La prière est la lumière de l’âme (Homélie du Ve siècle)

Le bien suprême, c’est la prière, l’entretien familier avec Dieu. Elle est communication avec Dieu et union avec lui. De même que les yeux du corps sont éclairés quand ils voient la lumière, ainsi l’âme tendue vers Dieu est illuminée par son inexprimable lumière. La prière n’est donc pas l’effet d’une attitude extérieure, mais elle vient du cœur. Elle ne se limite pas à des heures ou à des moments déterminés, mais elle déploie son activité sans relâche, nuit et jour.En effet, il ne convient pas seulement que la pensée se porte rapidement vers Dieu lorsqu’elle s’applique à la prière ; il faut aussi, même lorsqu’elle est absorbée par d’autres occupations — comme le soin des pauvres ou d’autres soucis de bienfaisance —, y mêler le désir et le souvenir de Dieu, afin que tout demeure comme une nourriture très savoureuse, assaisonnée par l’amour de Dieu, à offrir au Seigneur de l’univers. Et nous pouvons en retirer un grand avantage, tout au long de notre vie, si nous y consacrons une bonne part de notre temps.La prière est la lumière de l’âme, la vraie connaissance de Dieu, la médiatrice entre Dieu et les hommes.

Par elle, l’âme s’élève vers le ciel, et embrasse Dieu dans une étreinte inexprimable ; assoiffée du lait divin, comme un nourrisson, elle crie avec larmes vers sa mère. Elle exprime ses volontés profondes et elle reçoit des présents qui dépassent toute la nature visible.

Car la prière se présente comme une puissante ambassadrice, elle réjouit, elle apaise l’âme.

Lorsque je parle de prière, ne t’imagine pas qu’il s’agisse de paroles. Elle est un élan vers Dieu, un amour indicible qui ne vient pas des hommes et dont l’Apôtre parle ainsi : Nous ne savons pas prier comme il faut, mais l’Esprit lui-même intervient pour nous par des cris inexprimables.

Une telle prière, si Dieu en fait la grâce à quelqu’un, est pour lui une richesse inaliénable, un aliment céleste qui rassasie l’âme. Celui qui l’a goûté est saisi pour le Seigneur d’un désir éternel, comme d’un feu dévorant qui embrase son cœur.

Lorsque tu la pratiques dans sa pureté originelle, orne ta maison de douceur et d’humilité, illumine-la par la justice ; orne-la de bonnes actions comme d’un revêtement précieux ; décore ta maison, au lieu de pierres de taille et de mosaïques, par la foi et la patience. Au-dessus de tout cela, place la prière au sommet de l’édifice pour porter ta maison à son achèvement. Ainsi tu te prépareras pour le Seigneur comme une demeure parfaite. Tu pourras l’y accueillir comme dans un palais royal et resplendissant, toi qui, par la grâce, le possède déjà dans le temple de ton âme.

Prière de sainte Catherine de Sienne

sienna-apotreCatarina Benincasa, plus connue sous le nom de Catherine de Sienne (née le 25 mars 1347 à Sienne, en Toscane, et morte le 29 avril 1380 à Rome), est une tertiaire dominicaine mystique, qui a exercé une grande influence sur l’Église catholique. Elle est déclarée sainte et docteur de l’Église.

« O Trinité éternelle! ô Déité! … vous êtes une mer sans fond où plus je me plonge, plus je vous trouve, et plus je vous trouve, plus je vous cherche encore. De vous, jamais on ne peut dire : c’est assez ! L’âme qui se rassasie dans vos profondeurs vous désire sans cesse, parce que toujours elle est affamée de vous, Trinité éternelle… Car j’ai goûté et j’ai vu, avec la lumière de mon intelligence dans votre lumière, votre abîme, ô Trinité éternelle, et la beauté de la créature. En me contemplant en vous, j’ai vu que j’étais votre image, et que vous m’avez donné votre puissance à vous, Père éternel, avec dans mon intelligence la sagesse, qui est votre Fils unique, en même temps que l’Esprit-Saint qui procède de vous et de votre Fils, faisait ma volonté capable de vous aimer… O abîme, ô Divinité éternelle! Océan sans fond! »

Catherine de Sienne (Oraison 22, 10)

La Pentecôte

Faut-il le dire, l’Esprit Saint est le souffle vital de l’Église. C’est Ignace de Laodicée de Syrie qui exprimait de façon très clair, l’enjeu de cette affirmation. Il disait :

Sans l’Esprit Saint, Dieu est loin, le Christ reste dans le passé, l’Évangile est une lettre morte, l’Église une simple organisation, l’autorité une domination, la mission une propagande, le culte une évocation, et l’agir chrétien une morale d’esclave. Mais en Lui : le cosmos est soulevé et gémit dans l’enfantement du Royaume, le Christ ressuscité est là, l’Évangile est la puissance de vie, l’Église signifie la communion trinitaire, l’autorité est un service libérateur, la mission est une Pentecôte, la liturgie est mémorial et anticipation, l’agir humain est déifié!.

Prière à l’Esprit Saint

Esprit qui planes sur les eaux
Apaise en nous les discordances.
Les flots inquiets, le bruit des mots,
Les tourbillons de vanité
Et fais surgir dans le silence
La Parole qui nous recrée.

Esprit de feu, toujours caché,
Jusqu’aux racines, par ta flamme,
Viens consumer en nous l’ivraie;
Aux profondeurs de notre vie,
Viens enfoncer comme une lame
La Parole qui sanctifie.

Esprit qui souffles en un soupir
A notre esprit le Nom du Père,
Viens rassembler tous nos désirs,
Fais-les monter en un faisceau
Qui soit réponse à la lumière,
La Parole du Jour nouveau.

