours lors de la 15e Congrégation générale du Synode extraordinaire sur la famille. Cette intervention est venue clore deux semaines de discussions entre évêques du monde entier. Vous pouvez retrouver ci-dessous l’intégralité du discours du Pape, selon une traduction en français réalisée par la Secrétairerie d’Etat du Vatican.

« Eminences, Béatitudes, Excellences, frères et sœurs,

Le cœur empli de reconnaissance et de gratitude je voudrais rendre grâce, avec vous, au Seigneur qui nous a accompagnés et nous a guidés ces derniers jours, avec la lumière de l’Esprit Saint !

Je remercie de tout cœur Monsieur le cardinal Lorenzo Baldisseri, secrétaire général du synode, S.Exc. Mgr Fabio Fabene, sous-secrétaire, et avec eux je remercie le rapporteur, le cardinal Peter Erdő, qui a énormément travaillé, même lors des jours de deuil en famille, et le secrétaire spécial S.Exc. Mgr Bruno Forte, les trois présidents-délégués, les greffiers, les consulteurs, les traducteurs et les anonymes, tous ceux qui ont œuvré avec une vraie fidélité dans les coulisses et un dévouement total à l’Eglise et sans trêve : merci beaucoup !

Je vous remercie également tous, chers pères synodaux, délégués fraternels, auditeurs, auditrices et assesseurs pour votre participation active et fructueuse. Vous serez dans mes prières, et je demanderai au Seigneur de vous récompenser par l’abondance de ses dons de grâce !

Je pourrais dire sereinement que — avec un esprit de collégialité et de synodalité — nous avons vécu véritablement une expérience de « synode », un parcours solidaire, un « chemin ensemble ». Et cela ayant été « un chemin », comme sur tout chemin, il y a eu des moments de courses rapides, comme à vouloir gagner contre le temps et atteindre au plus vite l’objectif; d’autres moments de lassitude, comme à vouloir dire « assez » ; d’autres moments d’enthousiasme et d’ardeur. Il y a eu des moments de profond réconfort en écoutant le témoignage des vrais pasteurs (cf. Jn 10 et Cann. 375, 386, 387) qui portent dans le cœur sagement les joies et les larmes de leurs fidèles. Des moments de consolation et de grâce et de réconfort en écoutant les témoignages des familles qui ont participé au synode et ont partagé avec nous la beauté et la joie de leur vie matrimoniale. Un chemin où le plus fort s’est senti en devoir d’aider le moins fort, où le plus expert s’est mis au service des autres, même à travers les confrontations. Et comme c’est un chemin d’hommes, avec les réconforts il y a eu aussi des moments de désolation, de tension, et de tentations, dont on pourrait mentionner quelques possibilités :

– une : la tentation du raidissement hostile, c’est-à-dire vouloir s’enfermer dans ce qui est écrit (la lettre) et ne pas se laisser surprendre par Dieu, par le Dieu des surprises (l’esprit) ; à l’intérieur de la loi, de la certitude de ce que nous connaissons et non pas de ce que nous devons encore apprendre et atteindre. Depuis l’époque de Jésus c’est la tentation des zélés, des scrupuleux, des attentifs et de ceux qu’on appelle aujourd’hui « traditionalistes » et aussi des intellectualistes.

– La tentation de l’angélisme destructeur, qui au nom d’une miséricorde trompeuse bande les blessures sans d’abord les soigner ni les traiter ; qui s’attaque aux symptômes et pas aux causes et aux racines. C’est la tentation des « bien-pensants », des timorés et aussi de ceux qu’on appelle « progressistes et libéralistes ».

– La tentation de transformer la pierre en pain pour rompre le jeûne long, lourd et douloureux (cf. Lc 4, 1-4) et aussi de transformer le pain en pierre et de la jeter contre les pécheurs, les faibles et les malades (cf. Jn 8, 7) c’est-à-dire de le transformer en « fardeaux insupportables » (Lc 10, 27).

– La tentation de descendre de la croix, pour faire plaisir aux gens, et ne pas y rester, pour accomplir la volonté du Père ; de se plier à l’esprit mondain au lieu de le purifier et de le plier à l’Esprit de Dieu.

