Homélie pour le 4e Dimanche du carême (C)

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Aujourd’hui, Jésus nous raconte une histoire. Une de ses plus belles histoires dont lui seul a le secret. Une histoire comme bien des histoires que l’on raconte aux enfants : « Il était une fois un homme… »

Mais pourquoi Jésus raconte-t-il cette histoire? L’évangéliste Luc nous en donne l’explication suivante : « Les collecteurs d’impôts et les pécheurs s’approchaient tous de Jésus pour l’écouter. Et les pharisiens et les scribes murmuraient; ils disaient : “Cet homme-là fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux !”  La parabole de l’enfant prodigue est donc une réplique à la critique des opposants de Jésus.

Comme une pièce de théâtre, elle met en scène différents personnages, mais l’acteur principal, c’est le Père. Cette parabole aurait pu s’intituler “la parabole de la miséricorde du Père”, tellement le visage que Jésus nous dépeint de lui est étonnant, surprenant même. Est-ce que Dieu peut nous aimer à ce point? Les pharisiens et les scribes semblent en douter.

Jésus nous raconte l’histoire d’un jeune homme qui dépouille littéralement le père de son bien quand il quitte la maison avec sa part d‘héritage. Mais le Père le laisse aller. L’agir du fils cadet va aller à l’encontre de toutes les valeurs de sa famille : il s’établit dans un pays païen, il devient le gardien d’un troupeau de porcs, un animal impur pour les Juifs. Il mène une vie dissolue et, d’après son frère, il aurait dépensé tout son argent avec les files. Ici, l’on sent la méchanceté de l’aîné, mais nous y reviendrons.

Le Père lui ne cesse d’attendre son fils devant la maison. Il l’attend sans doute depuis son départ, et quand il le voit revenir, il se jette à son cou. Le fils cadet n’a même pas le temps de dire à son père toute la formule de regret qu’il avait préparé. Le Père le prend dans ses bras, il l’embrasse et il ordonne aux serviteurs de préparer la salle pour la fête.

Le fils cadet n’est pas dépouillé de sa dignité aux yeux du Père parce qu’il a péché. Au contraire, le Père s’écrie : “Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller. Mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds.”

Le père revêt son fils des habits de l’élection, de la bénédiction. Le fils est choisi à nouveau par son père. Il est revêtu des sandales de l’homme libre, de la bague des fiançailles, et il est invité au banquet des noces. “Allez chercher le veau gras, tuez-le; mangeons et festoyons. Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie; il était perdu, et il est retrouvé.”

Par cette parabole Jésus veut nous révéler ce visage trop souvent méconnu de Dieu, pour qui il n’y a pas de pays, aussi lointains soient-ils, de situations, aussi désespérées soient-elles, dont on ne peut revenir. Jésus raconte cette parabole parce qu’on l’accuse de faire bon accueil aux pécheurs. Elle met en scène un fils aîné qui représente ces pharisiens et ces scribes qui critiquent Jésus. Le fils cadet lui représente les pécheurs qui ont besoin de guérison, et qui, dans leur exil, ont entendu la Bonne Nouvelle du Christ, et ont repris le chemin vers la maison du Père.

Maintenant, il est important de souligner l’attitude du Père à l’endroit du fils aîné, lui qui refuse d’entrer dans la salle du festin. Le père va même sortir pour aller lui parler. Une invitation lui est faite à prendre part au grand pardon de Dieu. “Mon enfant, lui dit-il, toi tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi.”

Voyez comme le père l’aime lui aussi, alors que le fils aîné semble tout ignorer de cet amour du Père pour lui. Le Père prend même la peine de s’expliquer : “Mais il fallait festoyer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et il est vivant, il était perdu et il est retrouvé.” Remarquez que le père ne dit pas “mon fils que voici était perdu…”, mais plutôt “ton frère que voici”. Le fils cadet n’est pas seulement un fils pour son Père, mais il est aussi un frère pour le frère aîné et tous les deux sont aimés tout autant.