Esprit de Dieu, sève d’amour
De l’arbre immense où tu nous greffes,
Que tous nos frères alentour
Nous apparaissent comme un don
Dans le grand Corps en qui s’achève
La Parole de communion.

(Liturgie des Heures, Pentecôte)

Comment prier

Un jour, alors que je priais dans ma chambre, j’ai eu cette vive conscience que je n’avais pas à chercher Dieu dans la prière, i.e. à rechercher sa présence « satisfaisante », comme trop souvent est vécue la prière dite « contemplative » ou la méditation.Je prenais conscience que je devais plutôt me laisser trouver par Dieu et entrer dans son désir sur moi et pour le monde. Je réalisais que l’un des buts fondamentaux de la prière n’est pas « la prière satisfaisante » (pourtant je le savais), mais la prière où l’on se tient devant Dieu pour le monde, où l’on veille avec Dieu dans cette longue gestation de l’humanité qui, trop souvent, ressemble à l’agonie du Christ en croix. C’est à cette prière que nous invite cette Semaine Sainte qui commence.

On pense ne pas savoir prier

«  On pense ne pas savoir prier. C’est dans le fond sans importance, car Dieu entend nos soupirs, connaît nos silences. Le silence est le tout de la prière et Dieu nous parle dans un souffle de silence, il nous atteint dans cette part de solitude intérieure qu’aucun être humain ne peut combler. »

Frère Roger Schutz (Taizé)

 

 

La prière de mon père

Voici la réponse étonnante que m’a fait mon père quand je lui ai demandé de me parler de sa prière :

« Je ne demande pas à Dieu qu’il me donne la santé, la richesse, le succès ou même d’être heureux. Je ne lui demande que ceci : qu’Il me rende bon. Bon avec ma femme, mes enfants, mes voisins et mes proches. Pour le reste : santé, richesse, succès, bonheur, je m’en occupe. Mais qu’Il me donne seulement d’être bon. »

Ma prière (5)

Je n’ai pas parlé de l’eucharistie, « source et sommet de la vie de l’Église », que je suis appelé à vivre et à célébrer quotidiennement en tant que prêtre. D’ailleurs, j’allais presque oublier d’en parler. Curieux n’est-ce pas? Pourtant la célébration de l’eucharistie est toujours un moment intense pour moi, un moment solennel qu’il m’est difficile d’identifier comme étant « ma prière ». Il serait juste de dire que « je suis un autre » lorsque je célèbre. Je suis le ministre de la communauté. Je ne prie plus seulement en mon nom, mais je prie au nom de la communauté dont je préside l’eucharistie, l’eucharistie de la communauté. De plus, ce n’est pas moi théologiquement qui préside mais c’est le Seigneur ressuscité!Donc, mon rapport à l’eucharistie est ambigu quand j’essaie de l’analyser. Il y a en moi comme une incapacité d’en parler. J’y entre avec tout le sérieux dont je suis capable et, en même temps, ce mystère me dépasse tellement que parfois je sens que je n’ai pas la capacité de le vivre avec toute l’intensité que requiert la célébration d’un tel mystère. C’est donc avec une grande pauvreté que je célèbre l’eucharistie et, en même temps, dans un esprit de service pour la communauté. Il m’est difficile d’y entrer comme j’entre dans ma prière personnelle, car l’eucharistie m’impose un rythme, des règles liturgiques, une attention de tous les instants à la communauté avec qui je célèbre.

Je suis un peu comme ces disciples lors de la multiplication des pains qui doivent nourrir la foule, pendant que Jésus continue sans doute de s’entretenir avec elle. La tâche prend un peu le dessus. Ce n’est qu’après, et je ne veux pas dire immédiatement après car cela, habituellement, est impossible, mais après, bien après… dans la prière personnelle, dans un seul à seul avec moi-même à l’occasion d’une promenade, que cette eucharistie se prolonge et me nourrit. Et pourtant j’ai conscience que cette eucharistie quotidienne est le lieu de ma prière le plus importante de la journée. On touche là le mystère, un mystère qui demande toute notre attention, mais où il est si facile d’être distrait. Mais toujours c’est une grâce inouïe… (à suivre)

Ma prière (4)

Si je m’en tiens à mon expérience, en conclusion, je vois trois dimensions principales dans la prière chrétienne:1. La prière d’abandon devant le Seigneur, dans laquelle je me tiens dépouillée et pauvre. Une prière où je ne demande rien, sinon que d’être là à veiller en silence. C’est une prière difficile, sans doute la plus difficile, mais qu’il faut savoir tenir. Mais cette forme de prière vient qu’après des années je crois.

2. Il y a la prière joyeuse, enthousiaste, qui jaillit spontanément, soit à la chapelle, en ballade, en contemplant un paysage, ou suite à des rencontres. C’est la prière où l’on exulte de joie, où l’on veut chanter des louanges au Seigneur pour tout ce qu’Il fait. C’est la prière qui m’a toujours été la plus facile. C’est la prière telle que la décrit Charles de Foucauld : « C’est penser à Dieu en l’aimant. »

3. Et, enfin, il y a la prière au pied de la Croix. La prière de Gethsémani, qui demeure pour moi, la plus importante, parce qu’elle est la plus engageante. C’est la prière du combat de Dieu. Et par cette prière, l’on affirme vouloir se tenir là où Dieu se tient, parmi les hommes et les femmes de ce monde. Par cette prière, l’on dit à Dieu que l’on veut se tenir là où il nous veut, c’est-à-dire là où ses enfants souffrent.

