Homélie pour le 4e dimanche T.O. Année C

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 4,21-30.
En ce temps-là, dans la synagogue de Nazareth, après la lecture du livre d’Isaïe, Jésus déclara : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »
Tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. Ils se disaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? »
Mais il leur dit : « Sûrement vous allez me citer le dicton : “Médecin, guéris-toi toi-même”, et me dire : “Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm ; fais donc de même ici dans ton lieu d’origine !” »
Puis il ajouta : « Amen, je vous le dis : aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays.
En vérité, je vous le dis : Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit surtoute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ;
pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère.
Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; et aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman le Syrien. »
À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux.

Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas.
Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin.

COMMENTAIRE

Une question m’habite souvent lorsque j’entends les textes de la Parole de Dieu : que voulons-nous dire quand nous affirmons avoir la foi en Dieu ? Il est important de répondre à cette question, car c’est la question qui habite tous ceux et celles que notre foi questionne. Je répondrais donc, au-delà des affirmations dogmatiques, que la foi en Jésus Christ implique l’expérience d’une proximité avec Dieu que l’on pourrait qualifier d’amitié, d’intimité, d’amour avec Dieu. Il est lui le Créateur de toutes choses, le Maître de la vie, en qui nous mettons toute notre confiance. Il est notre roc, comme l’affirme le psalmiste. « Ma forteresse et mon roc, c’est toi », dit-il !

Quand on n’a pas cette expérience de Dieu, qui est bien plus qu’une connaissance intellectuelle, Dieu est souvent perçu par l’Homme comme un rival, un empêcheur de tourner en rond, un rabat-joie, une contrainte à notre liberté. Mais nous le savons, cette représentation de Dieu est une caricature, une idole, un Dieu fabriqué de main d’homme. Parfois ce sont les chrétiens eux-mêmes qui ont contribué à cette image déformée de Dieu.

Tout comme il y a eu dans le judaïsme des mouvements ou des écoles spirituelles qui ont défiguré la représentation de Dieu, et que Jésus a vivement condamnés, il en est de même dans le christianisme. D’ailleurs, notre Église au Québec n’y a pas échappé au siècle dernier, suite à cette influence du jansénisme avec sa morale austère, qui voyait le péché partout et qui trop souvent a recouvert notre société d’une chape de plomb spirituelle qui marque encore certaines mentalités, et qui est certainement l’un des facteurs ayant contribué à une désaffection importante à l’endroit de l’Église.

Mais en rester à ce passé et à cette vision des choses, c’est oublier combien d’hommes et de femmes de grand courage ont assumé le défi de l’évangile avec un grand esprit de liberté et de miséricorde. Nous leur sommes redevables si nous sommes ici aujourd’hui, et c’est à nous maintenant de relever le défi de l’évangile pour ce temps qui est le nôtre.

Mais comment allons-nous témoigner de Dieu à nos contemporains quand si peu veulent entendre ? À chacun et chacune de nous de trouver les occasions pour le faire, mais une conviction m’habite. Il nous faut tout d’abord apprendre à engager ce dialogue entre nous, les croyants, afin de nous dire en quoi Dieu compte vraiment pour nous. Car c’est là un exercice transformateur qui ne peut que nous aider à approfondir notre foi, à nous l’approprier et à nous émerveiller de ce que Dieu fait chez l’autre. Quand on aime, il n’y a pas de plus grande joie que de partager cet amour avec d’autres.

Les textes de la Parole de Dieu pour ce dimanche sont porteurs de grandes vérités sur Dieu. Il y a tout d’abord cette affirmation extraordinaire au livre de Jérémie où Dieu lui dit : « Avant même de te façonner dans le sein de ta mère je te connaissais ». Il nous faut entendre cette affirmation comme si elle nous était adressée, car elle l’est. De toute éternité, Dieu nous a aimés et il nous a voulus. Pensons ici au couple qui attend un enfant, un enfant longtemps désiré, et qui enfin s’annonce lorsque la femme est enceinte. Cet enfant est déjà aimé par ses parents. Il est l’expression la plus parfaite de leur amour. L’on pourrait dire qu’à travers cet enfant leur amour se fait chair !

Voyez la belle prière du psalmiste quand il dit à Dieu : « Toi mon soutien dès avant ma naissance, tu m’as choisi dès le ventre de ma mère ». Voilà la réalité spirituelle qui est la nôtre et la grandeur de notre relation à Dieu. Nous sommes faits pour Dieu, de toute éternité voulus par lui, aimés par lui du plus grand amour qui soit.

