Homélie pour le 1er Dimanche du Carême (A)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 4,1-11.
En ce temps-là, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable.
Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim.
Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
Mais Jésus répondit : « Il est écrit : ‘L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.’ »
Alors le diable l’emmène à la Ville sainte, le place au sommet du Temple
et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : ‘Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre.’ »
Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : ‘Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu.’ »
Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire.
Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. »
Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : ‘C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte.’ »
Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient.

COMMENTAIRE

J’aimerais aborder ce carême qui commence avec un passage du livre du Petit Prince de Saint-Exupéry. Dans ce conte, le Petit Prince, seul sur son astre, s’est lié d’amitié avec un renard. Il vient lui rendre visite un jour, mais sans le prévenir. Le renard lui en fait alors le reproche :

Il eût mieux valu, revenir à la même heure, dit le renard. Si tu viens, par exemple, à quatre heures de l’après-midi, dès trois heures je commencerai d’être heureux. Plus l’heure avancera, plus je me sentirai heureux. À quatre heures, déjà, je m’agiterai et m’inquiéterai ; je découvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens n’importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m’habiller le cœur… Il faut des rites. 

Il faut des rites ! Voilà qui décrit bien la démarche dans laquelle nous nous engageons en Église, année après année, et qui s’appelle le carême. Il faut des rites pour s’habiller le cœur, afin de redécouvrir et d’affirmer encore une fois, combien notre foi en Jésus Christ nous importe, combien elle a ce pouvoir de transformer nos vies. Il nous faut des rites pour nous préparer à la grande fête de l’amour, la fête de Pâques, où Dieu nous donne sa dernière et sa plus belle parole en son Fils Jésus-Christ.

Le 5 février dernier, décédait le théologien français Claude Geffré, un dominicain et théologien de grande envergure, qui décrivait avec des mots tout simples, le mystère d’amour au cœur de sa vie de croyant : « Désirer Dieu, disait-il, c’est désirer d’abord que Dieu soit Dieu dans ma vie, parce qu’il est mon tout, mon bonheur et ma fin ».

C’est en marche vers ce bonheur que le temps du carême nous entraîne, et qui nous invite à nous habiller le cœur. Mais, n’en doutons pas, il s’agit aussi d’un combat à mener, car il nous arrive de perdre ce désir que Dieu soit Dieu dans nos vies. Et c’est ainsi que le rite du carême vient nous inviter à nous remettre en marche et à prendre au sérieux, le sérieux de notre foi, ainsi que le sérieux de nos vies.

L’évangile de ce premier dimanche du carême illustre bien le combat qui doit être le nôtre. Nous y voyons Jésus entrer dans le drame de l’existence humaine, alors qu’il est tenté par Satan. Les trois tentations que Jésus doit affronter sont l’expression de la tentation d’un monde sans Dieu, qui ne croit qu’en lui-même, qui se construit en dehors de tout principe de vie capable de fonder son existence, et de lui donner sens. De là, toutes les dérives, tous les abus qui deviennent possibles, quand l’homme devient la mesure absolue de son emprise sur le monde.

C’est cette tentation qui s’exprime dans le récit de la Genèse, alors qu’Adam et Ève sont invités par le serpent, à s’approprier le fruit de la connaissance du bien et du mal, et ainsi à se construire en dehors de toute référence à Dieu. Alors que le serpent leur promettait qu’ils seraient comme des dieux, ils font l’expérience qu’ils sont nus, expression d’une rupture avec Dieu. Jésus au désert doit affronter cette même tentation. Il le fera en notre nom, assumant pleinement le drame de l’existence humaine, se faisant solidaire de nos luttes, nous entraînant à sa suite afin de nous donner de participer à sa victoire sur le mal et sur la mort.

Frères et sœurs, le carême est une invitation à aller au désert avec le Christ, afin d’entrer dans son combat, et ainsi réaffirmer la primauté de Dieu dans nos vies. Mais parfois, nous tombons, nous cédons, nous ne sommes pas toujours à la hauteur de ce que nous aimerions vivre en tant que chrétiens et chrétiennes. C’est pourquoi le désert est aussi une expérience de conversion.