Il n’y a pas de chronologie dans ces formes de prière. Elles sont toutes importantes, elles se recoupent sans que l’on puisse toujours les départager. Mais ces trois formes me rappellent tout simplement que la prière:

a) est le lieu où j’apprends à grandir dans l’espérance, c’est la prière d’intercession; intercession à la fois pour moi et pour les autres.

b) elle est aussi le lieu où j’apprends à grandir dans l’amour, c’est la prière d’adoration et d’action de grâce;

c) elle est enfin le lieu où j’apprends à grandir dans la foi, et c’est la prière où je me tiens « humble et silencieux » devant le Seigneur, comme le dit le psalmiste, confiant que Dieu est là même si aucun mot n’est murmuré, aucun sentiment évoqué. Cette prière est comme un grand « Je crois » lancée vers Dieu, au coeur de sa présence.

Je dirais que toutes ces formes de prières rendent possible ce que les auteurs spirituels appellent la contemplation. Ici, les mots, qu’ils soient des paroles de supplication, de demande ou d’action de grâce, cèdent la place à un silence plein, à une joie profonde, qui nous enlèvent les mots de la bouche et remplissent notre coeur d’un sentiment de présence et de plénitude. C’est vraiment le sentiment d’un face-à-face avec Dieu, qui se tient tout proche. C’est une expérience de sa Présence ou, encore, une expérience d’amour qui peut se vivre sans parole, tellement l’on se sent aimé, comblé. C’est une expérience occasionnelle ou rare, c’est selon chacun.

Ce n’est pas quelque chose à rechercher comme un bien à consommer. Cela nous est parfois donné comme une consolation ou comme un signe de la présence du Seigneur, afin de nous encourager à persévérer dans la foi. Mais vient un temps où l’on ne doit plus attendre de telles consolations, bien qu’elles nous soient encore données parfois.

C’est le temps de la maturité dans la prière, le temps de la relation « adulte » avec Dieu, si je puis m’exprimer ainsi. C’est le temps où l’union au Seigneur se vit tout simplement dans une présence fidèle et aimante au Seigneur, dans l’action du quotidien, comme dans le silence d’une chapelle. La foi alors est assez grande pour nous porter et nous donner cette assurance que le Seigneur est présent. Le reste, émotions, sentiments, lui appartient et il nous conduit tous et chacun par des chemins uniques, propres à chacun et chacune de nous, selon sa grande bienveillance. Nul n’est négligé, mis de côté. A chacun de ses enfants Dieu donne, selon le temps de la vie, le pain qui est nécessaire et qui nourrit ou, encore, le désert inévitable qui purifie. (à suivre)

Ma prière (3)

Suite d’une correspondance avec une amie lors d’un séjour récent à Rome.

Je ne me souviens plus très bien du type de prière qui a suivi cette expérience, sinon que j’étais très exalté et que ma prière en était une de grande louange. Elle ne tarderait pas à devenir un lieu de combat, car il me fallait retrouver le chemin de l’Église, et je portais une foule de questions avec lesquelles je harcelais Dieu sans cesse. Tout comme je le ferais quand viendrait le moment de choisir ou non de répondre à l’appel vers le sacerdoce. Je portais une prière enthousiaste, mais inquiète aussi, et donc fragile. J’avais peur de perdre ce que je venais de découvrir, je demandais souvent à Dieu de ne pas m’abandonner et surtout, de ne pas me laisser l’abandonner. D’ailleurs, cette demande me paraît toujours aussi importante aujourd’hui, mais je la porte avec moins d’inquiétude.

Cette recherche de ma voie allait durer sept à huit ans. Pourtant je n’ai pas le souvenir d’une prière inquiète, mais d’une grande joie à prier le Seigneur. Mais dès les débuts, ma relation retrouvée avec le Seigneur m’incita à vouloir changer de vie. Tout à coup, ce qui allait contre l’Évangile me devenait plus évident. Comme si un guide intérieur me conduisait et m’apprenait à devenir disciple peu à peu.

Cette étape de purification, comme l’appellerait les mystiques, est toujours présente. La conversion ne cesse jamais puisque la chute et l’homme pécheur demeurent. Mais parallèlement, j’ai toujours aimé me retirer dans le silence afin de louer le Seigneur, l’adorer ou, encore, afin d’intercéder pour d’autres, afin de me tenir aux pieds de la Croix et prendre au sérieux la souffrance du monde, la souffrance de ceux et celles qui se recommandent à ma prière.

Cette dimension de la prière s’est peu à peu affirmée avec les années. Comme si ma prière avait évoluée vers une sorte de dépouillement où la joie intérieure ou l’échec, ne sont plus des pré-requis pour la prière. Parfois ce sera une prière dite avec le chapelet, ce que j’ai toujours aimé faire, d’autres fois ce sera une prière dépouillée, dans laquelle, à la limite, j’essaie tout simplement de me tenir silencieux devant le Seigneur, répétant parfois intérieurement son nom: Jésus ou Seigneur Jésus, ou Seigneur prends pitié! C’est la prière la plus difficile et je ne puis m’y tenir bien longtemps. Mais l’important ce n’est pas la durée de la prière, mais son intensité, sa sincérité.

