Homélie pour le 8e dimanche T.O. Année A

Vous valez plus que tous les oiseaux du ciel !

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 6,24-34. 
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent.
C’est pourquoi je vous dis : Ne vous souciez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni, pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ?
Regardez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moisson, ils n’amassent pas dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Vous-mêmes, ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ?
Qui d’entre vous, en se faisant du souci, peut ajouter une coudée à la longueur de sa vie ?
Et au sujet des vêtements, pourquoi se faire tant de souci ? Observez comment poussent les lis des champs : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas.
Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’était pas habillé comme l’un d’entre eux.
Si Dieu donne un tel vêtement à l’herbe des champs, qui est là aujourd’hui, et qui demain sera jetée au feu, ne fera-t-il pas bien davantage pour vous, hommes de peu de foi ?
Ne vous faites donc pas tant de souci ; ne dites pas : “Qu’allons-nous manger ?” ou bien : “Qu’allons-nous boire ?” ou encore : “Avec quoi nous habiller ?”
Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin.
Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît.
Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine. »

COMMENTAIRE

Il est bon de se rappeler que les textes de l’Ancien Testament sont les témoins du long cheminement d’un peuple à la recherche d’une terre et de son identité. Un peuple esclave qui découvre à travers ses sages et ses prophètes les promesses inouïes d’un Dieu qui se présente à lui non seulement comme son protecteur, mais aussi comme son créateur, le Dieu unique, seul et vrai Dieu.

Alors que les dieux des peuples environnants demandent des sacrifices humains, Israël découvre le visage d’un Dieu qui aime son peuple, comme une mère aime son enfant, et qui jamais ne saurait l’oublier. Israël fait l’expérience que sa vie, son existence même, est entre les mains de Dieu, qu’Il veille sur lui comme sur son bien le plus précieux. « Même si une femme pouvait en arriver à oublier son nourrisson, dit le Seigneur, moi je ne t’oublierai jamais. » Ces paroles s’adressent aussi à nous.

Le texte d’Isaïe que nous avons entendu dans la première lecture survient pendant l’exil à Babylone, bien des années après la destruction du Temple de Jérusalem en l’an 587 avant Jésus Christ. Le peuple est en exil depuis près de cinquante ans. La lignée royale a disparu, ainsi que les premières générations qui avaient été envoyées en exil. Les années passent. Certains se demandent ce qu’il restera de la foi au Dieu vivant, dans la Babylone des idoles, là où Israël a été déporté ? Qu’en est-il des promesses de Dieu, se demandent-ils ? Comme nous sommes tentés de le faire parfois. C’est dans ce contexte que le prophète Isaïe rappelle la fidélité de Dieu à son peuple et l’assure de son amour indéfectible.

En écho à cette promesse, le psalmiste répond par cette prière confiante : « Je n’ai de repos qu’en Dieu seul, mon salut vient de lui. Lui seul est mon rocher, mon salut, ma citadelle. » C’est sur cet arrière-fond de la foi d’Israël que la liturgie de la Parole nous propose de comprendre l’enseignement de Jésus aujourd’hui quand il nous dit : « Ne vous faites donc pas tant de soucis ». Mettez votre confiance en Dieu. N’ayez pas peur du lendemain.

Cet enseignement de Jésus va à l’encontre de nos réflexes les plus élémentaires. La crainte et l’anxiété sont souvent des réflexes de survie. La prudence n’est-elle pas le début de la sagesse ? Comment survivre et préparer l’avenir si l’on vit de manière insouciante ? En quoi est-ce que l’inquiétude et la peur du lendemain peuvent-ils être de mauvais conseil pour nous ? Car nous connaissons tous l’épreuve, le deuil, la maladie, la peine, la souffrance. Ce sont là des obstacles inévitables dans nos vies. Il ne faudrait donc pas s’en inquiéter quand ils surviennent ?

Mais Jésus, lui, nous enseigne que l’inquiétude constante du lendemain est contre-productive, car nous ne laissons plus Dieu être Dieu dans nos vies. La foi est supplantée par la peur et le doute qui nous submergent, au point d’étouffer la vie en nous. Jésus nous rappelle avec sagesse que nos vies sont entre les mains de Dieu, et que l’on ne peut allonger d’une seule journée notre vie en nous inquiétant pour le lendemain.