Par ailleurs, la foi en Jésus Christ comporte aussi un autre versant. Elle implique aussi l’expérience d’une proximité renouvelée avec le prochain. C’est Jean-Paul Sartre, philosophe athée, qui disait de l’Homme qu’il était une passion inutile. Mais pour nous, l’Homme est la plus grande passion de Dieu, sa vie a une direction, un but, une finalité. Nous sommes faits par amour, et comme le souligne saint Paul dans sa lettre aux Corinthiens, « l’amour ne passera jamais ». Paul nous rappelle que l’amour dans nos vies doit l’emporter sur tout, même sur une certaine foi en Dieu qui parfois devient idéologie, doctrine, rigidité, au mépris de la miséricorde et du souci du prochain. Comme ces paroles sont fortes quand Paul affirme : « j’aurais beau avoir toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien ».

L’amour avec lequel Dieu nous a fait porte en lui-même un appel à la réciprocité, à la ressemblance. C’est un amour qui nous configure au Christ, et c’est avec ce même amour que nous devons retourner vers Dieu, entrainant à notre suite nos frères et sœurs du monde entier, solidaires de leurs misères, de leurs peines et de leurs joies. Car nul ne va au ciel tout seul, nul ne peut faire bande à part, au risque de se retrouver infiniment seul devant Dieu. Le prochain est un chemin vers Dieu, il est le seul chemin et Jésus Christ nous en a ouvert la voie.

C’est saint Alphonse de Liguori qui disait au sujet de notre foi en Dieu : « Si on devait se tromper de Dieu, vaudrait mieux le faire en exagérant sa bonté qu’en durcissant sa justice. » Un autre saint disait que si le Christ lors du jugement lui reprochait d’avoir été trop miséricordieux, il ne pourrait que lui répondre : « Et vous Seigneur, ne l’avez-vous pas été ? »

Pour relever ce défi de la miséricorde et de la solidarité, Jésus nous laisse sa Parole, il nous donne son esprit, il nous demande de faire Église, et il nous invite à vivre l’aujourd’hui de Dieu. C’est ainsi que l’on peut comprendre l’affirmation de Jésus à la synagogue quand il dit : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »

La bonne nouvelle du Christ est toujours pour aujourd’hui. Et à cause de cela, elle agira toujours comme une contestation des valeurs de notre monde où les faibles sont rejetées, les pauvres sont méprisés, les droits des petits sont bafoués. Comme l’affirme le pape François, être chrétien signifie avoir « les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 5), sentiments d’humilité et de don de soi, de détachement et de générosité [9].

Alors, pourquoi ne pas prendre le temps en couple, en famille, entre amis, ente disciples, de nous dire quels sont ces sentiments du Christ qui nous habitent, de nous dire cette foi en Dieu qui se fraie son chemin au cœur de nos vies. Car ces partages ne peuvent que réveiller en nous la présence de Celui qui se tient à la porte de notre monde et qui frappe. Et si nous savons reconnaître cette présence et en parler, nous pourrons alors mieux témoigner de Lui.

Yves Bériault, o.p.

 

 

Homélie pour le 3e dimanche T.O. Année C

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 1,1-4.4,14-21.
Beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous,
d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole.
C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi,
afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as entendus.
Lorsque Jésus, dans la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région.
Il enseignait dans les synagogues, et tout le monde faisait son éloge.
Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture.
On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :
« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés,
annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. »
Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui.
Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »

COMMENTAIRE

Imaginez une vieille maison à la campagne. Vous montez au grenier et il y a là le vieux coffre à souvenirs. Vous l’ouvrez et vous en faites l’inventaire. Photo de mariage de grand-père et grand-mère, photos des enfants, une généalogie, des lettres d’amour que grand-père et grand-mère s’écrivaient pendant leurs fiançailles, le sermon de leur mariage, quelques prières composées pour les grands moments de leur vie, un ancien bail, des souvenirs de voyages, cartes postales, photos de familles, les plans de la première maison, un voile de mariée, un poème offert par les enfants à l’occasion du cinquantième anniversaire de leur mariage. Vous découvrez dans ce coffre l’histoire d’un couple et d’une famille, c’est le coffre à trésor d’une belle histoire d’amour. Je me permets un exemple tout personnel. Il s’agit de la lettre de mon grand-père maternel en réponse à la demande de mon père d’épouser ma mère, lettre envoyée il y a maintenant 70 ans :

Saint-Gabriel de Gaspé, 29 mai 1946. Cher monsieur, je viens répondre à votre lettre me demandant la main de ma petite Annabelle. Ah oui, certainement je vous la donne, espérant qu’elle fera votre bonheur et en même temps le sien. Je sais que vous saurez la rendre heureuse. Je peux vous dire que je vous donne la perle de mes filles — elle a toujours été bien bonne pour nous ses parents. En la perdant, nous perdons beaucoup, ce n’est pas sans regret, mais que voulez-vous, c’est la vie. Et bien cher monsieur, nous espérons d’avoir l’honneur de vous connaître l’un de ces jours, vous serez le bienvenu en notre humble demeure.