– La tentation de négliger le « depositum fidei », de se considérer non pas des gardiens mais des propriétaires et des maîtres ou, dans l’autre sens, la tentation de négliger la réalité en utilisant une langue précieuse et un langage élevé pour dire tant de choses et ne rien dire ! On les appelait des « byzantinismes », je crois, ces choses-là…

Chers frères et sœurs, les tentations ne doivent ni nous effrayer ni nous déconcerter ni non plus nous décourager, parce qu’aucun disciple n’est plus grand que son maître ; donc si Jésus a été tenté — et même appelé Béelzéboul (cf. Mt 12, 24) — ses disciples ne doivent pas s’attendre à un meilleur traitement.

Personnellement, je me serais beaucoup inquiété et attristé s’il n’y avait pas eu ces tentations et ces discussions animées ; ce mouvement des esprits, comme l’appelait saint Ignace (EE, 6) si tout le monde avait été d’accord ou taciturne dans une paix fausse et quiétiste. En revanche j’ai vu et j’ai écouté — avec joie et reconnaissance — des discours et des interventions pleines de foi, de zèle pastoral et doctrinal, de sagesse, de franchise, de courage et de  parrhésie. Et j’ai entendu qu’a été mis devant les yeux de chacun le bien de l’Eglise, des familles et la « suprema lex », la « salus animarum » (cf. Can. 1752). Et ce toujours — nous l’avons dit ici, dans cette salle — sans jamais mettre en discussion les vérités fondamentales du sacrement du mariage : l’indissolubilité, l’unité, la fidélité et la procréation, c’est-à-dire l’ouverture à la vie (cf. Cann. 1055, 1056 et Gaudium et spes, n. 48).

Et c’est cela l’Eglise, la vigne du Seigneur, la Mère fertile et la Maîtresse attentive, qui n’a pas peur de se retrousser les manches pour verser l’huile et le vin sur les blessures des hommes (cf. Lc 10, 25-37) ; qui ne regarde pas l’humanité depuis un château de verre pour juger ou étiqueter les personnes. C’est cela l’Eglise une, sainte, catholique, apostolique et composée de pécheurs, qui ont besoin de sa miséricorde. C’est cela l’Eglise, la véritable épouse du Christ, qui cherche à être fidèle à son Epoux et à sa doctrine. C’est l’Eglise qui n’a pas peur de manger et de boire avec les prostituées et les publicains (cf. Lc 15). L’Eglise qui a les portes grandes ouvertes pour recevoir ceux qui sont dans le besoin, les repentis et pas seulement les justes ou ceux qui croient être parfaits ! L’Eglise qui n’a pas honte de son frère qui a chuté et ne fait pas semblant de ne pas le voir, mais se sent au contraire impliquée et presque obligée de le relever et de l’encourager à reprendre son chemin et l’accompagne vers la rencontre définitive, avec son Epoux, dans la Jérusalem céleste.

C’est cela l’Eglise, notre mère ! Et quand l’Eglise, dans la variété de ses charismes, s’exprime en communion, elle ne peut pas se tromper : c’est la beauté et la force du sensus fidei, de ce sens surnaturel de la foi qui est donné par l’Esprit Saint afin qu’ensemble, nous puissions tous entrer dans le cœur de l’Evangile et apprendre à suivre Jésus dans notre vie, et cela ne doit pas être vu comme un motif de confusion et de malaise.

Beaucoup de commentateurs, ou des gens qui parlent, ont imaginé voir une Eglise en litige où une partie s’oppose à l’autre, en allant même jusqu’à douter de l’Esprit Saint, le vrai promoteur et garant de l’unité et de l’harmonie dans l’Eglise. L’Esprit Saint qui tout au long de l’histoire a toujours conduit la barque, à travers ses ministres, même lorsque la mer était contraire et agitée et les ministres infidèles et pécheurs.

Et, comme j’ai osé vous le dire au début, il était nécessaire de vivre tout cela avec tranquillité, avec une paix intérieure également parce que le synode se déroule cum Petro et sub Petro, et la présence du Pape est une garantie pour tous.

Parlons un peu du Pape, à présent, en relation avec les évêques… Donc, la tâche du Pape est de garantir l’unité de l’Eglise ; elle est de rappeler aux pasteurs que leur premier devoir est de nourrir le troupeau — nourrir le troupeau — que le Seigneur leur a confié et chercher à accueillir — avec paternité et miséricorde et sans fausses craintes — les brebis égarées. Je me suis trompé ici. J’ai dit accueillir : aller les chercher.