Mais à quoi Jésus nous invite-t-il au juste ? À l’insouciance ? À vivre comme des Roger-bon-temps ? Comme des personnes qui ne voient jamais venir les difficultés ou les épreuves ?

On le sait bien, Jésus est le maître du paradoxe, et souvent il nous déstabilise par ses exemples, afin de nous provoquer, et ainsi nous amener plus loin dans notre réflexion. En fait, dans son enseignement d’aujourd’hui, Jésus nous invite avant tout à vivre dans la confiance en Dieu, ce qui est le contraire d’un optimisme béat. Jésus nous dit de ne pas avoir peur d’espérer, car Dieu est notre Père, il est bon, et il nous aime. C’est sur ce fondement solide qu’il nous invite à asseoir nos vies.

Jésus nous invite à convertir notre regard, et à demander au Seigneur de guérir notre cœur malade d’inquiétude, afin que nous puissions véritablement nous reposer en Lui ; afin que nous puissions vivre nos vies en sachant que la vie éternelle est à nous, que Dieu marche avec nous sur cette terre, comme notre ami le plus proche et le plus cher, que nous sommes en sécurité entre ses mains, et que les épreuves ne sont pas le dernier mot de la vie.

Facile à dire, me direz-vous, et j’en conviens, car qui de nous ne connaît pas cette peur du lendemain face à une maladie, à une période de chômage, à un deuil, à des situations conflictuelles. Mais Jésus nous dit qu’il y a un lieu secret en nous où Dieu réside et qu’il nous faut habiter nous aussi, c’est le lieu de la confiance en Dieu.

Jésus nous invite à nous rappeler qui nous sommes, et combien nous avons du prix aux yeux de Dieu ! Il nous rappelle que lorsque l’on a la foi, on ne peut avoir un cœur divisé. Si l’on a confiance en Dieu, il faut l’avoir jusqu’au bout, et tout lui remettre de nos vies, parce qu’il est le Dieu de l’impossible et qu’il ne saurait nous tromper.

J’aimerais citer, en conclusion, ce qu’une correspondante âgée m’écrivait un jour en me parlant de son quotidien, un quotidien vécu à la lumière de sa foi en Dieu. Elle m’écrivait ceci :

Dieu me vient en aide par la foi : Jésus toujours à mes côtés pour me soutenir et me redonner courage quand j’ai envie de baisser les bras.

Dieu me vient en aide par la charité : c’est elle qui me permet de servir et accompagner la fin de vie de mon époux de 86 ans, avec amour après plus de 56 ans de vie commune, alors qu’il est atteint de la maladie d’Alzheimer. 

Enfin, Dieu me vient en aide par l’espérance : elle me fait espérer l’accueil miséricordieux de ce Dieu plein d’amour auquel je crois, où nous serons définitivement réunis dans la paix.

Oui, frères et sœurs, la présence de Dieu dans nos vies à ce pouvoir de nous donner la paix, la paix véritable, celle qui vient d’en haut, et qui nous fait tenir fermes et confiants au cœur des tempêtes de la vie, et de chacune des journées qui nous est donnée, car nous savons maintenant à cause la parole de Jésus, combien nous avons du prix aux yeux de Dieu. Nous valons plus que tous les oiseaux du ciel, et que la somme de toutes nos épreuves, car nous sommes ses enfants bien-aimés.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 7e dimanche. T.O. Année A

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 5,38-48. 
En ce temps- là, Jésus disait à ses disciples : « Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Œil pour œil, et dent pour dent’.
Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre.
Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau.
Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui.
À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos ! »
Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.’
Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent,
afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.
En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »

COMMENTAIRE

Les paroles de Jésus dans cet évangile sont d’une exigence telle qu’elles peuvent nous paraître irréalisable. Comment peux-tu nous demander autant, serions-nous tentés de répondre à Jésus ? Ces prescriptions de vont tellement à l’encontre de nos inclinations naturelles qu’elles nous frappent en plein cœur. Mais Jésus nous oblige quand même à nous interroger et nous demander si nous sommes vraiment capables de vivre de telles exigences ? Pouvons-nous vraiment tendre l’autre joue, donner beaucoup plus que l’on nous demande, pardonner à nos ennemis, les aimer même ? N’est-ce pas insensé ?

Pourtant les prescriptions de Jésus se rattachent à l’enjeu de notre salut. Jésus parle de récompense pour ceux et celles qui agissent ainsi, de la nécessité pour ses disciples de poser des gestes qui relèvent de l’extraordinaire dans leurs vies s’ils veulent vraiment être les fils et les filles de leur Père qui est aux cieux.