Car on peut bien prétendre aimer Dieu de tout notre cœur, mais nos vies chrétiennes n’ont de sens que dans la mesure où elles nous font ressentir comme des blessures personnelles les malheurs de ce monde, les souffrances et les injustices que les humains se font subir. Je revois cette jeune infirmière, de retour d’un stage en Haïti, me confiant les larmes aux yeux, suite à la misère qu’elle y avait vue : « Il me semble que le Bon Dieu doit avoir honte de nous. »

Le temps du carême est là non seulement pour que nous nous rapprochions de Dieu, mais aussi pour creuser en nous cette compassion devant la souffrance humaine, notre indignation devant le mal, mobilisant nos énergies devant les situations où des hommes, des femmes et des enfants souffrent. Que ce soit la famine au Soudan, qui menace des millions de personnes en ce moment, ou encore le sort de nos frères et sœurs chrétiens du Moyen-Orient, qu’il s’agisse de tous ces pays ravagés par la guerre, du sort des réfugiés, ou encore de la misère au coin de nos rues, nous sommes tous concernés par ces situations tragiques qu’il nous faut porter à la fois dans notre chair et dans notre prière.

Les voies d’engagement vont variée selon chacun, bien sûr. Il peut d’agir d’un engagement concret sur le terrain, ou encore un soutien à des organisme, tels Développement et Paix ou Caritas International, ou encore le combat spirituel par la prière, le jeûne et la pénitence, vécus en solidarité avec tous ceux et celles qui souffrent. À nous de choisir selon ce qui nous est possible, mais c’est maintenant l’heure favorable.

Alors, habillons-nous le cœur pour ce temps du Carême qui s’ouvre devant nous, car le Christ nous y précède et nous entraîne à sa suite. Notre combat, ce sera celui de la disponibilité du cœur, afin d’accueillir les fruits de sa victoire. Voilà le mouvement de conversion dans lequel nous nous engageons à l’aube de ce Carême, qui nous conduira jusqu’au matin de Pâques, le cœur à la joie ! Amen.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 7e Dimanche T.O. (A)

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C’est trop d’amour

Situation réelle vécue il y a à peine quelques semaines : « Maman, c’est trop d’amour. Je vais pleurer. » Réaction du petit Lii, sept ans, devant les marques de tendresse de sa mère lors d’une réception. Il se blottit alors tout contre elle et se mit à pleurer.

Jésus ne nous demande-t-il pas trop d’amour avec ses prescriptions souvent contraires à nos inclinations naturelles ? Pouvons-nous vraiment tendre l’autre joue, donner beaucoup plus que l’on nous demande, pardonner à nos ennemis, les aimer même, prier pour ceux qui nous persécutent ? N’est-ce pas nous demander trop d’amour ?

En méditant les paroles de Jésus, il m’est venu à l’esprit l’analogie suivante. Imaginons nos vies comme une grande et belle maison. Cette maison est le lieu de ce qui nous tient le plus à cœur, de ce qui fait la richesse de nos vies. Quand on y entre, la première pièce que l’on traverse est celle de la famille, la pièce de l’amour des proches, père, mère, frères et sœurs. Succède à cette pièce, celle de nos amours, de nos conjoints, de nos enfants, qui deviennent tout aussi importants que les membres de notre famille naturelle. Suivent d’autres pièces où se vivent les grandes amitiés, les rencontres avec des personnes marquantes, des maîtres à penser, des éducateurs, des témoins. Vient ensuite la pièce de notre vie de tous les jours, avec les collègues de travail, les voisins, les membres de nos communautés d’appartenance. Elle est belle cette maison et elle nous tient à cœur !

Mais, tout au fond de notre maison, là où on ne va plus, il y a une pièce qui ressemble à une chambre à débarras, où se retrouvent pêle-mêle les personnes que l’on ignore, celles qui nous déplaisent et celles que l’on déteste même, les personnes qui nous veulent du mal, les personnes qui nous ont blessés, celles qui se dressent en ennemis sur notre route, bref tous ceux et celles que l’on voudrait bien exclure de nos vies.