Je constate qu’avec les années, ma prière est devenue plus pauvre je crois. Une prière où je compte moins sur l’élan de ma foi ou de ma ferveur, que sur l’accueil que m’y fait le Seigneur. C’est un peu la prière à l’exemple du couple fidèle qui, après des années, n’a pas toujours besoin de beaucoup de mots pour se comprendre et où le silence peut être tout aussi signifiant que les paroles les plus tendres. C’est peut-être cette nuit là dont parle saint Jean de la Croix, dans laquelle on ne cherche à s’accrocher à rien, sinon qu’à se tenir disponible et abandonné à la volonté du Seigneur. (à suivre)

Ma prière (2)

D’entrée de jeu, je dois dire que je me suis toujours méfié des systèmes, des techniques, des trucs. J’étais ainsi en psychologie. C’est pourquoi je n’ai pu appartenir pleinement à aucune école de psychothérapie. Et cela explique sans doute pourquoi je suis dominicain plutôt que jésuite. Ici je ne veux pas porter de jugements, les jésuites ayant réussi mieux que nous les dominicains dans bien des domaines. Mais il faut des auberges pour tout le monde dans la vigne du Seigneur. Donc, m’a prière ne s’enracine pas dans une école de spiritualité. Elle a poussée telle que le Seigneur a bien voulu me la donner.Mais il y a quand même ma responsabilité face à cette prière, et je me demande toujours si je ne pourrais pas la faire grandir davantage, et c’est là, quand j’ai de telles préoccupations, que je me demande si je ne risque pas de tomber dans les trucs et les recettes. Il n’y a rien à faire, je préfère vivre ma prière un peu comme l’on respire. Ce qui explique que ma prière n’est pas toujours régulière. Elle l’est seulement quand j’ai le soutien d’une communauté, car laissé à moi-même, je ne suis pas porté à ponctuer mes journées par des temps bien précis. Si je suis en vacance, j’essaie tant bien que mal d’y faire une place, mais je vais parfois sauter un office ou deux, ou même toute une journée sans que cela ne m’incommode, ne vous en déplaise. Par ailleurs, je tiens à préciser que Dieu ne sera pas absent pour autant de ma journée. Il sera mon compagnon de marche, mon compagnon de lecture, mais… ce n’est pas classique comme prière. Je n’aime pas la mettre dans une moule, l’encadrer, la structurer, la visser au plancher, quoi!

La prière qui est la mienne, et dans laquelle je crois, puisqu’elle me fait vivre, est une prière de compagnonnage et d’intimité, une prière qui aime bien prendre la clé des champs à l’occasion, mais qui est tout à fait à l’aise dans un choeur de monastère ou dans l’oraison silencieuse.

Ma prière a commencé cette nuit là, vous vous en souvenez, alors que je revenais d’une soirée de prière, déçu de ne pas croire, de ne pas être capable de croire. Déçu de ne pas avoir un dieu dans ma vie semblable à celui dont me parlaient des amis chrétiens. Ce soir là, en rentrant chez moi en voiture, j’ai pleuré. Des pleurs ou plutôt des sanglots, ce qui est plus douloureux encore, à travers lesquels j’ai demandé à Dieu de croire en lui, s’il existait.

Ainsi donc, la première forme de prière qui s’est imposée à moi fut une prière de supplication, une prière de détresse, à laquelle Dieu ne tarderait pas à répondre et dont la réponse remplirait mon coeur d’une joie ineffable et durable jusqu’à ce jour. (à suivre)

Ma prière (1)

Correspondance avec une amie lors d’un séjour récent à Rome

J’écris ces lignes au moment où, de ma fenêtre, j’entends la foule et ses klaxons dans les rues de Rome, qui célèbre une victoire quelconque. Sans doute la victoire d’une équipe de soccer, Roma ou Lazzio. Cela dure depuis environ cinq heures et ne semble pas vouloir s’arrêter. Et je reste toujours étonné devant la passion, l’enthousiasme, que l’homme peut manifester devant une victoire sportive. Comme si le sport devenait le lieu de toutes ses victoires et de toutes ses défaites, l’absolu jamais atteint, et qui provoque une telle soif chez l’amateur. Une soif qui peut devenir jubilatoire ou violente, c’est selon!

Et je me dis combien l’homme est un aveugle qui cherche à tâtons le sens de son existence et qui est prêt à s’attacher à toute forme de victoire où il fait nombre; où il n’est plus seul dans son combat, mais vainqueur à plusieurs. Dans cette recherche, il est encore bien loin de l’absolu. Car il ne s’agit là que de simulacres de victoires qui ne le font pas vraiment grandir, mais qui peuvent quand même être l’occasion pour lui de réfléchir sur la soif qui l’habite et le besoin qu’il a de l’étancher avec quelque chose de durable et d’éternel.

Ce préambule ou cette digression, m’amène à parler de ma prière, dans laquelle j’ai trouvé la première expression de ma quête de sens et qui, depuis, m’a amené beaucoup plus loin que je ne l’aurais imaginé, beaucoup plus loin que les victoires éphémères et les « absolus » de passage que nous proposent nos contemporains. Si je m’engage dans cet exercice, c’est que je cherche à identifier le chemin par lequel le Seigneur m’a conduit. Car je dois reconnaître que je ne suis pas un fin analyste quand il s’agit de décortiquer mon expérience. Et pourtant les grands spirituels, saint Jean de la Croix par exemple, parlent d’étapes qui nous engagent de plus en plus dans cette rencontre avec le Dieu vivant, Père, Fils, Esprit Saint! Je vais donc tenter l’expérience d’un retour sur cet apprentissage de la vie de prière dans laquelle m’a conduit le Seigneur. (à suivre)

Ma prière (6)