En méditant les paroles de Jésus, il m’est venu à l’esprit cette analogie. Imaginons nos vies comme une grande et belle maison. Cette maison est le lieu de ce qui nous tient le plus à cœur, de ce qui fait la richesse de nos existences. Quand on y entre, la première pièce que l’on traverse est celle de la famille, la pièce de l’amour des proches, père, mère, frères et sœurs. Succède à cette pièce, celle de nos amours, de nos conjoints, de nos enfants, qui deviennent tout aussi importants que les membres de notre famille. Suivent d’autres pièces où se vivent les grandes amitiés, les rencontres avec des personnes marquantes, des maîtres à penser, des éducateurs, des témoins. Vient ensuite la pièce de notre vie de tous les jours, avec les collègues de travail, les voisins, les membres de nos communautés d’appartenance.

Enfin, tout au fond de notre maison, il y a une pièce qui ressemble à une chambre à débarras où se retrouvent pêle-mêle les personnes que l’on ignore, celles qui nous déplaisent et celles que l’on déteste, les personnes qui nous veulent du mal, les personnes qui nous ont blessés, celles qui se dressent en ennemis sur notre route, bref tous ceux et celles que l’on exclue de nos vies.

Cette pièce nous aimons bien la garder fermée à clé, ne pas y penser. Mais voilà que Jésus nous invite à ouvrir bien grand la porte, à faire la lumière, à faire nôtre son regard, et à voir avec son cœur les personnes qui s’y trouvent. Il nous invite même à en faire des prochains, des touts proches. C’est comme si Jésus nous disait qu’il y a en nous un lieu secret où le souci de l’autre, du proche comme du lointain, doit l’emporter sur nos préjugés, nos peurs, nos haines et nos rancœurs. C’est comme s’il nous disait : « Vous savez, vous êtes capables de beaucoup plus d’amour que vous ne le croyez ! »

Une première question qui se pose à nous en écoutant cet évangile, c’est de nous demander si nous croyons que Jésus dit vrai. Et si c’est le cas, si nous faisons confiance à sa parole, pourquoi devons-nous alors agir ainsi ? Et Jésus de nous répondre : « Il vous suffit de scruter les Écritures pour comprendre. » Écoutons à nouveau l’invitation que Dieu fait au peuple d’Israël dans notre première lecture. Il lui est dit : « Soyez saints, car moi, le SEIGNEUR votre Dieu, je suis saint. »

Cette demande s’adresse aussi à nous. Ce qui nous est demandé, c’est ni plus ni moins être comme Dieu, de vivre nos vies à sa ressemblance. Est-ce possible ? Pourtant il est bien écrit au livre de la Genèse que « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa » (Gn 1, 27). Donc, si Dieu est saint, nous sommes appelés à le devenir nous aussi. Bien sûr, nous le savons trop bien, on ne naît pas saint, on le devient. Nous sommes des êtres en devenir, nos vies sont comme des chefs-d’œuvre en voie d’achèvement, une toile vivante sur laquelle Dieu inscrit son amour au fil des jours, avec des touches légères et délicates tel un peintre impressionniste.

L’appel à la sainteté peut nous paraître inatteignable, mais il est bon de savoir que dans la grande tradition d’Israël, quand il est question de la « sainteté » de Dieu, ce mot est synonyme avec le mot « amour ». Ce qui amènera l’apôtre Jean à affirmer dans une formule inoubliable que « Dieu est amour ! » Et c’est parce que Dieu est amour qu’il nous appelle à notre tour à devenir amour ! Nous avons comme vocation d’être les porteurs de l’amour de Dieu.

« La promesse incomparable faite à ceux et celles qu’a atteints l’appel à suivre Jésus Christ, c’est qu’ils seront semblables au Christ… Celui qui se donne tout entier à Jésus Christ ne pourra que porter son image. Il devient fils, fille de Dieu, il se tient aux côtés du Christ, le frère invisible, dans une condition toute semblable à la sienne, comme l’image de Dieu (Dietrich Bonhoeffer).»

Il n’y a pas de recette magique afin de vivre ces exigences de l’évangile que nous propose Jésus aujourd’hui. Il faut simplement que notre désir de suivre le Christ l’emporte par-dessus tout ; que nos cœurs s’offrent sans cesse à Dieu et soient ouverts à sa grâce.