Ce fut le début d’une belle histoire d’amour qui dura 56 ans. Nous aussi en Église nous vivons une très belle histoire d’amour, et notre coffre à souvenir c’est le livre de la Parole de Dieu, c’est la Bible. Il s’agit d’une bibliothèque composée de 73 livres et qui raconte la vie de nos ancêtres dans la foi. Il y a là des livres d’histoires, des poèmes, des prières, les plans de construction du Temple de Jérusalem, des paroles de Sagesse, les messages des prophètes, des contes, et surtout le témoignage de ceux et celles qui ont connu Jésus Christ. Ces textes sacrés sont sans cesse proclamés dans nos assemblées.

Comment ne pas évoquer ici une expérience analogue qui est rapportée au livre de Néhémie ? Vous avez remarqué l’émotion du peuple à l’écoute de la Parole de Dieu dans notre première lecture ? C’est qu’au retour d’Exil, le Temple est reconstruit, la cité sainte est restaurée et le peuple retrouve son identité tout d’abord en se rassemblant autour de la célébration de la parole.

Ce passage du livre de Néhémie vient nous rappeler combien la Parole de Dieu est centrale dans notre vie de foi. Elle est transformatrice, elle a le pouvoir non seulement de nous interpeller, mais aussi de convertir nos cœurs. Lors du concile Vatican II, les Pères conciliaires avaient beaucoup réfléchi au rôle de la Parole de Dieu dans l’assemblée liturgique, et ils avaient affirmé que lorsque la parole est proclamée, c’est le Christ lui-même qui en fait l’annonce. Cette affirmation repose sur deux aspects fondamentaux de la Parole de Dieu qui ont été mis en évidence lors de ce concile.

Tout d’abord, notre Dieu parle. La Parole de Dieu est avant tout un fait d’expérience dans la Bible. Dieu parle à des personnes privilégiées. L’on songe ici à Abraham, à Moïse, aux divers prophètes. Ensuite, à la charnière de l’A.T. et du N.T., il y a Marie, les Apôtres, saint Paul, et si l’on fait un saut dans le temps, il y a nous tous ici rassemblés. La manière dont Dieu s’adresse à nous peut varier, bien sûr, elle est adaptée à chacun et chacune de nous, selon nos missions personnelles. Dans la Bible l’on nous rapporte que Dieu s’est adressé à des personnes par des visions et des songes, par une inspiration intérieure, ou encore de bouche-à-bouche comme avec Moïse. Mais une chose est certaine, tous les amis de Dieu, qu’ils soient prophètes, mystiques ou simples croyants, ont conscience que Dieu leur parle dans le secret de leur cœur, qu’il les guide mystérieusement et qu’il leur parle avant tout par sa Parole. Mais pourquoi Dieu parle-t-il ?

Si notre Dieu parle, c’est qu’il veut se faire connaître. N’est-ce pas là l’expérience fondamentale de tout parent avec son enfant ? S’il cherche à lui apprendre à parler, bien que ce soit là une nécessité de la vie, le père et la mère qui encouragent l’enfant à balbutier ses premiers mots souhaitent surtout entendre de sa bouche les mots les plus beaux au monde : maman, papa ! Dans la reconnaissance du parent par l’enfant est ancrée la nature même de l’expérience de la famille où l’enfant apprend à se situer dans un réseau de vie et de relations, et devient ainsi pleinement humain, dans la mesure où il reconnaît ses parents non seulement comme des êtres différents de lui, comme des personnes, mais aussi comme étant ceux qui lui ont donné la vie, et par qui passe sa croissance physique, affective, morale et spirituelle.

Si l’enfant au début de sa vie est essentiellement un être de besoin, dépendant de ses parents, il apprend peu à peu à les aimer pour eux-mêmes. Il devient un être de désir, non plus seulement de besoin, qui, une fois adulte, recherchera surtout chez ses parents leur amitié et leur affection. Et cet enfant un jour, quand ses parents seront vieux, s’il parvient à une véritable maturité humaine, il pourra même devenir un parent pour ses parents et veiller sur eux dans leurs besoins, dans leur vieillesse.