Jésus nous enseigne aujourd’hui que notre Père du ciel est un Dieu d’amour et de miséricorde, et que dans son pardon nous trouvons la guérison. Les paroles du Père pour le fils aîné sont tout aussi empreintes de tendresse que pour le fils cadet, car Dieu aime tous ses enfants. Dans nos vies, l’on peut être tour à tour fils cadet et fils aîné, fille cadette et fille aînée, mais Jésus dans cette parabole nous invite à aller plus loin. Il nous invite à devenir comme le Père.

Vous connaissez l’expression “tel père, tel fils”, “telle mère, telle fille”. La parabole de l’enfant prodigue nous est racontée pour nous dévoiler le vrai visage de Dieu, et pour nous inviter à devenir comme Lui, à porter avec Lui le souci du monde, à aimer avec Lui tous nos frères et sœurs où qu’ils soient, quelles que soient leurs situations.

Tous ensemble, nous avons la charge de tous les humains, d’ici et d’ailleurs, chacun et chacune de nous, selon nos possibilités, nos talents, nos ressources. Nous avons tous un rôle à jouer dans ce ministère de la réconciliation qui nous est confié en Église. Comme nous le rappelle saint Paul, nous sommes tous des ambassadeurs du Christ, et le premier pas qui mène vers l’autre, est tout d’abord de porter le souci de cet autre, de ne pas vivre dans l’indifférence, dans l’ignorance de l’autre, surtout les plus pauvres. Nous devenons des reflets du visage du Père quand nous avons le souci des plus malheureux. Voilà ce à quoi Jésus nous invite dans la parabole de l’enfant prodigue.

Je me souviens de cette jeune infirmière qui revenait d’Haïti et qui pleurait en me racontant la misère qu’elle avait vue là-bas, et qui m’avait dit : “Il me semble, que le bon Dieu doit avoir honte de nous.” En dépit du propos, je la trouvais belle dans son indignation et dans sa tristesse. Je me disais : “voilà vraiment la fille de son père, son Père du ciel. Comme il doit se reconnaître en elle”.

Yves Bériault, O.P. Dominicain.

Prière pour la paix en Ukraine

Dieu de paix et de justice,
aujourd’hui, nous prions pour le peuple de l’Ukraine.
Nous prions pour la paix et le dépôt des armes.
Nous prions pour tous ceux et celles qui craignent le lendemain,
afin que ton Esprit s’approche d’eux et les console.
Nous prions pour les personnes qui ont le pouvoir sur la guerre ou la paix,
afin que leurs décisions soient guidées par la sagesse, le discernement et la compassion.
Avant tout, nous prions pour tous tes enfants bien-aimés, vivant dans le risque et dans la peur,
pour que tu les soutiennes et les protèges.
Nous prions au nom de Jésus, le Prince de la paix.
Amen. 

Homélie pour le 3e Dimanche du Carême (C)

Malgré la conclusion de l’évangile qui nous laisse sur un message d’espérance avec cet appel du vigneron à la patience du maître, je dois vous avouer que mon attention est surtout sollicitée ce matin par ces Galiléens qui se font massacrer dans le Temple, ou encore par ces des dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé. Pourtant ce n’est pas la première fois que j’entends cet évangile, mais voyez-vous, il y a l’Ukraine avec ses terribles scènes de violence qui défilent sans cesse sur nos écrans.

Inutile de dire qu’un sentiment de dégoût nous monte au cœur devant un tel mépris de la vie humaine. Et ceci ne peut que nous amener en tant que croyants à nous poser la question de Dieu. Mais où est-il dans tout cela? Ne nous monte-t-il pas aux lèvres la prière du psalmiste persécuté qui crie vers Dieu dans son poème :  «Ça ne te fait rien de nous voir mourir?» 

Vous avez sans doute compris que je n’aborderai pas la question de la conversion dans cette homélie. Ce thème revient assez souvent pendant le carême pour nous permettre en ce dimanche de regarder ailleurs. On pourrait intituler cette homélie : Le procès de Dieu ou encore, Où est-il ton Dieu?