Cette pièce nous aimons bien la garder fermée à clé, ne pas y penser. Mais voilà que Jésus nous invite à ouvrir bien grand la porte, à faire la lumière, à faire nôtre son regard, et à voir avec son cœur les personnes qui s’y trouvent. Il nous invite même à en faire des prochains. C’est comme si Jésus nous disait qu’il y a, en nous, un lieu secret où le souci de l’autre, du proche comme du lointain, doit l’emporter sur nos préjugés, nos peurs, nos haines et nos rancœurs. C’est comme s’il nous disait : « Vous savez, vous êtes capables de beaucoup plus d’amour que vous ne le croyez ! »

Une première question qui se pose à nous en écoutant cet évangile, c’est nous demander si nous croyons que Jésus dit vrai, si nous faisons confiance à sa parole, sinon pas la peine de l’écouter ou même de croire en lui ? Mais si nous croyons qu’il a les paroles de la vie éternelle, pourquoi devrai-je être bon avec tous ces gens qui m’embêtent ? Jésus nous répond, comme il l’a fait pour les disciples d’Emmaüs : « Il vous suffit de scruter les Écritures pour comprendre. » Écoutons l’invitation que Dieu fait au peuple d’Israël dans notre première lecture aujourd’hui. Il lui est dit : « Soyez saints, car moi, le SEIGNEUR votre Dieu, je suis saint. »

La parole de Dieu nous dit que nous sommes des êtres en devenir ; nos vies sont comme des chefs-d’œuvre en voie d’achèvement, une toile vivante sur laquelle Dieu inscrit son amour au fil des jours, avec des touches légères et délicates tel un peintre impressionniste. Nous sommes des saints et des saintes en devenir !

Cet appel peut nous paraître inatteignable, mais il est bon de savoir que dans la grande tradition d’Israël, quand il est question de la « sainteté » de Dieu, ce mot est synonyme avec le mot « amour ». Et parce que Dieu est amour il nous appelle à notre tour à devenir amour ! Mais comment y parvenir ?

Il n’y a pas de recette magique pour vivre ces exigences de l’Évangile que nous propose Jésus. Il faut simplement que notre désir de suivre le Christ l’emporte par-dessus tout ; que nos cœurs s’offrent sans cesse à Dieu et soient ouverts à sa grâce. C’est ce oui, que Dieu attend de nous et qui nous ouvre le chemin du véritable amour, par lequel nous pouvons alors habiter peu à peu toutes les pièces de notre demeure intérieure, et ainsi porter le souci de tous, les proches comme les lointains, les amis comme les ennemis.

« Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ! », nous dit Jésus, car il n’y a pas de plus grand bonheur que ce chemin de vie. Et pour y parvenir, nous ne pouvons que reprendre la prière que faisait saint Augustin quand il disait à Dieu : « Donne ce que tu commandes, et alors commande ce que tu veux. » C’est-à-dire donne-moi la force de vivre tes exigences, et alors, demandes-moi tout ce que tu veux. Avec ton aide tout devient possible !

Que ce soit là notre prière en ce jour du Seigneur.

Yves Bériault, o.p.

 

Homélie pour le 5e Dimanche T.O. Année A

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 5, 13-16)

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
« Vous êtes le sel de la terre.
Mais si le sel devient fade,
comment lui rendre de la saveur ?
Il ne vaut plus rien :
on le jette dehors et il est piétiné par les gens.

Vous êtes la lumière du monde.
Une ville située sur une montagne
ne peut être cachée.
Et l’on n’allume pas une lampe
pour la mettre sous le boisseau ;
on la met sur le lampadaire,
et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
De même, que votre lumière brille devant les hommes :
alors, voyant ce que vous faites de bien,
ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »

COMMENTAIRE

Voici l’homélie donnée le 5 février 2017 suite de la tuerie perpétrée à la mosquée de Québec le 29 janvier 2017.

Vous êtes le sel de la terre. Vous êtes la lumière du monde », nous dit Jésus. Comme ces paroles sont lourdes de sens à la lumière des événements des jours récents où un linceul a recouvert notre ville.

Lundi soir dernier, j’étais présent à la vigile qui s’est tenue entre la mosquée de Québec et l’église Sainte-Foy. En voyant cette foule, je ne pouvais m’empêcher de penser à cette autre vigile à laquelle j’ai participé en 1989, alors que quatorze étudiantes venaient d’être assassinées à l’école Polytechnique de Montréal.