J’aimerais terminer en parlant du silence, le silence qui fait grandir les saints, comme disait un Père du désert. S’il y a un élément de changement bien concret que je puis identifier depuis que j’ai retrouvé ma foi catholique, c’est l’importance croissante du silence. Je vous avais dit, je crois, à quel point mon séjour à la Trappe avait confirmé cela. Et j’en suis tout étonné, émerveillé je dirais. Car c’est là pour moi comme un fruit tangible qu’apporte la vie spirituelle: un besoin d’être seul avec soi-même, un besoin d’être à l’écoute, sans se sentir menacé, sans avoir peur. La solitude devient alors un lieu d’accueil et de repos. Le silence nous parle alors de Dieu et de notre vie en Lui, et la prière y trouve tout naturellement sa source. Le silence est sans doute l’expérience la plus tangible que nous puissions faire de la présence de Dieu. Car dans le silence nous sommes mis à nu, dans une attitude d’accueil et de don de soi. Mais naturellement, il faut que ce silence soit recherché pour lui-même et non pas imposé. Et c’est là une des fonctions de la prière personnelle et de la prière en Église, de nous conduire peu à peu dans cette ouverture au silence où Dieu se dit.Dieu, « nul ne l’a jamais vu, sinon le fils de Dieu et ceux à qui il veut bien se révéler ». Et nous avons cette promesse sûre et ferme, que ceux et celles qui accueillent Jésus comme Fils et Révélateur de Dieu, il leur sera donné cette connaissance et cette expérience de Dieu, comme l’a vécue Jésus de Nazareth. Entrer dans le silence de la prière, c’est se faire tout disponible et abandonné à l’action du Seigneur: « Parle Seigneur, ton serviteur écoute! » (fin du texte)

La prière et les larmes

Je connais des personnes qui pleurent facilement lorsqu’elles entendent dire de belles choses sur Dieu, ou lorsqu’elles partagent leur foi dans l’intimité d’une rencontre avec un ami croyant, ou qui pleurent parfois lorsqu’elles prient. C’est un don! On l’appelle « le don des larmes ». Parfois ce sont des larmes plus proches de la peine que de la joie, mais la peine que l’on éprouve quand l’on constate combien l’on est encore loin de Dieu ou du prochain, combien la perfection nous échappe.

Pas des larmes de culpabilité, mais des larmes où se manifeste le désir de la perfection spirituelle. Des larmes porteuses d’un certain désir de l’infini, de la grâce, et qui demandent à Dieu la force d’aimer davantage. Ce sont des larmes où la joie spirituelle n’est jamais absente malgré le sentiment de manque.

D’autres fois, ce sont des larmes où l’amour de Dieu pour nous et l’amour que l’on ressent pour Dieu est tellement grand que l’on en pleure de joie. On pleure de joie devant ce sentiment d’être tellement aimé, tellement chanceux de connaître Dieu et de vivre cette intimité en lui. Et l’on pleure. Pleurs de joie, pleurs de reconnaissance, pleurs devant la soif d’infini qui est en nous et que Dieu vient rassasier en son Fils Jésus Christ, en nous donnant à boire l’eau vive. Et pourtant, cette soif se renouvelle à chaque fois et devient encore plus profonde, plus sainte!

Voici un passage du Dialogue où Catherine de Sienne parle justement des larmes :

« Maintenant je t’ai dit comment la larme procède du coeur; le coeur la tend à l’oeil, l’ayant récoltée de l’ardent désir, comme le bois vert qui est dans le feu, qui par la chaleur de l’eau gémit, parce qu’il est vert – s’il était sec, non, il ne gémirait pas – ainsi le coeur, reverdi par le renouvellement de la grâce, en ayant retiré la sécheresse de l’amour propre qui dessèche l’âme. De sorte que sont unis feu et larmes, c’est-à-dire désir embrasé. Et comme le désir ne finit, jamais il ne se rassasie en cette vie, mais plus il aime, moins il lui semble aimer, et ainsi s’exerce le saint désir qui est fondé en charité, et avec ce désir l’oeil pleure. »

Un texte extraordinaire sur le « saint désir » qui fait pleurer, comme le bois vert dans le feu qui distille son eau. C’est un processus de communion à Dieu, mais aussi un processus de purification. Et quand nous nous serons laissés brûler par ce feu d’amour, nous en arriverons à ne plus faire qu’un avec le feu, avec le Dieu trois fois Saint; sans nous confondre, sans perdre notre personnalité, sans perdre même ce corps qui est le nôtre et qui nous suivra dans l’éternité.

« C’est ta face que je cherche »

Écoute, Seigneur, je t’appelle!
Pitié! Réponds-moi!
Mon cœur m’a redit ta parole :
“ Cherchez ma face. ”
C’est ta face, Seigneur, que je cherche :
Ne me cache pas ta face.
(Psaume 26)

Ce que l’on doit affirmer de la foi chrétienne, c’est qu’en Jésus ressuscité, il nous est donné de faire l’expérience de Dieu d’une manière unique et insurpassable. Il nous est donné de saisir, avec une profondeur renouvelée, cette recherche de Dieu qu’atteste le psalmiste de l’Ancien Testament, et dont la recherche a quand même quelque chose de dramatique. Dramatique parce que l’homme de la Torah, l’homme de la Loi, porte en son cœur un immense désir de Dieu, placé là par Dieu lui-même, mais un désir encore en attente d’exaucement, un désir suppliant, « ne me cache pas ta face », puisque le croyant de l’A.T. n’a pas encore trouvé la source pouvant étancher sa soif, lui procurer l’eau vive à laquelle il aspire. D’où le piège des observances et des préceptes de la loi mosaïque, où le croyant risque de s’enfermer et de se durcir. Pourtant, le psalmiste nous l’atteste, la soif de Dieu est bien présente en lui, obsédante même pour le fidèle observateur de la Loi, pour l’ami de Dieu, le pauvre, celui qu’on appelle l’anawim, et qui fait de Dieu son tout, qui l’appelle de tout son cœur.