Sans être du même ordre, notre relation à Dieu n’est pas tellement différente. Dieu aussi veut se faire connaître de nous, et nous entraîner dans ce mouvement d’une connaissance réciproque, où nous apprenons à l’aimer tout simplement pour qui il est, et non plus pour ce qu’il peut nous accorder. C’est pourquoi Dieu veut que nous l’appelions Abba, Père, car cette vie humaine qui est la nôtre s’enracine dans la sienne, elle vient de lui et va vers lui. Dieu nous parle donc pour se faire connaître, pour que grandisse entre lui et nous, l’amour et la communion, et que nous puissions ainsi atteindre notre pleine stature d’enfants de Dieu, créés à son image, capables de veiller à fois sur le prochain et sur Dieu lui-même. Oui, veiller sur Dieu. N’avons-nous pas la garde de Dieu en ce monde, lui qui s’est remis entre nos mains en son Fils Jésus ?

Pour la tradition judéo-chrétienne, la Parole de Dieu a pour centre la personne du Christ. C’est par Lui, Parole créatrice du Père, que tout a été fait. Et ce Fils entre pleinement dans l’histoire humaine en revêtant notre chair, se faisant solidaire de nous. C’est cette genèse de l’histoire du salut que nous raconte la Bible, car elle ne se réduit pas à un ensemble de textes à lire et à méditer, mais la Bible c’est avant tout une Personne venant à notre rencontre, « à pas de brise légère comme Dieu se promenant au crépuscule dans le jardin de l’Éden, à la recherche de l’homme…[1] » C’est lui qui vient au-devant de nous chaque fois que la Parole de Dieu est proclamée dans nos assemblées.

C’est pourquoi il nous faut demander à Dieu de faire de nous de véritables auditeurs de la parole, afin de nous laisser trouver par lui lorsqu’elle est proclamée ! Amen.

Yves Bériault, o.p.

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[1] Sylvie Germain, op. cit. p. 9, dans MAURICE ZUNDEL, de Bernard de Boissière et France-Marie Chauvelot, Presses de la renaissance, Paris, 2004, 460 p.

 

 

Homélie pour le 2e dimanche T.O. Année C

Cana

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 2,1-11.
Le troisième jour, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là.
Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples.
Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. »
Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. »
Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »
Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures, (c’est-à-dire environ cent litres).
Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord.
Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent.
Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »
Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.

COMMENTAIRE

Dès les premiers siècles de l’Église l’on a associé à la fête de l’Épiphanie le baptême de Jésus et les noces de Cana, trois événements fondamentaux qui inaugurent à la fois le début de la vie publique de Jésus, ainsi que sa manifestation au monde. Trois épiphanies ! D’ailleurs, n’est-il pas dit de Jésus à la fin du récit des noces de Cana : « Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui. »

Plus que tous les autres évangiles, l’Évangile de Jean peut certainement être appelé celui de la manifestation de la Gloire du Seigneur. Ce mot « gloire » est sans doute celui qui se rapproche le plus du mot « divinité ». Et telle est l’intention de l’évangéliste. Il se propose de dévoiler l’identité de Jésus en plaçant ses lecteurs dans le contexte d’une noce où Jésus est présenté comme le véritable époux de la noce. Il vient nous épouser ! C’est ainsi qu’il faut lire ce récit du miracle de Cana.

« Voici l’Agneau de Dieu », annonçait Jean Baptiste au sujet de Jésus. Et avec sa présence à Cana, nous voici conviés par l’évangéliste Jean aux noces de l’Agneau, dans le contexte d’un mariage qui ne sert que de prétexte pour mettre en évidence les épousailles du Christ avec l’humanité. L’évangéliste Jean ne nous met pas en présence d’un miracle « ordinaire ». Il s’agit en fait du premier signe de Jésus dans son évangile, véritable révélateur de qui il est pour nous.

Voyez comment se déroule cette noce inoubliable. Tout d’abord, à la demande de Marie qui se désole du manque de vin des époux, Jésus semble refuser la requête de sa mère. « Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi ? » lui répond-il. Bien des exégètes se sont penchés sur la signification de cette phrase. Comment Jésus peut-il répondre ainsi à sa mère ? Et pourtant, il accomplit le miracle demandé. « Femme. Qui y a-t-il entre toi et moi ? » Comme si Jésus se faisait une réflexion à haute voix, face à sa mission et aux événements à venir. Marie elle n’est pas du tout perturbée par la réponse de son fils. Imperturbable, elle poursuit sa mission et dit simplement aux serviteurs : « Faites tout ce qu’il vous dira ».