En me tenant au milieu de cette foule, je revivais les mêmes émotions qu’il y a vingt-sept ans :  des sentiments de tristesse, de colère, mais en plus cette fois-ci, des sentiments de gêne et de honte, car les victimes sont toutes musulmanes. Elles font partie de ces marginalisés de notre société, de ces minorités dont on se méfie, de ceux et celles dont on dit qu’ils ne sont pas « des nôtres », et qui pour toutes ces raisons, sont doublement victimes. D’où, tous ces discours, ces analyses et remises en question que nous avons pu entendre au cours de la semaine.

Il nous incombe à nous aussi, en tant que disciples du Christ, de nous situer face à une telle tragédie, afin d’analyser nos sentiments et nos réactions à la lumière de notre foi, et voir où celle-ci nous entraîne. Car si nous prenons au sérieux notre suite du Christ, il faut nous demander ce qu’il attend de nous face à un tel événement; à quoi nous invite l’évangile quant à l’accueil et l’intégration de tous ceux et celles qui nous viennent d’ailleurs, et qui souvent professent une foi différente de la nôtre.

Cette semaine a quand même été extraordinaire en terme de mouvements de solidarités et de prière, de mains tendues et d’ouvertures au dialogue.

Mais il ne faudrait pas trop nous illusionner avec tous ces beaux mots et ces belles intentions. Comme le veut le dicton : « Chassez le naturel et il revient au galop ». C’est pourquoi, afin de nous prémunir contre ce réflexe, il faut que chacun et chacune de nous se demande ce que le Christ attend de nous. Qu’est-ce qu’il nous dirait s’il était là aujourd’hui au milieu de nous ? Hé ! bien l’évangile vient de nous le faire entendre : « Vous êtes le sel de la terre. Vous êtes la lumière du monde ! »

Quand on voit Jésus sillonner les routes de la Palestine et de la Galilée, quand on se met à l’écoute de ses enseignements et de ses paraboles, comment ne pas reconnaître que l’évangile nous impose un devoir de rencontre et de dialogue avec le prochain. Faut-il le répéter : le cœur de l’évangile nous invite à faire preuve de charité fraternelle envers toute personne, d’où qu’elle soit, et qui qu’elle soit.

Le Concile Vatican II a bien insisté sur cette question, surtout en ce qui a trait à notre rapport avec les autres religions. C’est le pape Paul VI qui affirmait au moment du concile : « Tout homme est mon frère. » Alors qu’est-ce que nous faisons de lui ? Comment allons-nous envisager notre avenir commun à la lumière de cette tragédie qui frappe notre société ? « Vous êtes le sel de la terre, nous dit Jésus, vous êtes la lumière du monde ! »

À l’occasion d’un vigile afin de faire mémoire des victimes de la tuerie à la mosquée de Québec, une jeune femme a pris la parole, affirmant ce qui suit : « La haine ne tombe pas du ciel. Elle prend racine dans un environnement politique et social qui l’arrose. » Est-ce que par des paroles, des gestes ou des complicités, nous contribuons à ce climat malsain à l’endroit des immigrants, paroles qui peuvent marquer les personnes influençables, comme le jeune Alexandre, ou encore les jeunes esprits de nos enfants, ou sommes-nous plutôt des agents de changements, des artisans de paix ?

C’est à la lumière de notre foi que nous pouvons trouver la force et la volonté de faire de nouveaux progrès sur ces questions. Nous ne pouvons nous enfermer dans une société qui va ériger des murs de séparation et exclure l’étranger, ou encore mépriser ceux et celles qui ne sont pas « des nôtres », comme nous en voyons trop d’exemples dans le monde ou même tout près de chez nous. C’est là un scénario qui ne peut mener qu’à des lendemains qui déchantent, à des tragédies comme celle que nous venons de connaître. Méfiance et intolérance ne font pas bon ménage avec la fraternité.

Quand j’étais petit, on se méfiait des Anglais, on chassait les témoins de Jéhovah de mon quartier, on n’aurait jamais frayé avec un protestant, Dieu nous en garde, et encore moins avec des personnes de races différentes. Mais les temps ont bien changé. Les mentalités et les frontières se sont ouvertes avec les voyages, les médias et l’immigration. Il suffit de regarder ce que vivent nos enfants, qui sont leurs meilleurs amis ou même leurs conjoints.