Au terme de cette réflexion, il faut donc nous poser les questions suivantes : Est-ce que je veux correspondre à ce que Dieu attend de moi dans ma vie ? Est-ce que je veux entrer dans ce bonheur qu’il me propose, même si cela semble parfois aller contre toute logique humaine ? Enfin, est-ce que je fais confiance à la parole de Jésus ? Oui ou non.

C’est ce oui, que Dieu attend de nous et qui nous ouvre le chemin du véritable amour, par lequel nous pouvons alors habiter peu à peu toutes les pièces de notre demeure intérieure, et ainsi porter le souci de tous, les proches comme les lointains, les amis comme les ennemis. “Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait !”, nous dit Jésus, car il n’y a pas de plus grand bonheur. Et pour y parvenir, nous ne pouvons que reprendre la prière que faisait saint Augustin quand il disait à Dieu : « Donne ce que tu commandes, et alors commande ce que tu veux. » Donne-moi la force de vivre tes exigences, et alors, demandes-moi tout ce que tu veux. Avec ton aide tout devient possible !

Que ce soit là notre prière en ce jour du Seigneur.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie suite à la tragédie à la mosquée de Québec

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5e DIMANCHE T.O. ANNÉE A

Le 29 janvier 2017, une jeune homme radicalisé par les discours anti-musulmans a fait irruption dans le Centre culturelle islamique de Québec et a  abattu six personnes, en plus d’en blesser dix-neuf autres, alors que ces personnes participaient à la prière du soir.

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 5,13-16. 
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens.
Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée.
Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »

COMMENTAIRE

« Vous êtes le sel de la terre. Vous êtes la lumière du monde », nous dit Jésus. Comme ces paroles sont lourdes de sens à la lumière des événements des jours récents où un linceul a recouvert notre ville.

Lundi soir dernier, j’étais présent à la vigile qui s’est tenue entre la mosquée et l’église Sainte-Foy. En voyant cette foule, je ne pouvais m’empêcher de penser à cette autre vigile à laquelle j’ai participé en 1989, alors que quatorze étudiantes venaient d’être assassinées à l’école Polytechnique de Montréal.

En me tenant au milieu de cette foule, lundi dernier, je revivais les mêmes émotions qu’il y a vingt-sept ans :  des sentiments de tristesse, de colère, mais en plus cette fois-ci, sentiments de gêne et de honte, car les victimes sont toutes musulmanes. Elles font partie des marginalisés de notre société, de ces minorités dont on se méfie, de ceux et celles dont on dit qu’ils ne sont pas « des nôtres », et qui pour toutes ces raisons sont doublement victimes. D’où, tous ces discours, ces analyses et remises en question que nous avons entendus au cours de la semaine.

Il nous incombe à nous aussi, en tant que disciples du Christ, de nous situer face à une telle tragédie, d’analyser nos sentiments et nos réactions à la lumière de notre foi, et voir où celle-ci nous entraîne. Car si nous prenons au sérieux notre suite du Christ, il faut nous demander ce qu’il attend de nous, à quoi nous invite l’évangile quant à l’accueil et l’intégration de tous ceux et celles qui nous viennent d’ailleurs, et qui souvent professent une foi différente de la nôtre.

Cette semaine a quand même été extraordinaire en termes de mouvements de solidarités, de prière et de mains tendues. Mais il ne faudrait pas trop nous illusionner avec tous ces beaux mots et ces belles intentions. Comme le veut le dicton : « Chassez le naturel et il revient au galop ». C’est pourquoi, afin de nous prémunir contre ce réflexe, il faut que chacun et chacune de nous se demande ce que le Christ attend de nous. Qu’est-ce qu’il nous dirait s’il était là aujourd’hui au milieu de nous ? Hé ! bien l’évangile vient de nous le faire entendre : « Vous êtes le sel de la terre. Vous êtes la lumière du monde ! »

Quand on voit Jésus sillonner les routes de la Palestine et de la Galilée, quand on se met à l’écoute de ses enseignements et de ses paraboles, comment ne pas reconnaître que l’évangile nous impose un devoir de rencontre et de dialogue avec le prochain. Faut-il le répéter : le cœur de l’évangile nous invite à faire preuve de charité fraternelle envers toute personne, d’où qu’elle soit, et qui qu’elle soit.