C’est pourquoi la prière de l’auteur des psaumes, qu’on appelle « le psalmiste », demeure toujours en Église le fondement de toute prière. « Écoute, Seigneur, je t’appelle! Pitié! Réponds-moi! » Ce cri gardera toujours son actualité et il est la clef de voûte de toute prière véritable. Car le croyant qui se tourne vers Dieu, ne saurait prétendre entrer dans cette communion qui le dépasse infiniment, sans une remise complète et totale de lui-même à Celui qui l’a appelé à la vie. Il ne s’agit pas ici d’un abaissement pour s’humilier ou s’anéantir.

Mais dans cette remise totale de soi à Dieu, il doit y avoir, de la part de celui qui prie, la volonté de se donner entièrement à Dieu, sans réserve, sans condition, sans rien garder pour soi. La disponibilité à l’action de Dieu au cœur de notre vie est à ce prix, à l’exemple du Fils de Dieu, qui ne garda rien pour lui et qui donna tout : « Ma vie nul ne la prend, c’est moi qui la donne ».

Jésus a tout donné. Et dans ce face à face avec Dieu que constitue la prière, il nous faut, nous aussi, tout donner. Donner toute notre détresse, toutes nos fragilités, toutes nos soifs. C’est alors que le cœur peut s’ouvrir à Celui qui ne demande qu’à y entrer. Il faut que je diminue pour qu’il croisse en moi. Il faut avoir le courage d’entrer dans cette dynamique de la prière où l’on se place devant Dieu avec notre faible espérance au creux des mains, bien pauvre offrande, qui appelle la miséricorde de Dieu et qu’Il accueille comme la plus belle des offrandes. L’on pense que tout donner est exigeant alors qu’il s’agit tout simplement de faire confiance en s’offrant totalement, et en appelant Dieu de toutes nos forces : « Écoute, Seigneur, je t’appelle! Pitié! Réponds-moi! »

Devant la mort d’un ami

N.B. J’ai écrit cette lettre en décembre 2005, suite à la mort d’un ami âgé de 37 ans, père de deux jeunes enfants de cinq et sept ans. Cette lettre s’adresse à tous ceux et celles qui ont connu Stéphane, essentiellement des camarades d’université ayant à peu près le même âge que Stéphane. J’ai pensé la partager à nouveau avec vous car elle parle du sens de la prière. J’aimerais bien entendre vos réactions…

Chers amis, chers frères et sœurs dans le Christ,

Je tenais à vous écrire suite à l’épreuve de la perte de notre ami Stéphane afin de vous partager ma conviction face à une telle confrontation avec la mort d’un proche. Je ne voudrais pas que cette épreuve nous laisse sans espérance.

Nous avons tous prié intensément pour la guérison de Stéphane, au point où il peut sembler légitime de se demander pourquoi Dieu n’a pas répondu à notre prière. Serait-il sourd? La prière a-t-elle vraiment un sens dans une telle épreuve où la fin semble inévitable? Voilà des questions que je me suis posées tout comme vous sans doute.

J’ai eu l’occasion de voir Stéphane à quelques reprises pendant sa maladie et j’étais en contact téléphonique avec lui tous les jours. Il m’avait demandé de le faire parce qu’il voulait s’assurer qu’on le soutienne spirituellement et que l’on prie pour lui. Il est donc normal de se demander si nous avons échoués?

Et où était Dieu dans tout cela? Nous lui avons crié : « Seigneur, ton ami est malade », comme l’a fait la sœur de Lazare, et aujourd’hui nous avons envie de lui dire avec le psalmiste : « Cela ne te fait-il rien de nous voir mourir? »

Mais d’entrée de jeux, je dois vous avouer que mon espérance est ailleurs maintenant et ma compréhension de l’efficacité de la prière a été profondément transformée par cette épreuve de la mort de Stéphane. Je pensais savoir bien des choses sur la vie de foi. N’est-ce pas normal quand on a fait de la théologie et que l’on a beaucoup lu. Mais il n’y a rien comme l’expérience de la prière poussée dans ses derniers retranchements pour nous en faire saisir un peu mieux la dynamique. C’est cela que j’aimerais maintenant vous partager. Je le ferai en trois points qui correspondent aux trois étapes du processus que j’ai vécu dans cet accompagnement de Stéphane, notre frère dans la foi.

1- Tout d’abord, devant la maladie qui semblait progresser inéluctablement après seulement deux semaines, j’ai saisi tout à coup qu’une des fonctions de la prière n’était pas l’exaucement à tout prix, ce que je savais déjà, mais que la prière avait aussi pour fonction de porter l’autre devant Dieu. Alors que ma prière se faisait insistante pour que le Seigneur guérisse Stéphane, j’ai compris que ma prière avait aussi comme fonction de le soutenir, de veiller avec lui. Comme si Dieu me demandait de le laisser habiter ma prière afin qu’à travers moi Il soutienne Stéphane dans sa souffrance. Une invitation à veiller avec l’ami malade dans la prière, à porter avec lui sa douleur, à penser très souvent à lui et à le confier à chaque fois au Seigneur.

C’est comme si un nouvel éclairage sur la prière m’avait été donné. Il ne suffit pas de dire « Seigneur, Seigneur ». Il faut aussi veiller avec lui à Gethsémani, le Gethsémani de toutes les souffrances humaines. C’est là quelque chose qui demande bien plus de temps que la simple demande de guérison au Seigneur dans une formule rapide et toute faite. C’est plus engageant aussi, plus fatiguant, plus coûteux. Écouter un ami qui souffre prend du temps. Prier pour lui aussi. Peut-être est-ce là le vrai sens de la prière d’intercession… Et en ce sens je ne doute plus que les proches de Stéphane l’aient soutenu de leur prière et aient porté avec lui une part de son fardeau. Cela a été là pour moi une forme de découverte. Jamais je n’avais vécu aussi profondément cette dimension de la prière, le « prier toujours » dont parle Jésus et où l’on se tient devant Dieu pour le monde.