Peut-on parler de l’absence de Dieu devant les guerres et les conflits? Serait-il indifférent à nos souffrances? Pourtant, la Parole de Dieu, entendue dans notre première lecture, nous présente une première réponse susceptible de nous aider dans notre réflexion. Car cette rencontre entre Dieu et Moïse, où Dieu est représenté par ce buisson ardent, est la première fois dans la Bible que l’humanité découvre qu’elle est aimée de Dieu; au point qu’il voit, qu’il entend, qu’il connaît nos souffrances.

« J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple

qui est en Égypte, dit-il,

et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants.

Oui, je connais ses souffrances.

La Révélation biblique sur Dieu nous apprend que notre Dieu est un Dieu proche, infiniment proche, et qu’il nous aime; un Dieu qui veut notre bien et qui veille sur nous. Mais cette même bonté de Dieu, sinon son existence même, est régulièrement remise en question devant le triomphe du mal. Ce qui a amené les modernes, de Dostoïevski à Camus à faire le procès de Dieu. Comme l’écrivait si bien le moine Christian de Chergé : «Les absents ont toujours tort, et Dieu est terriblement absent.» «Où est-il ton Dieu?» nous demande le narquois en guise de défi.

Il y a là un piège à penser répondre de manière satisfaisante à ces personnes, car comment leur parler d’une réalité qu’ils ignorent et en qui ils ne croient pas. L’important, avant tout, est que nous cherchions à répondre nous -mêmes à la question : «Où est-il ton Dieu». Il en va du sérieux de notre foi qui doit être remise cent fois sur le métier de nos doutes et de nos épreuves. 

Alors, où est-il ton Dieu quand tu fais face à l’adversité, à la maladie, à l’épreuve, au rejet ou à la violence? Je sais d’expérience, lorsque nos vies sont aux prises avec la souffrance indicible ou encore le deuil, où tout nous semble enlevé, combien il est difficile de goûter cette présence de Dieu ou même d’y croire, quand le corps ou le cœur meurtri se recroqueville sur sa douleur. 

Quand je pense au peuple ukrainien, dont l’espérance ces jours-ci se tient comme au-dessus d’un abîme, où la mort, elle qui n’est jamais douce, se fait plus cruelle et menaçante que jamais, ne sommes-nous pas blessés nous aussi par le mal dont on peut voir le visage hideux? Oui, tous ensemble, parce que solidaire en humanité, nous sommes blessés par cette guerre. Et possiblement notre foi en Dieu l’est aussi. 

Nous pouvons comprendre que la douleur puisse éveiller de telles questions en nous. Mais la vision d’un Dieu indifférent à nos souffrances est incompatible avec notre foi. Nous sommes créés à son image, Lui la source de tout amour. Et la douleur qui nous habite devant le Mal ne peut provenir que de sa douleur à Lui, sa douleur de Père, de Mère. C’est pourquoi je n’ai pas honte de mon Dieu, même si je ne comprends pas tous les enjeux du mystère du mal. J’ai mis ma confiance en Lui. Et si l’on nous demande : « Où est-il ton Dieu ? Quel est son visage ? » La seule image que nous pouvons offrir de Lui, que nous avons vu de nos yeux, est celle de cet homme torturé, crucifié, assassiné. Le voilà, celui que nous appelons Dieu-avec-nous, avec nous jusqu’aux profondeurs les plus sombres de notre humanité.

La jeune mystique juive Etty Hillesum, qui sera assassinée avec six millions des siens pendant la 2e Guerre mondiale, n’aura de cesse de défendre Dieu devant l’horreur du mal. Elle ne demande jamais de comptes à Dieu, estimant même que c’est l’inverse, que les milliers, millions de crimes commis ne sont pas imputables à Dieu, mais aux hommes – à la folie humaine.» «Elle va plus loin encore dans le retournement de la responsabilité du mal: elle ne se contente pas d’en innocenter Dieu, elle le considère comme étant la première victime du déferlement de haine et de violence qui sévit autour d’elle…  (I, p. 195.)