Le Concile Vatican II a bien insisté sur cette question, surtout en ce qui a trait à notre rapport avec les autres religions. C’est le pape Paul VI qui affirmait au moment du concile : « Tout homme est mon frère. » Alors, qu’est-ce que nous faisons de lui ? Comment allons-nous envisager notre avenir commun à la lumière de cette tragédie qui frappe notre société ? « Vous êtes le sel de la terre, nous dit Jésus, vous êtes la lumière du monde ! »

À l’occasion d’un vigile cette semaine, une jeune femme a pris la parole en affirmant ce qui suit : « La haine ne tombe pas du ciel. Elle prend racine dans un environnement politique et social qui l’arrose. » Est-ce que par des paroles, des gestes ou des complicités, nous contribuons à ce climat malsain à l’endroit des immigrants, paroles qui peuvent marquer les personnes influençables, comme le jeune Alexandre, ou encore les jeunes esprits de nos enfants, ou sommes-nous plutôt des agents de changements, des artisans de paix ?

C’est à la lumière de notre foi que nous pouvons trouver la force et la volonté de faire de nouveaux progrès sur ces questions. Car, en tant que chrétiens, nous ne pouvons nous enfermer dans une société qui va ériger des murs de séparation et exclure l’étranger, ou encore mépriser ceux et celles qui ne sont pas « des nôtres », comme nous en voyons trop d’exemples dans le monde et même tout près de chez nous. C’est là un scénario qui ne peut mener qu’à des lendemains qui déchantent, à des tragédies comme celle que nous venons de connaître. Méfiance et intolérance ne font pas bon ménage avec la fraternité.

Quand j’étais petit, on se méfiait des Anglais, on chassait les témoins de Jéhovah de mon quartier, on n’aurait jamais frayé avec un protestant, Dieu nous en garde, et encore moins avec des personnes de races différentes. Mais les temps ont bien changé. Les mentalités et les frontières se sont ouvertes avec les voyages, les médias et l’immigration. Il suffit de regarder ce que vivent nos enfants, qui sont leurs meilleurs amis et leurs conjoints.

Lundi soir dernier à la vigile, j’étais vraiment impressionné par cette foule de plus de cinq mille personnes dans un froid glacial, composée en bonne partie de jeunes gens, et de familles avec leurs enfants, et je me disais : voilà l’avenir de notre ville, voilà l’avenir de notre monde. Car voyez-vous, l’Esprit Saint n’est pas chiche, il déploie ses dons avec générosité, partout sur la terre, chez toutes les personnes de bonne volonté, nous appelant tous et toutes à être lumière du monde et sel de la terre. Ce rêve devrait sans cesse habiter nos cœurs, et déjà il se réalise peu à peu dans les complicités discrètes de chaque jour, à l’ombre des amitiés qui naissent lors de tragédies comme celle de la mosquée, et qui deviennent l’occasion d’une main tendue, d’un sourire, d’un mot d’encouragement, de gestes de solidarité.

En terminant, j’aimerais vous raconter une petite histoire pour ces temps de violence, qui s’entend comme une parabole évangélique et qui met en scène des chrétiens et des musulmans. C’est le Père Michel Morlet, prêtre et médecin, qui raconte ce qui suit, alors qu’il était en Éthiopie auprès des lépreux :

« C’était dans les débuts de mon arrivée à Gambo, écrit-il, où il y a un petit village où l’on garde les lépreux trop mutilés pour retourner chez eux. Ils reçoivent un peu de nourriture chaque jour, et ils complètent avec leur jardin et leurs poules. Ils vivent pauvrement et ne mangent de la viande qu’aux grandes fêtes, soit musulmanes, soit chrétiennes. À Noël et à Pâques, on donnait une vache aux chrétiens. La même chose pour les musulmans à la fin du ramadan ou à la naissance du Prophète. Ils ne peuvent pas manger ensemble. Or vers la fin du ramadan, Mohamed, un musulman du village, accompagné des anciens, vint voir le Père italien chargé de la mission. Ce dernier lui demanda : « Tu viens déjà chercher ta vache ? »

Mohamed lui répondit : « Non, on a discuté tous ensemble au village. Mes enfants vont rire et manger de la viande pendant que les enfants des chrétiens pleureront parce qu’ils n’en ont pas ; alors qu’à Noël, c’est le contraire. Comme on est tous les enfants du même Dieu, désormais, tu donneras à chaque fête. Tu nous donneras seulement un mouton. Comme cela, tu pourras pour le même prix en payer un autre aux chrétiens. Ainsi nos enfants riront et mangeront de la viande en même temps. »

