Homélie pour le Dimanche du Christ-Roi (A)

constantinople

Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 25,31-46.
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire.
Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs :
il placera les brebis à sa droite, et les boucs à gauche.
Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : “Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde.
Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ;
j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !”
Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ?
tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ?
tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?”
Et le Roi leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”
Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : “Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges.
Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ;
j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.”
Alors ils répondront, eux aussi : “Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?”
Il leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.”
Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »

COMMENTAIRE

La liturgie de la Parole en ce dimanche du Christ-Roi de l’univers s’ouvre sur une prophétie d’Ézéchiel qui, au-delà de son contexte historique où le peuple hébreu est en exil, nous parle plus largement du drame de notre humanité aux prises avec le péché et le mal, et de la promesse que Dieu nous fait de nous venir en aide. C’est ainsi que Dieu prend la parole dans cette prophétie et raconte que par un jour de nuages et de sombres nuées les brebis ont été dispersées, mais que lui-même s’engage à les chercher et à les rassembler : « La brebis perdue, dit-il, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la panserai. Celle qui est malade, je lui rendrai des forces. »

Et c’est ainsi que le psalmiste, fort de cette promesse de Dieu, peut chanter : « Le Seigneur est mon berger : rien ne saurait me manquer. » Ces promesses vont trouver leur achèvement en Jésus-Christ, celui qui se présente à nous comme le bon pasteur, à qui tout a été soumis, et dont saint Paul affirme dans notre deuxième lecture, que c’est par lui le vainqueur de la mort que tous recevront la vie. Ces textes sacrés nous préparent à entendre l’évangile choisi pour cette fête du Christ-Roi.

Cette fête, faut-il le dire, est assez récente dans l’histoire de l’Église puisqu’elle a été instituée il y a moins d’un siècle, soit en 1925, avec une visée assez polémique, quoi qu’on en dise. Les gouvernements de l’époque en Europe, que l’on pense à l’Allemagne, à l’Italie, sans oublier bien sûr l’Union soviétique communiste, se montraient de plus en plus anticléricaux et l’Église voulait affirmer avec cette fête du Christ-Roi que les puissants de ce monde ne sont en fait que des roitelets en comparaison du Seigneur Jésus-Christ et du règne qu’il vient instaurer, lui le véritable roi de l’univers.

Bien sûr, existe toujours le danger pour l’Église de vouloir s’imposer comme un contre-pouvoir politique dans nos sociétés. D’ailleurs, elle n’a pas toujours échappé à ce piège à travers les siècles, et c’est ainsi qu’un auteur critique de l’Église et de ses prétentions au début du XXe siècle (Loisy) écrivait : « On attendait le Royaume de Dieu et c’est l’Église qui est venue. » Bien sûr, cette tentation demeurera toujours présente jusqu’à la fin des temps, car l’Église, tout en étant d’origine divine, est aussi humaine, mais quand nous célébrons la fête du Christ-Roi, nous les chrétiens et les chrétiennes nous affirmons ce qui suit : « On attendait le Royaume de Dieu et c’est Jésus qui est venu! »

En cette fin d’année liturgique, cette fête survient comme un point d’orgue, comme l’aboutissement de tout ce que nous avons célébré ensemble depuis un an, alors que nous affirmons à la face du monde, que Jésus-Christ est le Seigneur de l’univers, notre roi, qui vient vers nous drapé du vêtement du bon pasteur, portant sur lui la bonne odeur de ses brebis qu’il porte sur ses épaules, qu’il soigne et qu’il accompagne vers ces verts pâturages que chante le psalmiste aujourd’hui.

Maintenant, l’évangile de ce jour nous ouvre des perspectives incroyables et insoupçonnées quant aux conditions d’appartenance au troupeau de ce roi berger, et nous permet de jeter un regard neuf sur le rôle de l’Église que nous formons en ce monde. Un théologien peut nous aider ici à mieux comprendre ce rôle.

