Voici une lettre que m’a fait parvenir une maman désemparée : « J’ai un fils de 4 ans à qui j’ai raconté l’histoire de Jésus avec l’aide d’un livre pour enfant. Sa réaction fulgurante m’a prise au dépourvu. Il s’est mis à pleurer de ne pouvoir voir Dieu. Il est alors venu se réfugier dans mes bras et il est demeuré ainsi plusieurs minutes, à pleurer silencieusement. Même si nous lui disions, son père et moi, que nous ne pouvons pas plus voir Dieu que lui, mais que nous le ressentions, que la création était une preuve de sa présence, rien n’y faisait. Nous lui avons donc raconté qu’à Noël, nous ne pouvons voir le Père Noël puisqu’il doit s’occuper de tous en même temps, tout comme Dieu à tous les jours, mais que nous savions qu’il est passé par les cadeaux trouvés au matin, tout comme nous savons que Dieu existe par l’amour et la création. Je me demande ce que je peux faire de plus. Une maman bien dépourvue ».
Voilà une touchante histoire et j’espère que ce petit garçon, quand il sera grand, aura toujours ce profond désir de voir Dieu. Cela peut sembler déraisonnable, mais n’est-ce pas le psalmiste qui s’écrie aujourd’hui dans le psaume : « C’est ta face Seigneur que je cherche, ne me cache pas ta face ». En fait, ce petit garçon exprime du haut de ses quatre ans, cette réalité qu’avait déjà pressenti le grand saint Augustin : « Tu nous as fait pour Toi et notre cœur est sans repos jusqu’à ce qu’il repose en Toi ».
Le christianisme affirme une chose qui dépasse l’entendement ; non seulement Dieu veut-il se faire connaître de nous, mais il s’est fait l’un de nous, et il porte un visage, le visage de Jésus-Christ ! Dans la Bible, Dieu est décrit comme une « lumière inaccessible », et pourtant, c’est ce mystère lumineux qui se présente à nous dans le récit de la transfiguration. Cette scène de l’Évangile est une allégorie extraordinaire de la suite du Christ, un véritable chemin initiatique, symbolisé par cette montagne qui se dresse devant nous ce matin.
Il est important de souligner que l’événement de la Transfiguration survient après la première de trois annonces que fait Jésus de sa passion à venir. C’est déjà la montée vers Jérusalem qui se profile et Pierre s’y oppose violemment. Les disciples sont bouleversés. Ils ont peur. Leurs certitudes, leur confiance en Jésus, sont mises à l’épreuve, et c’est dans ce contexte que Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les amène sur la montagne afin de les préparer à vivre la passion à venir.
Mais au-delà de cette pédagogie de Jésus à l’endroit des trois apôtres, le récit nous dévoile aussi toute la grandeur du mystère de l’être chrétien, de la vocation à laquelle nous engage notre baptême et que nous célébrerons à nouveau à Pâques. Je vous propose ce matin de faire ensemble l’ascension de cette montagne avec Jésus, une montée qui se fera en trois étapes. Le versant nord, le sommet et le versant sud.
Le versant nord est celui de l’ascension de la montagne. C’est le côté abrupt et aride, jouissant très peu de la lumière du soleil. C’est une montée qui se fait dans l’obscurité, l’obscurité de la fragilité humaine, de nos vies aux prises avec le mal et le péché. C’est un lieu de doute et de combat pour nous, comme pour les disciples qui ont entrepris cette montée. Mais ils ne sont pas seuls. Jésus monte avec eux. Et il en est ainsi pour nous.
Cette montée du versant nord se compare à un temps de conversion, un temps de retour vers Dieu, afin de retrouver l’intimité perdue au fil du quotidien. L’enjeu, c’est le rapprochement avec le Christ et il n’y a pas de rapprochement possible si l’on ne prend pas la pleine mesure de nos pauvretés, de notre besoin infini de Dieu. Voilà pourquoi il faut s’engager avec Jésus dans cette ascension à laquelle il nous convie. Cette montée est comparable au temps du Carême.
C’est seulement après un tel parcours que l’on parvient au sommet, où le spectacle se déploie alors sous nos yeux. Nous contemplons alors le mystère trinitaire. Au sommet, les disciples entrent dans la pleine lumière, où ils deviennent témoins de la prière de Jésus. Une prière qui a ses racines dans la grande histoire biblique de l’amour de Dieu pour nous, révélée par la Loi et les Prophètes, et dont Moïse et Élie sont les témoins.