Sa tâche est de rappeler à tous que l’autorité dans l’Eglise est service (cf. Mc 9, 33-35) comme l’a expliqué avec clarté le Pape Benoît XVI, avec des mots que je cite textuellement : «L’Eglise est appelée et s’engage à exercer ce type d’autorité qui est service, et elle l’exerce non à son propre titre, mais au nom de Jésus Christ… A travers les pasteurs de l’Eglise, en effet, le Christ paît son troupeau : c’est Lui qui le guide, le protège, le corrige, parce qu’il l’aime profondément. Mais le Seigneur Jésus, Pasteur suprême de nos âmes, a voulu que le collège apostolique, aujourd’hui les évêques, en communion avec le Successeur de Pierre… participent à sa mission de prendre soin du Peuple de Dieu, d’être des éducateurs dans la foi, en orientant, en animant et en soutenant la communauté chrétienne, ou comme le dit le Concile, en veillant “à ce que chaque chrétien parvienne, dans le Saint-Esprit, à l’épanouissement de sa vocation personnelle selon l’Evangile, à une charité sincère et active et à la liberté par laquelle le Christ nous a libérés” (Presbyterorum ordinis, n. 6)… c’est par notre intermédiaire — continue le Pape Benoît — que le Seigneur atteint les âmes, les instruit, les protège, les guide. Saint Augustin, dans son Commentaire à l’Evangile de saint Jean dit : “Que paître le troupeau du Seigneur soit donc un engagement d’amour” (123, 5); telle est la règle de conduite suprême des ministres de Dieu, un amour inconditionnel, comme celui du Bon Pasteur, empli de joie, ouvert à tous, attentif au prochain et plein d’attention pour ceux qui sont loin (cf. Saint Augustin, Discours 340, 1; Discours 46, 15), délicat envers les plus faibles, les petits, les simples, les pécheurs, pour manifester l’infinie miséricorde de Dieu avec les paroles rassurantes de l’espérance (cf. ibid., Lettre 95, 1) » (Benoît XVI, Audience générale, mercredi 26 mai 2010).

Donc l’Eglise est du Christ — elle est son Epouse — et tous les évêques, en communion avec le Successeur de Pierre, ont la tâche et le devoir de la protéger et la servir, non pas en maîtres mais en serviteurs. Le Pape, dans ce contexte, n’est pas le seigneur suprême mais plutôt le suprême serviteur — le « servus servorum Dei »; le garant de l’obéissance et de la conformité de l’Eglise à la volonté de Dieu, à l’Evangile du Christ et à la Tradition de l’Eglise, en mettant de côté tout arbitraire personnel, tout en étant — par la volonté du Christ lui-même — le « Pasteur et Docteur suprême de tous les fidèles » (Can. 749) et bien que possédant « dans l’Eglise le pouvoir ordinaire, suprême, plénier, immédiat et universel » (cf. Cann. 331-334).

Chers frères et sœurs, nous avons encore à présent une année pour mûrir, avec un vrai discernement spirituel, les idées proposées et trouver des solutions concrètes aux nombreuses difficultés et innombrables défis que les familles doivent affronter ; à apporter des réponses aux nombreux découragements qui assiègent et étouffent les familles.

Une année pour travailler sur la « Relatio synodi » qui est le résumé fidèle et clair de tout ce qui a été dit et discuté dans cette salle et au sein des carrefours. Et elle est présentée aux Conférences épiscopales comme « Lineamenta ».

Que le Seigneur nous accompagne, nous guide sur ce parcours à la gloire de Son nom avec l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie et de saint Joseph ! Et s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi ! »

Homélie pour le 28e dimanche du temps ordinaire. Année A

La parabole du festin nuptial

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 22,1-14.

Jésus disait en paraboles :
« Le Royaume des cieux est comparable à un roi qui célébrait les noces de son fils.
Il envoya ses serviteurs pour appeler à la noce les invités, mais ceux-ci ne voulaient pas venir.
Il envoya encore d’autres serviteurs dire aux invités : ‘Voilà : mon repas est prêt, mes bœufs et mes bêtes grasses sont égorgés ; tout est prêt : venez au repas de noce. ‘
Mais ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce ;
les autres empoignèrent les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent.
Le roi se mit en colère, il envoya ses troupes, fit périr les meurtriers et brûla leur ville.
Alors il dit à ses serviteurs : ‘Le repas de noce est prêt, mais les invités n’en étaient pas dignes.
Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous rencontrerez, invitez-les au repas de noce. ‘
Les serviteurs allèrent sur les chemins, rassemblèrent tous ceux qu’ils rencontrèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noce fut remplie de convives.
Le roi entra pour voir les convives. Il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce,
et lui dit : ‘Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ? ‘ L’autre garda le silence.
Alors le roi dit aux serviteurs : ‘Jetez-le, pieds et poings liés, dehors dans les ténèbres ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents. ‘
Certes, la multitude des hommes est appelée, mais les élus sont peu nombreux. »