Lundi soir dernier à la vigile, j’étais vraiment impressionné par cette foule de plus de cinq mille personnes, composée en bonne partie de jeunes gens, et de jeunes familles avec leurs enfants, et je me disais : voilà l’avenir de notre ville, voilà l’avenir de notre monde. Car voyez-vous, l’Esprit Saint n’est pas chiche, il déploie ses dons avec générosité, partout sur la terre, chez toutes les personnes de bonne volonté, nous appelant tous et toutes à être lumière du monde et sel de la terre. Ce rêve devrait sans cesse habiter nos cœurs, et déjà il se réalise peu à peu dans les complicités discrètes de chaque jour, à l’ombre des amitiés qui naissent lors de tragédies comme celle de la mosquée, et qui deviennent l’occasion d’une main tendue, d’un sourire, d’un mot d’encouragement et de gestes de solidarité.

En terminant, voici une petite histoire pour ces temps de violence, qui s’entend comme une parabole évangélique et qui met en scène des chrétiens et des musulmans. C’est le Père Michel Morlet, prêtre et médecin, qui raconte ce qui suit, alors qu’il était en Éthiopie auprès des lépreux :

C’était dans les débuts de mon arrivée à Gambo, écrit-il, où il y a un petit village où l’on garde les lépreux trop mutilés pour retourner chez eux. Ils reçoivent un peu de nourriture chaque jour, et ils complètent avec leur jardin et leurs poules. Ils vivent pauvrement et ne mangent de la viande qu’aux grandes fêtes, soit musulmanes, soit chrétiennes. À Noël et à Pâques, on donnait une vache aux chrétiens. La même chose pour les musulmans à la fin du ramadan ou à la naissance du Prophète. Ils ne peuvent pas manger ensemble. Or vers la fin du ramadan, Mohamed, un musulman du village, accompagné des anciens, vint voir le Père italien chargé de la mission. Ce dernier lui demanda : « Tu viens déjà chercher ta vache ?

Mohamed lui répondit : « Non, on a discuté tous ensemble au village. Mes enfants vont rire et manger de la viande pendant que les enfants des chrétiens pleureront parce qu’ils n’en ont pas ; alors qu’à Noël, c’est le contraire. Comme on est tous les enfants du même Dieu, désormais, tu donneras à chaque fête. Tu nous donneras seulement un mouton. Comme cela, tu pourras pour le même prix en payer un autre aux chrétiens. Ainsi nos enfants riront et mangeront de la viande en même temps. »

En relisant cette histoire je me disais n’est-ce pas là l’esprit du festin du Royaume qu’annonce Jésus et dont l’eucharistie est le signe annonciateur, préfigurant ce jour où tous les enfants de Dieu seront réunis, tous ensemble, autour de la table du festin. Que ce soit là notre prière.

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour la présentation de Jésus au Temple

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On appelle traditionnellement la fête de la Présentation, la fête de la Chandeleur, ou fête des chandelles. À l’origine, c’était une fête païenne associée à la lumière et à la fécondité, où l’on demandait aux divinités de purifier les champs au moment où commençaient les semailles d’hiver. Au Ve siècle, la fête de la Chandeleur est reprise par l’Église qui la transforme en fête de la Présentation de Jésus au Temple, alors que l’Église orthodoxe l’appellera la fête de la Rencontre. Voilà pour la petite histoire.

Dans le récit évangélique aujourd’hui, les parents de Jésus, en conformité avec la loi juive, viennent consacrer leur premier-né en l’offrant à Dieu au Temple de Jérusalem. Nous sommes toujours ici dans la mouvance des récits entourant la naissance de Jésus. Après la venue des bergers et des mages à la crèche, la fête de la Présentation revêt elle aussi le caractère d’une épiphanie, d’une manifestation au monde. En fait, il s’agit de la première sortie publique de Jésus avec ses parents. Il est présenté au Temple de Jérusalem et Syméon reconnaît en lui la lumière qui vient éclairer les nations.