Marie est celle qui parle au nom des époux, celle qui intercède parce que la joie n’est plus de la fête. « Ils n’ont plus de vin », dit-elle à son fils. Saint Jean ne cherche pas à développer ici une théologie mariale et pourtant le rôle qu’il accorde à Marie, la Mère du Seigneur, est d’une importance capitale. On le verra lorsque nous nous retrouverons au pied de la croix et que Jésus confiera la mère et le disciple l’un à l’autre. Mais l’important dans ce récit n’est pas tellement le rôle de Marie que l’action de Jésus en notre faveur.

Six jarres de pierres sont donc devant nous, vides. Elles représentent la loi juive qui est parvenue à son terme et que Jésus va faire remplir d’eau et transformer en un vin qui fera s’exclamer d’admiration le maître de la salle devant la qualité de ce vin. Il va s’adresser à l’époux, qui est celui qui doit fournir le vin pour les noces, et il va lui dire : « Tu as gardé le meilleur vin pour la fin. » L’on comprend ici que l’époux qui fournit ce vin excellent c’est Jésus. Ce sont les noces de l’Agneau auxquelles tous sont conviés et dont le miracle de Cana est le premier signe. Ce sont les noces du vin en surabondance, les noces de l’eau vive !

Jean emploie le mot « signe » plutôt que miracle, car le changement de l’eau en vin n’est pas une fin en soi, mais une indication, un signe, quant à l’identité de Jésus. Il en sera ainsi pour tous les autres miracles dans l’évangile johannique. Ce signe révèle la gloire de Jésus, celle qu’il avait au commencement auprès du Père.

Thomas d’Aquin commente le miracle des noces de Cana en précisant que dans les Écritures le vin signifie souvent la « sagesse divine », alors que l’eau représente souvent « la sagesse de ce monde », telle qu’on la retrouve chez les philosophes païens. Le passage à effectuer n’est pas de mêler l’eau au vin, mais de transformer l’eau en vin. C’est Dostoïevski qui souligne dans son roman Les frères Kamarazov que le premier miracle du Christ a consisté à apporter la joie aux hommes. Mais il ne faut pas s’y méprendre, il s’agit de la joie des fiançailles !

Déjà, le prophète Osée avait comparé l’amour de Dieu pour son peuple à celui de l’amour d’un fiancé pour sa fiancée. Ce thème des épousailles de Dieu avec l’humanité va revenir constamment dans la bouche des prophètes. Qu’il s’agisse des prophètes Isaïe, Jérémie, Ézéchiel ou encore d’un livre poétique comme le Cantique des Cantiques, l’on retrouve chez eux tout le vocabulaire des fiançailles et des noces. Et Dieu, qui a tellement aimé le monde, va venir à nous dans la personne même de son Fils, porteur de cette passion de Dieu pour chacun et chacune de nous.

La joie chrétienne a sa source et son enracinement dans la réalisation de cette nouvelle incroyable que le Créateur du ciel et de la terre, et de tous les univers, nous aime d’un amour infini, parce qu’il nous a donné la vie et que nous sommes son bien le plus précieux.

Alors, comment cette joie se déploie-t-elle dans nos vies ? Qu’y a-t-il entre nous et Jésus ? Car il ne faut pas s’y méprendre, la joie des noces n’est pas quelque chose d’éphémère ou d’artificiel. Elle jaillit d’une source profonde en nous et elle nous fait nous tenir debout et sans crainte devant l’avenir, et devant les exigences du présent.

À titre d’illustration, je reprends ici une réflexion de mon confrère dominicain Denis Gagnon qui écrivait ceci dans son billet du 10 janvier dernier :

Il y a quelques années, un poste de télévision américaine diffusait une annonce publicitaire pour la promotion de la vocation religieuse. Une publicité fort originale. On voyait un malade couché sur un lit, le corps recouvert de plaies répugnantes. Devant lui, dos à la caméra, une religieuse refaisait les pansements. On entendait une voix qui disait : « Je ne ferais pas cela pour un million ». Et la religieuse, en se tournant vers la caméra, d’ajouter : « Moi non plus ! »

Ce message reprenait une réflexion de Mère Teresa de Calcutta. La célèbre religieuse disait à peu près ceci en parlant de sa tâche auprès des mourants abandonnés dans les rues de l’Inde : « Je ne pourrais pas faire cela pour un million de dollars, mais je suis prête à faire davantage pour l’amour de Dieu. »

Et c’est là que la question de Jésus à sa mère prend tout son sens pour nous : « Qu’y a-t-il entre toi et moi ? », nous demande Jésus. Qu’y a-t-il entre toi et lui ? Jusqu’où ta foi te conduit-elle ? Jusqu’où aimerais-tu aller, jusqu’où aimerais-tu aimer ? Bien sûr, il y a l’idéal évangélique qui nous interpelle, mais il y a aussi nos limites personnelles et notre péché qui nous retiennent.