2- Mais il y a plus. Cette prière d’intercession est avant tout d’ordre spirituel. Des adeptes du New Age ou de la « pensée positive » parleraient ici « d’énergies », mais c’est là une vision réductrice de la prière chrétienne. Nous prions avec le Christ, nous formons le Corps de Christ et c’est dans cette communion que notre prière a rejoint Stéphane. J’ai découvert que la prière avait cette capacité d’amener l’autre à s’engager davantage sur le chemin de lumière que nous a ouvert le Christ. J’ai senti Stéphane se transformer peu à peu, devenir de plus en plus spirituel face à sa maladie, ce qui m’a été confirmé par sa mère. Tous ceux et celles d’entre vous qui le connaissent bien reconnaîtront que Stéphane n’était pas du genre à livrer aux autres ses émotions spirituelles. Et pourtant, à chaque fois que je parlais de prière avec lui, de la foi en Dieu ou lorsque nous avons célébré le sacrement des malades, je l’ai senti s’extasier au point où sa mère me confiait le jour des funérailles qu’elle avait eu le sentiment que plus l’on priait pour Stéphane, plus elle sentait qu’il lui échappait, comme s’il se rapprochait de plus en plus de Dieu.

Je me souviens de ma dernière visite à Stéphane. Il était très faible, mais gardait toujours son sens de l’accueil et de l’attention à l’autre. À un moment donné il m’a demandé d’accrocher au mur le crucifix que sa mère lui avait apporté le jour même. Il avait hâte qu’il soit en place afin qu’il puisse le regarder. Une fois le crucifix mis au mur, Stéphane l’a regardé en silence pendant un long moment avec un regard lumineux, où semblait transparaître une grande joie. Il avait le regard des grands contemplatifs et je ne pouvais que rester là en silence, à la fois gêné et ému d’être le témoin d’une aussi grande ferveur chez lui. Je crois que la prière de tous ceux et celles qui ont prié pour lui a amené Stéphane à entrer encore plus avant dans cette foi en Jésus-Christ qui était la sienne, et c’est sans doute là le vrai miracle, celui auquel je ne m’attendais pas.

3- Enfin, je crois que nos prières pour Stéphane nous ont aussi touchés et transformés. Comme dit le psalmiste : « tout comme la pluie du Seigneur ne retourne pas au ciel, après être tombée sur la terre, sans l’avoir transformée », notre prière pour Stéphane nous a rapprochés non seulement de lui, mais, plus fondamentalement, elle nous a rapprochés de Dieu. Nous sortons grandis spirituellement de cette épreuve : notre relation à Stéphane en est à jamais transformée, ainsi que notre vision de la vie et de la mort, de nos liens d’amitié et de nos liens familiaux. Nous avons touché d’un peu plus près ce que signifie la communion des saints.

Mais il ne s’agit pas ici simplement d’une expérience d’ordre intellectuel. Spirituellement, la prière nous a ouverts un peu plus au mystère de la vie et elle a agrandi cette brèche en nos cœurs par laquelle l’Esprit du Seigneur peut nous inspirer et nous guider afin que nous découvrions le vrai sens des choses. Fondamentalement la prière pour le prochain ne peut que bonifier celui ou celle qui prie, car cette personne s’ouvre à l’action de Dieu dans le monde et dans sa vie.

Voilà ma réflexion. Je ne veux pas m’étendre davantage, mais je trouvais important de partager ces choses avec vous, car nous sommes tous engagés dans une même aventure, l’aventure d’une vie aux prises avec le mal et la mort, conséquences du péché. Dieu est présent à chacun de nous et nous ne devons pas douter de son amour et de son souci pour nous. Si nous avons la foi, il nous faut alors faire preuve d’une confiance absolue. Jésus-Christ ne vient pas lever les épreuves de la vie comme par magie, mais il vient plutôt nous aider à combattre par la foi, la prière et l’amour fraternel.

Jésus est venu nous apprendre à lutter et il continue de lutter avec nous. Voilà ce que Dieu fait pour nous. L’enjeu ici-bas n’est pas de vivre le plus longtemps possible, mais de vivre comme des hommes et des femmes spirituels appelés à la vie éternelle. Je crois que c’est l’exemple que Stéphane nous laisse et je crois que nos prières l’ont aidé dans ce passage. Désormais, il est mystérieusement imbriqué dans la trame la plus secrète de nos vies.

Dieu caché

Parce que tu as aimé cette terre Seigneur,
voilà qui me donne d’espérer
quand je sens ma foi vaciller.

À voir vivre tes enfants rieurs,
comment ne pas sentir
la tendresse de ton regard
posé tout doucement sur chacun ‘eux.

Tu es là ! Je le crois.

Et je devine ta joie, car c’est ma joie.
Et je connais ta peine lorsqu’ils souffrent,
car c’est la mienne
et elle ne peut venir que de Toi.

Et du plus profond de mon impuissance
monte en moi cet appel à les consoler avec Toi !
À prendre avec Toi ce poids de douleur
qui accable notre terre jusqu’à plus soif.

Mais je te découvre plus pauvre que moi.
Plus pauvre que moi dans ta toute-puissance.
Et ton amour n’en finit plus d’attendre
les deux mains clouées sur le bois.