COMMENTAIRE

Au coeur de cette parabole de Jésus nous retrouvons la figure du Père qui nous convie au festin des noces de son Fils. Mais l’évangile d’aujourd’hui s’avère particulièrement difficile à cause de la finale de cette parabole qui se termine avec cette sentence sévère à l’endroit de l’un des invités, qui ne porte pas le vêtement de noce : « Jetez-le, pieds et poings liés, dehors dans les ténèbres, là il y aura des cris et des grincements de dents. »

Devant une telle sévérité, il serait tentant de vouloir faire comme certains des invités, et continuer à vaquer à ses occupations, plutôt que de prendre le risque d’aller à la fête et de se faire mettre à la porte. Oui, la finale de la parabole est dure et elle peut nous laisser une fausse impression au sujet de ce Dieu qui nous invite. N’y a-t-il pas une contradiction ici entre l’incroyable miséricorde qui se déploie dans les enseignements et les actions de Jésus, et l’attitude de ce roi qui invite au festin des noces?

Certains diraient, surtout ceux et celles qui se sont éloignés de l’Église, que c’est bien là le Dieu qu’on leur a présenté dans leur jeunesse. Un Dieu-juge intransigeant et impitoyable, régissant la vie de ses enfants avec beaucoup de sévérité. Notre Église du Québec a longtemps fréquenté ce Dieu. C’était une Église toute-puissante et omniprésente, où les bergers du troupeau se transformaient trop souvent en préfets de discipline. C’était dans l’air du temps et toute notre société était marquée par cet esprit janséniste, où l’on voyait le péché partout et où la joie de croire étaient trop souvent absente. Pour paraphraser une fable de La Fontaine : « ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient atteints ».

Pourtant, l’on ne peut faire de compromissions avec la Parole de Dieu, choisir uniquement les passages qui nous conviennent, et passer sous silence cette scène où le roi chasse l’invité qui ne porte pas le vêtement de noces. Que veut donc nous dire Jésus, lui le bon berger, qui a à coeur le bien de chacune de ses brebis?

Il faut tout d’abord se rappeler que les passages les plus difficiles de l’évangile ne sont jamais une condamnation des personnes, ni un jugement irrévocable. Il s’agit avant tout d’un appel à la conversion. Si Jésus nous parle parfois avec des images très fortes, c’est que son propos se veut avant tout pédagogique, et n’est jamais dépourvu d’amour pour nous. Les parents n’agissent-ils pas ainsi avec leurs enfants parfois, afin de les mettre en garde contre les dangers de la vie?

Une parabole ne peut tout dire, et ce qu’il nous faut surtout retenir aujourd’hui, c’est tout d’abord que l’invitation du roi est pour tous. Ce n’est pas une fête pour quelques initiés, mais une fête où les bons et les méchants ont tous une place de choix. Tous et toutes sont appelés à entrer dans la grande miséricorde de Dieu, quel que soit leur parcours de vie. On le voit à l’attitude de Jésus qui mange avec les publicains et les pécheurs.

La parabole est toujours une interpellation qui nous fait découvrir le visage de ce Dieu qui nous cherche et qui nous appelle. L’Église a souvent insisté sur la justice de Dieu dans son enseignement, et la finale de la parabole est plus qu’évocatrice en ce sens. Elle peut faire peur. Mais il faut se rappeler que Dieu ne veut pas la mort du pécheur, bien au contraire, il l’appelle à partager sa vie. Depuis le concile Vatican II, les papes Jean XXIII, Jean-Paul II, Benoît XVI, ainsi que le pape François, n’ont cessé de nous rappeler que la justice de Dieu est indissociable de sa divine miséricorde, cette miséricorde qui est le plus bel attribut de Dieu. Il ne faut pas l’oublier.