C’est pourquoi en ce dimanche des noces de l’Agneau, osons faire cette demande confiante au Seigneur : « Viens changer mon eau en vin ! Alors je pourrai faire tout ce que tu voudras, comme nous y invite ta mère la Vierge Marie ! »

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le Baptême du Seigneur

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 3,15-16.21-22.
Or le peuple était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Christ.
Jean s’adressa alors à tous : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.
Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit.
L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »

COMMENTAIRE

Depuis les tout premiers siècles de l’Église, la fête des Rois mages ainsi que le baptême du Seigneur ont toujours été associés à son épiphanie, c’est-à-dire à sa manifestation au monde, les mages représentant les nations païennes, à qui le Sauveur est présenté, tandis que le baptême de Jésus par Jean Baptiste marque le début de son ministère public, alors que la voix de Dieu nous révèle son identité : « Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. »

Chez tous les évangélistes, le ministère de Jésus commence lors de son baptême. La tradition est très ferme sur ce point. Il y a donc là un évènement capital dans la vie de Jésus où l’évangéliste, à travers signes et symboles, nous dévoile à la fois son identité ainsi que le but de sa mission parmi nous. On pourrait penser à un tableau impressionniste où le peintre Luc, avec des touches subtiles qui lui sont propres, nous présente la bonne nouvelle du salut : il y a l’eau et la foule, la voix de Dieu et la colombe, mais surtout, au milieu d’eux, la présence de Jésus qui prie.

Précisons tout d’abord que le baptême que reçoit Jésus, ce n’est pas encore le baptême chrétien. Il s’agit d’une démarche de pénitence et de conversion qui n’est pas une coutume juive traditionnelle, mais un rituel propre à Jean Baptiste, et qui survient alors qu’il y a une grande effervescence dans toute la Judée. Le contexte historique et social est le suivant.

La voix du dernier prophète s’est éteinte 450 ans plus tôt avec la mort du prophète Malachie. Le pays est sans roi depuis près de six cents ans, constamment occupé par des envahisseurs païens, et le peuple se demande quand vont se réaliser les promesses de Dieu tant annoncées par les prophètes. N’est-ce pas Isaïe qui proclamait dans notre première lecture : « Voici votre Dieu. Voici le Seigneur Dieu : il vient avec puissance et son bras est victorieux ». Mais même Isaïe semble pousser un soupir d’impatience quand il s’exclame ailleurs : « Ah ! Si tu pouvais déchirer les cieux et descendre ». Si tu pouvais enfin venir nous sauver !

En réponse à ces promesses, et à cette attente, survient Jean Baptiste le prophète à une époque de ferveur messianique, surtout chez les pauvres de Dieu. Ces pauvres on les appelle les anawim. Ils sont ceux qui espèrent tout de Dieu comme la Vierge Marie, saint Joseph et Syméon, car de plus en plus, des voix se font entendre pour dire que le Messie va bientôt venir, que Dieu va enfin accomplir sa promesse de salut.

Certains se demandent si ce n’est pas Jean Baptiste qui est le Messie, mais lui il annonce la venue d’un plus puissant que lui, et quand il le reconnaît en la personne de Jésus, il s’étonne toutefois de sa présence dans les eaux du Jourdain. Même Jean Baptiste est décontenancé par ce Messie qui prend place parmi les pécheurs, et les plus pauvres. La même question s’impose à nous en cette fête : mais qu’est-ce que Jésus fait là et pourquoi se fait-il baptiser ?

L’évangéliste Luc nous raconte ce qui suit : « Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit. » 

La présence de tout le peuple lors du baptême de Jésus est propre à l’évangéliste Luc. Ce dernier veut ainsi nous rappeler que le Fils de Dieu assume pleinement notre condition humaine ; il la prend sur lui avec son poids de péché, il marche avec nous, il se tient parmi nous, comme le grand priant, le grand intercesseur. En plaçant Jésus parmi tout le peuple, l’évangéliste Luc veut nous montrer à quel point Jésus s’est lié à notre humanité, en se faisant solidaire des hommes et des femmes de ce monde en quête de salut et de pardon, et qui sont représentés par cette foule descendant dans le Jourdain à l’appel de Jean Baptiste.

Un autre élément important dans le récit du baptême de Jésus, c’est la voix de Dieu. Cette voix qui déchire les cieux, et qui vient réaliser le rêve du prophète Isaïe, nous dévoile l’identité même de Jésus. Il est le Fils bien-aimé du Père. Et quand Dieu dit : « aujourd’hui, je t’ai engendré », c’est là la reprise d’un psaume qui était chanté lors de l’intronisation d’un roi en Israël, ainsi qu’à chacun de ses anniversaires. Jésus est ici proclamé non seulement Fils de Dieu, mais il est déclaré Seigneur, Roi de l’Univers.