Mais alors où est la puissance de notre Dieu? Où est sa présence alors qu’il dit à Moïse qu’il entend notre douleur et qu’il voit nos souffrances? Frères et sœurs, le Dieu de Jésus Christ est le Dieu qui marche avec nous, celui qui nous soutient dans nos combats, qui préserve en nous la force d’aimer et de pardonner, malgré les violences subies. Il est celui qui nous donne de tendre la main à ceux qui souffrent et à notre tour de marcher avec eux. Notre Dieu ne vient pas vivre à notre place ni résoudre nos conflits, mais il est au cœur de toute démarche vers la paix, et sans cesse il nous guide sur les chemins de la réconciliation et du pardon. 

Cela ne nous empêche pas de le prier pour que la paix advienne ni de lui demander d’intervenir là où tout semble perdu. Il nous faut le faire même si  nous ne pourrons jamais mesurer la véritable efficacité de nos prières. Elles reposent dans le secret du cœur de Dieu, lui qui est à l’écoute de chacun et chacune de nous. Car si Jésus a pu prier dans son agonie, se confiant ainsi au Père, la prière demeurera toujours une arme puissante entre nos mains. Alors, en cette eucharistie nous offrons cette messe et nos prières pour le peuple ukrainien, pour les soldats des deux pays qui s’affrontent, pour les chefs politiques qui mènent cette guerre, et nous invoquons la prière de notre Mère du ciel alors que vendredi prochain, en la fête de l’Annonciation, le pape François consacrera la Russie et l’Ukraine au cœur immaculé de Marie et à sa bienveillante protection : Je vous salue Marie…

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 2e Dimanche du carême (C)

Voici une lettre que m’a fait parvenir une maman désemparée : « J’ai un fils de 4 ans à qui j’ai raconté l’histoire de Jésus avec l’aide d’un livre pour enfant. Sa réaction fulgurante m’a prise au dépourvu. Il s’est mis à pleurer de ne pouvoir voir Dieu. Il est alors venu se réfugier dans mes bras et il est demeuré ainsi plusieurs minutes, à pleurer silencieusement. Même si nous lui disions, son père et moi, que nous ne pouvons pas plus voir Dieu que lui, mais que nous le ressentions, que la création était une preuve de sa présence, rien n’y faisait. Nous lui avons donc raconté qu’à Noël, nous ne pouvons voir le Père Noël puisqu’il doit s’occuper de tous en même temps, tout comme Dieu à tous les jours, mais que nous savions qu’il est passé par les cadeaux trouvés au matin, tout comme nous savons que Dieu existe par l’amour et la création. Je me demande ce que je peux faire de plus. Une maman bien dépourvue ».

Voilà une touchante histoire et j’espère que ce petit garçon, quand il sera grand, aura toujours ce profond désir de voir Dieu. Cela peut sembler déraisonnable, mais n’est-ce pas le psalmiste qui s’écrie aujourd’hui dans le psaume : « C’est ta face Seigneur que je cherche, ne me cache pas ta face ». En fait, ce petit garçon exprime du haut de ses quatre ans, cette réalité qu’avait déjà pressenti le grand saint Augustin : « Tu nous as fait pour Toi et notre cœur est sans repos jusqu’à ce qu’il repose en Toi ».

Le christianisme affirme une chose qui dépasse l’entendement ; non seulement Dieu veut-il se faire connaître de nous, mais il s’est fait l’un de nous, et il porte un visage, le visage de Jésus-Christ ! Dans la Bible, Dieu est décrit comme une « lumière inaccessible », et pourtant, c’est ce mystère lumineux qui se présente à nous dans le récit de la transfiguration. Cette scène de l’Évangile est une allégorie extraordinaire de la suite du Christ, un véritable chemin initiatique, symbolisé par cette montagne qui se dresse devant nous ce matin. 