Néanmoins, dans la parabole en question, il faut toutefois revêtir le vêtement de noce pour être admis à la fête. De quoi s’agit-il au juste? L’exemple le plus touchant dans la Bible est sans doute la parabole de l’enfant prodigue où le Père revêt son fils repenti du vêtement de fête, cette tunique signifiant que le fils est à nouveau choisi par son père. Il retrouve sa dignité et il est admis au festin du Royaume. L’Apôtre Paul va aussi utiliser le symbole du vêtement lorsqu’il dira aux Galates : « Vous avez revêtu le Christ ». Ce sont ces mêmes paroles qui sont dites lors d’un baptême. On revêt le baptisé d’un vêtement blanc après l’avoir plongé dans l’eau du baptême, et le prêtre lui déclare : « Tu as maintenant revêtu le Christ. »

Revêtir le Christ, c’est se laisser habiter par sa puissance de résurrection, par l’amour et la miséricorde dont il a toujours témoigné. C’est vivre de son Esprit. C’est ce vêtement qu’il faut porter quand on entre dans la salle du banquet. Car comment participer à cette fête de l’amour si nous refusons d’en vivre; si nous méprisons ceux et celles que Dieu nous donne comme frères et soeurs.

Remarquez combien est cordiale l’interpellation de l’invité par le roi. Il l’appelle mon ami et lui demande tout simplement où est son habit de noce. L’invité se tait car il se sait fautif, car ce n’est pas véritablement un ami de l’époux. La preuve en est qu’il n’est pas partie prenante de cette fête. Il y est comme un étranger et non comme un ami. Tout en nous dévoilant la grande libéralité de l’amour de Dieu à notre endroit, cette parabole de Jésus nous met en garde contre le danger toujours réel de nous exclure nous-mêmes de la fête en refusant de prendre sur nous le sérieux de l’évangile.

Le festin des noces symbolise les épousailles de Dieu avec l’humanité, où tous sont invités, bons et mauvais, pauvres et riches, malades et biens portants : TOUS sans exception. C’est la création nouvelle en Jésus Christ où nous sommes tous responsables les uns des autres. Une seule condition est exigée pour prendre part à cette fête: se revêtir le coeur d’amour, et ne compter que sur Dieu pour y parvenir.

N’est-ce pas là ce que nous célébrons de dimanche en dimanche, demandant à Dieu de toujours nous garder fidèles, de nous rendre de plus en plus semblables au Christ, lui qui nous a sauvés et en qui nous nous réjouissons!

Yves Bériault, o.p.

La parabole des vignerons homicides. Homélie pour le 27e dimanche du temps ordinaire. Année A

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 21,33-43.

Jésus disait aux chefs des prêtres et aux pharisiens : « Écoutez cette parabole : Un homme était propriétaire d’un domaine ; il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et y bâtit une tour de garde. Puis il la donna en fermage à des vignerons, et partit en voyage
Quand arriva le moment de la vendange, il envoya ses serviteurs auprès des vignerons pour se faire remettre le produit de la vigne.
Mais les vignerons se saisirent des serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre, lapidèrent le troisième.
De nouveau, le propriétaire envoya d’autres serviteurs plus nombreux que les premiers ; mais ils furent traités de la même façon.
Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : ‘Ils respecteront mon fils. ‘
Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux : ‘Voici l’héritier : allons-y ! tuons-le, nous aurons l’héritage ! ‘
Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent.
Eh bien, quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? »
On lui répond : « Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il donnera la vigne en fermage à d’autres vignerons, qui en remettront le produit en temps voulu. »
Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre angulaire. C’est là l’œuvre du Seigneur, une merveille sous nos yeux !
Aussi, je vous le dis : Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à un peuple qui lui fera produire son fruit.

COMMENTAIRE

L’évangile nous parle d’un homme. Toujours cet homme qui est à l’oeuvre. Un homme qui donne, qui embauche et qui pardonne. Jésus nous parle de son Père à travers les paraboles. Il y a deux semaines, il nous racontait l’histoire d’un maître de domaine qui engageait des ouvriers à toute heure du jour afin de les envoyer à sa vigne. Dimanche dernier, Jésus nous parlait d’un père demandant à ses deux fils d’aller travailler à sa vigne. Et aujourd’hui, il nous raconte encore une parabole au sujet d’une vigne et de son propriétaire.

Pourquoi la vigne revient-elle si souvent dans les paraboles de Jésus? C’est en relisant la Bible que nous trouvons réponse à cette question. Souvenez-vous de Noé. C’est lui le premier vigneron dans la Bible, et la vigne est le premier arbre cultivé, le premier signe de civilisation après le déluge, qui inaugure une ère de paix, car le vin dans la tradition biblique est signe de joie et de prospérité, d’où l’importance de la vigne.