Quant à la colombe, un autre détail significatif de notre récit, elle représente l’Esprit Saint. Non seulement elle nous introduit dans le mystère trinitaire, car le Père, le Fils et l’Esprit Saint sont présents dans cette scène du baptême, mais la colombe est aussi symbole de création et de renouveau. On pense ici à la colombe après le déluge ou encore à l’esprit du Seigneur qui planait sur les eaux au moment de la création du monde.

En soulignant la présence de la colombe, l’évangéliste Luc veut nous dire que l’heure de la nouvelle création a sonné. Non seulement Jésus est-il Dieu avec nous, mais il est aussi Dieu pour nous. Son baptême est l’expression de son amour pour nous, un amour solidaire qui se donnera jusqu’à la mort, et déjà, par ce baptême qu’il reçoit, Jésus nous prend sur ses épaules, comme il a pris sa croix. Il prend sur lui nos péchés et se fait baptiser avec le peuple, lui qui était sans péché.

C’est dans cette dynamique que nous entrons lorsque nous recevons le baptême. Le baptême de Jean Baptiste est en quelque sorte une préfiguration du baptême chrétien. Il est transfiguré par la présence de Jésus et désormais, quand ce geste sera posé en Église, ce ne sera plus seulement une volonté de conversion qui sera manifestée, mais c’est la vie toute entière du baptisé qui sera remise entre les mains du Christ. Le baptême fait de nous non seulement ses disciples, mais il nous configure au Christ, c’est une adhésion à la vie même de Jésus.

Un jour, une personne m’a demandé si je faisais autant de baptêmes que de funérailles à notre paroisse. La réponse est non, bien que nous recevions régulièrement des demandes de baptême. Malheureusement trop d’hommes et de femmes ignorent à quel point Dieu les aime et combien cet amour a le pouvoir de transfigurer leur vie. C’est pourquoi il nous faut porter sans cesse ce souci et ce désir d’annoncer la bonne nouvelle de Jésus Christ.

Il ne s’agit pas de convertir pour faire nombre, ou de se rassurer en n’étant pas les seuls à croire. Non. Il s’agit avant tout de partager avec d’autres ce bonheur de croire en Dieu, de la même manière qu’on ne peut garder pour soi notre émerveillement devant un livre ou un film qui nous séduit, ou un coucher de soleil à couper souffle, ou une bonne nouvelle qui fait irruption dans nos vies.

Quand nous aimons, il est normal de vouloir partager ses coups de cœur avec les autres. Et il n’y a pas plus grand coup de cœur que le bonheur de croire, que la présence de Dieu dans une vie, qui de mille et une manière nous redit sans cesse : « Tu es ma fille bien aimée, tu es mon fils bien-aimé, en toi j’ai mis tout mon amour. » Amen.

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour l’Épiphanie du Seigneur

Mages_Arcabas

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 2,1-12.
Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem
et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui.
Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ.
Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète :
Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël. »
Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ;
puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. »
Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant.
Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie.
Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

COMMENTAIRE

Je me souviens alors que j’étais enfant, la fête de l’Épiphanie était le moment tant attendu, où l’on pouvait enfin placer dans la crèche, sous le sapin, les trois Rois mages, tout près du berceau de Jésus. Nous trouvions toujours que c’était un peu tard, nous les enfants, pour placer ces personnages. Après tout, le sapin avait donné le meilleur de lui-même et il ne lui restait plus que quelques jours à orner le salon familial.

La préparation de la crèche de Noël ressemblait à s’y méprendre à une pièce de théâtre, où nous placions les différents acteurs de la naissance de Jésus. Les Rois mages étaient sans doute les personnages les plus fascinants avec leurs vêtements somptueux, leurs chameaux, et leurs présents d’or, d’encens et de myrrhe. À travers ces figurants, c’est la merveilleuse histoire de Noël qui se déroulait sous nos yeux, et notre foi d’enfants prenait peu à peu son envol avec cette mise en scène annuelle de notre crèche familiale.

Toutefois, nous n’étions pas conscients de l’intrigue qui se jouait autour de nos mages et de l’Enfant Jésus. « Le roi Hérode fut pris d’inquiétude, et tout Jérusalem avec lui », nous dit l’évangéliste Matthieu. Que savions-nous en effet de la peur qui s’était emparée de Jérusalem, quand les mages annoncèrent à Hérode la naissance du Messie ? Que savions-nous de l’inquiétude des élites religieuses, ou des sombres intentions d’Hérode ?