Il est important de souligner que l’événement de la Transfiguration survient après la première de trois annonces que fait Jésus de sa passion à venir. C’est déjà la montée vers Jérusalem qui se profile et Pierre s’y oppose violemment. Les disciples sont bouleversés. Ils ont peur. Leurs certitudes, leur confiance en Jésus, sont mises à l’épreuve, et c’est dans ce contexte que Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les amène sur la montagne afin de les préparer à vivre la passion à venir. 

Mais au-delà de cette pédagogie de Jésus à l’endroit des trois apôtres, le récit nous dévoile aussi toute la grandeur du mystère de l’être chrétien, de la vocation à laquelle nous engage notre baptême et que nous célébrerons à nouveau à Pâques. Je vous propose ce matin de faire ensemble l’ascension de cette montagne avec Jésus, une montée qui se fera en trois étapes. Le versant nord, le sommet et le versant sud.

Le versant nord est celui de l’ascension de la montagne. C’est le côté abrupt et aride, jouissant très peu de la lumière du soleil. C’est une montée qui se fait dans l’obscurité, l’obscurité de la fragilité humaine, de nos vies aux prises avec le mal et le péché. C’est un lieu de doute et de combat pour nous, comme pour les disciples qui ont entrepris cette montée. Mais ils ne sont pas seuls. Jésus monte avec eux. Et il en est ainsi pour nous. 

Cette montée du versant nord se compare à un temps de conversion, un temps de retour vers Dieu, afin de retrouver l’intimité perdue au fil du quotidien. L’enjeu, c’est le rapprochement avec le Christ et il n’y a pas de rapprochement possible si l’on ne prend pas la pleine mesure de nos pauvretés, de notre besoin infini de Dieu. Voilà pourquoi il faut s’engager avec Jésus dans cette ascension à laquelle il nous convie. Cette montée est comparable au temps du Carême.

C’est seulement après un tel parcours que l’on parvient au sommet, où le spectacle se déploie alors sous nos yeux. Nous contemplons alors le mystère trinitaire. Au sommet, les disciples entrent dans la pleine lumière, où ils deviennent témoins de la prière de Jésus. Une prière qui a ses racines dans la grande histoire biblique de l’amour de Dieu pour nous, révélée par la Loi et les Prophètes, et dont Moïse et Élie sont les témoins. 

Avec eux, Jésus parle de son exode vers Jérusalem, de la passion à venir. Au même moment, la gloire de Jésus se manifeste aux trois apôtres, et la scène que nous contemplons devient comme une icône de la Trinité. Le Père s’entretient avec le Fils alors que les disciples entrent dans la nuée, symbole de l’Esprit Saint.

Pierre, Jacques et Jean sont alors saisis de crainte, la crainte sacrée devant le divin. À l’exemple de David, qui voulut construire une maison pour l’Arche d’Alliance, Pierre offre de monter trois tentes : une pour Élie, une pour Moïse et une pour Jésus. « Il ne savait pas ce qu’il disait », commente laconiquement l’évangéliste Luc. Pierre n’a pas encore compris que c’est Dieu qui est venu planter sa tente parmi les hommes. La voix du Père nous le déclare : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui que j’ai choisi, écoutez-le ! »

Cette écoute du Fils n’est possible que dans cette contemplation du mystère de la personne de Jésus. Si l’ascension du versant nord nous a rappelé l’importance de la conversion continuelle dans la vie du baptisé, elle a pour but cette contemplation de l’être même de Jésus, lui le Fils bien-aimé du Père. Nous contemplons son mystère afin d’entrer avec lui dans cette lumière inaccessible qu’est Dieu. Nous sommes ici au cœur de la fête de Pâques qui est dévoilée aux apôtres par anticipation. Plus tard, ils comprendront.

Saint Pierre affirmera dans sa première lettre : « Cette voix, nous, nous l’avons entendue ; elle venait du Ciel, nous étions avec lui sur la montagne sainte ». Saint Jean lui écrira : « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons pour que votre joie soit complète ».