Il y a un mois décédait un éminent théologien à Montréal du nom de Gregory Baum, un Juif converti au catholicisme qui, pendant plusieurs années, a enseigné à l’Université McGill. Dans son dernier livre, publié il y a un an à peine à l’âge de 95 ans, il écrivait un texte à propos de l’Église qui peut ébranler certaines de nos conceptions à son sujet, mais une réflexion qui s’impose il me semble à la lumière de notre évangile aujourd’hui. Il écrivait ceci : « L’Église n’est pas une oasis de salut dans un désert de perdition; le salut est offert partout dans le monde, par l’entremise des traditions religieuses, des cultures humanistes et de l’expérience commune de la solidarité. Le premier outil de la grâce, écrivait-il, c’est la vie humaine. »

Mais alors, me direz-vous, que reste-t-il de l’Église dans une telle perspective? Et bien, je dirais tout d’abord que l’Église est cette communauté de foi qui célèbre cette vie donnée qui est la nôtre et qui est commune à toute l’humanité. Notre mission est de nous y engager passionnément dans cette vie, reconnaissant qu’elle a sa source en Dieu lui-même et dans le don de son Fils à notre humanité. J’ajouterais que notre mission en Église, c’est à la fois de célébrer cette grâce d’un amour infini qui nous est faite et de partager cette joie qui est la nôtre, de donner le goût de Dieu au monde quand ce dernier est méconnu ou bafoué, oeuvrant ensemble, solidaires des joies et des peines de cette terre, n’oubliant jamais que l’Esprit du Christ nous précède dans cette Galilée des nations.

Et c’est ainsi que dans l’évangile de ce jour, la seule condition posée pour être reconnus parmi les brebis du Seigneur, ce n’est pas de dire « Seigneur, Seigneur! », mais de témoigner d’une charité active en ce monde, car le Christ s’attache tellement à chacun de nos pas qu’il est le premier touché quand une vie humaine est aimée ou méprisée. Et c’est parmi des hommes et des femmes de toutes races, de toutes cultures, de toutes religions que le Royaume se fraie son chemin, comme la semence jetée en terre. Cet évangile nous rappelle que nous n’avons pas le monopole de l’amour, et il n’est pas mauvais de nous l’entendre dire ! »

Comme l’affirme le Pape François dans son exhortation apostolique « La joie de l’Évangile », il nous faut apprendre à « ôter nos sandales devant la terre sacrée de l’autre », puisque tous sont aimés de Dieu et que ce dernier nous en confie tout particulièrement la responsabilité à nous son Église. C’est pourquoi Jésus nous invite à accueillir notre prochain comme s’il s’agissait de lui-même. Il vient ainsi ouvrir des perspectives nouvelles à nos amours, à nos amitiés, à nos relations entre nous. C’est comme s’il nous disait : « Si tu savais le don de Dieu, si tu savais qui s’adresse à toi à travers ce prochain. Si tu savais tout ce dont sont porteurs tes actes de charité, même les plus modestes, tu t’empresserais alors d’aller vers les plus pauvres, les plus malheureux et les plus démunis, parce qu’en eux c’est Dieu qui se tient à ta porte, qui t’espère et qui t’attend. »

Frères et sœurs, en cette fête du Christ-Roi, au terme de cette année liturgique, nous demandons à Dieu de nous aider à grandir et à persévérer dans l’amour du prochain, nous rappelant que le Christ, notre roi et notre pasteur, vient vers nous avec douceur et humilité, non pas pour dominer nos vies, mais pour les transfigurer et nous rendre semblables à lui, afin que nous puissions aimer comme lui et ainsi nous faire bons pasteurs avec lui. Tel est le sens de sa royauté que nous célébrons aujourd’hui.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

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Consacrer sa vie

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Je crois être venu au monde avec cet appel particulier à chercher Dieu de toutes mes forces, dans une vie qui lui serait entièrement consacrée. Cette vocation aurait sans doute pu se réaliser dans le mariage ou dans un célibat engagé dans le monde. Mais c’est Dieu qui appelle et qui inspire des directions à nos choix de vie. Je dirais qu’il nous souffle à l’oreille ce qui pourra être, pour nous, la meilleure voie d’épanouissement, sans que cela veuille dire qu’il n’y ait pas différentes voies possibles. Mais certaines sont mieux adaptées à ce que nous sommes, à ce que nous portons comme richesses, talents et sensibilités…

Il y a des choix de vie où nous sommes mieux assurés de trouver notre bonheur, notre épanouissement personnel, même si parfois ces choix semblent aller contre la logique de ce monde. À notre époque, même le mariage est soupçonné. Avoir des enfants est quasiment perçu comme un geste irresponsable, dès que l’on dépasse un deuxième, si ce n’est dès le premier! Que dire alors de la vocation religieuse ou sacerdotale! Même des chrétiens s’en méfient et jugent parfois sévèrement ceux et celles qui s’y engagent.

La vocation religieuse ou sacerdotale est avant tout un choix de vie où celui ou celle qui s’y engage, y reconnaît une voie de bonheur et d’épanouissement supérieur à tout autre pour lui. Il s’agit d’une invitation de Dieu qui, secrètement, au fond du coeur de celui ou celle qui est appelé, met un désir profond de suivre le Christ avant toute chose. Cela devient le premier choix de vie.

C’est un choix qui doit se faire, ni par sentimentalisme, ni par culpabilité, ni par crainte de dire non à Dieu, comme le présentent certaines spiritualités qui caricaturent l’appel de Dieu. Mais ce choix doit être avant tout un oui au bonheur, en dépit des renoncements qu’il implique. Celui ou celle qui s’y engage, doit s’y engager parce qu’il y trouve sa joie. Il n’y a pas d’engagement de vie sans renoncements. Mais toujours, l’amour, la joie du don de soi, le désir de dire oui, nous font accepter les limites et les contraintes d’un choix de vie donnée, les avantages étant tellement supérieurs aux renoncements. Même ces derniers sont au service de l’amour et le font grandir, l’aide à atteindre sa pleine maturité.

fr. Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

La communion des mains

Messe des étudiants

Depuis que je suis prêtre, j’ai toujours été fasciné par ces mains qui se tendent vers moi pour recevoir la communion. Elles me parlent de la personne qui les tend et me dévoilent un peu sa foi. Je suis le témoin d’un mystère de communion qui se profile devant moi.

Depuis que je suis prêtre, je ne compte plus les milliers de mains ou dizaines de milliers de mains qui se sont tendues vers cette petite hostie entre mes doigts. À chaque eucharistie défilent devant moi des mains de toutes sortes, avec leurs faims, leurs désirs et leurs secrets.

Il y a les mains pressées, ou est-ce de la timidité, des mains brusques, qui enlèvent littéralement le Corps du Christ. Des mains promptes à prendre et promptes à se retirer, emportant avec elles leur secret.

Il y les mains timides, les mains qui semblent quémander le Corps du Christ. Elles hésitent, elles sont malhabiles et se retirent un peu confuses. Mais il y aussi les mains fières et indifférentes, qui reçoivent l’hostie comme un dû, qui prennent et s’en vont, distraites, sans rien dire. Il y aussi les mains qui adorent, qui contemplent déjà en s’offrant. Ce sont des mains sereines, des mains de foi, tout ouvertes au mystère.

Et que dire de ces mains usées, tannées par le travail, mains rugueuses, parfois sales? Je revois ces mains de cultivateurs ayant passé la journée aux champs. Ce sont les plus impressionnantes. Il y a aussi les mains usées et ridées des vieux et des vieilles. Ce sont des mains fidèles et persévérantes. On voudrait les baiser. Et bien qu’elles tremblent un peu, elles respirent la confiance en Dieu et la foi têtue. Ce sont les plus belles avec les mains d’enfants, qui sont parmi mes préférées. Quand elles sont toutes petites encore elles sourient au mystère de Dieu qui se dépose dans ces petites menottes. Ce sont des mains pleines de joie et de fraîcheur lorsqu’elles communient. Elles me rendent joyeux et heureux d’être prêtre.

Mais les mains qui m’émeuvent tout particulièrement, ce sont les mains des itinérants (SDF). On en voit peu. Mais lorsqu’elles se présentent, on les remarque toute de suite. Des mains abîmées précocement, cicatrisées, sales, parce que laissées à elles-mêmes, seules, abandonnées. Elles hésitent souvent lorsqu’elles s’avancent, mais à chaque fois je me dis : « Que voilà des mains courageuses. » Elles ressemblent sans doute aux mains du Christ.

Recevoir le Corps du Christ, c’est prendre entre ses doigts ce qu’il y a de plus précieux dans la création. Pour Simone Weil, l’hostie nous place au degré le plus infime de la Création, et parce que justement ce degré est le plus bas, il est le plus capable de recevoir l’infini. Et cette main du prêtre qui tend l’hostie, c’est la main du Christ, qui dispense en toute gratuité le grand mystère de l’Amour fait chair.

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le 32e Dimanche T.O. Année A

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Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 25,1-13.
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole :
« Le royaume des Cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prirent leur lampe pour sortir à la rencontre de l’époux.
Cinq d’entre elles étaient insouciantes, et cinq étaient prévoyantes :
les insouciantes avaient pris leur lampe sans emporter d’huile,
tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leurs lampes, des flacons d’huile.
Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent.
Au milieu de la nuit, il y eut un cri : “Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.”
Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et se mirent à préparer leur lampe.
Les insouciantes demandèrent aux prévoyantes : “Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent.”
Les prévoyantes leur répondirent : “Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous, allez plutôt chez les marchands vous en acheter.”
Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva. Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte fut fermée.
Plus tard, les autres jeunes filles arrivèrent à leur tour et dirent : “Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !”
Il leur répondit : “Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas.”
Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »

 

COMMENTAIRE

La semaine dernière, j’ai été témoin d’un spectacle pour le moins inusité. Un petit écureuil, indifférent à ma présence, travaillait d’arrachepied à préparer son nid pour l’hiver. Il allait deçà delà sur le gazon, engouffrant dans sa petite gueule autant de feuilles séchées qu’il le pouvait, pour ensuite partir à la course vers son nid y déposer ses feuilles, et revenir aussitôt répéter le même manège. Je me faisais la réflexion suivante : que voilà un petit animal vigilant et prévoyant.

En cet automne de notre pays, la nature est en mode d’hyper-activité devant le froid qui vient. Les oies sauvages et les sarcelles descendent vers le Sud, les renards et les ours préparent leur tanière, les écureuils entassent des provisions afin de traverser l’hiver. Grand remue-ménage afin de traverser la saison froide dans l’espoir d’accueillir le printemps et ses promesses de renouveau.

Si la prévoyance et la vigilance sont inscrites dans l’ADN de nos amis du règne animal, il en va autrement chez nous les humains. Car il ne s’agit plus tout à fait d’un réflexe chez nous. Nous sommes passés à un autre stade de l’évolution où la prévoyance requiert de notre part une décision ferme et volontaire. Et cela est encore plus vrai au plan spirituel. Tel est le sens de la parabole des dix jeunes filles qui attendent la venue de l’Époux.

Nous le croyons, nous sommes tous et toutes enfants de Dieu. Le sens de nos vies, notre vocation personnelle et mystérieuse, s’inscrivent déjà dans le cœur de Dieu, avant même que nous ne soyons nés. Dieu nous voyait déjà chacun et chacune, avant même la création du monde. Il se penchait avec amour sur le rêve en devenir que nous étions, mettant en nous un dynamisme de vie capable de se tourner vers l’infini.

La venue du Fils de Dieu parmi nous vient nous dévoiler le véritable visage du Père en nous donnant de vivre de sa vie et de son amour, car un jour nous serons tous appelés à aller vers Lui, à entrer dans cette vie en plénitude que Jésus, par son incarnation et sa résurrection, est venu préparer pour nous. Désormais, notre destinée, c’est de vivre éternellement avec lui auprès de Dieu, et la parabole de ce dimanche nous pose la question suivante : saura-t-il nous reconnaitre quand il viendra ? Serons-nous prêts ?

L’invitation à veiller que nous fait Jésus revient souvent sur ses lèvres. C’est là un thème majeur de sa prédication. Veillez sur vous-mêmes, nous dit-il, nourrissez votre vie de prière, ne laissez pas votre charité s’affadir, ne vous lassez pas de faire le bien, et surtout, ne perdez pas de vue la saison qui vient, cet éternel printemps, que Jésus compare à une salle de festin, à des noces éternelles, et dont il est l’Époux.

Quand nous arrivons au terme de l’année liturgique, juste avant d’inaugurer le temps de l’Avent, la liturgie insiste beaucoup sur la fin des temps et le jugement dernier. Des images qui ne sont pas toujours rassurantes, j’en conviens, et dans l’évangile que nous venons d’entendre, il y a des paroles terribles de la part de l’époux à l’endroit des jeunes filles insouciantes : « Je ne vous connais pas. » Alors que faire pour être reconnus ?

Déjà, quand on vit dans l’amour et le souci des autres, je suis sûr que le Seigneur se reconnaît chez ces personnes, même chez celles qui ne sont pas chrétiennes ou qui sont loin de l’Église. Mais ce que la suite du Christ offre de nouveau à l’humanité, c’est l’expérience intérieure de découvrir peu à peu celui qui nous appelle, afin que nous puissions lui dire lors de sa venue, lors de notre passage vers cette vie promise : « Ah ! Te voilà Seigneur. Je t’ai tellement attendu ! »

Cette expérience, nombre de croyants l’on vécue à l’approche de la mort. Et c’est là a plus belle rencontre qui soit, mais elle se prépare au fil des jours et des années, où toujours Dieu se tient à la porte et il frappe. Il y a quelque temps on m’a donné une image sur laquelle on voit Jésus frappant sur une porte. Une image très évocatrice, mais où il semble manquer un détail important : il n’y a aucune poignée à cette porte. Le peintre, interrogé au sujet de cette lacune, a répondu que c’était volontaire, car, disait-il, cette porte on ne peut l’ouvrir que de l’intérieur.

Seul celui ou celle qui habite cette maison intérieure peut ouvrir la porte et ainsi accueillir celui qui frappe, mais jamais le Seigneur n’entrera de force. Il faut donc savoir veiller et ouvrir quand il vient. Chaque jour il nous faut être attentifs à son pas, à sa voix, à travers ceux et celles que nous côtoyons, et ainsi nous préparer à ce grand rendez-vous de la rencontre au terme de nos vies.

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J’accompagne présentement une connaissance qui m’est très chère et qui va bientôt mourir. Alors que cet homme voit venir le moment de sa mort, lui qui est un chrétien convaincu, m’a confié : « Tu sais, je n’ai pas peur; j’ai fait mon possible dans la vie, et bien que je ne sois pas parfait, je sais que je peux m’en remettre à la grande miséricorde de mon Dieu que j’aime ».

Est-il exigeant ce Dieu auquel nous croyons et à qui nous confions nos vies ? Il suffit de regarder l’attitude de Jésus sur la croix avec celui qu’on appelle « le bon larron ». C’était un brigand, paraît-il, et les paroles de Jésus à son endroit ont toujours interrogé les croyants : « Aujourd’hui même, lui dit-il, tu seras avec moi dans le paradis ! »

Dans une homélie, saint Augustin s’interroge à propos de ce larron, et il lui demande : comment il a reconnu le Messie sous l’apparence du crucifié, lui l’ignorant de la Loi et des Prophètes, lui qui n’avait probablement jamais beaucoup prié, alors que les scribes et les docteurs de la Loi n’avaient rien compris, alors que ses disciples les plus proches avaient pris la fuite, en se laissant gagner par le désespoir, alors qu’il n’y avait rien à voir  sur cette croix? Et, le bon larron de répondre à Augustin : « Il m’a regardé, et dans ce regard, j’ai tout compris. »

Frères et sœurs, nous sommes appelés dans notre vie de foi à entrer dans cette intimité de la rencontre que nous propose le Seigneur, à nous placer sous son regard d’amour, et à nous confier à sa miséricorde, malgré nos faiblesses. Et si ce désir nous habite, une chose est certaine : jamais nous ne manquerons d’huile pour notre lampe, jamais la grâce ne nous fera défaut, car il est fidèle celui qui nous appelle et qui frappe à notre porte pour nous inviter au festin des noces. D’ailleurs, la fête est déjà commencée et c’est ce que célèbre chacune de nos eucharisties.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs


  1. Adrien Candiart, Quand tu étais sous le figuier…, Paris, Cerf, 2017, pp. 32-33.

 

Homélie pour le 31e Dimanche T.O. Année A

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Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 23,1-12.
En ce temps-là, Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples,
et il déclara : « Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse.
Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas.
Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt.
Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens : ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges ;
ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues
et les salutations sur les places publiques ; ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi.
Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères.
Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux.
Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ.
Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.
Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé. »

COMMENTAIRE

Il est bon de savoir que chacun des évangélistes reprend à son compte les enseignements de Jésus avec sa créativité propre, tenant compte du contexte social et religieux qui est le sien. C’est ainsi que l’évangéliste Matthieu, un Juif devenu chrétien, s’adresse surtout à des chrétiens venus du judaïsme vivant à Antioche, en Syrie, où se retrouvaient d’importantes communautés juives et chrétiennes. L’opposition y était vive entre le judaïsme traditionnel et le christianisme naissant qui faisait figure d’hérésie.

C’est sur ce fond de polémique que Matthieu prend bien soin de rappeler à ces chrétiens d’Antioche les paroles sévères de Jésus au sujet du comportement des élites religieuses juives, car il ne doit pas en être ainsi parmi eux alors que l’attrait des comportements ostentatoires liés à la pratique religieuse demeure toujours une tentation. Mais comme le dit le proverbe : « Chassez le naturel et il revient au galop », et c’est pourquoi cet enseignement de Jésus garde toute son actualité pour nous aujourd’hui. Il y a là une mise en garde sévère pour les responsables religieux dans l’Église qui est la nôtre.

Par ailleurs, cet évangile ne concerne pas uniquement les chefs religieux, car ce sont tous les disciples qui sont invités à un nouveau mode de relation entre eux. Et pour bien le comprendre, il faut avoir en tête les paroles de Jésus que Matthieu rapporte un peu plus haut dans son évangile : « Vous le savez : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. » (Mt 20, 25-28.)

Parmi les quatre évangélistes, Matthieu est celui qui a le plus insisté sur le thème de l’Église rapportant les paroles de Jésus proposant une vision très égalitaire des rapports qui doivent animer les disciples du Christ entre eux, toujours dans une perspective du service et du don de soi aux autres. C’est pourquoi quand Jésus nous rappelle le second commandement de l’amour où il est dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », nous avons là une clé de lecture fondamentale pour mieux comprendre ce que cela veut dire que de nous faire les serviteurs les uns des autres.

Tout d’abord, il nous faut nous poser la question suivante : est-ce que nous prenons au sérieux cet amour de nous-mêmes évoqué par ce commandement. Nous le savons, certaines personnes n’arrivent pas vraiment à s’aimer. Et c’est ainsi qu’il y a un proverbe juif qui relève ce fait et où il est dit : « Ne te méprise pas, car Dieu lui ne te méprise pas. » Certaines personnes portent néanmoins un regard des plus négatifs sur leur apparence, leurs talents, leur intelligence, le sort que leur fait la vie. Et pourtant même ces personnes sont attentives à leur bien-être, tout comme nous le sommes du nôtre.

Ainsi, ne sommes-nous pas les serviteurs de nous-mêmes, attentifs à nos moindres bobos, au moindre malaise, au moindre inconfort que nous pouvons éprouver. Nous répondons habituellement à tous les caprices de notre organisme, de ce corps en manque de chaleur, de nourriture, de douceur, attentifs au moindre petit caillou dans notre soulier, nous empressant de nous pencher et de l’enlever. Et au moindre malaise qui nous inquiète, nous voilà chez le médecin, chez le pharmacien, et j’en passe…

Vous voyez bien où je veux en venir : « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. » Nous sommes les serviteurs les plus dévoués et le plus attentionnés de nos petites personnes et Jésus vient nous rappeler que c’est cette même attitude à l’égard du prochain, qui doit animer les personnes dont la vie a été touchée par le Christ. Si nous portons à ce point le souci de nous-mêmes quand nous sommes en manque ou quand nous souffrons, ne doit-il pas en être ainsi les uns à l’égard des autres, et cela, non seulement à l’endroit des membres de notre Église ou de nos familles, mais pour toutes les personnes en situation de faiblesse ou de souffrance autour de nous ? La prescription du don de soi que nous propose Jésus est une invitation à revêtir le tablier du service comme lui le fait.

Voyez l’attitude de l’apôtre Paul, dans sa lettre aux Thessaloniciens, entendue en deuxième lecture. Chez Paul, nous le savons, l’expérience chrétienne se résume en cette simple phrase, tellement dense de signification : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Gal 2, 20). Et quand il déclare aux Thessaloniciens : « Nous aurions voulu vous livrer, en même temps que l’Évangile de Dieu, notre propre vie », nous avons là un magnifique exemple de ce que veut dire se faire proche de l’autre à l’exemple du Christ. Saint Paul, le Juif, le pharisien, qui n’aurait jamais osé toucher à un païen avant sa conversion, il est prêt maintenant à donner sa vie pour ces Grecs païens à qui il a annoncé l’Évangile. Car en Jésus, comme le dit saint Paul dans son épître aux Galates 3:28 : « il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. »

Jésus étend cette proximité non seulement à toute l’humanité, aux proches comme aux lointains, aux amis comme aux ennemis, mais cette proximité va jusqu’au don de sa vie. Jésus nous révèle que le prochain est un autre soi-même, tellement aimé de Dieu, qu’il nous faut nous attacher à lui comme à notre propre chair, qu’il nous faut aimer comme nous-mêmes, car en tant que disciples du Christ, nous aussi nous sommes appelés à donner la vie, appelés « à mettre Dieu au jour dans les cœurs martyrisés des autres », comme l’écrivait la jeune juive Etty Hillesum dans son journal.

Frères et sœurs, en Jésus Christ nous sommes appelés à une participation à l’amour de Dieu pour cette terre comme Jésus l’a vécue, et puisque nous formons le Corps du Christ, cela veut dire littéralement que depuis le matin de Pâques, nous sommes ce Christ en marche dans son humanité qui guérit, qui accueille, qui pardonne, qui enseigne et qui donne la vie. C’est là le grand défi auquel nous convie Jésus lorsqu’il nous invite à devenir les serviteurs les uns des autres, et à servir le prochain comme nous le ferions pour nous-mêmes.

Yves Bériault, o.p.

Dominicain. Ordre des prêcheurs