L’histoire des Rois mages est comme une parabole où le sens est beaucoup plus riche qu’il ne semble à première vue. Derrière la joie qui se manifeste dans la nuit de Noël, une terrible tragédie se met déjà en branle, mais qui n’est pas représentée lorsque nous montons nos crèches.

Dès sa naissance, la vie de Jésus est en danger, car comme le chante la Vierge Marie dans son Magnificat, il vient disperser les superbes, et renverser les puissants de leurs trônes. Pas étonnant qu’Hérode et tous les pouvoirs cruels et malveillants de ce monde s’opposent à lui et à son message de paix. Cet enfant c’est l’envoyé du Père qui vient convertir nos mentalités, nos façons de faire, en guérissant nos cœurs blessés. Il vient nous aider à vaincre l’égoïsme par l’amour, à surmonter le péché par la grâce, et ainsi participer à sa victoire sur le mal. Aujourd’hui, nous célébrons la manifestation de cet amour pour notre monde. C’est la fête de l’Épiphanie !

L’Épiphanie ! Ce mot signifie pour nous la révélation de la gloire de Dieu sous une forme humaine. « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous », nous dit l’évangéliste Jean. La nouvelle de son incarnation est manifestée au monde lors de la visitation des Rois mages, qui viennent des confins de l’Orient. Avec eux, nous contemplons le mystère dévoilé à Bethléem, l’Emmanuel, Dieu avec nous. Les mages représentent toutes les nations de la terre qui cherchent dans la nuit, une lumière pour les guider et qui se trouve chez cet enfant couché dans une mangeoire. La venue des mages à la crèche est l’accomplissement de la prophétie d’Isaïe qui proclamait : « Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. »

L’Épiphanie ! Une histoire qui fascine jeunes et vieux, mais qui n’est pas sans conséquence pour ceux et celles qui mettent leur foi dans l’enfant de Bethléem. Le récit évangélique se termine ainsi : « Tombant à genoux, les mages se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Mais ensuite, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin. »

« Par un autre chemin », nous dit l’évangéliste. Suivre le Christ implique d’engager nos vies dans une nouvelle direction, sur des chemins contraires aux Hérode de ce monde. Il s’agit d’une suite marquée par l’Esprit de Jésus, où l’on marche sur ses traces, dans ses pas à lui, et où peu à peu l’on devient comme lui.

Mais qu’ont fait les mages avant de partir par un autre chemin ? Ils ont ouvert leurs trésors et les ont offerts à Jésus en hommage. Si nous tentons d’interpréter ce passage de manière spirituelle et symbolique, il pourrait signifier que si nous acceptons de nous laisser conduire sur des chemins nouveaux par l’Esprit du Seigneur, il nous faut tout d’abord présenter à Dieu notre trésor, lui offrir ce que nous possédons de plus précieux.

Et quel est donc ce trésor ? Et bien, c’est notre désir ! Notre désir de faire le bien, de goûter le vrai bonheur. Notre désir de nous faire proches de Dieu et du prochain, notre désir d’être bon. C’est là le plus beau trésor que nous puissions offrir à Dieu, en lui disant : Et fais Seigneur que je ne sois jamais séparé de toi !

Quant à Dieu, il est prêt à tout nous donner, à tout pardonner. Rappelez-vous les paroles du Père au fils aîné, dans la parabole de l’enfant prodigue : « Mon enfant, tout ce qui est à moi est à toi. » Ces paroles sont pour chacun et chacune de nous, et c’est cette promesse incroyable qui trouve son accomplissement avec la naissance du Messie, et qui est proclamée au monde entier lors de la visitation des mages. C’est cela l’Épiphanie ! La promesse de Dieu qui se fait chair, qui se fait l’un de nous et qui se donne à nous comme le plus incroyable des cadeaux.

Alors, comme les Rois mages, adorons nous aussi l’enfant de la crèche. Nous pouvons le contempler en particulier dans l’eucharistie, ce lieu privilégié de la manifestation du Fils de Dieu au monde. Offrons-nous à lui en cette fête, présentons-lui le meilleur de nous-mêmes, afin qu’il puisse faire de nous, comme il est dit dans notre prière eucharistique, une éternelle offrande à la gloire du Père.

Ainsi, nous pourrons nous engager sans crainte sur les chemins imprévus de la vie, guidés par l’étoile des Mages, avec cette assurance que l’Emmanuel marche avec nous et qu’avec lui nous serons vainqueurs, malgré tous les Hérode de ce monde. Amen.

Yves Bériault, o.p.