Avec eux, Jésus parle de son exode vers Jérusalem, de la passion à venir. Au même moment, la gloire de Jésus se manifeste aux trois apôtres, et la scène que nous contemplons devient comme une icône de la Trinité. Le Père s’entretient avec le Fils alors que les disciples entrent dans la nuée, symbole de l’Esprit Saint.
Pierre, Jacques et Jean sont alors saisis de crainte, la crainte sacrée devant le divin. À l’exemple de David, qui voulut construire une maison pour l’Arche d’Alliance, Pierre offre de monter trois tentes : une pour Élie, une pour Moïse et une pour Jésus. « Il ne savait pas ce qu’il disait », commente laconiquement l’évangéliste Luc. Pierre n’a pas encore compris que c’est Dieu qui est venu planter sa tente parmi les hommes. La voix du Père nous le déclare : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui que j’ai choisi, écoutez-le ! »
Cette écoute du Fils n’est possible que dans cette contemplation du mystère de la personne de Jésus. Si l’ascension du versant nord nous a rappelé l’importance de la conversion continuelle dans la vie du baptisé, elle a pour but cette contemplation de l’être même de Jésus, lui le Fils bien-aimé du Père. Nous contemplons son mystère afin d’entrer avec lui dans cette lumière inaccessible qu’est Dieu. Nous sommes ici au cœur de la fête de Pâques qui est dévoilée aux apôtres par anticipation. Plus tard, ils comprendront.
Saint Pierre affirmera dans sa première lettre : « Cette voix, nous, nous l’avons entendue ; elle venait du Ciel, nous étions avec lui sur la montagne sainte ». Saint Jean lui écrira : « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons pour que votre joie soit complète ».
Enfin, nous voici au troisième versant de la montagne, alors que nous nous engageons dans la descente. C’est le versant sud, celui qui est le plus ensoleillé. Les disciples baignent dans la lumière de la résurrection, c’est la victoire du Christ sur la mort. Les ténèbres ont disparu !
À la Vigile pascale et au matin de Pâques, l’Église chante aux nouveaux baptisés : « Resplendis ! Sois illuminé ! » C’est cette réalité profonde qui anime ceux et celles qui font la rencontre de Christ ressuscité. Ils sont illuminés de la joie pascale. Ils redescendent dans la plaine des activités humaines avec le Christ. C’est le temps de l’Église.
Il peut paraître étonnant de trouver le récit de la Transfiguration au cœur de notre Carême, mais dans notre marche vers Pâques, la liturgie veut nous rappeler l’essentiel de notre destinée qui est de devenir comme le Christ, « lui, comme nous le dit saint Paul, qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux » (Phil 3, 21).
C’est cette transformation qui est à l’œuvre en chacune de nos eucharisties, qui deviennent pour ainsi dire, le mont de la Transfiguration où le Christ nous convie chaque dimanche. Amen.
Yves Bériault, o.p. Dominicains.
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Les temps sont venus où il est temps de réclamer la vie éternelle comme un dû pour tous ces enfants innocents qui sont nés de Dieu et morts par Dieu, c’est à dire son absence. Les envoyés de Dieu ce sont eux, nés pour mourir sans raison, sous les bombes, les maladies, sous les toits ou les tentes de réfugiés. Les fils sacrifiés ce sont eux, pas seulement Jésus. Si Dieu existe et qu’il a un fils unique, il devra rendre des comptes de cette injustice. Et n’aillez pas peur de le provoquer, qu’il se montre enfin et répare sa création maintenant! Je n’invoque que lui, pas le diable qui est faible comme l’homme. Je ne blasphème pas, j’implore par la colère, nuance!
[…] Homélie pour le 2e Dimanche du carême (C) — Blogue du Moine ruminant […]
Bonjour Maior Liberis,
Lire votre message après l’homélie, c’est comme redescendre de la montagne dans la plaine avec tous ses combats.
En réalité, Jésus nous a prévenus. S’il a souffert, nous souffrirons. C’est déjà un début de réponse. Nous n’avons pas le reste. Le reste, c’est le mystère du Mal. On se heurte à lui. On peut s’énerver, se révolter, accepter, tantôt accepter tantôt se révolter. Notre attitude n’y change rien. Je vois qu’en vous, la révolte est grande qui entraîne la colère. La colère ne pourra pas résoudre le mystère. Quant à provoquer Dieu afin qu’Il réponde… je ne sais pas… avec amour et respect, alors.
En fait, vous nous faites comprendre que nous avons tous besoin d’être transfigurés. C’est ce que je nous souhaite du fond du cœur.