Enfin, nous voici au troisième versant de la montagne, alors que nous nous engageons dans la descente. C’est le versant sud, celui qui est le plus ensoleillé. Les disciples baignent dans la lumière de la résurrection, c’est la victoire du Christ sur la mort. Les ténèbres ont disparu ! 

À la Vigile pascale et au matin de Pâques, l’Église chante aux nouveaux baptisés : « Resplendis ! Sois illuminé ! » C’est cette réalité profonde qui anime ceux et celles qui font la rencontre de Christ ressuscité. Ils sont illuminés de la joie pascale. Ils redescendent dans la plaine des activités humaines avec le Christ. C’est le temps de l’Église.

Il peut paraître étonnant de trouver le récit de la Transfiguration au cœur de notre Carême, mais dans notre marche vers Pâques, la liturgie veut nous rappeler l’essentiel de notre destinée qui est de devenir comme le Christ, « lui, comme nous le dit saint Paul, qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux » (Phil 3, 21). 

C’est cette transformation qui est à l’œuvre en chacune de nos eucharisties, qui deviennent pour ainsi dire, le mont de la Transfiguration où le Christ nous convie chaque dimanche. Amen.

Yves Bériault, o.p. Dominicains.

Mercredi des Cendres

C’est l’imitation de Jésus se retirant quarante jours au désert qui va peu à peu marquer les premières générations chrétiennes dans leur préparation à la fête de Pâques et qui va donner naissance à cette période de quarante jours qu’on appelle le carême, mot qui tire son origine du mot latin quadragesima.

Ce que le développement de cette tradition liturgique nous révèle, c’est le désir des premières générations chrétiennes de suivre Jésus dans la dimension historique de sa vie, tout particulièrement sa passion et sa résurrection, afin d’y trouver un profond ressourcement pour leur vie de foi et s’unir davantage à lui.

À nouveau, nous aussi, nous sommes invités à entrer dans cet itinéraire spirituel qui a marqué si profondément tant de générations chrétiennes. Le jeûne, la prière et l’aumône ont pour but de nous aider à mieux entendre au plus profond de nous celui qui nous appelle à le suivre. Avec le carême, frères et sœurs, nous recommençons! Comme si nous entendions l’appel du Christ pour la première fois et que nous choisissions à nouveau de le suivre. C’est cet appel que le carême veut nous faire entendre. Et malgré la Passion qui se profile à l’horizon, malgré les jeûnes et les pénitences que certains peuvent s’imposer, c’est toujours la joie de croire qui doit primer en ce Carême, n’en déplaise à ceux et celles qui l’associent aux « faces de Carême ».

L’enjeu du carême, c’est saint Paul qui l’exprime très bien dans sa deuxième lettre aux Corinthiens que nous venons de lire, quand il nous met en garde contre le risque de laisser sans effet la grâce que nous avons reçue de Dieu.

Nous l’avons bel et bien reçue cette grâce, ce cadeau de la foi. L’évangile nous a bel et bien été annoncé; nous avons mis nos pas dans ceux du Christ; nous avons appris à faire communauté ensemble avec lui, à nous nourrir de sa parole et de sa vie de ressuscité. Mais nous savons aussi que la grâce reçue est une grâce qui coûte. Elle est exigeante puisque Jésus nous l’a acquise à grand prix, au prix de sa vie, d’où le sérieux de l’appel qu’il nous fait et de la réponse qu’il attend de nous.

Le carême nous invite donc à refaire le chemin parcouru jusqu’à maintenant, à dire oui à nouveau à cette grâce qui nous est offerte d’être disciples et amis du Christ.

L’on est souvent tenté de séparer le carême de sa dimension pascale, le réduisant uniquement à un temps de mortification, alors qu’il est un temps de préparation à la fête de Pâques. C’est pourquoi frères et sœurs, tout comme les premières générations chrétiennes, entrons encore une fois dans l’histoire de notre foi, prenons à nouveau la route avec le Christ, qui va nous conduire de la solitude du désert jusqu’à cette porte grande ouverte sur le jardin du matin de Pâques.

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain.