Ma prière (3)

Suite d’une correspondance avec une amie lors d’un séjour récent à Rome.

Je ne me souviens plus très bien du type de prière qui a suivi cette expérience, sinon que j’étais très exalté et que ma prière en était une de grande louange. Elle ne tarderait pas à devenir un lieu de combat, car il me fallait retrouver le chemin de l’Église, et je portais une foule de questions avec lesquelles je harcelais Dieu sans cesse. Tout comme je le ferais quand viendrait le moment de choisir ou non de répondre à l’appel vers le sacerdoce. Je portais une prière enthousiaste, mais inquiète aussi, et donc fragile. J’avais peur de perdre ce que je venais de découvrir, je demandais souvent à Dieu de ne pas m’abandonner et surtout, de ne pas me laisser l’abandonner. D’ailleurs, cette demande me paraît toujours aussi importante aujourd’hui, mais je la porte avec moins d’inquiétude.

Cette recherche de ma voie allait durer sept à huit ans. Pourtant je n’ai pas le souvenir d’une prière inquiète, mais d’une grande joie à prier le Seigneur. Mais dès les débuts, ma relation retrouvée avec le Seigneur m’incita à vouloir changer de vie. Tout à coup, ce qui allait contre l’Évangile me devenait plus évident. Comme si un guide intérieur me conduisait et m’apprenait à devenir disciple peu à peu.

Cette étape de purification, comme l’appellerait les mystiques, est toujours présente. La conversion ne cesse jamais puisque la chute et l’homme pécheur demeurent. Mais parallèlement, j’ai toujours aimé me retirer dans le silence afin de louer le Seigneur, l’adorer ou, encore, afin d’intercéder pour d’autres, afin de me tenir aux pieds de la Croix et prendre au sérieux la souffrance du monde, la souffrance de ceux et celles qui se recommandent à ma prière.

Cette dimension de la prière s’est peu à peu affirmée avec les années. Comme si ma prière avait évoluée vers une sorte de dépouillement où la joie intérieure ou l’échec, ne sont plus des pré-requis pour la prière. Parfois ce sera une prière dite avec le chapelet, ce que j’ai toujours aimé faire, d’autres fois ce sera une prière dépouillée, dans laquelle, à la limite, j’essaie tout simplement de me tenir silencieux devant le Seigneur, répétant parfois intérieurement son nom: Jésus ou Seigneur Jésus, ou Seigneur prends pitié! C’est la prière la plus difficile et je ne puis m’y tenir bien longtemps. Mais l’important ce n’est pas la durée de la prière, mais son intensité, sa sincérité.

Je constate qu’avec les années, ma prière est devenue plus pauvre je crois. Une prière où je compte moins sur l’élan de ma foi ou de ma ferveur, que sur l’accueil que m’y fait le Seigneur. C’est un peu la prière à l’exemple du couple fidèle qui, après des années, n’a pas toujours besoin de beaucoup de mots pour se comprendre et où le silence peut être tout aussi signifiant que les paroles les plus tendres. C’est peut-être cette nuit là dont parle saint Jean de la Croix, dans laquelle on ne cherche à s’accrocher à rien, sinon qu’à se tenir disponible et abandonné à la volonté du Seigneur. (à suivre)

Ma prière (2)

D’entrée de jeu, je dois dire que je me suis toujours méfié des systèmes, des techniques, des trucs. J’étais ainsi en psychologie. C’est pourquoi je n’ai pu appartenir pleinement à aucune école de psychothérapie. Et cela explique sans doute pourquoi je suis dominicain plutôt que jésuite. Ici je ne veux pas porter de jugements, les jésuites ayant réussi mieux que nous les dominicains dans bien des domaines. Mais il faut des auberges pour tout le monde dans la vigne du Seigneur. Donc, m’a prière ne s’enracine pas dans une école de spiritualité. Elle a poussée telle que le Seigneur a bien voulu me la donner.Mais il y a quand même ma responsabilité face à cette prière, et je me demande toujours si je ne pourrais pas la faire grandir davantage, et c’est là, quand j’ai de telles préoccupations, que je me demande si je ne risque pas de tomber dans les trucs et les recettes. Il n’y a rien à faire, je préfère vivre ma prière un peu comme l’on respire. Ce qui explique que ma prière n’est pas toujours régulière. Elle l’est seulement quand j’ai le soutien d’une communauté, car laissé à moi-même, je ne suis pas porté à ponctuer mes journées par des temps bien précis. Si je suis en vacance, j’essaie tant bien que mal d’y faire une place, mais je vais parfois sauter un office ou deux, ou même toute une journée sans que cela ne m’incommode, ne vous en déplaise. Par ailleurs, je tiens à préciser que Dieu ne sera pas absent pour autant de ma journée. Il sera mon compagnon de marche, mon compagnon de lecture, mais… ce n’est pas classique comme prière. Je n’aime pas la mettre dans une moule, l’encadrer, la structurer, la visser au plancher, quoi!

La prière qui est la mienne, et dans laquelle je crois, puisqu’elle me fait vivre, est une prière de compagnonnage et d’intimité, une prière qui aime bien prendre la clé des champs à l’occasion, mais qui est tout à fait à l’aise dans un choeur de monastère ou dans l’oraison silencieuse.

Ma prière a commencé cette nuit là, vous vous en souvenez, alors que je revenais d’une soirée de prière, déçu de ne pas croire, de ne pas être capable de croire. Déçu de ne pas avoir un dieu dans ma vie semblable à celui dont me parlaient des amis chrétiens. Ce soir là, en rentrant chez moi en voiture, j’ai pleuré. Des pleurs ou plutôt des sanglots, ce qui est plus douloureux encore, à travers lesquels j’ai demandé à Dieu de croire en lui, s’il existait.

Ainsi donc, la première forme de prière qui s’est imposée à moi fut une prière de supplication, une prière de détresse, à laquelle Dieu ne tarderait pas à répondre et dont la réponse remplirait mon coeur d’une joie ineffable et durable jusqu’à ce jour. (à suivre)

Ma prière (1)

Correspondance avec une amie lors d’un séjour récent à Rome

J’écris ces lignes au moment où, de ma fenêtre, j’entends la foule et ses klaxons dans les rues de Rome, qui célèbre une victoire quelconque. Sans doute la victoire d’une équipe de soccer, Roma ou Lazzio. Cela dure depuis environ cinq heures et ne semble pas vouloir s’arrêter. Et je reste toujours étonné devant la passion, l’enthousiasme, que l’homme peut manifester devant une victoire sportive. Comme si le sport devenait le lieu de toutes ses victoires et de toutes ses défaites, l’absolu jamais atteint, et qui provoque une telle soif chez l’amateur. Une soif qui peut devenir jubilatoire ou violente, c’est selon!

Et je me dis combien l’homme est un aveugle qui cherche à tâtons le sens de son existence et qui est prêt à s’attacher à toute forme de victoire où il fait nombre; où il n’est plus seul dans son combat, mais vainqueur à plusieurs. Dans cette recherche, il est encore bien loin de l’absolu. Car il ne s’agit là que de simulacres de victoires qui ne le font pas vraiment grandir, mais qui peuvent quand même être l’occasion pour lui de réfléchir sur la soif qui l’habite et le besoin qu’il a de l’étancher avec quelque chose de durable et d’éternel.

Ce préambule ou cette digression, m’amène à parler de ma prière, dans laquelle j’ai trouvé la première expression de ma quête de sens et qui, depuis, m’a amené beaucoup plus loin que je ne l’aurais imaginé, beaucoup plus loin que les victoires éphémères et les « absolus » de passage que nous proposent nos contemporains. Si je m’engage dans cet exercice, c’est que je cherche à identifier le chemin par lequel le Seigneur m’a conduit. Car je dois reconnaître que je ne suis pas un fin analyste quand il s’agit de décortiquer mon expérience. Et pourtant les grands spirituels, saint Jean de la Croix par exemple, parlent d’étapes qui nous engagent de plus en plus dans cette rencontre avec le Dieu vivant, Père, Fils, Esprit Saint! Je vais donc tenter l’expérience d’un retour sur cet apprentissage de la vie de prière dans laquelle m’a conduit le Seigneur. (à suivre)

« La beauté sauvera le monde! »

art150.jpgÉcrivant en 1952, Pie XII, dans sa Lettre aux artistes, souligne à quel point le travail de l’artiste est essentiel à la vie de l’Église et de notre monde. S’inspirant de l’affirmation inoubliable de l’écrivain russe Dostoïevski, « la beauté sauvera le monde », il écrit : « Le beau doit nous élever. La fonction de tout art, et donc de tout artiste, consiste à briser l’espace étroit et angoissant dans lequel l’homme, tant qu’il vit ici-bas, est plongé pour ouvrir une fenêtre vers l’infini! »

Dans sa quête du beau et de l’inexprimable, l’artiste est à sa manière un chercheur de vérité, interrogeant sans cesse cette passion qui le consume et le fait vivre. Qu’il soit comédien, musicien, peintre, écrivain, sculpteur ou artisan, et j’en passe, il y a en lui un espace secret où se livre un combat qui ressemble à celui de Jacob avec l’ange. L’inspiration n’est jamais un dû, elle ne se livre qu’après une lutte ardue: « Bénis-moi! » Voilà souvent le cri de l’artiste au coeur de son combat.

L’artiste évoque aussi la figure d’un Moïse, le contemplatif devant le Buisson Ardent. Il me semble qu’il est toujours hanté par cette question fondamentale : « Quel est ton nom? » L’artiste a besoin de saisir ce qui lui échappe. Comme le scientifique, il cherche à comprendre, à saisir l’indicible. Il est fasciné par ce qui le dépasse et il entraîne le monde dans sa soif d’absolu. Cette recherche du beau et du vrai, comme l’affirment Dostoïevski et Pie XII, est capable de sauver le monde. Je le crois. Mystérieusement, elle le rend plus humain, elle lui permet de s’ouvrir à lui-même et de se dire.

Hommage donc à tous ces artistes qui peuplent notre imaginaire de formes et de couleurs inédites, de sons, d’images et de chansons, qui nous transportent à mille lieux, pour mieux nous dire qui nous sommes. Hommage à tous ces artistes célèbres et méconnus qui ont tellement enrichi le patrimoine humain. Hommage surtout à cet artiste qui sommeille en chacun de nous et qui, de mille et une manières, au fil des jours, recrée le quotidien et enfante le monde de demain. Prêtons-lui attention, prenons-le au sérieux, même si ses efforts paraissent parfois malhabiles. A sa façon, il poursuit l’œuvre de création que Dieu a commencée de bon matin.

Ma prière (6)

J’aimerais terminer en parlant du silence, le silence qui fait grandir les saints, comme disait un Père du désert. S’il y a un élément de changement bien concret que je puis identifier depuis que j’ai retrouvé ma foi catholique, c’est l’importance croissante du silence. Je vous avais dit, je crois, à quel point mon séjour à la Trappe avait confirmé cela. Et j’en suis tout étonné, émerveillé je dirais. Car c’est là pour moi comme un fruit tangible qu’apporte la vie spirituelle: un besoin d’être seul avec soi-même, un besoin d’être à l’écoute, sans se sentir menacé, sans avoir peur. La solitude devient alors un lieu d’accueil et de repos. Le silence nous parle alors de Dieu et de notre vie en Lui, et la prière y trouve tout naturellement sa source. Le silence est sans doute l’expérience la plus tangible que nous puissions faire de la présence de Dieu. Car dans le silence nous sommes mis à nu, dans une attitude d’accueil et de don de soi. Mais naturellement, il faut que ce silence soit recherché pour lui-même et non pas imposé. Et c’est là une des fonctions de la prière personnelle et de la prière en Église, de nous conduire peu à peu dans cette ouverture au silence où Dieu se dit.Dieu, « nul ne l’a jamais vu, sinon le fils de Dieu et ceux à qui il veut bien se révéler ». Et nous avons cette promesse sûre et ferme, que ceux et celles qui accueillent Jésus comme Fils et Révélateur de Dieu, il leur sera donné cette connaissance et cette expérience de Dieu, comme l’a vécue Jésus de Nazareth. Entrer dans le silence de la prière, c’est se faire tout disponible et abandonné à l’action du Seigneur: « Parle Seigneur, ton serviteur écoute! » (fin du texte)

La foi populaire

De passage à Montréal, je suis allé à l’Oratoire Saint-Joseph. Un sanctuaire gigantesque, sans grande beauté, mais où affluent des millions de personnes chaque année, chacune avec son petit bagage de demandes, de souffrances ou de curiosité. Il y avait là une jeune femme au pied de cette grande croix dans la chapelle de la crypte.Le corpus sur la croix fait près de deux mètres et lorsque l’on se tient devant cette croix, il faut lever les mains au-dessus de sa tête afin de toucher les pieds du Christ. Les pèlerins qui viennent poser ce geste de dévotion sont tellement nombreux qu’il n’y a plus aucune couleur sur les pieds de ce Christ en croix, elles ont toutes été effacées par les touchers successifs de tous ces pèlerins venant exprimer leur amour et leur supplication.

Cette jeune femme aux longs cheveux noirs est restée de longues minutes en prière au pied de cette croix, la tête appuyée sur le bois, tenant fermement les pieds de Jésus. Un spectacle émouvant, où je me sentais un peu voyeur devant cette foi qui s’affichait ouvertement et sans honte. En même temps que je l’observais, je l’admirais et je l’enviais. J’enviais cette prière de confiance amoureuse, cette prière suppliante, comme si elle était seule au monde avec Jésus en croix, et je me disais : « Voilà la vraie prière! », celle qui donne tout, où l’opinion des autres ne nous atteint plus, où l’on se donne tout entier au Christ.

Certains se moquent de cette foi populaire ou en parlent avec complaisance, le regard attendrit, mais tout en laissant entendre que la cause est déjà jugée. Le mépris des pauvres sera toujours une tentation en Église, et pourtant n’est-ce pas leur prière qui seule est capable de toucher le coeur de Dieu? N’est pas là ce que Jésus est venu nous enseigner. Il faut savoir se tenir avec lui au pied de la croix, comme le font les pauvres, et ne pas avoir honte d’avoir besoin de lui. C’est avec cette leçon que j’ai quitté ce haut lieu de prière qu’est l’Oratoire Saint-Joseph.

Sans le savoir, cette jeune femme aux longs cheveux noirs a rendu témoignage au Christ. Il faut prier pour elle et porter avec elle sa prière. « Vois Seigneur comme elle t’aime, et comme elle a confiance en toi. »