Beaucoup plus tard, lorsque le peuple hébreu se retrouve au désert après sa sortie d’Égypte, Moïse organise une première mission de reconnaissance dans le royaume que Dieu lui a promis. Les explorateurs envoyés par Moïse seront impressionnés par la richesse des vignobles; on raconte qu’ils vont couper une branche de vigne avec une grappe de raisin tellement imposante, qu’ils devront la porter à deux au moyen d’une perche (Nb 13, 23)! Comme il est fertile ce pays où Dieu invite son peuple à entrer.

À travers son histoire et par la bouche de ses prophètes, Israël prendra conscience qu’il est le peuple chéri de Dieu, qu’il est comparable à une vigne sur laquelle Dieu veille avec beaucoup de soin, afin de lui faire porter du fruit. Comme le chante le psaume aujourd’hui : Israël est la vigne que Dieu a prise à l’Égypte, et qu’il replante en chassant des nations.

Une autre composante importante de ces paraboles de Jésus sur la vigne est la présence du maître de la vigne, celui que Jésus appelle son Père. Ces paraboles nous parlent d’un Dieu qui est à l’oeuvre, qui est en train de travailler la terre, une terre où il a planté une vigne, qu’il a solidement établie, une vigne qu’il protège afin qu’elle donne du fruit. Ces paraboles nous parlent à la fois de Dieu et de l’Église, du monde et de chacun et chacune de nous.

L’histoire d’Israël ressemble à notre histoire, elle est souvent marquée par des refus, des compromissions ou des démissions. Mais Dieu est tenace dans son amour. Il ne désespère jamais de nous. La parabole d’aujourd’hui ouvre des perspectives très larges, beaucoup plus que les précédentes, car c’est la manière même dont Dieu se donne au monde qui nous est présentée. Il envoie son Fils.

L’auditeur de la parabole doit l’entendre non seulement pour le peuple d’Israël, mais pour lui-même personnellement. Elle lui demande : à qui veux-tu confier la direction de ta vie? Veux-tu en être le maître absolu? L’unique artisan? Ne compter que sur tes propres forces? Si c’est le cas, c’est voué à l’échec. Car cette vie que nous croyons être la nôtre est une vie qui nous est prêtée, comme une terre que l’on prête en fermage, afin de lui faire porter du fruit.

Le message fondamental de notre parabole est que Dieu met son amour entre nos mains, afin que nous portions avec lui son rêve et son souci pour le monde. L’amour, voilà le fruit unique que nous sommes appelés à nous donner les uns aux autres. C’est là notre mission et notre vocation de vignerons dans la vigne du Seigneur, nous ses enfants.

Récemment, je rencontrais une infirmière qui revenait d’un stage en Haïti, un voyage qui l’a bouleversée tant la misère qu’elle y a côtoyée était grande. Je revois son visage au bord des larmes me disant : « Il me semble que le Bon Dieu doit avoir honte de nous autres ». En dépit du propos, je la trouvais belle dans son indignation et dans sa tristesse. Je me disais : voilà vraiment la fille de son père, son Père du ciel. Comme il doit se reconnaître en elle, et comme il veut se reconnaître en chacun et chacune de nous.

Jésus est venu nous dévoiler le véritable visage de son Père. Il est ce Dieu dont il témoigne tout au long de sa vie publique. Il nous parle de son amour pour nous, tout particulièrement pour ceux et celles qui souffrent, pour les exclus, les opprimés. C’est Lui ce Dieu Père qui, en Jésus, fait bon accueil aux pécheurs, qui pleure devant le tombeau de Lazare, devant la ruine à venir de Jérusalem. C’est Lui qui écrit dans le sable un langage nouveau et qui relève la femme adultère. Oui, notre Père du ciel, comme s’écrie la Vierge Marie dans son Magnificat : « Il élève les humbles. Il comble de bien les affamés », et Il nous envoie son propre Fils, afin de nous aider à vivre pleinement la vie qu’il nous donne en partage, afin que nous apprenions à aimer comme lui.

Comme l’affirme l’évangéliste Jean : « Nous avons été greffés sur le Christ, comme les sarments sur le cep de la vigne » (cf. Jean 15). La vie du ressuscité circule en nous, lui la pierre angulaire sur laquelle reposent nos vies. Nous pouvons donc marcher en toute confiance, malgré les épreuves de la vie, tout en demandant à Dieu de nous garder vigilants et fermes dans notre foi.

Écoutons en terminant l’invitation que nous fait saint Paul dans sa lettre aux Romains en ce dimanche : « Frères et soeurs, ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, dans l’action de grâce priez et suppliez pour faire connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer, gardera votre cœur et votre intelligence dans le Christ Jésus. » Amen.

Yves Bériault, o.p.