En relisant cette histoire, je me disais n’est-ce pas là l’esprit du festin du Royaume qu’annonce Jésus, et dont l’eucharistie est le signe annonciateur, préfigurant ce jour où tous les enfants de Dieu seront réunis, tous ensemble, autour d’une même table. Que ce soit là notre prière.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

La présentation de Jésus au Temple

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On appelle traditionnellement la fête de la Présentation, la fête de la Chandeleur, ou fête des chandelles. À l’origine, c’était une fête païenne associée à la lumière et à la fécondité, où l’on demandait aux divinités de purifier les champs au moment où commençaient les semailles d’hiver. Au Ve siècle, la fête de la Chandeleur est reprise par l’Église qui la transforme en fête de la Présentation de Jésus au Temple, alors que l’Église orthodoxe l’appellera la fête de la Rencontre.

Les parents de Jésus, en conformité avec la loi juive, viennent consacrer leur premier-né en l’offrant à Dieu au Temple de Jérusalem. Nous sommes toujours dans la mouvance des récits entourant la naissance de Jésus. Après la venue des bergers et des mages à la crèche, la fête de la Présentation revêt elle aussi le caractère d’une épiphanie. En fait, il s’agit de la première sortie publique de Jésus avec ses parents. Jésus est présenté au Temple.

Deux nouveaux personnages interviennent dans ces récits entourant l’enfance de Jésus. Il s’agit de deux vieillards : Syméon et Anne la prophétesse. Ce sont des justes et ils agissent comme les révélateurs de l’identité de cet enfant. Syméon et Anne, par leur âge vénérable, représentent à la fois la sagesse et la longue attente chargée d’espérance de l’Ancien Testament. Ils voient enfin arriver à son terme le dévoilement de tout ce qui a été porté par les prophètes et par le peuple de Dieu, depuis plus d’un millénaire, soit la venue du Messie.

Syméon et Anne, tout comme Joseph et Marie, Élisabeth et Zacharie, représentent la grande tradition spirituelle d’Israël qu’on appelait les pauvres de Yahvé. Ce sont les doux, les humbles, les miséricordieux qui attendaient le salut promis par Dieu. Et voilà qu’il est porté au Temple par ses parents, « lumière pour éclairer les nations païennes et gloire de son peuple Israël », comme le chantera Zacharie le père du Baptiste.

Nous comprenons maintenant pourquoi la liturgie de l’Église accorde une telle importance à cette fête. Ce récit de la Présentation de Jésus au Temple est extraordinaire par son symbolisme, ainsi que par la richesse des personnages qui s’y retrouvent. Quand Syméon prend l’enfant dans ses bras, c’est tout l’Ancien Testament qui le saisit, qui le caresse et qui se réjouit. La première Alliance est parvenue au terme de sa course, elle reconnait en Jésus le Messie tant attendu et c’est ainsi que la prophétesse Anne annonce à tous ceux et celles qui veulent l’entendre qui est véritablement cet enfant.

En Jésus, c’est l’éternelle jeunesse de Dieu qui s’offre à une humanité à bout de souffle. Et de ses bras étendus sur la croix, croix qu’anticipent déjà les paroles douloureuses de Syméon à la Vierge Marie, il appellera tous les peuples à entrer dans son admirable lumière.

En cette fête de la Présentation de Jésus au Temple, Marie et Joseph, Syméon et Anne, nous pressent de le prendre, de l’accueillir chez nous et de le faire connaître au monde, faisant nôtre la prière de Syméon, qui est chantée par toute l’Église avant le sommeil de la nuit, et par laquelle nous manifestons notre foi et notre confiance au Christ, lui le grand vainqueur de la mort, lumière au coeur de nos vies. Écoutons encore une fois le cantique de Syméon :

Maintenant, ô Maître souverain,

tu peux laisser ton serviteur s’en aller

en paix, selon ta parole.

Car mes yeux ont vu le salut

que tu préparais à la face des peuples.

Lumière qui se révèle aux nations

et donne gloire à ton peuple Israël. Amen.


 

Yves Bériault, o.p. (Dominicain. Ordre des prêcheurs)