Pour entrer dans l’intelligence du récit de la présentation de Jésus au Temple, il est nécessaire de revenir aux récits de l’enfance, et surtout aux principaux acteurs de ces récits à qui l’ange Gabriel confie une mission et à qui il dévoile le sens du mystère qui va se déployer sous leurs yeux avec la venue de Jésus en notre monde. Remarquez bien les mots employés pour parler de cet enfant et qui nous dévoilent son identité.

Tout d’abord, il y a la Vierge Marie qui se voit confier par l’ange de porter en son sein le fils du Très-Haut. Immédiatement, elle se met en route et va chez sa cousine Élisabeth lorsqu’elle apprend que celle-ci est enceinte. Élisabeth en la voyant arriver l’appelle la mère de mon Seigneur et, au même moment, l’enfant dans son sein, Jean-Baptiste, tressaille de joie. Zacharie lui, l’époux d’Élisabeth, dira dans son cantique que Jésus est l’Astre d’en haut qui vient illuminer ceux et celles qui demeurent dans les ténèbres et l’ombre de la mort. Quant à Joseph, l’époux de Marie, un songe lui apprend que l’enfant qu’elle porte a été engendré par l’Esprit Saint et qu’il sauvera son peuple de ses péchés.

Dès que l’action de Dieu se fait sentir dans ces récits de l’enfance, les personnages se mettent en mouvement. Visitation de l’Ange à Marie, à Joseph, à Zacharie. Visitation de Marie à Élisabeth. Visitation des bergers, des anges et des Mages à la crèche. Même les étoiles semblent se déplacer. Et voilà qu’avec l’évangile d’aujourd’hui, ce sont Marie et Joseph qui se mettent en route en direction du Temple, ce Temple que Jésus enfant appellera la maison de son Père.

Maintenant, deux nouveaux personnages interviennent dans le récit aujourd’hui. Il s’agit de deux vieillards : Syméon et Anne la prophétesse. Ce sont des justes qui, sous l’action de l’Esprit Saint, vont dévoiler l’identité de l’enfant Jésus, car comme le dit Syméon, leurs yeux ont vu le salut. Syméon et Anne, par leur âge vénérable, représentent à la fois la sagesse et la longue patience chargée d’espérance de l’Ancien Testament. Ils voient enfin venir à son terme le dévoilement de tout ce qui a été porté par les prophètes et le peuple d’Israël, soit la venue du Messie. Son heure est arrivée!

Le prophète Malachie, que nous avons entendu dans notre première lecture, avait déjà prophétisé ce qui suit au sujet du Messie : « Et soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez ». C’est cette promesse de Dieu qui se réalise dans l’évangile aujourd’hui. Et voilà qu’il est porté au Temple par ses parents, « lumière pour éclairer les nations païennes et gloire de son peuple Israël », comme le chantera Syméon.

Nous comprenons maintenant pourquoi la liturgie de l’Église accorde une telle importance à cette fête et la place sous le signe de la lumière, car ce récit de la Présentation de Jésus au Temple est extraordinaire par son symbolisme, ainsi que par la richesse des personnages qui s’y retrouvent. Quand Syméon prend l’enfant dans ses bras, c’est tout l’Ancien Testament qui le saisit, qui le caresse et qui se réjouit. La première Alliance est parvenue au terme de sa course, elle reconnaît en Jésus le Messie tant attendu, et la prophétesse Anne, parvenue à 84 ans et comblée de joie, proclame à tous ceux et celles qui veulent l’entendre qui est véritablement cet enfant.

Frères et soeurs, il est bon de nous rappeler en cette fête, que nous sommes les héritiers de cette bonne nouvelle qui transforme la vie de quiconque la reçoit. Car en Jésus Christ, c’est l’éternelle jeunesse de Dieu qui s’offre à nous et à notre humanité à bout de souffle; et de ses bras étendus sur la croix, croix qu’anticipent déjà les paroles douloureuses de Syméon à la Vierge Marie, le Seigneur appelle tous les peuples à entrer dans son admirable lumière. La fête de la Présentation récapitule tout cela en quelque sorte, puisque c’est la fête de la Lumière venue en notre monde, Jésus Christ, Fils de Dieu !

fr. Yves Bériault, o.p.

Fête de la Présentation du Seigneur avec Marie-Noëlle Thabut

Gregorio Allegri: Miserere

The Choir of Claire College, Cambridge, Timothy Brown