Qui donc prendra sur lui le poids de ta croix?
Faut-il être entré dans ta gloire
pour mesurer le poids infini de ta souffrance
et trouver la force de l’assumer avec Toi?

Pourquoi te cacher derrière ce silence
qui enveloppe l’univers,
comme si, sur le point de parler,
tu retenais ton souffle, l’espace d’un instant.

Un instant d’éternité où l’Homme attend
les yeux tournés vers le ciel…

Pourtant, tout dans l’univers ne s’écrie-t-il pas: Gloire!
Des astres créés, aux rires des enfants:
« Contemplez Celui qui vient!
Celui qui Est! Contemplez!
Il est là, aux portes du monde,
et vous êtes chez Lui.

L’univers est son jardin et l’Homme,
un promeneur solitaire
qui cherche son chemin.
N’entendez-vous pas sa voix? »
Et l’Homme, reste-là, hébété,
au coeur du jardin,
soûlé par le poids de sa vie,
ne sachant plus où regarder,
quand tout autour de lui l’appelle vers Toi.

Nous aurais-tu donc créés aveugles ?

Yves Bériault, o.p.

Prière et silence

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« On pense ne pas savoir prier. C’est dans le fond sans importance, car Dieu entend nos soupirs, connaît nos silences. Le silence est le tout de la prière et Dieu nous parle dans un souffle de silence, il nous atteint dans cette part de solitude intérieure qu’aucun être humain ne peut combler. »

Frère Roger Schutz (Taizé)

Le silence

Maurice Zundel

« Le silence est forme d’ouverture, de démission, de pauvreté. S’il est impossible de rencontrer la beauté et l’amour en dehors du silence, c’est que Dieu est silence, comme Il est pauvreté. »

Maurice Zundel. Dialogue avec la Vérité. DDB, Paris, 1964. p. 167

À celle qui est Marie

Il y a des jours où les patrons et les saints ne suffisent pas.
Alors il faut prendre son courage à deux mains.
Et s’adresser directement à celle qui est au-dessus de tout.
Être hardi. Une fois.
S’adresser hardiment à celle qui est infiniment belle.
Parce qu’aussi elle est infiniment bonne.

À celle qui intercède.
La seule qui puisse parler de l’autorité d’une mère.

S’adresser hardiment à celle qui est infiniment pure.
Parce qu’aussi elle est infiniment douce.
(…)

À celle qui est infiniment riche.
Parce qu’aussi elle est infiniment pauvre.

À celle qui est infiniment haute.
Parce qu’aussi elle est infiniment descendante.

À celle qui est infiniment grande.
Parce qu’aussi elle est infiniment petite.
Infiniment humble.
Une jeune mère.

À celle qui est infiniment jeune.
Parce qu’aussi elle est infiniment mère.
(…)

À celle qui est infiniment joyeuse.
Parce qu’aussi elle est infiniment douloureuse.
(…)

À celle qui est infiniment touchante.
Parce qu’aussi elle est infiniment touchée.

À celle qui est toute Grandeur et toute Foi.
Parce qu’aussi elle est toute Charité.
(…)

À celle qui est Marie.
Parce qu’elle est pleine de grâce.

À celle qui est pleine de grâce.
Parce qu’elle est avec nous.

À celle qui est avec nous.
Parce que le Seigneur est avec elle.

CHARLES PÉGUY

(Le Porche du Mystère de la Deuxième Vertu, extraits.)

« Seigneur, ton ami est malade. »

Un ami très cher est atteint d’un cancer. J’ai peur pour lui. J’ai déjà travaillé en milieu hospitalier, j’ai vu des gens mourir et chaque fois que cette menace de la mort se présentait je demandais la guérison dans ma prière, le miracle. Mais le miracle n’était pas souvent au rendez-vous.

« Tout ce que vous demanderez en mon nom… », dit Jésus. Et pourtant toutes ces prières, comme des bouteilles jetées à la mer, qui semblent rester sans réponse. Mais n’a-t-il pas suffit que Marie, la sœur de Lazare, dise à Jésus: « Seigneur, ton ami est malade », pour qu’il vienne le guérir?

En priant pour cet ami, j’ai compris quelque chose de nouveau à la prière. Alors que ma prière se faisait insistante pour que le Seigneur guérisse mon ami, j’ai compris que ma prière avait aussi comme fonction de soutenir cet ami, de veiller avec lui. Comme si Dieu me demandait de le laisser habiter ma prière afin qu’à travers moi Il soutienne mon ami qui souffre. Une invitation à veiller avec l’ami malade dans la prière.

C’est comme si un nouvel éclairage sur la prière m’avait été donné. Il ne suffit pas de dire « Seigneur, Seigneur ». Il faut aussi veiller avec lui à Gethsémani, le Gethsémani de toutes les souffrances humaines. N’est-ce pas là la vocation bien particulière des monastères à travers le monde?

C’est là quelque chose qui demande bien plus de temps que la simple demande de guérison au Seigneur, dans une formule rapide et toute faite. C’est plus engageant aussi, plus fatiguant, plus couteux. La preuve en est que je n’ai pas mis le temps que j’aurais voulu jusqu’à maintenant. Écouter un ami qui souffre prend du temps. Prier pour lui aussi. Peut-être est-ce là le vrai sens de la prière d’intercession?…

Je vous confie cet ami. Je sais que son drame n’est qu’une gouttelette sur cet océan de misères humaines. Pourquoi lui plus qu’un autre? Pourquoi pas! Il faut bien commencer quelque part, là où la misère humaine nous frappe de plein fouet. Je pense qu’on entre alors dans le combat de Dieu.